Test Blu-ray / Point de chute, réalisé par Robert Hossein

POINT DE CHUTE réalisé par Robert Hossein, disponible en combo DVD/Blu-ray le 5 juin 2018 chez TF1 Studio

Acteurs :  Johnny Hallyday, Robert Hossein, Pascale Rivault, Albert Minski, Robert Dalban, Christian Barbier, Marie-Christine Boulard, Yasmine Zimmerman…

Scénario :  Claude Desailly, Robert Hossein

Photographie : Daniel Diot

Musique : André Hossein

Durée : 1h20

Année de sortie : 1970

LE FILM

Trois voyous enlèvent une jeune fille de quinze ans, Catherine, pour obtenir de son père le versement d’une rançon. Ils la séquestrent dans une cabane perdue au bord de la mer et la battent. Seul Eddie, un jeune voyou, gardien de la jeune fille, s’insurge contre ces méthodes. À travers un fait divers tragique, le portrait de deux adolescents dans un climat d’angoisse et de violence.

Tout de suite après Le Spécialiste de Sergio Corbucci, Johnny Hallyday persévère dans le cinéma et enchaîne avec Point de chute, un drame sentimentalo-policier coécrit, mis en scène et interprété par Robert Hossein, qui était passé derrière la caméra dès 1955 avec Les Salauds vont en enfer. Si ce petit film reste méconnu, Johnny Hallyday y trouve l’un de ses meilleurs rôles et signe d’ailleurs une excellente performance. Quasi-mutique du début à la fin, les dialogues sont d’ailleurs réduits à leur plus strict minimum, le comédien est bien dirigé, filmé et s’impose sans mal dans la peau de ce personnage de bad boy malgré-lui, qui va tomber amoureux de la jeune fille que lui et ses complices ont kidnappé dans le but de demander une rançon. Jeux de masques, au sens propre comme au figuré, retournements de situations et valse des sentiments, Point de chute est une très jolie surprise, délicate et qui n’a pas peur des envolées romanesques.

Lui, Vlad « le Roumain », est un jeune voyou, dur, sans scrupules. Elle, Catherine, une toute jeune fille, une lycéenne, d’une famille de la haute bourgeoisie. Ils n’ont rien en commun l’un et l’autre. Catherine est enlevée par des gangsters, et Vlad est chargé de la garder dans une cabane isolée au bord de la mer. Un monde les sépare, ils n’ont rien à se dire et ce n’est pas la situation qui va les rapprocher. Pourtant, en dépit de tout, au fil des heures qui s’écoulent dans l’attente de la rançon, des liens silencieux et invisibles se créent entre eux…

Le film démarre sur une séquence en N&B. Une plage comme décor principal. On assiste à la reconstitution d’un crime qui vient d’avoir lieu. Un inspecteur de police (Robert Dalban, très belle présence) découvre la clé de l’énigme dans un cahier d’écolière caché sous un matelas. Puis, dix minutes après, les événements passés sont racontés en couleur. Sur un rythme lent, mais maîtrisé, Robert Hossein prend le temps d’observer le regard bleu azur de son protagoniste, dissimulé derrière un masque blanc sans expression. A l’instar de deux animaux sauvages, Vlad (Johnny Hallyday donc) et Catherine (Pascale Rivault) s’observent, s’affrontent, rivalisent, avant de finalement s’apprivoiser. Vlad tombe alors le masque, se révèle attentionné envers Catherine malgré ses tentatives d’évasion. Quand ses complices reviennent, Vlad se rend compte qu’il ne peut plus supporter le traitement violent accordé à Catherine.

Robert Hossein instaure une très belle atmosphère éthérée et dépouillée grâce à la photo de Daniel Diot, mais aussi avec le décor de la petite cahute en bois paumée sur une plage du Nord sur fond de ciel ivoire, tandis que la musique récurrente d’André Hossein, qui rappelle le thème principal de Jeux interdits, apporte une vraie mélancolie à l’ensemble. On s’attache à ce voyou repenti auquel Johnny Hallyday apporte une vraie sensibilité et même une certaine poésie. Le chanteur prouve d’ailleurs qu’il n’est jamais aussi bon comédien que lorsque ses répliques sont rares. Contrairement au Spécialiste, dans lequel son jeu était à la limite de la parodie involontaire (ou pas) de Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Franco Nero, Johnny Hallyday signe une vraie prestation émouvante dans Point de chute, peut-être la plus convaincante de sa carrière sur grand écran.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de Point de chute, disponible chez TF1 Vidéo, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Comme sur le Blu-ray du Spécialiste, Jean-François Rauger présente ici Point de chute. Le directeur de la programmation de la Cinémathèque française est beaucoup plus succinct que pour l’autre film avec Johnny Hallyday, puisque son introduction ne dure que sept minutes. Rauger se penche surtout sur l’évolution du jeu d’acteur de Johnny Hallyday au cinéma, sur les personnages et les thèmes du film de Robert Hossein.

Ce qui va ravir les fans du chanteur, c’est la présence du concert de Johnny Hallyday à la prison de Bochuz (40’). Cette prestation légendaire de 1974 a été filmée par la Radio Télévision Suisse. Durant cette représentation présentée pour la première fois en version restaurée Haute Définition, Johnny Hallyday enchaîne onze titres (dont Que je t’aime, Toute la musique que j’aime, Les Portes du pénitencier, Blue Suede Shoes, Tutti frutti) devant les prisonniers visiblement conquis.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce, durant laquelle une critique enflammée affirme que « Robert Hossein est désormais l’égal d’un Hitchcock ». Cette édition combo Blu-ray/DVD dispose également un livret exclusif et inédit de 36 pages comprenant des photos d’exploitation du film et les propos de Robert Hossein et Johnny Hallyday sur Point de chute.

L’Image et le son

Difficile de faire mieux que ce master restauré 4K à partir du négatif image ! Ce Blu-ray permet aux spectateurs de redécouvrir totalement Point de chute, dès la séquence d’ouverture en N&B. La définition est exemplaire avec des contrastes denses, des noirs profonds, des blancs lumineux et un grain original heureusement préservé. La partie en couleur est peut-être moins précise, mais la clarté est de mise, le piqué aussi tranchant qu’inédit et les détails étonnent par leur précision. Toutefois, en raison des partis pris esthétiques, quelques flous sporadiques sont à noter, des séquences paraissent plus douces et les arrière-plans peuvent paraître moins précis. Mais cela reste anecdotique.

L’éditeur est aux petits soins avec le film de Robert Hossein puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent, l’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises. Les dialogues sont clairs, sans souffle. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : ©  TF1 Studio / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / La Belle et la meute, réalisé par Kaouther Ben Hania

LA BELLE ET LA MEUTE réalisé par Kaouther Ben Hania, disponible en DVD le 4 avril 2018 chez Jour2Fête

Acteurs :  Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli; Noomane Hamda; Mohamed Akkari; Chedly Arfaoui, Anissa Daoud, Mourad Gharsalli…

ScénarioKaouther Ben Hania

Photographie : Johan Holmquist

Musique : Amine Bouhafa

Durée : 1h36

Année de sortie : 2017

LE FILM

Mariam, 21 ans, se rend à une soirée étudiante à Tunis. A peine arrivée, elle sympathise avec un certain Youssef (Ghanem Zrelli, fantastique), avec lequel elle décide de finir la soirée sur la plage. Mais celle-ci tourne court quand trois policiers s’en prennent au couple. Menottant Youssef, ils violent la jeune Mariam, puis la relâchent. Traumatisée, elle est emmenée par Youssef à l’hôpital afin de pouvoir déposer plainte par la suite. Mais les deux jeunes gens vont se retrouver empêtrés dans un véritable cauchemar bureaucratique dont ils ne sortiront pas indemnes.

Inspiré d’un fait divers réel qui a ébranlé le gouvernement Tunisien en 2012, produit par six pays différents pour seulement 850 000 euros, La Belle et la meute est ce que l’on peut appeler un tour de force. Réalisé par Kaouther Ben Hania, originaire de Tunis, la cinéaste se fait avant tout remarquer via une poignée de courts-métrages dont Le Challat De Tunis , satire sociale sur son pays. Des courts-métrages féministes et réfléchis, non dépourvus d’humour grinçant. Le Challat De Tunis résonne d’ailleurs comme les prémisses du véritable brûlot étouffant que signera Ben Hania avec La Belle et la meute.

Présenté en 2017 au Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, le film se compose, à la manière du Kidnapped de Miguel Ángel Vivas, sans l’ultra-violence, d’une dizaine de très longs plans séquences, qui comme dans l’électrochoc hispanique, nous plonge sous une chape de plomb picturale, plus proche d’un réalisme âpre et d’une ambiance souvent glauque et brutale. Le chemin de croix d’une femme voulant faire entendre sa voix dans un pays qui nous est décrit (allégoriquement parlant évidemment) comme proche de la rupture. Cette femme blessée sera entraînée, sans possibilité de recul, dans une multitude d’endroits qui feront office de paliers, entamant sa descente aux enfers. On peut y voir un voyage kafkaïen, le découpage sec du film nous faisant ressentir chaque nouvelle scène comme une tourmente supplémentaire que devra surmonter Mariam.

Au cours de cette nuit, elle devra se battre, mais elle sera aussi soutenue. Divers personnages (dont Youssef) la forceront à enfoncer les portes qui se dresseront devant elle, afin qu’elle puisse s’affirmer et se battre pour ses droits. Victime d’avoir été victime. Le film parvient à faire vivre chaque situation avec beaucoup de réalisme, le choix d’ajouter au casting des acteurs venant du théâtre d’improvisation amène le spectateur à rester scotcher quant au déroulement de certaines situations et échanges. Mariam Al Ferjani est sidérante. Dans un rôle que l’on imagine aussi épuisant psychologiquement que physiquement, elle donne toute sa force à son personnage pour remporter cet affrontement, sans jamais vouloir abandonner. Elle passe d’une épreuve à une autre, se relevant constamment malgré les humiliations dont elle est victime. Le film brille par la virtuosité de sa mise en scène. Ben Hania utilise à bon escient le plan séquence, via de très jolis ballets chorégraphiques d’une fluidité assez incroyable, et parvient à nous faire vivre chaque minute de ce fait divers sordide en maintenant une tension constante.

Véritable thriller et drame social, La Belle et La Meute touche également par sa sincérité cinématographique et par son message politique fort que la réalisatrice assume jusque dans sa dernière séquence. Le personnage de Youssef en viendra même à comparer son pays à un film de zombies, en décrivant le système comme carnassier, avide de scandales et d’images chocs. Jusque dans une scène où la caméra s’envole au-dessus d’un corps inconscient, noyant dans l’image ce que le spectateur se résigne à voir depuis le début. Ajoutons également une mention spéciale au plan séquence « Numéro 6 » qui fait monter la tension de manière très brutale, se terminant sur une scène de course poursuite à la lisière du film d’horreur dont la conclusion assourdissante en remuera plus d’un.

Toutefois, le film n’est peut-être pas exempt de défauts. Il peut se montrer parfois maladroit dans sa manière de souligner certains passages de manière un peu trop démonstrative (l’introduction ou encore la scène du voile) ou un peu trop verbeux dans sa conclusion qui aurait gagné à être aussi directe que le reste du métrage.

Mais, La Belle et La Meute est une très bonne surprise. Direct, froid, le premier film de Kaouther Ben Hania devrait marquer les mémoires. Une œuvre difficile, mais intelligente et consciente de sa portée sociale et politique. On en ressort lessivés, mais l’expérience est nécessaire puisqu’elle permet d’aborder un sujet qui resterait dans l’ombre si le cinéma n’osait pas s’en emparer.

LE DVD

Le test du DVD de La Belle et la meute, disponible chez Jour2Fête, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical. Présenté dans une copie très convenable on ne pourra donc regretter qu’un duo de suppléments assez légers et un chapitrage DVD absent. Nous n’aurons malheureusement pas la chance de mettre la main sur un quelconque Blu-ray, le film n’ayant pas la possibilité d’accéder au format.

Côté supplément, on retrouve une scène coupée (8’) qui semblait se trouver entre la séquence «Numéro 7» et la séquence «Numéros 8». Une scène plutôt intéressante qui nous fait rapidement nous demander pourquoi celle-ci fut non retenue au montage final.

Une interview de Kaouther Ben Hania (22’) chapeautée par le philosophe Michel Onfray vient boucler ce rapide tour des bonus. Un entretien plutôt intéressant si on oublie la qualité assez médiocre du cadrage, ainsi que la présentation un peu confuse de l’interview.

L’Image et le son

Pas d’édition HD donc pour La Belle et la meute, mais un DVD de fort bonne facture, qui restitue habilement l’omniprésence des gammes bleues avec les costumes et les éléments du décor, qui s’opposent avec les ambiances plus chaudes des bureaux. Les contrastes sont légers mais très beaux. Si quelques baisses de la définition demeurent constatables, le piqué reste appréciable, les détails sont agréables sur le cadre large, la clarté est de mise. Un transfert très élégant.

Seule la version originale est disponible. La piste Dolby Digital 5.1 délivre habilement les dialogues et les ambiances frontales, mais peine à instaurer une spatialisation autre que musicale. Les latérales ont peu à faire, mais il est vrai que le film ne s’y prête pas. N’hésitez pas à sélectionner la Stéréo, dynamique et percutante. Les sous-titres français et anglais sont disponibles.

Crédits images : ©  Jour2fête / Critique du film, parties généralités et suppléments : Alexis Godin / Captures DVD et partie technique : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

 

 

 

Test DVD / Si tu voyais son coeur, réalisé par Joan Chemla

SI TU VOYAIS SON COEUR réalisé par Joan Chemla, disponible en DVD le 15 mai 2018 chez Diaphana

Acteurs :  Gael García Bernal, Marine Vacth, Nahuel Perez Biscayart, Karim Leklou, Mariano Santiago, Manuel « Manole » Munoz, Antonia Malinova, Patrick de Valette…

ScénarioJoan Chemla, Santiago Amigorena d’après le roman de Guillermo Rosales

Photographie : André Chemetoff

Musique : Gabriel Yared

Durée : 1h23

Année de sortie : 2017

LE FILM

Suite à la mort accidentelle de son meilleur ami, Daniel échoue à l’hôtel Métropole, un refuge pour les exclus et les âmes perdues. Rongé par la culpabilité, il sombre peu à peu dans la violence qui l’entoure. Sa rencontre avec Francine va éclairer son existence.

Si tu voyais son coeur est le premier long métrage de la réalisatrice franco-argentine Joan Chemla. Venue au cinéma après des études de journalisme et de droit, elle signe en 2008 son premier court-métrage Mauvaise route. Suivront Dr Nazi (2010) et The Man with the Golden Brain (2012). Atypiques, à la lisière du fantastique, inclassables même, ces films sont remarqués dans les festivals. Joan Chemla passe donc naturellement au long métrage et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on retrouve toute la singularité de ses œuvres précédentes dans Si tu voyais son coeur, drame sombre et austère, interprété par Gael Garcia Bernal. Limite expérimental, ce premier film ne manque pas d’intérêt, mais demeure cependant trop hermétique.

Après avoir perdu son meilleur ami dans un accident, Daniel, un gitan exilé à Marseille, quitte sa communauté. Il s’installe à l’hôtel Métropole, véritable purgatoire où les écorchés de la vie tentent de survivre au jour le jour. Se sentant coupable de la mort de son ami, Daniel s’auto-détruit jusqu’à sa rencontre avec Francine qui va bouleverser sa vie.

Il y a de très bonnes choses dans Si tu voyais son coeur. Tout d’abord les comédiens. On est heureux de revoir Gael Garcia Bernal rejouer dans la langue de Molière. Immense sensibilité, charisme ravageur, l’acteur mexicain porte le film du début à la fin. Il donne ici la réplique à Nahuel Pérez Biscayart, révélation 2017 de 120 battements par minute de Robin Campillo (César du meilleur espoir masculin) et Au revoir là-haut d’Albert Dupontel. Si ce dernier apparaît finalement très peu à l’écran, sa présence reste marquante tout du long. N’oublions pas la sublime Marine Vacth (Jeune et jolie, Belles familles, La Confession), dont la participation même fugace foudroie à la fois les yeux et le coeur.

Adaptation libre du roman Mon ange de l’écrivain cubain Guillermo Rosales par Santiago Amigorena, Si tu voyais son coeur peut rebuter avec sa photo poisseuse, voire cendreuse, son rythme très lent, mais le personnage de Daniel est malgré tout attachant. On le suit dans son errance, dans son processus de deuil, dans son retour à la vie grâce à Francine, jeune femme également cassée par l’existence, mais toujours vivante malgré les coups reçus. On pense alors à Orphée et Eurydice, se rapprochant de la lumière après avoir connu les Enfers. Si l’action du roman se déroulait aux Etats-Unis et suivait un exilé cubain, le film de Joan Chemla se concentre sur un exilé de la communauté gitane, paumé dans les environs de Marseille.

Présenté en compétition au Festival international de Toronto, Si tu voyais son coeur marque la naissance d’une véritable auteure et metteur en scène, par ailleurs récompensées par le Prix du meilleur réalisateur (sic) au Festival international du film de Varsovie. Tragique, sensoriel (la musique de Gabriel Yared n’y est pas pour rien), romantique et teinté d’humour noir, cette première œuvre possède une vraie patte esthétique et un sens formel indiscutable, qui rappelle parfois La Lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix. Dommage que le scénario ne soit finalement pas à la hauteur de ses ambitions plastiques (on pense d’ailleurs au cinéma de Paweł Pawlikowski) et espérons que Joan Chemla saura ouvrir un peu plus son univers et faire preuve de lâcher prise dans son prochain film pour une portée plus universelle.

LE DVD

Le test du DVD de Si tu voyais son coeur, disponible chez Diaphana, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Excellente initiative de la part de l’éditeur de nous proposer les trois courts-métrages de Joan Chemla comme suppléments au programme !

Mauvaise route (12’ – 2008) : Sur une route déserte, un jeune homme se lance à la poursuite d’une moto. En chemin, les présages d’un destin tragique s’accumulent. N&B éthéré, aucun dialogue, conte singulier et dénouement surprenant, Mauvaise route impose d’emblée le style visuel de Joan Chemla.

Dr Nazi (15’ – 2010) : Charles Chinaski est un type à problèmes et se considère comme responsable de la plupart de ses problèmes : les femmes, l’alcool, son hostilité envers les groupes d’individus. Il décide un jour de consulter le premier docteur venu. Adaptation de la nouvelle de Charles Bukowski et Lauréat du Prix Canal + à Clermont-Ferrand.

The Man With the Golden BrainL’Homme à la cervelle d’or (16’ – 2012) : Stanley a sept ans quand il découvre par accident que sa cervelle est en or. Transposition d’une nouvelle d’Alphonse Daudet (La Légende de l’homme à la cervelle d’or) avec Marine Vacth et Vincent Rottiers.

Trois courts-métrages très étonnants, marqués par quelques références, notamment à Stanley Kubrick, qui montrent que Joan Chemla a vraiment le potentiel pour réaliser un jour un vrai film fantastique.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Pas de Blu-ray pour Si tu voyais son coeur, mais un DVD de bonne qualité. La photo cendreuse, hivernale et morose de André Chemetoff (Dog Pound, Les Malheurs de Sophie) est impeccablement restituée avec un léger grain. Le piqué, les contrastes, le relief, les détails sont très appréciables, tout comme la stabilité de la copie.

La version française est disponible en Dolby Digital 5.1 et 2.0. D’emblée, le premier mixage impose une petite spatialisation discrète mais bel et bien palpable avec diverses ambiances qui percent les enceintes latérales, en plongeant directement le spectateur dans l’atmosphère du mariage. Certes, le film repose en grande partie sur les dialogues, mais il serait dommage de se priver de ce petit plus. Saluons également la tonicité de la piste 2.0 qui contentera aisément ceux qui ne seraient pas équipés à l’arrière. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : ©  Nord Ouest Films / Diaphana / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / L’Ange exterminateur, réalisé par Luis Buñuel

L’ANGE EXTERMINATEUR (El Ángel exterminador) réalisé par Luis Buñuel, disponible en DVD et Blu-ray le 2 avril 2018 chez Movinside

Acteurs :  Silvia Pinal, Enrique Rambal, Claudio Brook, José Baviera, Augusto Benedico, Antonio Bravo…

ScénarioLuis Buñuel

Photographie : Gabriel Figueroa

Musique : Raúl Lavista

Durée : 1h33

Année de sortie : 1962

LE FILM

Grands bourgeois domiciliés rue de la Providence, les Nobile reçoivent une vingtaine d’amis, après un concert. Tout le personnel de la maison s’éclipse sans raison. Les invités passent la nuit sur le tapis du salon et commencent à perdre la raison…

Oeuvre matricielle de toute la filmographie de Luis Buñuel, L’Ange exterminateurEl Ángel exterminador signe également la fin de la période mexicaine du cinéaste. Cette référence ultime du huis clos permet à son auteur de s’attaquer à l’un de ses thèmes de prédilection, la bourgeoisie, figée et hypocrite, devenant ici prisonnière de son propre système. Repliée sur elle-même, cette caste va alors perdre le contrôle et le vernis de la bienséance commencer à s’écailler. Chef d’oeuvre absolu, unique en son genre, L’Ange exterminateur est un des sommets, si ce n’est le plus grand film de Luis Buñuel.

Edmundo et Lucia de Nobile, un couple bourgeois de Mexico, donnent une réception après l’opéra dans leur luxueuse demeure. Quelques faits bizarres se produisent alors : des domestiques partent l’un après l’autre sans expliquer leur comportement et avant même que la soirée commence. Seul reste le majordome, Julio. Les invités connaissent une impression de déjà-vu (certains se présentent deux fois, d’autres déclament la même tirade), Ana retire de son sac deux pattes de poulet alors que Blanca joue au piano une sonate de Paradisi. Au moment de partir, une étrange réaction interdit aux invités de quitter les lieux. Ces derniers, confinés dans le même salon, finissent par dormir sur place. Mais le lendemain, ils constatent qu’il est toujours impossible de sortir de la pièce. La panique s’empare des maîtres de maison et de leurs invités. La nourriture est épuisée (certains mangent du papier), l’eau est manquante (on envisage un temps de boire celle au fond des vases), l’odeur devient pestilentielle (incapacité de se laver), la promiscuité est de plus en plus révoltante et certains instincts, notamment sexuels, se libèrent. Les jours et les nuits passent, la notion du temps se perd. A l’extérieur, la police, les badauds et les domestiques, victimes du même sortilège, n’arrivent pas à franchir le portail de la propriété. Dans le salon devenu asphyxiant, les véritables caractères et personnalités se révèlent. Soudain, apparaissent un ours et des moutons.

Toujours aussi insaisissable, virtuose et remarquable, L’Ange exterminateur, un temps envisagé sous le titre Les Naufragés de la rue de la Providence, touche au sublime. En voulant rendre réaliste l’inexplicable, Luis Buñuel ne prend pas les spectateurs pour les imbéciles et fait confiance à leur intelligence pour décoder les métaphores et allégories qui constituent son récit. Redoutablement subversif, ce film, réalisé juste après Viridiana, pose les bases de la seconde partie de la carrière du réalisateur, qui seront reprises dans Belle de jour (1967) et surtout Le Charme discret de la bourgeoisie (1972).

S’il enferme ses personnages dans un cadre restreint, la mise en scène est sans cesse en mouvement et chaque cadre capture une réaction, un mouvement, la réaction suite à ce mouvement. Si théâtralité il y a, cela provient uniquement du rôle que l’on joue en société, mais en aucun cas du dispositif, des partis pris et de la mise en scène. La peur engendre le cauchemar, le cauchemar entraîne la fatigue, l’épuisement, réduisant l’homme aisé à l’état d’animal qui se laisse aller. Les vêtements se froissent, les coiffures de ces dames s’écroulent, l’hygiène devient secondaire. Peu importe si le comportement manque aux règles les plus élémentaires de l’étiquette. Il n’y a plus que des hommes et des femmes, quasiment rendus à l’état primitif, qui tentent de survivre et la religion ne peut rien faire pour eux dans cette situation.

Luis Buñuel peint ses protagonistes, merveilleusement incarnés entre autres par Silvia Pinal (Viridiana, Simon du désert), Claudio Brook (Du rififi à Paname, La Grande vadrouille, La Voie lactée), avec un pinceau à pointe sèche et acérée, sans oublier un humour noir savoureux. La bourgeoisie est un naufrage, le salon est l’île déserte de cette vingtaine de rescapés. Sans révéler le dénouement, le réalisateur n’est pas dupe quant à ce que ses personnages pourraient tirer de cette expérience. Si l’histoire fait alors l’effet d’une boucle, l’épilogue montre que seule l’Apocalypse permettrait une remise à égalité de tous les êtres humains. Mais pour combien de temps ?

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de L’Ange exterminateur, disponible chez Movinside, repose dans un élégant boîtier classique de couleur noire. Visuel très beau et attractif. Le menu principal est simple, animé et musical. Mention spéciale à la sérigraphie bien pensée du disque.

Seule la bande-annonce est proposée comme bonus sur cette édition.

L’Image et le son

Le générique fait un peu peur. L’image est claire, mais les contrastes laissent à désirer. Même chose concernant la première bobine. Puis, la propreté de la copie devient évidente, la stabilité est de mise et les noirs retrouvent une vraie fermeté. Certes les partis pris limitent la profondeur de champ, mais le grain est joliment restitué, les détails sont parfois présents sur les visages. Signalons tout de même quelques plans plus abimés ou à la définition beaucoup plus aléatoire. Mais dans l’ensemble, cette édition HD est convenable.

En ce qui concerne la mixage espagnol proposé en PCM, l’écoute est également fluctuante. Tout va bien durant les quarante premières minutes, quand soudain un souffle important se fait entendre. Les dialogues sont chuintants, parfois sourds, tandis que les notes de piano s’accompagnent de saturations. Pas de craquement intempestif, mais le souffle demeure chronique et souvent entêtant. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © 1962 Producciones Gustavo Alatriste / Movinside / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

 

Test DVD / Frightmare, réalisé par Pete Walker

FRIGHTMARE réalisé par Pete Walker, disponible en DVD chez Uncut Movies le 3 avril 2017

Avec :  Sheila Keith, Rupert Davies, Deborah Fairfax, Kim Butcher, Paul Greenwood, Fiona Curzon…

Scénario : Pete Walker, David McGillivray

Photographie : Peter Jessop

Musique : Stanley Myers

Durée : 1h23

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Quinze ans après avoir été emprisonné pour avoir commis les crimes les plus horribles et les plus violents, Dorothy et Edmund Yates sont libérés dans la collectivité. Mais malgré les efforts déployés d’Edmund, Dorothy retrouve ses tendances cannibales et elle est bientôt encore rendue à commettre des meurtres horribles. Pendant ce temps, leur fille et belle-fille Debbie et Jackie commencent à être tirées dans leur étrange spirale de violence, et l’une d’elles pourrait même avoir hérité du goût de la chair humaine de Dorothy…

La même année que FlagellationsHouse of Whipcord, le réalisateur Pete Walker et le scénariste David McGillivray remettent le couvert avec ce qui reste aujourd’hui leur collaboration la plus célèbre, Frightmare. Né en 1939, Pete Walker débute par des courts-métrages dénudés (Soho Striptease, The Girl That Boys Dream About, Please Do Not Touch) qu’il produit lui-même et revend sous le manteau, avant de passer au long-métrage en 1968 avec The Big Switch. Suivront alors des œuvres aux titres explicites L’Ecole du sexe, Der Porno-Graf von Schweden, Four Dimensions of Greta en relief !. Puis, il change de registre en abordant l’épouvante avec Meurs en hurlant, Marianne et Le Rideau de la mort. Si pour les aficionados, les cinéphiles et les amateurs de films de genre, Flagellations reste leur film de prédilection, Frightmare est unanimement salué comme étant son œuvre la plus ambitieuse et la plus réussie, à tel point que certains en viennent à préférer ce film au Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, sorti la même année et avec lequel il partage quelques points communs.

Dorothy Yates vit avec son mari Edmund dans une petite ferme isolée à l’abri des regards indiscrets. La vieille femme dissimule en réalité un terrible passé puisqu’elle fut internée pendant de nombreuses années aux côtés de son époux pour avoir commis une série de meurtres brutaux sur fond de cannibalisme. Aujourd’hui libérée et réintégrée dans la société Dorothy mène une vie tranquille sous l’œil bienveillant de son mari hier complice par amour des crimes de son épouse. En réalité la vieille femme n’a rien perdu de sa démence et va de nouveau céder à l’appel de la chair humaine dont elle se révèle après toutes ces années de psychanalyse toujours aussi friande ! Dorothy attire ainsi secrètement chez elle ses victimes pour leur tirer les cartes avant de les massacrer avec sauvagerie et de se repaitre de leur cervelle encore tiède. Seule Jackie, la fille d’Edmund, semble prendre conscience de la nouvelle dérive meurtrière de sa belle-mère. Parviendra-t-elle à mettre un terme à ce carnage qui ensanglante de nouveau la campagne anglaise ?

Avec Flagellations (1974), Frightmare (1974) et Mortelles confessions (1976), le cinéaste Pete Walker mérite largement d’être réévalué, reconnu et réhabilité. Sur un sujet scabreux et à ne pas mettre devant tous les yeux, le réalisateur britannique fait preuve d’une incroyable virtuosité et instaure progressivement une peur, une angoisse sourde avec pourtant une économie d’effets frontaux. Particulièrement dérangeant, Frightmare happe d’emblée le spectateur avec un prologue en N&B, qui se déroule en 1957 dans le décor d’une fête foraine désertée. S’ensuit le meurtre hors-champ d’un homme, puis le procès d’un couple reconnu comme étant les assassins. En entendant la sentence, cet homme et cette femme, dont nous ne voyons pas les visages, se prennent la main. Retour à la couleur, place au sang, quinze ans plus tard. Pete Walker aborde le cannibalisme dans une famille dégénérée, où le goût du sang et des viscères se transmet génétiquement.

La photographie de Peter Jessop appuie la crasse environnante, désormais théâtre des histoires de monstres à visages humains. Si le casting est comme d’habitude soigné, la comédienne Sheila Keith tire une fois de plus son épingle du jeu dans le rôle de Dorothy Yates, celle par qui le mal arrive dans la famille. Comme dans Flagellations et avant Mortelles confessions, l’actrice se délecte d’un rôle difficile qui lui permet de créer un personnage repoussant, tout en lui insufflant une évidente humanité. Pete Walker joue avec l’empathie du spectateur puisqu’il démontre une fois de plus que les institutions sont incapables de prendre en charge et de soigner un tel cas pathologique et schizophrénique. Quelques années après avoir été enfermée avec son époux Edmund, complice de ses meurtres, Dorothy Yates ressort d’un institut psychiatrique après avoir été jugée apte à être réinsérée dans la société. Seulement voilà, sitôt remise en liberté, Dorothy replonge immédiatement, avec le soutien de son époux, amoureux transi, et de sa belle-fille Debbie (excellente Deborah Fairfax) qui essaye de déjouer l’appétit déviant de sa belle-mère. Mais c’était sans compter le mal qui s’est transmis à la fille de Dorothy et d’Edmund.

Véritable film d’horreur moderne et thriller psychologique produit en totale indépendance, Frightmare n’a rien à envier à Texas Chain Saw Massacre avec son ambiance oppressante. Son final très sombre n’a pas fini de triturer les méninges.

LE DVD

Uncut Movies frappe fort avec cette édition DVD Collector limitée et numérotée à 1000 exemplaires de Frightmare ! Le disque repose dans un sublime Digipack constitué d’un livret de 28 pages merveilleusement illustré, avec en introduction un mot de l’éditeur et la présentation du label Uncut Movies, puis un petit focus sur les maîtres de l’horreur britannique et une analyse de quelques-uns des films les plus célèbres de Pete Walker. Sans oublier un petit poster collector du film tiré de son exploitation italienne. Le menu principal est animé et musical. Un très bel objet de collection.

Cette édition de Frightmare s’accompagne d’une galerie de photos, du trailer original du film, de bandes-annonces Uncut Movies et surtout d’une large présentation de l’oeuvre de Pete Walker qui nous intéresse ici, par l’expert, monsieur David Didelot. 1H17 en compagnie de ce dernier, cela ne se refuse pas. Le co-fondateur du fanzine Vidéotopsie revient armé jusqu’aux dents de VHS, d’ouvrages et de DVD pour illustrer ses propos toujours aussi passionnants et qui donnent furieusement envie de se jeter sur tous les titres Bis évoqués. Pas un seul moment de répit pour David Didelot qui dresse un fabuleux portrait du réalisateur Pete Walker. Ses débuts au cinéma, ses films, ses partis pris, ses intentions, sa rencontre déterminante avec le scénariste David McGillivray, mais également son ambiguïté sont passés au crible. Ne tarissant pas d’éloges sur ce réalisateur indépendant qu’il affectionne tout particulièrement, David Didelot déclare que Pete Walker mériterait d’être reconsidéré à sa juste valeur. Au bout de 50 minutes, Frightmare est analysé – dans le fond comme dans la forme – par notre spécialiste du Bis, évoquant également le casting, l’accueil critique, la sortie du film et les divers titres d’exploitation.

L’Image et le son

Ce DVD permet de (re)découvrir le film de Pete Walker dans de très bonnes conditions techniques. Souvent nette et précise, la copie est bien restaurée avec des contrastes appréciables, une image propre, le grain argentique préservé, un piqué élégant et des détails qui étonnent souvent par leur précision, en particulier les gros plans. Le prologue en N&B est plus altéré avec des points, poussières et autres scories visibles. Cela s’améliore dès le passage à la couleur. La photo hivernale, grisâtre, sombre du chef opérateur Peter Jessop (Schizo, Mortelles confessions) est élégamment restituée avec ses teintes fanées. N’oublions pas la stabilité d’ensemble.

Point de version française ici. Le mixage anglais aux sous-titres français (non imposés) instaure une écoute propre avec parfois quelques sensibles chuintements dans les aigus, mais rien de bien méchant.

Crédits images : © Uncut Movies / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

 

 

Test Blu-ray / Mortelles confessions, réalisé par Pete Walker

MORTELLES CONFESSIONS (House of Mortal Sin) réalisé par Pete Walker, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Artus Films le 6 mars 2018

Avec :  Anthony Sharp, Susan Penhaligon, Stephanie Beacham, Norman Eshley, Sheila Keith, Hilda Barry…

Scénario : Pete Walker, David McGillivray

Photographie : Peter Jessop

Musique : Stanley Myers

Durée : 1h44

Date de sortie initiale : 1976

LE FILM

Jenny Welch vit avec sa soeur Vanessa, et mène une vie amoureuse instable après qu’elle s’est faite quitter par son amant. Elle se met alors à fréquenter un vieil ami d’enfance, Bernard, devenu prêtre. Devant la faiblesse de la jeune femme, il l’invite à aller en confessions avec le père Meldrum, un prêtre acariâtre et frustré. Ce dernier va alors prendre pour mission divine de « purifier » Jenny et de préserver leur étrange relation.

Encore plus radical, encore plus sombre et pessimiste que FlagellationsHouse of Whipcord, voici Mortelles confessionsHouse of Mortal Sin, toujours écrit par David McGillivray et réalisé par le cinéaste britannique Pete Walker en 1978. Le temps de la sexploitation est bien loin et le réalisateur confirme son talent pour mettre en scène l’horreur et la peur au quotidien. Mortelles confessions va encore plus loin dans le malaise lié à l’hégémonie des institutions. Par son titre, House of Mortal Sin, découle de House of Whipcord et prend le spectateur à la gorge du début à la fin en se focalisant sur le personnage d’un prêtre fou, qui séquestre sa vieille mère et qui n’hésite pas à tuer ses ouailles qui se sont écartées du droit chemin. Pete Walker s’en prend ici au célibat des prêtres et se penche sur la folie qui peut s’emparer de l’homme sexuellement frustré. Thriller tendu, audacieux et violent, emblématique de la situation politique britannique alors extrêmement rigoriste et rétrograde, Mortelles confessions est un vrai bijou.

Jenny (Susan Penhaligon) rencontre inopinément Bernard (Norman Eshley), un ancien copain devenu prêtre en quête de logement. Habitant avec sa sœur Vanessa (Stephanie Beacham), elle l’héberge. Son petit ami l’ayant quitté, Jenny souhaite parler avec Bernard de ce qui la rend malheureuse. Au confessionnal, elle tombe sur le père Xavier Meldrum (Anthony Sharp) qui lui indique « Ne soyez pas gênée de parler sexualité avec moi ! ». Ce dernier va vouloir la prendre sous son aile, avec pour seul objectif de prendre pour action divine de purifier la jeune fille et de s’attaquer à tout ce qui entravera à une éventuelle liaison. Du chantage, Meldrum va très vite passer au meurtre en s’en prenant aux proches de Jenny. Quand il rentre chez lui, le prêtre passe du temps avec sa mère souffrante (et séquestrée), surveillée par la gouvernante borgne Miss Brabazon (glaçante Sheila Keith, actrice fétiche de Pete Walker) qui aime la martyriser. De son côté, Bernard tombe amoureux de Vanessa et décide de donner sa démission.

Pete Walker n’a peur de rien et surtout pas de dire haut et fort de ce que tout le monde pense habituellement tout bas. Le célibat des prêtres et donc la question de la sexualité chez les hommes d’église, mais également leur immunité et leur impunité se trouvent au coeur de Mortelles confessions. Cette frustration et cette schizophrénie sont incroyablement rendues par Anthony Sharp, comédien anglais vu chez Stanley Kubrick (Barry Lyndon, Orange mécanique), dans le James Bond non-officiel Jamais plus jamais et dont la carrière à la télévision et au théâtre en rendrait jaloux plus d’un. Exceptionnel, flippant, repoussant, Anthony Sharp incarne un monstre humain, rendu cinglé par une des règles archaïques de sa profession. Il faut dire qu’on comprend son trouble devant les charmes de Susan Penhaligon et ceux de la pulpeuse Stephanie Beacham, oui oui, la Sable Colby de la série Dynastie !

Pete Walker rue dans les brancards et use du thriller psychologique teinté de giallo (quelques scènes sont très brutales) mâtiné d’un formidable cynisme pour appuyer son message, même si le réalisateur a toujours nié faire du cinéma politique et social. Aujourd’hui, Mortelle confessions, ainsi que la filmographie de Pete Walker, méritent d’être franchement reconsidérés.

LE BLU-RAY

Avec Flagellations (dernièrement chroniqué dans nos colonnes) et Mortelles confessions, l’éditeur Artus Films signe ses premiers pas dans le domaine de la Haute-Définition. Les films de Pete Walker sont bien pris en charge puisque disponibles dans de beaux combos Blu-ray-DVD. Le visuel de Mortelles confessions est attractif et la jaquette glissée dans un boîtier classique de couleur bleue. Le menu principal est fixe et muet.

Après David Didelot, place à Alain Petit. L’historien du cinéma propose une présentation de Mortelles confessions (19’). Si certains propos sur Pete Walker font écho avec ceux entendus lors du brillant exposé de son confrère sur la galette de Flagellations, Alain Petit ne manque pas d’arguments pour défendre à son tour les œuvres du cinéaste qu’il affectionne tout autant. Le fond et la forme sont ainsi mis en parallèle. On apprend également que le rôle du prêtre Meldrum avait été proposé à Peter Cushing, qui avait été obligé de réfuser car malheureusement déjà pris sur un autre film. Le casting est également passé au peigne fin.

L’Image et le son

A l’instar de Flagellations, Artus Films déroule le tapis rouge au film de Pete Walker avec un très beau master Haute-Définition (1080p, AVC). Ce traitement permet de (re)découvrir Mortelles confessions dans les meilleures conditions techniques possibles. Dès le générique, la propreté est indéniable, la copie est stable, le grain original flatteur, le piqué aiguisé et la photo souvent ouatée du chef opérateur Peter Jessop (Schizo, Frightmare) est respectée. Les quelques poussières et griffures qui ont pu échapper à la restauration demeurent subliminales. N’oublions pas l’élégante tenue des contrastes.

Point de version française ici. Le mixage anglais DTS HD Master Audio Mono 2.0 aux sous-titres français (non imposés) instaure une écoute propre avec parfois quelques sensibles chuintements dans les aigus, mais rien de bien méchant.

Crédits images : © Artus Films Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Flagellations, réalisé par Pete Walker

FLAGELLATIONS (House of Whipcord) réalisé par Pete Walker, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Artus Films le 6 mars 2018

Avec :  Barbara Markham, Patrick Barr, Ray Brooks, Ann Michelle, Sheila Keith, Dorothy Gordon…

Scénario : Pete Walker, David McGillivray

Photographie : Peter Jessop

Musique : Stanley Myers

Durée : 1h42

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Jeune mannequin français vivant à Londres, Anne-Marie se laisse séduire par Mark, qui l’emmène chez ses parents, dans une vieille et grande maison de campagne. Elle comprend bien vite qu’elle n’est qu’une proie de plus, donnée en pâture à Mme Wakehurst, une ancienne directrice de prison pour femmes, et son mari, le juge Bailey. Sous prétexte de rédemption et de lutte contre la dépravation, ces deux pervers assouvissent en fait leur sadisme et leur perversité.

Etrange long métrage que Flagellations, aka House of Whipcord en version originale, écrit par David McGillivray et réalisé par Pete Walker en 1974, cinéaste britannique qui a fait les grandes heures de la sexploitation et de l’épouvante, de la fin des années 1960 au début des années 1980. Né en 1939, Pete Walker débute par des courts-métrages dénudés (Soho Striptease, The Girl That Boys Dream About, Please Do Not Touch) qu’il produit lui-même et revend sous le manteau, avant de passer au long-métrage en 1968 avec The Big Switch. Suivront alors des œuvres aux titres explicites L’Ecole du sexe, Der Porno-Graf von Schweden, Four Dimensions of Greta en relief !. Puis, il change de registre en abordant l’épouvante avec Meurs en hurlant, Marianne et Le Rideau de la mort. Pour les aficionados, les cinéphiles et les amateurs de films de genre, Flagellations reste et demeure son meilleur film. Si l’on est tout d’abord attiré par la sublime affiche qui vend une belle créature en prise avec des matrones mal intentionnées et armées d’un fouet qui donne son titre au film en anglais, Flagellations ne se contente pas de ces quelques ingrédients qui servent finalement à appâter les spectateurs. C’est aussi et surtout un thriller tendu et violent, emblématique de la situation politique britannique alors extrêmement rigoriste et rétrograde.

Anne-Marie DeVarnet (la belle Penny Irving), est une top-modèle venue de France pour tenter sa chance en Angleterre. Remarquée pour avoir fait quelques clichés dénudés, elle se voit inviter lors d’une soirée par un inconnu, un certain Mark E. Desade (Robert Tayman, vu dans Le Cirque des vampires de Robert Young), qui lui propose de l’emmener chez ses parents. Julia accepte et se retrouve dans une gigantesque demeure qui semble inhabitée. Elle va bientôt découvrir le secret de cet endroit insolite et de sa présence ici : elle vient en réalité de se faire kidnapper et se retrouve devant une directrice (Barbara Markham, glaçante), son mari aveugle (Patrick Barr) et deux gardiennes sadiques (Sheila Keith et Dorothy Gordon) qui vont lui inculquer le savoir-vivre, sous peine de lui faire subir quelques tortures dont la punition du fouet. La demeure entourée de hauts murs impénétrables et plantée au milieu de nulle part dans la campagne anglaise est une ancienne prison abandonnée devenue un lieu de séquestration pour jeunes filles, dirigée par des individus prônant le retour de l’ordre moral et de la civilité.

Non seulement Pete Walker parvient à flatter son public de base, souvent plus intéressé par les formes exposées des jolies actrices que par l’histoire qui leur est racontée, mais le réalisateur parvient également à dresser un constat aussi réaliste que pessimiste sur l’Angleterre au début des années 1970. Les institutions et autorités en prennent pour leurs grades, Pete Walker n’hésitant pas à fustiger des juges (également bourreaux) qui décident de rendre une autre justice, en punissant des jeunes femmes qui enfreignent selon eux les codes moraux. Décidées à les faire revenir dans le droit chemin, des gardiennes revêches, vieilles filles, à la sexualité refoulée et dépourvue de sentiments, ont alors recours à des méthodes brutales en traitant ces jeunes « délurées » comme des animaux parqués dans d’anciennes cellules glauques et suintantes.

Si l’une des pensionnaires vient à fauter, celle-ci est mise en isolement. En cas de récidive, elle est déshabillée et fouettée. Si jamais la pécheresse venait à commettre une troisième faute, elle est condamnée à être pendue. Le processus de déshumanisation est en cours. Même s’il a toujours nié faire passer un message politique dans ses films qu’il revendiquait comme étant uniquement commerciaux, Flagellations – titre français évidemment racoleur et pas du tout représentatif de l’histoire – incite à la réflexion. Ceci dès le carton introductif « Ce film est dédié à ceux que le relâchement des codes moraux actuels inquiète et qui attendent impatiemment le retour du châtiment corporel et de la peine de mort » jusqu’à la fin redoutablement sombre avec ses costumes ternes et la photographie pluvieuse de Peter Jessop.

Alors que la Hammer est morte en emportant avec elle ses créatures démoniaques et ses couleurs baroques, des monstres apparaissent en déambulant dans la société d’aujourd’hui sous un ciel grisâtre. Joyaux de la British Horror, Flagellations, classé X à sa sortie, s’apparente plus à un thriller psychologique et pervers dont le statut culte n’est pas usurpé.

LE BLU-RAY

Avec Flagellations, l’éditeur Artus Films signe ses premiers pas dans le domaine de la Haute-Définition. Le film de Pete Walker est chouchouté puisque disponible dans un beau combo Blu-ray-DVD. Le visuel est attractif et la jaquette glissée dans un boîtier classique de couleur bleue. Le menu principal est fixe et muet.

Qui de mieux que l’incontournable et érudit David Didelot pouvait nous présenter Flagellations ? Pendant une heure (1h01 pour être précis), le co-fondateur du fanzine Vidéotopsie revient armé jusqu’aux dents de VHS, d’ouvrages et de DVD pour illustrer ses propos toujours aussi passionnants et qui donnent furieusement envie de se jeter sur tous les titres Bis évoqués. Pas un seul moment de répit pour David Didelot qui dans la première demi-heure dresse un fabuleux portrait du réalisateur Pete Walker. Ses débuts au cinéma, ses films, ses partis pris, ses intentions, mais également son ambiguïté sont passés au crible. Ne tarissant pas d’éloges sur ce réalisateur indépendant qu’il affectionne tout particulièrement, David Didelot déclare que Pete Walker mériterait d’être reconsidéré à sa juste valeur. Au bout de 27 minutes, Flagellations est analysé – dans le fond comme dans la forme – par notre spécialiste du Bis, évoquant également le casting, l’accueil critique, la sortie du film et les divers titres d’exploitation tels que La Pension du plaisir ou Mutilator !

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Une belle entrée en fanfare dans la HD pour l’éditeur ! Le transfert est irréprochable, le master immaculé, stable et dépourvu de déchets résiduels. Les noirs sont concis, la colorimétrie est volontairement atténuée et tire vers les gris-bruns. Les décors dépouillés sont omniprésents et les personnages n’ont aucun mal à ressortir devant un fond uni, froidement éclairé, avec de très beaux gros plans qui foisonnent de détails. La gestion des contrastes est également très solide. Malgré un très léger voile apparent sur les séquences nocturnes et tamisées, ainsi que de menus changements chromatiques au cours d’une même séquence ou sur un champ-contrechamp, ce master HD présenté dans son format d’origine 1.66. est exemplaire. Le Blu-ray est au format 1080p.

Le film de Pete Walker bénéficie d’un doublage français, le film étant sorti en 1984 dans nos contrées. Au jeu des comparaisons avec la version originale, la piste française au doublage réussi s’accompagne de quelques chuintements. Véritable gruyère suite à de nombreuses coupes, cette version passe directement en version originale sous-titrée en français lors des séquences jamais doublées. La piste anglaise est plus dynamique, propre et intelligible, homogène dans son rendu, notamment au niveau des effets sonores. Les sous-titres français ne sont pas imposés.


Crédits images : © Artus Films Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test DVD / Le Prix du succès, réalisé par Teddy Lussi-Modeste

LE PRIX DU SUCCÈS réalisé par Teddy Lussi-Modeste, disponible en DVD chez Ad Vitam le 9 janvier 2018

Avec :  Tahar Rahim, Roschdy Zem, Maïwenn, Grégoire Colin, Sultan, Ali Marhyar…

Scénario : Teddy Lussi-Modeste, Rebecca Zlotowski

Photographie : Julien Poupard

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 2017

LE FILM

Brahim est un humoriste en pleine ascension. Sa réussite, il la doit à lui-même et à l’amour qu’il porte à Linda. Bon fils, il soutient les siens depuis toujours. Mais pour durer, Brahim doit sacrifier son grand frère, manager incontrôlable. Si l’échec peut coûter cher, Brahim va payer un tribut encore plus lourd au succès.

Issu de la communauté des Gens du Voyage, Teddy Lussi-Modeste, né en 1978, intègre la FEMIS et se fait déjà remarquer en 2004 avec son court-métrage Embrasser les tigres. Avec son premier long-métrage Jimmy Rivière (2011), coécrit avec la réalisatrice de Belle épine Rebecca Zlotowski, Teddy Lussi-Modeste filme à nouveau sa communauté et s’interroge sur la question de l’appartenance au groupe et la manière dont on peut s’en affranchir. Après ce vrai coup de maître, on attendait des nouvelles du réalisateur. Ce dernier revient en très grande forme avec Le Prix du succès, également coécrit avec Rebecca Zlotowski. Avec honnêteté, sincérité et réalisme, tout en empruntant parfois la voie du romanesque, Teddy Lussi-Modeste démontre avec son nouveau film qu’il est devenu un cinéaste important et passionnant.

Le Prix du succès s’inspire du propre vécu de son auteur et plus particulièrement de ses proches et amis qui croyaient que le réalisateur allait devenir riche en intégrant le monde du cinéma. Teddy Lussi-Modeste se focalise ici sur un jeune artiste de stand-up, Brahim, interprété par Tahar Rahim, qui fête ses dix ans de succès sur scène et qui souhaite évoluer dans son métier. Seulement voilà, Brahim travaille également avec son frère aîné Mourad, génialement incarné par Roschdy Zem, son manager, qui lui sert également de chauffeur et de garde du corps. Homme sanguin, impulsif, Mourad ne se rend pas compte qu’il étouffe Brahim jusqu’à ce que ce dernier, amoureux de Linda (Maïwenn), désire s’émanciper, prendre un agent (Grégoire Colin) et voler de ses propres ailes. Mourad prend alors la mouche et entre dans une spirale de violence, tandis que Brahim, vit de plus en plus mal la situation en voyant son équilibre familial s’écrouler.

De l’aveu même de Teddy Lussi-Modeste, Le Prix du succès aurait pu tout aussi bien se dérouler dans le domaine du sport ou du cinéma. Le stand-up n’est donc pas le sujet du film. Ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est observer comment la cellule familiale, ici maghrébine, peut éclater en raison de la réussite professionnelle et la notoriété d’un de ses membres et comment ce succès peut engendrer jalousies et convoitises. Ici, Mourad est réellement convaincu d’avoir contribué au succès et à l’aisance financière de son frère et attend donc quelque chose en retour, comme s’il avait une dette envers lui. Alors quand il apprend que Brahim a de nouveaux projets, mais qu’il n’en fait pas partie, Mourad voit rouge et essaye même de retourner leur famille contre lui ou de s’en prendre violemment à la compagne de son frère.

Un sujet fort et original que Teddy Lussi-Modeste prend à bras le corps et met en scène avec efficacité et parfois même une tension digne d’un véritable thriller, surtout dans son dernier acte qui fait souvent mal à l’estomac. A ce titre, Roschdy Zem, remarquable, compose le plus beau personnage du film, capable d’un amour incommensurable pour son frère, mais aussi d’une violence sèche et brutale, aussi bien physique que verbale, envers lui. A l’heure où les nominations aux César ne sont pas encore tombées pour la cérémonie qui se tiendra début mars 2018, espérons que l’académie saura reconnaître le talent et la réussite du second long métrage de Teddy Lussi-Modeste, ainsi que l’excellence de ses interprètes !

LE DVD

Le DVD du Prix du succès, disponible chez Ad Vitam, est logé dans un boîtier classique de couleur blanche. Le menu principal est élégant, animé et musical.

La section des bonus propose tout d’abord une interview du réalisateur Teddy Lussi-Modeste (9’). Ce dernier aborde la genèse du Prix du succès, inspiré par quelques situations qu’il a lui-même connues, l’écriture du scénario avec Rebecca Zlotowski, ainsi que les thèmes abordés. Il insiste également sur le fait que le stand-up n’est pas ici le sujet principal du film, mais sert plutôt de « décor » comme aurait pu l’être également le théâtre ou le sport. Néanmoins, cela n’a pas empêché le cinéaste de faire quelques recherches sur ces performances, en s’inspirant de la vie de Jamel Debouzze. Teddy Lussi-Modeste se souvient également de sa rencontre avec les comédiens.

On retrouve d’ailleurs Tahar Rahim et Roshdy Zem dans un entretien court, mais souvent passionnant (8’). Les deux acteurs, visiblement complices, parlent de la notoriété et de ses travers, sur ce que la célébrité implique et ce qu’elle provoque chez certaines personnes. Tahar Rahim s’exprime également sur sa préparation pour les scènes de stand-up.

L’interactivité se clôt sur deux scènes coupées (4’30) et la bande-annonce.

L’Image et le son

Pas d’édition HD pour Le Prix du succès. Néanmoins, le film de Teddy Lussi-Modeste bénéficie d’un beau traitement de faveur en DVD. Les contrastes sont à l’avenant, la luminosité des scènes diurnes est éclatante, le piqué acéré y compris en intérieur, les noirs sont denses. Evidemment, la propreté est de mise, les détails foisonnent aux quatre coins du cadre, et hormis quelques saccades notables sur divers mouvements de caméra, la colorimétrie demeure agréablement naturelle, précise et classe.

L’éditeur joint une piste Dolby Digital 5.1 qui instaure une spatialisation musicale indéniable. Les ambiances naturelles et les effets annexes sont plutôt rares et la scène acoustique reste essentiellement frontale. De ce point de vue il n’y a rien à redire, les enceintes avant assurent tout du long, les dialogues étant quant à eux exsudés avec force par la centrale. La Stéréo n’a souvent rien à envier à la DD 5.1. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également de la partie, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © Ad Vitam /  Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / 3615 Code Père Noël, réalisé par René Manzor

3615 CODE PÈRE NOËL réalisé par René Manzor, disponible en combo Blu-ray+DVD chez Le Chat qui fume le 12 décembre 2017

Avec :  Brigitte Fossey, Louis Ducreux, Patrick Floersheim, Alain Musy-Lalanne, François-Eric Gendron, Stéphane Legros, Franck Capillery, Nicole Raucher, Gédéon, Mousse…

Scénario : René Manzor

Photographie : Michel Gaffier

Musique : Jean-Félix Lalanne

Durée : 1h30

Date de sortie initiale : 1990

LE FILM

Il a 9 ans. Il s’appelle Thomas. Il croit au Père Noël. Il a 2 passions : l’informatique et les super-héros. Le 24 décembre, caché sous la table de la salle à manger, Thomas attend l’arrivée du Père Noël, bien décidé à le capturer. Mais, ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il est sur le point de vivre la nuit la plus terrifiante de toute sa vie. Un duel sans merci va l’opposer à un psychopathe.

C’est un film qui revient de loin. Pourtant, ceux qui ont eu la chance de découvrir 3615 Code Père Noël, en ouverture du Festival international du Film Fantastique d’Avoriaz le 13 janvier 1990, durant sa courte exploitation au cinéma ou lors d’une diffusion sur Canal+, ne l’ont jamais oublié. Et pour cause, puisque le second long métrage de René Manzor (né en 1959) est un chef d’oeuvre, une immense référence du cinéma de genre français qui n’a pourtant connu aucun succès dans les salles et longtemps resté incompris. Virtuose, captivant, 3615 Code Père Noël est un véritable conte qui invite le spectateur à entrer dans un univers foisonnant, immédiatement attachant, chaleureux, qui vire ensuite au survival et à l’épouvante, avec une maîtrise exceptionnelle.

Thomas, 9 ans, vit avec sa mère, patronne d’un grand magasin de la capitale et son grand-père, vieil homme quasi-aveugle et atteint de diabète, dans le château familial situé en région parisienne. Ce qu’il préfère faire pour passer ses journées ? Se déguiser comme Arnold Schwarzenegger dans Commando (ou Sylvester Stallone dans Rambo, choisissez) et jouer à la guerre, en poursuivant son chien dans les couloirs de l’immense bâtisse, tout en utilisant des passages-secrets et trappes dissimulées. Il aime aussi les gadgets électroniques, se débrouille comme un as en informatique et sait se servir du Minitel. Le soir du réveillon, un homme solitaire travaille comme père Noël pour le magasin de la mère de Thomas. Suite à une altercation avec une petite fille, il se fait renvoyer et souhaite alors se venger. Il se cache dans une fourgonnette chargée de cadeaux destinés au fils de son ex-patronne. De son côté, bien décidé à prouver à son meilleur ami que le Père Noël existe, Thomas prépare des caméras de surveillance et attend patiemment l’arrivée de la houppelande rouge, devant la cheminée. A minuit pile, Thomas se retrouve nez à nez avec un psychopathe à la barbe blanche. Le duel peut alors commencer.

Révélé par Le Passage avec Alain Delon, deux millions d’entrées en France à sa sortie en décembre 1986, René Manzor signe un véritable coup de maître après son premier coup d’essai déjà très impressionnant. 3615 Code Père Noël n’est pas un film fantastique, mais joue avec les codes du genre pour plonger l’audience dans un univers sombre et même parfois gothique, dont les partis pris – photo de Michel Gaffier – convoquent les films de la Hammer, mais fait aujourd’hui curieusement écho à Edward aux mains d’argent de Tim Burton qui n’était pas encore sorti et d’ailleurs même pas encore tourné. C’est dire l’immense réussite de ce deuxième film !

Adieu au monde de l’enfance, récit initiatique, drame sur le dysfonctionnement familial, thriller d’aventure et psychologique, 3615 Code Père Noël est un film riche, composé de diverses strates qui pourraient s’opposer et former un gloubi-boulga sans consistance, mais c’était sans compter sur l’immense talent de René Manzor, qui fait fi d’un budget limité et entièrement produit par son frère Francis Lalanne, grâce aux recettes du Passage où il officiait en tant que coproducteur avec Alain Delon. Bourré d’imagination, le cinéaste déploie toute sa maestria visuelle au service d’un scénario original. Chaque plan contient une idée (minimum) de mise en scène, chaque plan est étudié (à l’avance avec un storyboard), chaque plan en met plein les yeux.

Si le film est évidemment représentatif de son époque avec la coupe mulet du jeune héros, son clip vidéo intégral de la chanson Merry Christmas de Bonnie Tyler intégré à la narration, son esthétique eighties avec ses ambiances monochromes et voilées, sans oublier ses cadres obliques, 3615 Code Père Noël échappe pourtant aux moqueries qui accompagnent souvent ces réminiscences. D’une part parce que René Manzor croit à son histoire et qu’il la raconte divinement bien. D’autre part, il peut également compter sur l’investissement de ses comédiens, en particulier sur l’interprétation incroyable de son propre fils, Alain Musy (de son vrai nom Alain Lalanne), qui interprétait le fils d’Alain Delon dans Le Passage. Aussi à l’aise dans les scènes intimistes, quand il donne la réplique à la sublime Brigitte Fossey ou au touchant Louis Ducreux, que dans les scènes très physiques de la seconde partie où il n’est vraiment pas ménagé, Alain Musy, incroyable de charisme, foudroie le spectateur, lequel s’attache immédiatement à ce petit garçon sans père, seul, qui parvient à « s’évader » grâce à son immense imagination d’enfant, par ailleurs surdoué.

Quant au fameux Père Noël en question, il est incarné par l’immense Patrick Floersheim, acteur polymorphe vu dans French Connection 2 de John Frankenheimer, Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, Frantic de Roman Polanski, mais plus connu pour avoir prêté sa sublime voix à Michael Douglas, Jeff Bridges, Ed Harris, Robin Williams, Christopher Walken, Willem Dafoe, Dennis Hopper. Un monstre du doublage, un très grand comédien. Il est parfait dans ce rôle ambigu, sorte de grand enfant resté bloqué au temps de l’innocence, gamin dans un corps d’adulte qui souhaite avant tout s’amuser. Tour à tour effrayant, sympathique et même drôle avec un humour noir contagieux, ce Père Noël atypique devient un ogre une fois minuit passé. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, ce sont tous les pièges astucieux tendus par Thomas, qui redouble d’inventivité pour contrer son adversaire, quitte à utiliser le feu. Non seulement Thomas doit penser à se protéger lui-même, mais il doit également s’occuper de son grand-père, qui au départ prend cela pour un nouveau délire de son petit-fils. Il va alors très vite déchanter.

René Manzor filme les moindres recoins de son incroyable décor et ses personnages lâchés dans un vrai labyrinthe comme des souris poursuivis par un chat sauvage. Un face à face également soutenu par la partition très inspirée du troisième frère Lalanne, Jean-Félix, composante essentielle de la narration. Difficile de ne pas penser à Maman, j’ai raté l’avion Home Alone de Chris Columbus, sorti sur les écrans in 1990. Il est évident que John Hughes, alors scénariste, a su puiser de nombreux éléments dans le film de René Manzor, tant quelques rebondissements et la débrouillardise de son jeune héros rappellent 3615 Code Père Noël. Les années et le travail de l’éditeur indépendant Le Chat qui fume permettent enfin de réhabiliter ce désormais grand classique, un film culte et audacieux, un bijou poétique, un chef d’oeuvre méconnu et sous-estimé du cinéma français.

LE BLU-RAY

Mais où s’arrêtera-t-il ? Ou plutôt non, prions pour qu’il ne s’arrête jamais ! Le Chat qui fume a encore frappé en proposant sa plus grande, sa plus dingue, sa plus complète édition à ce jour ! Anciennement disponible en VHS et LaserDisc, mais inédit en DVD, 3615 Code Père Noël est ENFIN là, dans les bacs (mais pas à litière), dans nos mains, dans un magnifique combo Blu-ray/Double DVD ! Immense travail éditorial. Les disques – un Blu-ray, deux DVDs – reposent dans un Digipack à trois volets avec au recto un visuel tiré de la séquence de la confrontation dans le garage, et au verso un portrait de Patrick Floersheim en Père Noël vénère. Une fois replié, ce Digipack est glissé dans un surétui cartonné liseré orange, reprenant le visuel mythique de l’affiche originale. Les menus principaux sont animés, bruités et musicaux. Attention, édition tirée à 2000 exemplaires ! Alors, si ce n’est pas déjà fait, précipitez-vous dessus !

La hotte du Père-Noël est pleine à craquer ! 4H30 de suppléments les enfants ! Il y en aura pour tout le monde ! Et chose incroyable, aucun bonus redondant à signaler, tous se complètent et se prolongent parfaitement.

On commence les festivités par un commentaire audio de René Manzor. Calmement, posément, le réalisateur aborde les conditions de production de 3615 Code Père Noël, en indiquant que certains éléments sont abordés ou plus approfondis dans son interview disponible également dans les bonus. Du coup, c’est comme si nous visionnions le film en compagnie de son auteur, qui revient sur chaque séquence, sur tous les aspects du tournage, sur les partis pris et son travail avec les comédiens. René Manzor rend un bel hommage à Patrick Floersheim, décédé en 2016, à qui le Blu-ray est dédié, comme un carton l’indique en avant-programme. Véritable production familiale avec un père derrière la caméra, son fils devant, l’un de ses frères à la production et l’autre à la musique, 3615 Code Père Noël est disséqué pour le grand plaisir de ses fans.

Vous pensiez que René Manzor vous avait tout dit sur son deuxième long métrage ? Erreur ! N’hésitez surtout pas à sélectionner son interview (1h29 !) qui donne de très nombreuses informations sur la genèse de 3615 Code Père Noël, sa rencontre avec Patrick Floersheim, sur les lieux de tournage (trois mois dans d’anciens hangars frigorifiques devenus les studios d’Arpajon, situés le long d’une voie de chemins de fer), le casting, le travail avec son fils Alain, les conditions des prises de vues, les effets visuels (maquettes, matte painting), la sortie du film, les ressemblances « troublantes » avec Home AloneMaman, j’ai raté l’avion, les décors, ses influences (Marcel Carné, Jean Delannoy, Steven Spielberg, Brian De Palma), les héros des années 80, la musique de Jean-Félix Lalanne, la chanson de Bonnie Tyler, l’investissement personnel de Francis Lalanne en tant qu’unique producteur, ses intentions et les thèmes abordés. Le cinéaste aborde également le cinéma de genre en France, alors inexistant au début des années 90, le succès du Passage qui paradoxalement l’a empêché de tourner et conduit à monter des bandes-annonces pendant trois ans pour pouvoir gagner sa vie. Cette immanquable interview, blindée d’anecdotes de tournage et liée à la production, est illustrée par des extraits du making of d’époque, disponible un peu plus loin dans les suppléments.

Et le petit Alain Musy, de son vrai nom Alain Lalanne ? Qu’est-il donc devenu ? L’éditeur est allé à la rencontre du petit garçon qui a marqué tant de spectateurs dans Le Passage (1986) et 3615 Code Père Noël. Né en 1978, Alain Musy est devenu producteur dans le domaine des effets spéciaux à Hollywood. Il a notamment collaboré à des superproductions de renom comme Avatar, The Dark Knight, Gravity, Edge of Tomorrow, San Andreas et Le Revenant. Dans son entretien (41’), Alain Musy évoque ses débuts devant la caméra de son père dans Le Passage, puis deux ans plus tard (le film a été tourné en 1988) dans 3615 Code Père Noël. Les « Je me souviens » et « J’ai souvenir » s’enchaînent avec émotion, humilité et un naturel très attachants. Alain Musy revient sur cette expérience qui était « juste un jeu que je faisais avec ma famille », sur la genèse de 3615 Code Père Noël, donne son point de vue sur les thèmes du film, ses partenaires à l’écran et même sur sa coupe de cheveux ! Il clôt cette interview en se souvenant de la sortie de 3615 Code Père Noël, de son prix d’interprétation au Festival de Rome, que lui avait remis Christopher Lee, qu’il avait recroisé quelques années plus tard, lui rappelant cet événement et l’invitation à dîner du comédien qui s’ensuivit.

Passons à un module qui croise les interventions d’Alain Schlockoff, rédacteur-en-chef de l’Ecran Fantastique et de Jérôme Pham Van Bouvier, podcasteur (PODSAC) (19’). Si le premier ne peut s’empêcher de tomber dans ses travers habituels (« C’est moi qui », « Moi je… ») sur un rythme très lent, le second s’avère beaucoup plus pertinent et dynamique, tandis que sa passion et son admiration pour le travail de René Manzor se révèlent extrêmement contagieuses. Les propos des deux intervenants se complètent et donnent de nombreuses indications sur le cinéma de genre en France dans les années 1980-90, sur l’énorme contribution de René Manzor au genre fantastique hexagonal. Le fond et la forme de 3615 Code Père Noël sont également analysés, tout comme la mauvaise distribution du film à sa sortie, ce qui agace particulièrement Jérôme Pham Van Bouvier (« On est toujours à côté de la plaque ! ») qui n’hésite pas à balancer certains critiques français qui ont pour habitude de dénigrer le cinéma de genre. Merci Jérôme !

Nous trouvons ensuite le making of d’époque (9’), constitué d’images du plateau, du tournage et d’interviews d’Alain Musy, de Patrick Floersheim, du chef décorateur Eric Moulard, du producteur Francis Lalanne et du réalisateur René Manzor. C’est ici l’occasion d’avoir un réel aperçu des conditions de tournage, de la concentration et de l’étonnante maturité d’Alain Musy qui s’exprime sur son personnage (« il aime trop la guerre… »), tandis que René Manzor s’exprime sur sa façon de collaborer avec son fils. Chose amusante, la version de la chanson Merry Christmas diffusée sur le plateau au moment des prises de vue, est celle chantée par Francis Lalanne lui-même, imitant la voix de Bonnie Tyler !

Les amateurs de cinéma d’animation auront plaisir à trouver le court-métrage Synapses, réalisé en 1981 par René Manzor (5’). Grand prix du festival d’Hyères, Synapses est un petit film étonnant, dans lequel un clochard, qui s’est immiscé dans une pellicule de cinéma, s’assoit sur une chaise électrique, « filmée » par René Manzor qui apparaît brièvement face à sa création, et tente de construire un mur en plein désert.

On enchaîne rapidement sur le clip vidéo Merry Christmas de Bonnie Tyler réalisé par René Manzor (3’), un comparatif film/storyboard (7’), les bandes-annonces française, italienne et anglaise , ainsi que le teaser.

L’interactivité se clôt sur un module explicatif sur la réalisation du teaser (3’), ainsi qu’une large galerie de photos de tournage (18’), les deux suppléments étant commentés par le cinéaste lui-même.

L’Image et le son

Le Chat qui fume se devait d’offrir un Blu-ray soigné pour la sortie dans les bacs de ce film tant attendu et quasiment inédit depuis 30 ans. Et le résultat est exceptionnel. L’éditeur prend soin du film de René Manzor et livre un sublime master HD au format 1080p. Respectueuse des volontés artistiques originales concoctées par Michel Gaffier, la copie de 3615 Code Père Noël affiche une propreté ahurissante, restaurée 2K à partir du négatif original. Le film tire constamment et agréablement partie de la Haute-Définition (une vraie cure de jouvence) avec des teintes froides, glacées, une palette chromatique spécifique qui contraste avec la première partie plus chaleureuse, aux ambiances diffuses et ouatées, le tout soutenu par un encodage de haute volée. Le piqué est souvent tranchant, les arrière-plans sont détaillés, le relief plaisant, les noirs denses et les détails foisonnants. Cette édition Blu-ray offre à 3615 Code Père Noël la grande sortie dont il avait été injustement privé en 1990. Tout finit par arriver.

Point de remixage superflu à l’horizon, l’unique piste française DTS-HD Master Audio 2.0 – également restaurée – instaure un très large confort acoustique. La musique de Jean-Félix Lalanne, à redécouvrir absolument, bénéficie d’une large ouverture des canaux, les effets annexes sont riches et le report des voix très dynamique.Les sous-titres anglais sont également disponibles.

Crédits images : © René Manzor / Le Chat qui fume /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Hangover Square, réalisé par John Brahm

HANGOVER SQUARE réalisé par John Brahm, disponible en DVD et Blu-ray chez Rimini Editions le 3 janvier 2018

Acteurs :  Laird Cregar, Linda Darnell, George Sanders, Glenn Langan, Faye Marlowe, Alan Napier…

Scénario : Barré Lyndon d’après le roman Hangover Square de Patrick Hamilton

Photographie : Joseph LaShelle

Musique : Bernard Herrmann

Durée : 1h17

Date de sortie initiale : 1945

LE FILM

Le cinéaste allemand John Brahm (1893-1982) fuit l’Allemagne à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. Il arrive à Hollywood et signe son premier long métrage Le Lys brisé en 1936, sous le nom d’Hans Brahm. Eclectique, John Brahm passe facilement du drame à la comédie, d’une Prison centrale à un Pensionnat de jeunes filles, quand la consécration arrive avec son thriller Laissez-nous vivre (1939) avec Henry Fonda et Maureen O’Sullivan. En 1942, The Undying Monster est un tournant dans sa carrière. Pour le compte de la Fox, John Brahm suit le genre fantastique initié par les studios Universal, à travers une histoire de loup-garou mise en scène avec une esthétique expressionniste saluée de la part de la critique. Le cinéaste récidive dans le genre épouvante avec Jack l’EventreurThe Lodger en version originale, troisième adaptation du roman de Marie Belloc Lowndes. Un an après, John Brahm, les comédiens Laird Cregar et George Sanders se retrouvent pour Hangover Square, le plus beau, le plus grand film du cinéaste.

Londres, 1899. George Bone, pianiste et compositeur classique renommé, est surmené par son travail d’écriture d’un concerto pour piano. Le compositeur est victime de fréquentes crises de pertes de mémoire qui sont provoquées à chaque fois qu’il entend des sons discordants. Pourtant un brave homme dans la vie, il se transforme en un meurtrier sadique lors de ses crises dont il ne garde aucun souvenir. Pourtant, Bone s’interroge quand il retrouve une dague ensanglantée dans sa poche et qu’il lit dans un journal le meurtre sauvage d’un antiquaire. Troublé, et sur les conseils de son ami mécène Sir Henry Chapman et de sa fille Barbara, il se rend chez un spécialiste, le Dr Allan Middleton (Georges Sanders, la classe). Ce dernier le rassure et lui conseille de réduire son travail et de se détendre. Lors d’une soirée dans un pub, il va rencontrer une chanteuse de cabaret, Netta, dont il tombe amoureux. Se rendant compte de ses qualités de compositeur, Netta va profiter de la naïveté de Bone pour l’utiliser. Elle le détourne de son travail pour qu’il lui compose des chansons, lui emprunte de l’argent et profite de ses connaissances pour l’aider dans sa carrière de chanteuse. Plus tard, Bone apprend le futur mariage de Netta avec Eddie Carstairs, un producteur de théâtre. La folie s’empare de lui.

Hangover Square reprend et transcende tout ce qui faisait déjà la très grande réussite de Jack l’Eventreur. Comme pour ce dernier film, John Brahm met en scène un scénario de Barré Lyndon (Crépuscule de Henry Hathaway), et adapte très librement le roman de Patrick Hamilton (La Corde, Hantise). Hangover Square est le dernier film du comédien Laird Cregar (Le Cygne noir de Henry King, Le ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch), qui venait de triompher dans le précédent film de John Brahm. Décédé à l’âge prématuré de 31 ans des suites de complications post-opératoires (il avait entamé un régime draconien), Laird Cregar s’impose sans difficulté – surtout quand il est filmé en contre-plongée – avec son mètre 91, même si sa silhouette avait déjà beaucoup diminué. Mais c’est surtout son immense sensibilité qui transparaît à l’écran et qui contraste avec ses crises de folie quand son personnage se retrouve en transe après avoir entendu quelques sons stridents.

De par ses partis pris gothiques et même parfois expressionnistes concoctés par le directeur de la photographie Joseph LaShelle, Hangover Square fait penser à une relecture de Docteur Jekyll et M. Hyde. On s’attache très vite à George Bone, compositeur solitaire qui vit par et pour la musique, aimé par une jeune femme qui l’inspire, mais qui se trouve également hypnotisé par une artiste de bastringue sensuelle, ambitieuse et au charme vénéneux, Netta, incarnée par la vamp Linda Darnell (Le Signe de Zorro, L’Aveu, Chaînes conjugales). Moulée dans ses costumes, Netta inspire la tentation et signera la perte de George.

Drame psychologique et film noir à la frontière du fantastique, Hangover Square joue avec les genres pour mieux déstabiliser les spectateurs. Son héros tragique, colosse aux pieds d’argile, victime d’un dédoublement de la personnalité qu’il ne peut contrôler et qui ne se souvient de rien en reprenant conscience, devient pour ainsi dire un Fantôme de l’Opéra, qui préférera terminer son concerto, l’oeuvre de toute une vie – composé par l’immense Bernard Herrmann (Concerto Macabre for piano and orchestra) pour l’une de ses premières partitions réalisées pour le cinéma – en étant caressé puis finalement emporté par les flammes. Un dernier acte virtuose qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock (1934) avec ses actions simultanées se déroulant durant le concert.

Merveilleusement interprété, réalisé et photographié, Hangover Square, film-miroir à Jack l’Eventreur du même cinéaste, est un chef d’oeuvre absolu de romantisme noir. L’année suivante, John Brahm réitèrera le même exploit pour la troisième fois consécutive avec Le MédaillonThe Locket, porté par l’immense Robert Mitchum.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de Hangover Square, disponible chez Rimini Editions, repose dans boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui liseré bleu. Le visuel de la jaquette est très beau, élégant et attractif. Le menu principal est animé et musical. L’éditeur joint également un livret de 32 pages rédigé par Marc Toullec, ancien rédacteur en chef de Mad Movies, intitulé John Brahm, l’illustre inconnu d’Hollywood.

En ce qui concerne les bonus, l’éditeur est allé à la rencontre de la journaliste cinéma Guillemette Odicino (17’30). Nous ne nous étendrons pas sur cette présentation sans intérêt ni argument, qui se contente de réciter les fiches Wikipédia du réalisateur John Brahm et des comédiens. Plus chroniqueuse people que journaliste, elle a en effet l’habitude de s’attarder plus sur les abdos d’un comédien que sur sa performance, Guillemette Odicino évoque ce drame gothique comme si elle parlait de l’épisode final des Teletubbies. Passez votre chemin et sélectionnez immédiatement le supplément suivant.

L’entretien autour de la musique de Bernard Herrmann (27’30) en compagnie du musicien et compositeur (Les Liens du sang de Jacques Maillot) Stephan Oliva, est indispensable pour tous les amoureux de la musique de cinéma. Assis devant son piano, l’improvisateur et musicien de jazz présente les étapes de la carrière de Bernard Hermann (1911-1975), l’évolution de son style, son travail pour la couleur ou le N&B et son influence majeure dans le monde du cinéma, en jouant quelques-uns de ses plus grands thèmes composés pour Laura, Citizen Kane, L’Aventure de mme Muir, Psychose, Sueurs froides, Hangover Square, Les Nerfs à vif, Taxi Driver, Obsession. Absolument passionnant et un délice pour les oreilles.

On termine par une rencontre avec l’incontournable François Guérif (14’). Le critique de cinéma, éditeur et directeur de la collection Rivages/Noir se penche bien évidemment sur la vie et l’oeuvre de Patrick Hamilton, dont le roman Hangover Square a été très librement transposé au cinéma par John Brahm sur un scénario de Barré Lyndon. François Guérif confronte le film avec le livre original, en précisant que le roman était à la base inadaptable, puisqu’il ne fait que raconter des beuveries du personnage principal, d’où le titre de l’ouvrage.

L’Image et le son

La copie HD proposée est très impressionnante. La restauration effectuée est absolument sidérante de beauté et aucune scorie n’a survécu au lifting numérique. Les noirs sont denses, les blancs éclatants, la gestion des contrastes magnifique et le piqué affiche une précision hallucinante. Le codec AVC consolide l’ensemble avec brio, les fondus enchaînés sont fluides et n’occasionnent aucun décrochage et un léger grain demeure flatteur, sans lissage excessif. Il y a certes peu de séquences tournées en extérieur, mais toutes les scènes arborent un relief et une restitution des matière fort étonnants. Un master 4K éblouissant, stable, proposé au format 1.37, qui restitue les partis pris du chef opérateur Joseph LaShelle (La Garçonnière, Laura).

L’unique version anglaise est proposée en DTS-HD Master Audio Mono. L’écoute demeure appréciable en version originale (avec ou sans sous-titres français), avec une bonne délivrance de la musique de Bernard Herrmann, des effets annexes et des voix très fluides et aérées, sans aucun souffle. Si elle manque parfois de coffre, l’acoustique demeure suffisante.

Crédits images : © Twentieth Century Fox Home Entertainment / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr