Test DVD / Les Jours comptés, réalisé par Elio Petri

LES JOURS COMPTÉS (I Giorni contati) réalisé par Elio Petri, disponible en DVD le 5 octobre 2017 chez Tamasa Diffusion

Acteurs :  Salvo Randone, Franco Sportelli, Regina Bianchi, Marcella Valeri, Angela Minervini, Renato Maddalena…

Scénario :  Elio Petri, Tonino Guerra, Carlo Romano

Photographie : Ennio Guarnieri

Musique : Ivan Vandor

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 1962

LE FILM

A plus de cinquante ans, Cesare Conversi a travaillé toute sa vie avec abnégation. Un jour, il voit mourir dans le tram un homme de son âge. Obsédé par l’approche inexorable de la mort, il s’arrête de travailler afin de profiter de la vie avant qu’il ne soit trop tard…

Malgré une Palme d’or remportée en 1972 pour La Classe ouvrière va au paradis, le prix FIPRESCI et le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes en 1970 pour Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, le réalisateur italien Elio Petri (1929-1982) semble avoir été oublié dans le paysage cinématographique, notamment dans son pays. Ce cinéaste brillant, autodidacte, engagé et passionné a d’abord fait ses classes en tant que scénariste avant de se tourner vers le documentaire dans les années 50, puis de se lancer dans la fiction en 1961 avec son premier long métrage L’Assassin, coécrit avec le fidèle Tonino Guerra. Bien que Les Jours comptésI Giorni contati ait été écrit avant L’Assassin, il s’agit du second film d’Elio Petri. Dédié à son père, ouvrier chaudronnier, affaibli et vieilli prématurément en raison des difficultés de son métier, Elio Petri signe un film – inédit en France – politique et redoutablement pessimiste, contre le travail et son aliénation, qui bouffe littéralement la vie et sur lequel plane l’ombre d’Umberto D. de Vittorio De Sica (1952) et celle des Fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957). Il n’est d’ailleurs pas idiot de penser que Les Jours passés inspirera également à son tour Yves Robert pour son cultissime Alexandre le bienheureux (1968) avec Philippe Noiret qui décide à la mort de sa femme de ne plus travailler et surtout de dormir. Ce qui ne manque pas d’entraîner incompréhension et stupéfaction.

En rentrant du travail, un ouvrier plombier quinquagénaire assiste dans un tramway bondé au décès d’un homme de son âge. Ce drame sert de détonateur à la prise de conscience du temps qu’il lui reste à vivre (« mes jours sont désormais comptés »). Bouleversé, il ressent, plus que jamais, la nécessité de modifier ses habitudes (cela commence par mettre son habit du dimanche en semaine) et décide même de cesser son activité professionnelle afin de profiter de l’existence. Mais, chaque initiative prise dans ce sens ne fait qu’accroître douloureusement son désarroi… Il est, hélas, impossible, à son âge, de changer son destin. Il retourne finalement au travail, lucidement, mais toujours aussi convaincu de l’inutilité de son existence. Et le spectateur suit l’itinéraire de ce personnage bouleversant, magnifiquement interprété par Salvo Randone, acteur fétiche d’Elio Petri qui a quasiment joué dans tous ses films et par ailleurs lauréat du Masque d’argent du meilleur second rôle pour L’Assassin.

Partant d’un point A pour finalement revenir au même point, Cesare va rapidement déchanter. En croisant la route d’anciens amis, d’un vieil amour, d’un artiste et d’une jeune nymphette, l’homme de 53 ans (l’âge auquel est décédé Elio Petri) va se rendre compte qu’il est déjà passé à côté de sa vie et qu’il est déjà trop tard pour pouvoir en profiter. D’une part parce que ses moyens financiers sont bien trop limités et qu’il se retrouve très vite à court d’argent, au point d’envisager de devenir mendiant pour subsister, d’autre part parce qu’il est tout simplement inadapté à l’oisiveté. Cesare n’a essentiellement connu que son travail depuis quarante ans. Il est sympathique avec ses clients, bien portant, il se lève tôt et rentre courbé et fatigué à la fin de la journée. Comme des millions (des milliards) de personnes, Cesare se laisse vivre, jusqu’à ce qu’il soit témoin de ce drame. Non seulement l’homme du tramway est mort tandis qu’il lisait son journal, mais il ressemble également à Cesare. Comme s’il ne parvenait pas à se remettre de ce choc, Cesare semble constamment accompagné, observé par la « Mort ». En voulant finalement la déjouer, la contourner, la remettre à plus tard, Cesare ne fera en fait que mieux l’attirer, annihilant alors ses espoirs d’être heureux et de jouir des plaisirs de la vie.

La vie est passée, en ne laissant que des souvenirs dont plus rien ne subsiste comme lors du retour de Cesare sur les lieux où il a passé ses jeunes années. Dans L’Assassin, Elio Petri critiquait ouvertement et de manière acerbe l’autorité de son pays à l’aube des années ‘60 en présentant une police très autoritaire, omnisciente, obéissant à un état démocrate chrétien désireux de contrôler les esprits et qui ne laisse pas la possibilité à un individu de se défendre. Dans Les Jours passés, l’individu semble se réveiller « de la matrice », mais la machine l’a déjà broyé. Son corps est fatigué, il n’a même pas les ressources pour pouvoir se permettre de manquer le travail plusieurs jours puisque ce qu’il gagne le fait déjà survivre plutôt que vivre. Alors quand une bande d’escrocs lui proposent d’arnaquer l’assurance, il est prêt à se faire casser le bras pour empocher le pactole.

Portrait acide, tragique et psychologique d’un homme asphyxié par le système, seul (veuf et père d’un fils qui ne lui rend visite que quand il a besoin d’argent), oublié du boum économique italien, I Giorni contati foudroie en plein coeur par son propos acide toujours d’actualité et également par la beauté du cadre, de la mise en scène d’Elio Petri et la photo brûlante d’Ennio Guarnieri qui impriment de nombreuses scènes dans les mémoires, comme celle du passage piéton peint de nuit devant le Colisée. Un très grand film psychologique.

LE DVD

Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 16 pages illustré et contenant une note d’intentions d’Elio Petri, un entretien avec le réalisateur réalisé par Jean A. Gili, une mini-bio du cinéaste et sa filmographie. En guise d’interactivité nous trouvons une galerie de photos et d’affiches, ainsi que la bande-annonce 2012 et les filmographies d’Elio Petri et de Salvo Randone. Le menu principal est fixe et musical.

L’Image et le son

La restauration numérique des Jours comptés a été réalisée à partir du meilleur élément disponible aujourd’hui, un marron conservé à la Cineteca di Bologna. L’élément a été numérisé en 2K, puis restauré numériquement. Le directeur de la photographie Ennio Guarnieri (Medée, Le Jardin des Finzi-Contini, Le Grand embouteillage) a supervisé l’étalonnage. La restauration a été effectuée par le Laoboratoire L’Immagine Ritrovata en 2011. Ce nouveau master au format respecté des Jours comptés se révèle extrêmement pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans d’Elio Petri (les scènes sur la plage sont magnifiques), la photo signée par le grand Ennio Guarnieri retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé.

Comme pour l’image, le son original a été numérisé et restauré numériquement à partir du même élément. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage italien Mono, pas même un souffle parasite. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, même si les voix des comédiens, enregistrées en postsynchronisation, peuvent parfois saturer ou apparaître en léger décalage avec le mouvement des lèvres. La composition d’Ivan Vandor (Tire encore si tu peux) est joliment délivrée.

Crédits images : © Titanus TDR/ Tamasa Diffusion / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / Détenu en attente de jugement, réalisé par Nanni Loy

DÉTENU EN ATTENTE DE JUGEMENT (Detenuto in atessa di guidizio) réalisé par Nanni Loy, disponible en DVD le 5 octobre 2017 chez Tamasa Diffusion

Acteurs :  Alberto Sordi, Elga Andersen, Andrea Aureli, Lino Banfi, Antonio Casagrande, Mario Pisu…

Scénario :  Sergio Amidei, Emilio Sanna, Rodolfo Sonego

Photographie : Sergio D’Offizi

Musique : Carlo Rustichelli

Durée : 1h38

Date de sortie initiale : 1971

LE FILM

Giuseppe Di Noi est géomètre et vit en Suède depuis sept ans. Il décide de prendre quelques semaines de vacances avec sa femme et ses enfants en Italie, son pays natal. Mais à la frontière, un douanier lui demande de le suivre, pour une simple formalité. À peine entré dans les locaux de la douane, il en ressort menotté et en état d’arrestation sans savoir de quoi on l’accuse. Convaincu que l’erreur sera vite éclaircie, le malheureux est mis en prison, à l’isolement, et aura à subir à un vrai chemin de croix judiciaire…

Quel choc ! Sorti en 1971, Détenu en attente de jugement Detenuto in attesa di giudizio est sans aucun doute l’un des plus grands films des années 1970. 45 ans après, le film de Giovanni Loi dit Nanni Loy (1925-1995), alors habitué des comédies à l’instar de son Hold-up à la milanaise (1959), la suite du mythique Pigeon de Mario Monicelli et père de la caméra cachée transalpine, n’a rien perdu de sa force et demeure même toujours d’actualité. Dans son premier rôle entièrement dramatique, Alberto Sordi, alors âgé de 50 ans et fêtant ses trente années de carrière consacrées essentiellement à la comédie, livre une prestation époustouflante qui hante encore les esprits bien longtemps après.

Depuis plusieurs années le géomètre Giuseppe Di Noi s’est installé en Suède, où il a épousé une femme suédoise. Père de deux petites filles, il est devenu un professionnel estimé. Après avoir signé un gros contrat, il décide d’emmener sa famille (et leur chien) en vacances en Italie pour une durée de trois semaines. Mais à la frontière italienne, juste après avoir franchi le Tunnel du Mont-Blanc, il est arrêté sans qu’on lui donne la moindre explication. Le cauchemar se prolonge bien au-delà de ce qu’il avait prévu, et il faudra l’acharnement passionné de son épouse et de son avocat pour montrer qu’il s’agit d’une erreur et obtenir la libération de l’innocent.

Ce très grand film, ce chef d’oeuvre qu’est Détenu en attente de jugement repose sur un scénario impitoyable signé Sergio Amidei (Rome ville ouverte, Païsa, Allemagne année zéro) et Rodolfo Sonego (Un héros de notre temps, Il Vedovo, L’Argent de la vieille). Autrement dit un scénariste préoccupé par la situation politique, sociale et économique de son pays, et le second habitué à écrire des rôles sur mesure pour le grand Alberto Sordi, « l’Albertone », le comédien italien le plus populaire de tous les temps. Ce dernier est vraiment fantastique dans le rôle de Giuseppe Di Noi, que l’on pourrait traduire par « comme nous », un individu comme les autres. Le succès et le triomphe d’Alberto Sordi pendant plus de soixante ans s’expliquent par cette empathie immédiate qu’il a toujours su créer, en incarnant l’italien moyen dans lequel les spectateurs se reconnaissaient. Ce « personnage » troque ici son nez rouge pour adopter le fard blanc du clown triste. Cette prestation bouleversante s’est vue récompensée par l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin en 1972, ainsi que le David di Donatello partagé avec Giancarlo Giannini pour Mimi métallo blessé dans son honneur.

Victime du système judiciaire, politique et carcéral d’un pays en roue libre, Giuseppe Di Noi ne saura pas pourquoi il est arrêté, ni pourquoi on lui refuse le droit de se défendre ou tout simplement d’être écouté. Avec une caméra portée qui donne au film une dimension quasi-documentaire, ainsi qu’une photographie froide et aux teintes « immédiates » de Sergio D’Offizi, Nanni Loy plonge autant son personnage principal que les spectateurs dans un cauchemar kafkaïen, qui devient de plus en plus sombre et tortueux. L’humour noir sert de soupapes dans le premier acte, notamment lors de la fouille « en profondeur » du présumé coupable, mais déjà le malaise s’installe, quand Giuseppe doit se mettre à nu, au sens propre comme au figuré, tandis qu’on lui ôte toute dignité. Et le film agit toujours ainsi, en crescendo, en créant une sensation d’étouffement, à mesure que Giuseppe perd pied et espoir, au risque de sombrer dans la folie.

Alors que le personnage est transféré aux quatre coins du pays, en voiture, en train, en bateau, sous les huées des passants, il semble que Giuseppe doive se résoudre à rester emprisonné, dans des conditions de plus en plus dramatiques, déplorables et dangereuses puisqu’il échappe de peu à une tentative de viol collectif. S’il parvient à se sortir de cet enfer, nul doute que cette expérience le marque à vie.

Pamphlet corrosif, engagé et terrifiant sur les conditions aussi ancestrales que caduques des systèmes qui régissent l’Italie, pays obéissant encore à des règles fascistes dans l’unique but de broyer les individus, Détenu en attente de jugement est un triomphe à sa sortie et reste un film à découvrir absolument durant sa vie de cinéphile, d’autant plus qu’il demeurait encore inédit en France jusqu’en 2017.

LE DVD

Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 16 pages illustré et contenant les avis d’Olivier Père, de Justin Kwedi (DVDClassik), de Loïc Blavier (Tortillapolis), ainsi que des bios d’Alberto Sordi et de Nanni Loy, sans oublier la fiche technique du film. En guise d’interactivité nous trouvons une galerie de photos et d’affiches, ainsi que la bande-annonce. Le menu principal est fixe et musical. Petite erreur de la part de l’éditeur qui indique que le film date de 1960…

L’Image et le son

Posséder Détenu en attente de jugement en DVD était inespéré. Le film de Nanni Loy renaît donc de ses cendres chez Tamasa dans une copie – présentée dans son format 1.85 – d’une propreté souvent hallucinante. Point d’artefacts de la compression à signaler, aucun fourmillement, les couleurs se tiennent, le master est propre, immaculé, stable, les noirs plutôt concis et les contrastes homogènes. Hormis divers moirages et des séquences sombres au grain plus appuyé, le cadre fourmille souvent de détails, le piqué est joliment acéré, le relief et la profondeur de champ sont éloquents, les partis pris du célèbre directeur de la photographie Sergio D’Offizi (La Longue nuit de l’exorcisme) sont divinement bien restitués. Certains plans rapprochés tirent agréablement leur épingle du jeu avec une qualité technique quasi-irréprochable. Une véritable redécouverte, merci Tamasa !

Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine italienne. Seule la version italienne est disponible, mais aucune raison de s’en plaindre. Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable et un bel écrin pour la musique de Carlo Rustichelli. Les effets et les ambiances sont nets. Les sous-titres ne sont pas imposés.

Crédits images : © SNC (Groupe M6) / Compass Movietime TDR / Tamasa /  Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Les Egarés (Gli Sbandati), réalisé par Francesco Maselli

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LES EGARES (Gli Sbandati) réalisé par Francesco Maselli, disponible en DVD le 9 novembre 2016 chez Tamasa Diffusion

Acteurs : Jean-Pierre Mocky, Lucia Bose, Isa Miranda, Antonio De Teffe, Goliarda Sapienza, Leonardo Botta

Scénario : Francesco Maselli, Ageo Savioli, Eriprando Visconti

Photographie : Gianni Di Venanzo

Musique : Giovanni Fusco

Durée : 1h16

Date de sortie initiale : 1955

LE FILM

En 1943, la comtesse Luisa, son fils Andrea, son neveu Carlo, fils d’un dirigeant fasciste et Ferrucio, un ami de la famille, quittent Milan pour la campagne et ainsi échapper aux bombardements. Contre l’avis de sa mère, Andrea accepte d’héberger des sans-abris, dont la jeune ouvrière Lucia.

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Les Egarés Gli Sbandati est le premier long métrage de Francesco Maselli. Né à Rome en 1930 dans une famille bourgeoise, il participe aux activités de la Résistance italienne durant la Seconde Guerre mondiale, puis entre au Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome dont il sort diplômé à la fin des années 1940. Il devient très vite l’assistant du réalisateur Michelangelo Antonioni sur Chronique d’un amour (1950) et La Dame sans camélia (1953). Parallèlement, Francesco Maselli se fait la main derrière la caméra en signant quelques documentaires. Il réalise son premier long métrage en 1955, Les Egarés, également connu en France sous le titre Les Abandonnés, amer constat de l’Italie en 1943, à la veille de l’armistice dit Armistice de Cassibile le 8 septembre 1943, signé par l’Italie avec les forces anglo-américaine. Véritable coup de maître, Gli Sbandati est déjà un superbe objet de cinéma, magnifiquement photographié par le chef opérateur Gianni Di Venanzo, qui signera ensuite les images inoubliables de La Nuit et L’Eclipse d’Antonioni, Main basse sur la ville de Francesco Rosi, Huit et demi et Juliette des esprits de Federico Fellini. Un N&B extraordinaire, qui subjugue du début à la fin et qui imprègne le film d’une évidente sensualité.

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Ce film réalisé par un jeune metteur en scène de seulement 24 ans, étonne par sa maturité, son engagement, son ton désespéré et mélancolique et sa justesse de tous les instants. Eté 1943. Les jours s’écoulent doucement, mais sans ennui au bord du Pô. Depuis le début de la guerre, la comtesse Luisa (Isa Miranda), femme d’affaires ayant repris l’activité de son mari décédé accidentellement, a quitté Milan pour venir se réfugier en Lombardie dans une villa, loin des combats, en compagnie de son fils Andrea (Jean-Pierre Mocky), de son neveu Carlo (Anthony Steffen), le fils d’un dignitaire fasciste, et de Ferrucio (Leonardo Botta), un vieil ami de la famille. Les trois jeunes gens ont à peine vingt ans et passent principalement leurs journées à batifoler le long du fleuve, sans véritablement penser à l’avenir. Andrea flirte avec une jeune fille de son âge, mais aime surtout plonger son nez dans ses livres et ses disques de jazz qui l’ont suivi depuis Milan. Un jour, le conflit les rattrape. Le maire du village voisin convainc Andrea d’héberger des sans-abris, des réfugiés ayant fui les bombardements. Parmi eux se trouve Lucia (Lucia Bosè), jeune ouvrière au caractère bien trempé, que la guerre a fait grandir trop vite. Contre l’avis de sa mère, Andrea accepte la proposition du maire et cache le groupe de réfugiés dans la propriété familiale. Il ne tarde pas à tomber amoureux de Lucia, puis découvre ensuite que son cousin Carlo fait partie d’un groupe de résistants. Andrea découvre alors ce que signifient l’engagement et le combat. Quelques semaines plus tard, après l’armistice, des prisonniers italiens désormais ennemis des nazis, sont parqués dans des wagons à bestiaux en direction de l’Allemagne. Certains – parmi eux le jeune Mario Girotti qui sera célèbre plus tard sous le pseudo de Terence Hill – parviennent à s’en échapper. Andrea décide de les aider et de les cacher une fois de plus dans la propriété de sa mère alors absente.

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Tourné entre septembre et octobre 1954 dans un contexte difficile, de manière quasi-clandestine, dans un pays placé sous le signe de la censure et des brimades, Les Egarés apparaît comme étant le premier volet d’une trilogie consacrée à la jeunesse issue et prisonnière malgré-elle de la grande bourgeoisie. Suivront Les DauphinsI Delfini (1960) et Les Deux rivalesGli indifferenti (1964). Jusqu’alors inédit en France, Les Egarés est une très grande découverte. L’une des particularités du film est aussi de voir le jeune Jean-Pierre Mocky, âgé de 22 ans. Beau, magnétique, sensible, intense, le comédien porte ce film avec un immense talent qu’on oublie malheureusement trop souvent aujourd’hui. Il est vraiment formidable dans la peau d’Andrea, dont la conscience et l’engagement politique vont se révéler notamment grâce à l’amour qu’il porte pour une jeune réfugiée interprétée par la belle Lucia Bosè. Malgré sa courte durée (1h16) et la rapide présentation des personnages, Les Egarés est un film passionnant, attachant, qui continue de faire écho à l’actualité contemporaine. C’est aussi une œuvre totalement maîtrisée, hypnotique et engagée. En un mot, Les Egarés est un film essentiel.

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LE DVD

Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 16 pages illustré et comprenant quelques notes de production. Le menu principal est fixe et musical

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En guise d’interactivité nous trouvons une galerie de photos et d’affiches, ainsi que la bande-annonce, mais aussi et surtout un entretien exclusif avec Jean-Pierre Mocky lui-même ! En un peu plus d’un quart d’heure, le réalisateur et comédien revient sur Les EgarésGli Sbandati. Fidèle à son habitude, Mocky parle des stars et célébrités croisées à cette époque de sa vie : « J’étais au conservatoire avec Belmondo », « j’étais l’assistant d’Antonioni », « j’étais copain avec Clint Eastwood avec qui je faisais du mannequinat », « j’étais assistant de Visconti sur Senso », « je suis devenu ami avec Anthony Quinn », « j’ai assisté à la rupture de Fellini et Giulietta », « j’ai travaillé avec Ferreri qui m’adorait et Sergio Leone », « j’ai beaucoup travaillé avec François Truffaut, on était amis à l’époque ». Un vrai bonheur. Mocky parle évidemment du film qui nous intéresse en racontant quelques anecdotes de tournage (Lucia Bosè qui n’ouvrait pas la bouche en embrassant), les conditions des prises de vues, le travail avec Francesco Maselli, sans oublier sa propre carrière d’acteur.

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L’Image et le son

C’est agréable de découvrir Les Egarés dans de telles conditions. Les contrastes affichent d’emblée une véritable densité, les noirs sont profonds, la palette de gris riche et les blancs lumineux. Hormis divers moirages sur les surfaces rayées, quelques décrochages sur les fondus enchaînés et un générique qui apparaît peut-être moins aiguisé, le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent appréciable et les détails regorgent sur les visages des comédiens. On oublierait presque d’évoquer la restauration qui se révèle impressionnante, quasiment aucune scorie n’a survécu au scalpel numérique. L’encodage consolide l’ensemble avec brio. Toutes les qualités techniques sont de mise dans ce master élégant.

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Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine italienne. Seule la version italienne est disponible, mais aucune raison de s’en plaindre. Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable. Les effets et les ambiances sont nets. L’ensemble demeure homogène et les dialogues solides.

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Crédits images : © Tamasa Diffusion / Captures du DVD et des suppléments : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / La Femme du dimanche, réalisé par Luigi Comencini

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LA FEMME DU DIMANCHE (La donna della domenica) réalisé par Luigi Comencini, disponible en DVD le 25 octobre 2016 chez Tamasa Diffusion

Acteurs : Jacqueline Bisset, Marcello Mastroianni, Jean-Louis Trintignant, Aldo Reggiani, Maria Teresa Albani, Omero Antonutti

Scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli d’après le roman La Femme du dimanche (La Donna della domenica) de Carlo Fruttero et Franco Lucentini

Photographie : Luciano Tovoli

Musique : Ennio Morricone

Durée : 1h45

Date de sortie initiale : 1975

LE FILM

Garrone, un riche et célèbre architecte turinois, a été retrouvé chez lui, brutalement assassiné à l’aide d’un phallus en pierre retrouvé sur les lieux. L’inspecteur Santamaria est chargé de l’enquête. Originaire d’une famille modeste du sud de l’Italie, il navigue avec difficulté dans la haute bourgeoisie de Turin. Les suspects sont nombreux : Anna-Carla Dosio, la veuve désoeuvrée d’un industriel, oisive et séduisante, Massimo Campi, un ami homosexuel de Garrone et Lello Riviera, son amant, un petit fonctionnaire, sont tour à tour soumis aux questions pertinentes de Santamaria. L’assassinat de Riviera, qui menait sa propre enquête, brouille les pistes…

la-femme-du-dimanche6Dans les années 1970, le réalisateur Luigi Comencini a déjà bien entamé la cinquantaine et met les bouchées doubles. Loin des comédies de mœurs mégères qui ont fait sa renommée dans les années 1950-60, le cinéaste mythique de Pain, Amour et Fantaisie, Mariti in città, À cheval sur le tigre, Le Commissaire, La Ragazza, L’Incompris, Casanova, un adolescent à Venise et bien d’autres chefs-d’oeuvre entame une décennie placée sous le titre de la réflexion sur la dégradation des rapports entre individus, la bassesse de l’être humain, l’amertume et la haine qui a pourri toutes les couches sociales comme une véritable gangrène. Sur le fil entre le divertissement populaire et le drame policier ironique, La Femme du dimanche est le parfait reflet de la désillusion du cinéaste transalpin qui transparaît derrière les échanges des protagonistes, désabusés et dépassés par une enquête où tout le monde ou presque pourrait être le meurtrier d’un minable architecte libidineux et mondain, retrouvé le crâne fracassé par…un phallus en pierre.

la-femme-du-dimanche5Corrosif, La Femme du dimancheLa Donna della domenica l’est assurément. Passionnant ? Peut-être dans les débats qu’il entraîne après visionnage, beaucoup moins pendant à cause d’un rythme souvent poussif et inégal. Cette méditation amère et désenchantée – mais trop bavarde – sur les rapports de classe et la petite bourgeoisie mesquine peut tout d’abord apparaître froide, mais c’est sans compter sur le génie de Comencini qui ne nous jette pas une explicite radiographie des rapports sociaux sous les yeux. En vieux briscard et croyant en l’intelligence du spectateur, Comencini fait confiance à son audience pour décrypter ce qu’il y a au-delà, tout en respectant le livre phénomène de Carlo Fruttero et Franco Lucentini, adapté par le célèbre duo Age & Scarpelli. C’est là toute l’acuité d’un réalisateur arrivé au sommet de son art qui utilise l’art cinématographique comme objet d’analyse puisque le temps du divertissement – l’enquête n’intéresse pas Comencini – semble révolu. Mais le film vaut aussi pour son incroyable casting qui réunit Marcello Mastroianni, Jean-Louis Trintignant et Jacqueline Bisset.

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lfdd2Le premier est comme d’habitude parfait dans le rôle de Santamaria, le flic chargé de l’enquête. Officier méridional, il regarde le monde turinois d’un œil narquois. Ses premiers soupçons se portent sur la séduisante Anna Carla Dosio, campée par la magnifique Jacqueline Bisset. Elle est l’auteur d’une lettre où elle disait vouloir se débarrasser de Garrone, l’architecte assassiné. Mais c’est en réalité toute la bonne société et la grande bourgeoisie de la ville qui vont bientôt se retrouver dans son collimateur, pour une enquête sulfureuse où il sera question de jalousie, de prostitution et d’homosexualité. C’est là que rentre en scène Massimo Campi (Trintignant, superbe), ami et confident d’Anna Carla, qui vit secrètement avec un homme dans sa garçonnière.

la-femme-du-dimanche3Le réalisateur s’amuse à dépeindre des bourgeois décadents qui s’ennuient – ils passent leur temps à prononcer Boston à l’anglaise plutôt qu’à l’italienne – et qui profitent de la mort d’autrui pour en tirer du plaisir en jouant notamment à l’apprenti détective. C’est le cas d’Anna Carla, qui n’hésite pas à interférer dans l’enquête de Santamaria, quelque peu dépassé par les événements et les dessous insoupçonnés d’une ville corrompue. Il est aidé par son collègue De Palma (hilarant Pino Caruso), seul personnage vraiment attachant de toute cette cohue. Réalisé entre Les Aventures de Pinocchio (1975) et le film à sketchs Mesdames et messieurs bonsoir (1976), La Femme du dimanche n’est sans doute pas un grand Comencini, mais reste symbolique du cinéma italien qui n’hésitait pas à s’engager derrière les apparences de la comédie ou du film de genre, par ailleurs merveilleusement mis en musique ici par le maestro Ennio Morricone aux accents de giallo qui remplissait alors les salles. Mais mineur ou pas, La Femme du dimanche demeure une sympathique curiosité à connaître absolument.

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LE DVD

Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 12 pages illustré et signé Jean A. Gili, critique cinématographique et historien du cinéma, spécialisé dans le cinéma italien. En guise d’interactivité nous trouvons une galerie de photos et d’affiches, ainsi que la bande-annonce. Aucune trace des filmographies mentionnées sur le verso. Le menu principal fixe et musical.

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L’Image et le son

Posséder La Femme du dimanche en DVD était inespéré. Le film de Luigi Comencini renaît donc de ses cendres chez Tamasa dans une copie – présentée dans son format 1.66 – d’une propreté souvent hallucinante. Point d’artefacts de la compression à signaler, aucun fourmillement, les couleurs se tiennent, sont ravivées, le master est propre, immaculé, stable, les noirs plutôt concis et les contrastes homogènes. Hormis divers moirages, le cadre fourmille souvent de détails, le piqué est joliment acéré, le relief et la profondeur de champ permettent d’apprécier la ville de Turin présentée sous tous les angles, les partis pris du célèbre directeur de la photographie Luciano Tovoli (Suspiria, Nous ne vieillirons pas ensemble) sont divinement bien restitués. Certains plans rapprochés tirent agréablement leur épingle du jeu avec une qualité technique quasi-irréprochable. Une véritable redécouverte, merci Tamasa !

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Seule la version originale aux sous-titres français (peu élégants) amovibles est disponible. Ce mixage demeure consistant et le souffle aux abonnés absents. Comme de coutume, la bande-son a été entièrement retravaillée en post-production, d’autant plus que Jean-Louis Trintignant et Jacqueline Bisset ne parlaient évidemment pas italien. On peut d’ailleurs repérer que Marcello Mastroianni donne la réplique en français à Trintignant.

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Crédits images : © Tamasa Diffusion