Test Blu-ray / Terminal, réalisé par Vaughn Stein

TERMINAL réalisé par Vaughn Stein, disponible en DVD et Blu-ray le 26 septembre 2018 chez Metropolitan Vidéo

Acteurs :  Margot Robbie, Simon Pegg, Dexter Fletcher, Max Irons, Mike Myers, Katarina Čas, Nick Moran…

Scénario : Vaughn Stein

Photographie : Christopher Ross

Musique : Anthony Clarke, Rupert Gregson-Williams

Durée : 1h36

Année de sortie : 2018

LE FILM

Dans un terminal de gare comme coupé du monde où des assassins viennent chercher le contrat de leur prochaine mission débarque une femme fatale passée maître dans l’art du déguisement. Tueuse à gages, serveuse ou strip-teaseuse, la blonde létale use de tous les artifices pour se débarrasser de cette fourmilière du crime.

Etrange film que ce Terminal, premier long métrage de Vaughn Stein, ancien assistant et réalisateur de seconde équipe sur des films aussi variés que Pirates des Caraïbes: La fontaine de jouvence, Blanche-Neige et le chasseur, World War Z et Grimsby – Agent trop spécial. Tout ce « pot-pourri » d’influences a probablement nourri son désir de passer lui-même derrière la caméra. Scénariste et metteur en scène, Vaughn Stein livre donc Terminal, une œuvre atypique, qui lorgne sur Sin City de Frank Miller et Robert Rodriguez, mais aussi sur Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Dark City d’Alex Proyas, Usual Suspects de Bryan Singer, tout en s’appropriant d’autres codes du film noir américain des années 1940-1950. On pense également à La Lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix avec ses personnages romanesques, son esthétique bigarrée et ses ruelles sombres, ici magnifiquement photographié par Christopher Ross (London to Brighton). Des références bien digérées. En dépit d’un manque de rythme et de dialogues abondants, on ne pourra pas reprocher à Terminal son originalité et surtout son incroyable maîtrise formelle qui comblera de nombreux cinéphiles.

Deux assassins professionnels sont engagés dans une mission suicide par un mystérieux employeur qui paye bien. Mais en route, le duo rencontre Annie, peut-être plus impliquée dans leur mission qu’elle ne le dit. Un scénario classique de film noir, mais ici bariolé avec des néons à profusion qui mettent en lumière les incroyables décors de cette œuvre qui s’inspire de la littérature et du cinéma dystopiques. Tourné en Bulgarie dans de véritables bâtiments laissés à l’abandon, Terminal foudroie d’emblée par son approche stylistique où chaque plan est savamment étudié. On plonge donc volontiers dans cet univers singulier, d’autant plus que l’on est invité à suivre la divine Margot Robbie, également productrice. Blonde platine, cigarette au bec, voix rauque, véritable femme fatale, la comédienne joue avec les clichés liés à son personnage, tout en y apportant une touche d’érotisme, pour ne pas dire de sexualité, qui font se damner les hommes qui croisent sa route.

Simon Pegg trouve l’un de ses rôles les plus ambigus, loin de sa gaudriole habituelle et prouve une fois de plus son immense talent. Outre la prestation vénéneuse de Dexter Fletcher (Arnaques, Crimes et Botanique, Kick-Ass) et celle de Max Irons (Les Âmes Vagabondes), jeune recrue au coeur qui saigne pour la blonde aux yeux verts, celui qui tire indéniablement son épingle du jeu est Mike Myers, dont la dernière apparition au cinéma remontait à 2009 dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Il est de retour ici dans un rôle à sa mesure, incroyablement grimé et métamorphosé. Seulement voilà, sans vraiment dévoiler l’épilogue, on se doute rapidement de la véritable nature de son personnage et le pseudo-climax ou twist tombe quelque peu à l’eau. Même chose, Vaughn Stein se perd malheureusement dans des dialogues bien trop explicatifs, là où il aurait gagné à laisser planer le mystère sur de nombreux points, comme l’identité de son personnage principal.

Mais bien qu’on se dise « finalement tout ça pour ça », Terminal est un coup d’essai très intéressant, d’autant plus que le réalisateur ne se laisse pas aller à la facilité, en perdant volontairement les spectateurs dans un récit kafkaïen. Pour résumer, Vaughn Stein a sans doute voulu mettre trop de choses dans son premier film. L’absence d’action et le manque de rythme pourront déstabiliser une audience en droit d’attendre que tout ce petit monde s’agite. Pour cela, il faut attendre une bonne heure, une fois que tous les éléments ont été mis en place comme des pièces sur un échiquier, pour que les protagonistes s’affrontent enfin. Les plus téméraires, ou tout simplement ceux qui auront été captivés par la beauté des images, seront alors bien récompensés puisque le dernier tiers réserve son lot de surprises et de règlements de comptes. Terminal dévoile un auteur et un réalisateur ambitieux, à surveiller de près.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de Terminal, disponible chez Metropolitan Vidéo, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal, légèrement animé et bruité, reprend le visuel de la jaquette.

Sur ce DTV, l’éditeur joint deux modules de six minutes chacun, consacrés aux décors du film, puis aux personnages. Les comédiens et le réalisateur, mais aussi le chef opérateur Christopher Ross et les décorateurs interviennent brièvement pour évoquer les intentions et les partis pris de Terminal. Les propos sont évidemment élogieux, tout le monde est en mode promo, tandis que diverses images dévoilent l’envers du décor.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.

L’Image et le son

Terminal a été intégralement tourné en numérique. L’édition Blu-ray est donc tout indiquée et même indispensable pour découvrir le film de Vaughn Stein, d’autant plus que cette édition HD est en tout point renversante de beauté. Les partis pris stylisés de la photographie signée Christopher Ross, sont magnifiquement restitués à travers ce transfert qui s’impose comme un disque de référence. Le cadre large fourmille de détails, les contrastes sont spectaculairement denses, le relief omniprésent, le piqué acéré comme la lame d’un scalpel et l’étalonnage spécifique des couleurs est conservé. Le codec AVC consolide tout cela avec une belle fermeté. Resplendissant. L’apport HD demeure omniprésent.

Dès la première séquence, l’ensemble des enceintes des pistes anglaise et française DTS-HD Master Audio 5.1 est mis à contribution aux quatre coins cardinaux. Les ambiances fusent de tous les côtés, la musique très présente bénéficie d’un traitement de faveur avec une large ouverture, plongeant instantanément le spectateur dans l’action. Les dialogues, y compris les voix-off, ne sont jamais pris en défaut et demeurent solidement plantés sur la centrale tandis que les effets ne cessent d’être balancés de gauche à droite, et des enceintes avant vers les arrières.

Crédits images : © Metropolitan Vidéo /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / La Proie, réalisé par Robert Siodmak

LA PROIE (Cry of the City) réalisé par Robert Siodmak, disponible en DVD et Blu-ray le 24 avril 2018 chez ESC Editions

Acteurs :  Richard Conte, Victor Mature, Fred Clark, Shelley Winters, Betty Garde, Berry Kroeger, Tommy Cook, Debra Paget…

Scénario :  Ben Hecht, Richard Murphy d’après le roman The Chair for Martin Rome de Henry Edward Helseth

Photographie : Lloyd Ahern Sr.

Musique : Alfred Newman

Durée : 1h35

Année de sortie : 1948

LE FILM

Au cours d’une rixe, Martin Rome est blessé. Retenu prisonnier dans un hôpital pénitentiaire, ce multirécidiviste est soupçonné par le Lieutenant Candella, son ami d’enfance, d’avoir participé au cambriolage et au meurtre crapuleux d’une riche New-Yorkaise. Innocent, le malfrat se voit proposer par Niles, un avocat véreux, de porter le chapeau. Refus net et catégorique. Mais, intrigué, Rome s’évade, se rend chez Niles et découvre des bijoux volés dans le coffre-fort de l’avocat, qu’il assassine. C’est le début d’un long et violent jeu du chat et de la souris entre Candella et Rome…

Coécrit par le prolifique Ben Hecht (La Maison du docteur Edwardes, Gilda, Les Enchaînés) et Richard Murphy (La Lance brisée, Le Génie du mal) d’après le roman The Chair for Martin Rome de Henry Edward Helseth, La ProieCry of the City, est un des films noirs les plus emblématiques du réalisateur, scénariste, producteur et acteur allemand Robert Siodmak (1900-1973). Né dans une famille d’origine polonaise juive à Dresde, Siodmak sent la montée du nazisme et fuit l’Allemagne au début des années 1930. Après une étape par Paris, il s’envole pour Hollywood. En 1941, il réalise West Point Widow, son premier film américain puis signe un contrat avec les studios Universal pour sept ans. Evidemment très influencé par l’expressionnisme allemand et le cinéma d’Orson Welles, il signe Le Fils de Dracula, son premier film pour les Universal Studios, et impose son style qui fera la marque de fabrique de ses plus polars les plus célèbres comme Les Tueurs avec Burt Lancaster et Ava Gardner en 1946 ou Pour toi j’ai tué (Criss Cross) en 1949. La Proie est donc mis en scène entre ces deux monuments, pour le compte de la 20th Century Fox de Darryl F. Zanuck. S’il reste moins connu, Cry of the City est pourtant un bijou noir, d’une incroyable sécheresse, magistralement réalisé et interprété.

Truand du Bronx new-yorkais, Martin Rome (Richard Conte) a abattu un policier : il était, affirme-t-il, en état de légitime défense. Grièvement blessé, il est interrogé sur son lit d’hôpital par les inspecteurs Collins (Fred Clark) et Candella (Victor Mature). Ce dernier, qui fut autrefois son ami, le soupçonne d’être également impliqué dans l’affaire De Grazia – une femme assassinée et dépouillée de ses bijoux. Un suspect est sous les verrous mais deux complices, un homme et une femme, sont en cavale : Rome, peut-être, et cette mystérieuse jeune fille qui est venue le voir à l’hôpital et dont personne ne connaît l’identité. Martin nie farouchement ce crime, mais il veut surtout éviter que l’inconnue – Teena Riconti (Debra Paget, dans sa première apparition au cinéma), sa bien-aimée – ne soit inquiétée. Succédant aux policiers, un avocat, Niles (Berry Kroeger), tente vainement de persuader Rome d’avouer sa culpabilité dans l’affaire De Grazia et ce, en échange d’une forte somme qui serait versée à sa mère. Quelques jours après, Rome parvient à s’évader. Par l’intermédiaire de Tony (Tommy Cook), son jeune frère, il cherche d’abord à prendre contact avec Teena, mais celle-ci a disparu.

La Proie confronte les deux côtés d’une même pièce. Les personnages principaux, le flic et le voyou sont italo-américains, se connaissent, ont visiblement grandi ensemble et chacun connaît la famille de l’autre. D’un côté, Victor Mature (La Poursuite infernale, Le Carrefour de la mort), colosse aux pieds d’argiles, de l’autre Richard Conte (Quelque part dans la nuit, L’Orchidée blanche), à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Deux anciens gosses de la rue, qui n’ont pas eu la même chance, mais qui ont décidé de s’en sortir. C’est cette confrontation qui fait le sel du film de Robert Siodmak, cinéaste qui a toujours été sensible à cette frontière sensible entre le bien et le mal.

Candella le flic, très attaché à ses origines, se lance alors aux trousses de Rome, accusé à tort d’un vol de bijoux, qui va tenter de son côté de prouver son innocence, tout en voulant protéger la femme qu’il aime. Malgré cela et en dépit de son charme souvent blagueur et attachant, Rome est un tueur de flic, un type violent, la rue fait partie de lui. Il ne sera pas remis en prison et n’hésitera pas à riposter si Candella le retrouve. Quant à ce dernier, malgré l’amitié et l’amour qu’il peut avoir pour Rome et sa famille, il restera inflexible, fermé et bien déterminé à aller jusqu’au bout.

Robert Siodmak tourne dans les rues du Bronx et celles du quartier de Little Italy, ajoutant à son film à une authenticité encore rare dans le cinéma hollywoodien qui privilégiait encore les confortables prises de vue en studio. Cela ajoute une dimension documentaire à La Proie, comme les parfums provenant des restaurants, d’un minestrone qui cuit à feu doux sur le gaz, mais aussi celui de la crasse et des bas-fonds dans lesquels les personnages se débattent. Les lumières de la ville sont là, à travers les néons et enseignes lumineuses, mais le rêve américain n’est qu’un mirage clinquant. Derrière, certains luttent pour survivre et les voies pour s’en sortir sont peu nombreuses. D’ailleurs, quel que soit le chemin emprunté, le résultat est le même pour les protagonistes. Policiers ou malfrats, ils sont tous fatigués de courir et le fruit de leur labeur se résume finalement à peu de choses.

Film riche et passionnant, soutenu par la musique d’Alfred Newman et la photo charbonneuse de Lloyd Ahern (Laura, La Folle ingénue), ainsi qu’un humour noir avec la présence de l’immense Hope Emerson dans le rôle d’une masseuse peu orthodoxe, La ProieCry of the City, souvent oublié dans la filmographie de Robert Siodmak, est absolument à réhabiliter, d’autant plus qu’il apparaît aujourd’hui comme étant l’une des grandes inspirations d’un certain Martin Scorsese.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de La Proie, disponible chez ESC Editions, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

La Proie, est présenté par Antoine Sire (31’). L’auteur de Hollywood, la cité des femmes (editions Institut Lumière / Acte Sud) propose une analyse brillante et éclairée du film de Robert Siodmak. Le fond et la forme sont croisés sur un rythme soutenu, le casting est passé au peigne fin. La carrière du cinéaste est également abordée et La Proie située dans sa filmographie. Fourmillant d’informations et d’anecdotes, Antoine Sire part un peu dans tous les sens et se répète parfois, mais on ne pourra pas lui reprocher la passion contagieuse avec laquelle il évoque ce polar urbain, déroutant et décalé. Composé d’extraits et de bandes-annonces, cet entretien s’avère riche, spontané et passionnant.

L’Image et le son

Un Blu-ray au format 1080p (AVC). Ce nouveau master restauré en HD au format respecté 1.33 de La Proie, qui était jusqu’alors disponible en DVD chez Carlotta, se révèle souvent pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de stabilité, de clarté et de relief. La nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Robert Siodmak, la photo signée Lloyd Ahern retrouve une nouvelle jeunesse doublée et le grain d’origine a heureusement été conservé. Notons quelques baisses de la définition avec des plans légèrement flous. La propreté de la copie est indéniable.

Seule la version originale, avec les sous-titres français non imposés, est disponible. Point de remixage superflu à l’horizon, l’écoute demeure fort appréciable avec une excellente restitution de la musique, des effets annexes et des voix très fluides et aérées. Pas de souffle constaté.

Crédits images : ©  Twentieh Century Fox Home Entretainment International Corporation / ESC Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Symphonie pour un massacre, réalisé par Jacques Deray

SYMPHONIE POUR UN MASSACRE réalisé par Jacques Deray, disponible en combo Blu-ray/DVD le 11 avril 2018 chez Pathé

Acteurs :  Jean Rochefort, Michèle Mercier, Charles Vanel, Michel Auclair, Claude Dauphin, José Giovanni, Daniela Rocca…

ScénarioJacques Deray, José Giovanni, Claude Sautet d’après le roman « Les Mystifiés » d’Alain Reynaud-Fourton

Photographie : Claude Renoir

Musique : Michel Magne

Durée : 1h50

Date de sortie initiale : 1963

LE FILM

Cinq hommes, Paoli, Clavet, Valoti, Moreau et Jabeke sont associés dans le trafic de la drogue. Un arrivage vient précisément d’avoir lieu à Marseille : il y en a pour 500.000 dollars que doublera la revente en détail. Mais Serutti, le transitaire, exige que chacun des membres du gang verse cash une mise de fond de 100.000 dollars. Jabeke, qui a de grosses difficultés financières, doit réaliser pour pouvoir  » être à la hauteur de la situation « . Mais, dans son esprit, germe un plan qui, s’il réussit, lui permettra de s’approprier pour lui tout seul, non seulement la drogue, mais encore la mise des associés. Moreau a été chargé de convoyer les dollars à l’aller et la drogue au retour.

Quelle claque ! Symphonie pour un massacre est le troisième long métrage du réalisateur Jacques Deray (1929-2003). Après avoir fait ses débuts en tant que comédien, il devient assistant sur les tournages de Gilles Grangier, Luis Buñuel et Jules Dassin. En 1960, il écrit et réalise son premier film, Le Gigolo, drame psychologique interprété par Jean-Claude Brialy et Alida Valli. Ses deux films suivants, Rififi à Tokyo et Symphonie pour un massacre sortent la même année, en 1963, à quelques mois d’intervalle. Si le premier est un film policier intégralement tourné au Japon, le second, celui qui nous intéresse, est un polar dans la tradition du film noir américain, qui se déroule entre la France et la Belgique. Un fabuleux exercice de style, un chef d’oeuvre du genre complètement et malheureusement oublié aujourd’hui, qu’il est désormais temps de réhabiliter, d’autant plus que le cinéaste offre à Jean Rochefort son premier grand rôle dramatique. Il y est magnifique et accompagné d’acteurs tout aussi exceptionnels.

Paoli (Charles Vanel), Valotti (Claude Dauphin), Clavet (Michel Auclair) et Jabeke (Jean Rochefort) sont associés dans l’affaire d’un cercle de jeux, couverture d’activités illicites. Un caïd marseillais leur offre un important stock de drogue contre cinq cent mille dollars qui pourront leur rapporter le double. Une fois réunie, la somme est convoyée de Paris à Marseille par Moreau (José Giovanni), cinquième associé de l’opération, qui au retour devra ramener la drogue. Mais Jabeke a décidé de faire cavalier seul. Censé être à Bruxelles, il s’y installe ostensiblement dans un grand hôtel puis rentre discrètement à Paris et prend le même train de nuit que Moreau. Il surprend celui-ci dans son sommeil, le tue, dérobe la mallette de billets, descend à Lyon où il a préalablement laissé sa voiture et regagne Bruxelles juste à temps pour se faire livrer le petit-déjeuner dans sa chambre. À l’annonce par la presse de la découverte du corps, Paoli le doyen convoque ses troupes.

S’il est à la base inspiré par le roman Les Mystifiés d’Alain Reynaud-Fourton, publié en 1962 dans la collection Série Noire, le scénario écrit par Jacques Deray, José Giovanni et Claude Sautet rend compte du talent des trois compères, de leurs connaissances du « milieu » et de l’authenticité des dialogues. D’ailleurs, comme le récit adopte le point de vue du personnage de Jean Rochefort, qui prépare seul son coup monté, Jacques Deray ne s’encombre pas de voix-off superflue qui pourrait refléter et paraphraser les pensées et les actions du personnage de Jabeke. Une bonne partie du film, en gros la préparation de l’alibi et le vol, repose sur la mise en scène, le montage, la musique entêtante de Michel Magne, l’interprétation et le charisme de Jean Rochefort.

D’une part, cela permet à Jacques Deray de démontrer toute sa virtuosité et ses connaissances de la grammaire cinématographique, liées au genre du polar qu’il affectionne tout particulièrement. Il n’y a pas de « gras » dans Symphonie pour un massacre. Chaque plan est indispensable au déroulement de l’histoire et rien n’est laissé au hasard. D’autre part, Jean Rochefort, qui était jusqu’alors apparu au cinéma dans quelques films de cape et d’épée, Le Capitaine Fracasse de Pierre Gaspard-Huit, Cartouche de Philippe de Broca et Le Masque de fer d’Henri Decoin, accède ici en haut de l’affiche. Visage fermé, regard fuyant sous des paupières basses, bouche pincée, la présence du comédien dans un film noir est non seulement inattendue, mais aussi et surtout un coup de génie. Son éternel flegme britannique donne à son personnage un côté glaçant, impénétrable et imperturbable.

D’une précision d’orfèvre, le scénario enchaîne les rebondissements du début à la fin. Le réalisateur s’amuse à jouer avec les spectateurs en les laissant avoir un coup d’avance sur les personnages. A l’instar de Jean-Pierre Melville, l’audience est prise d’empathie pour des criminels. Du coup, on espère que Jabeke ne fasse pas de mauvais pas et si tel est le cas, qu’il parvienne à s’en sortir, même s’il lui faut se débarrasser de son adversaire pour cela. Loin d’être sacrifiés, les autres personnages campés par d’autres pointures du cinéma français, sont certes montrés comme des criminels, mais qui ont eux aussi du mal à faire tourner leur boutique. Et c’est par les ennuis d’argent d’un des complices de Jabeke qu’un premier rouage se mettra à grincer dans une machine jusque-là trop bien huilée.

Avec une édition restaurée en 2018 qui restitue tous ses contrastes à la photo N&B de l’illustre chef opérateur Claude Renoir, Symphonie pour un massacre est un must pour les amoureux du polar et du cinéma de Jacques Deray, qui allait devenir alors un de nos meilleurs metteurs en scène, mondialement reconnu cinq ans plus tard avec le triomphe international de La Piscine.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de Symphonie pour un massacre, disponible chez Pathé, a été réalisé à partir d’un check-disc. Cette édition comporte également le DVD du film. Le menu principal est animé et musical.

Pas grand-chose à se mettre sous la dent dans les bonus. Un seul module de 27 minutes, qui entrecroise les propos de Jean-Philippe Guérand, journaliste, biographe et auteur de Jean Rochefort, Prince sans rire, et ceux de François Guérif, auteur du Cinéma policier français et Le Film noir américain. Les arguments avancés se complètent sans être redondants. Symphonie pour un massacre est replacé dans la filmographie de Jacques Deray, la mise en scène analysée, tout comme le traitement des personnages. Le casting est également passé au peigne fin. Un documentaire classique, informatif, mais un peu court.

L’Image et le son

Le négatif original n’a pas pu être retrouvé. Un marron, autrement dit un élément de tirage intermédiaire a donc été utilisé, numérisé 4K puis restauré 2K. Il s’agissait alors du meilleur élément à ce jour. Après le travail de titan des Laboratoires Eclair, Symphonie pour un massacre peut enfin être redécouvert dans un nouveau master au format respecté 1.66. Ce Blu-ray au format 1080p (AVC) en met souvent plein les yeux, malgré un générique qui laisse d’abord perplexe avec un N&B léger et divers fourmillements. Heureusement, cela s’arrange immédiatement. La restauration est étincelante, les contrastes denses, la copie est stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ évidente et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes, le piqué est joliment acéré pour un film de 1963 et les détails étonnent parfois par leur précision, surtout sur nombreux les gros plans. Quelques flous et deux ou trois scènes plus douces, mais rien d’important.

La partie sonore a été restaurée numériquement par L.E. Diapason. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets. La musique de Michel Magne est joliment délivrée. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiovision.

Crédits images : © Pathé / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

 

Test Blu-ray / En marge de l’enquête, réalisé par John Cromwell

EN MARGE DE L’ENQUÊTE (Dead Reckoning) réalisé par John Cromwell, disponible en DVD et combo Blu-ray+DVD le 6 mars 2018 chez Sidonis Calysta

Acteurs :  Humphrey Bogart, Lizabeth Scott, Morris Carnovsky, Charles Cane, William Prince, Marvin Miller, Wallace Ford, James Bell, George Chandler, William Forrest…

ScénarioOliver H.P. Garrett, Steve Fisher, Allen Rivkin d’après une histoire originale de Gerald Drayson Adams et Sidney Biddell

Photographie : Leo Tover

Musique : Marlin Skiles

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1947

LE FILM

Le Capitaine Murdock et le sergent Johnny Drake sont deux parachutistes de retour de guerre pour recevoir une médaille d’honneur. Sur le quai de la gare de Washington Drake disparaît. Plus tard Rip’ Murdock apprend la mort de son ami, et il enquête sur l’accident de voiture. Il se rend alors au Santuary Club pour rencontrer sa femme Coral « Dusty’ Chandler » dite « douceur » (en français) avec un parfum de jasmin.

S’il demeure surtout connu pour avoir été l’une des victimes du maccarthysme et l’un des noms inscrits sur la tristement célèbre liste noire du cinéma entre 1951 et 1958, le cinéaste John Cromwell (1887-1979) compte pourtant de beaux succès dans sa filmographie. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent notamment Le Lien sacréMade for each other et L’AutreIn name Only, tous les deux réalisés en 1939 et portés par la fabuleuse Carole Lombard. Mis en scène en 1946 et sorti en 1947, En marge de l’enquêteDead Reckoning était l’un de ses films préférés. Rien d’étonnant puisqu’avec cette histoire de Gerald Drayson Adams (Armored Car Robbery de Richard Fleischer, Taza, fils de Cochise de Douglas Sirk) et Sidney Biddell (Escape to Glory de John Brahm), John Cromwell peut encore démontrer son habileté et son savoir-faire technique, mis au profit d’un véritable film noir, qui plus est interprété par LA star Humphrey Bogart.

En marge de l’enquête n’est sans doute pas le film le plus connu de l’interprète, mais dévoile une nouvelle facette du mythe. En effet, lassé par ce qu’on lui propose à la Warner, l’acteur fait des infidélités au studio (en attendant qu’on lui propose un contrat plus juteux) et arrive à la Columbia pour changer d’air. Dans Dead Reckoning, il y apparaît fatigué, usé, marqué, blafard et Bogey s’amuse à égratigner son image de cynique macho. L’intrigue d’En marge de l’enquête est classique du genre. Après la mystérieuse disparition de son ami et frère de combat Johnny Drake (William Prince), lors d’un voyage vers Washington pour une remise de décoration, suite à de brillants faits de guerre, Rip Murdock (Humphrey Bogart) mène son enquête et découvre que dans le passé, ce dernier a été accusé d’un meurtre. Il retrouve la petite amie de Johnny, la splendide Coral Chandler (Lizabeth Scott), acoquinée au responsable d’une maison de jeu, le fourbe Martinelli (Morris Carnovsky).

Thriller, film noir, drame psychologique, En marge de l’enquête s’inscrit dans le genre qui a révélé et fait d’Humphrey Bogart l’un des comédiens les plus populaires dans le monde et les plus demandés par les réalisateurs. Après avoir enchaîné Le Port de l’angoisseTo Have and Have Not (1944) et Le Grand SommeilThe Big Sleep (1946) d’Howard Hawks, l’acteur veut éviter le piège de rester enfermé dans le même type de rôle. La Columbia lui fait de l’oeil et Bogart y voit l’occasion d’égratigner son image. Dans En marge de l’enquête, même s’il campe un ancien héros de la Seconde Guerre mondiale, Bogart accepte d’être photographié différemment. Il apparaît tantôt dans l’ombre dans la première partie où son personnage se réfugie dans une église, tantôt filmé en gros plan dans une lumière surexposée qui creuse ses traits, ses cernes et fait ressortir sa célèbre cicatrice sur la lèvre. S’il ne se met pas « en danger », au moins Bogey apparaît ici plus fantomatique, fragile et plus vulnérable. Et il n’en mène pas large devant sa partenaire.

Injustement considérée comme une Lauren Bacall Bis, la sublime femme fatale Lizabeth Scott transcende le film de sa chevelure de feu noyée dans des volutes de fumée et de sa voix rauque, sans jamais copier celle à qui on l’a pourtant souvent comparé. Sa présence est aussi marquante, si ce n’est plus, que celle de Bogart et l’ambiguïté de son personnage fait le sel de la relation des deux protagonistes.

Finalement, l’enquête importe peu, même si John Cromwell parvient à conserver une tension du début à la fin grâce à de multiples rebondissements compréhensibles (pas comme l’hermétique Grand Sommeil) ponctués de meurtres, de flashbacks, de voix-off et de chantages, jusqu’à un dénouement d’une incroyable beauté. Certes, En marge de l’enquête n’a pas bénéficié du prestige et du succès d’autres films avec Humphrey Bogart, mais il n’en demeure pas moins une curiosité et le plaisir de le (re)découvrir 70 ans après sa sortie est indéniable.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray d’En marge de l’enquête, disponible chez Sidonis Calysta, a été réalisé à partir d’un check-disc. L’édition contient à la fois le DVD et l’édition HD. Le menu principal est élégant, animé et musical.

Point de Bertrand Tavernier à l’horizon, mais François Guérif (9’) et Patrick Brion (10’) interviennent ici pour défendre En marge de l’enquête. Le premier insiste sur le côté fragile et vulnérable de Bogart à certains moments du film. François Guérif se souvient également avoir rencontré le comédien James Cromwell, fils du cinéaste John Cromwell, et lui avoir parlé de son affection pour En marge de l’enquête, ce qui l’avait beaucoup ému puisqu’il s’agissait d’un des films que son père avait préféré faire.

De son côté, Patrick Brion se penche plus sur ce qui fait d’En marge de l’enquête un vrai film noir, qui mérite selon lui d’être redécouvert. L’historien du cinéma passe ensuite le casting au peigne fin, en s’attardant notamment sur Lizabeth Scott.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Bilan mitigé pour ce master HD restauré, par ailleurs première mondiale pour le film de John Cromwell. Si la propreté et les contrastes sont satisfaisants, la gestion du grain reste aléatoire du début à la fin, les scènes sombres manquent de définition et moult rayures verticales subsistent, tout comme certains défauts de pellicule. Le master d’En Marge de l’enquête n’a clairement pas bénéficié du même traitement de faveur que d’autres opus plus prestigieux avec Humphrey Bogart comme dernièrement Plus fort que le diable et Bas les masques chez Rimini Editions, mais Sidonis a fait de son mieux pour offrir aux spectateurs les meilleures conditions possibles pour redécouvrir ce film noir.

La version anglaise (aux sous-titres français imposés) est proposée en DTS-HD Master Audio Stéréo. L’écoute demeure appréciable, claire, avec une excellente restitution de la musique, des effets annexes et des voix très fluides et aérées. En revanche, la piste française DTS-HD Master Audio Mono, s’avère plus chuintante et sourde. De plus, la version originale avait été amputée de près de 20 minutes pour sa sortie en France. Le doublage français s’apparente donc à gruyère.

Crédits images : © Columbia Pictures / Sidonis Calysta / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr