RÊVES EN ROSE (Ružové sny) réalisé par Dusan Hanak, disponible en DVD depuis le 22 octobre 2020 chez Malavida Films.
Acteurs : Juraj Nvota, Iva Bittová, Josef Hlinomaz, Marie Motlová, Václav Babka, Míla Beran…
Scénario : Dusan Dusek & Dusan Hanak
Photographie : Dodo Simoncic
Musique : Petr Hapka
Durée : 1h21
Date de sortie initiale: 1977
LE FILM
Jakub, facteur rêveur et magicien en herbes, jongle entre les colis et les services rendus aux villageois. Lors d’une tournée, son regard croise celui de la belle gitane Jolanka. A deux, ils vont rêver d’un premier et grand amour, malgré la pression sociale imposée par leurs communautés respectives, qui les défendent de se fréquenter. Pour vivre pleinement ce doux rêve, il y aurait bien une issue possible…
Dusan Hanak (né en 1938) fait ses études à la FAMU, une grande école de cinéma à Prague. En 1969, il devient le chef de file de la nouvelle vague slovaque avec ses deux premiers longs-métrages : 322, sur un cuisinier privé de son travail parce qu’il est atteint d’un cancer et Images du vieux monde – Obrazy starého sveta, un documentaire sur les personnes âgées qui vivent à l’écart de la société. En 1977, il réalise Rêves en rose – Ružové sny, une histoire d’amour entre un facteur une jeune femme Tsigane.
Ce film commence par la rencontre entre Jakub et Jolanka. Tous les deux sont des sortes de Roméo et Juliette placés dans un contexte géographique et social particulier. Jakub est un facteur qui passe la plupart de son temps à rêver. Malgré sa timidité, il est une vraie célébrité dans le village. Quand il n’est pas sur son vélo à distribuer le courrier, il se consacre à ses passions que sont le jonglage et la magie et montre son talent pour le plus grand bonheur de ceux qu’il croise en chemin. Le coeur sur la main, il est toujours prêt à rendre service à ceux qui en ont besoin. De temps en temps, il va rendre visite à son oncle farfelu. Jakub est un personnage auquel il est impossible de ne pas s’attacher tellement il est rempli de qualités.
Un jour, son regard croise celui de Jolanka, une jeune Rom. C’est le coup de foudre réciproque. Malheureusement, leur attirance est troublée par leurs proches qui ne voient pas d’un très bon oeil cette union naissante. Les différences culturelles sont importantes. Rêves en roses est le premier film tchèque à mettre en scène des personnages Roms qui possèdent une présence importante dans le déroulement de l’histoire. Cette idée était osée car à cette époque, la Tchécoslovaquie avait dans le but d’intégrer la communauté Rom dans la société, mais sans tenir compte de leur mode de vie. Le sujet était tabou dans ce pays majoritairement communiste. Encore aujourd’hui, les Roms sont quasiment absents dans le paysage cinématographique. Le film dresse un portrait réaliste des Roms. Ils vivent tous ensemble à l’écart du village dans des maisons délabrées. Les jeunes femmes ont leur destin tout tracé : elles doivent se marier et avoir des enfants. Des chansons typiques de la communauté Rom viennent accompagner les images.
Rêves en rose est poétique et romantique. Les deux personnages principaux profitent des balades à vélo, dans la forêt. Cela donne des scènes très tendres, comme celle qui se déroule dans un bal. Jakub et Jolanka dansent sous les regards médusés des habitants. Mais les deux amoureux n’y prêtent guère attention, ils sont seuls au monde. La réalisation de Dusan Hanak est inventive, mettant le doute sur la réalité de cette histoire. Le film donne l’impression d’être issu d’un imaginaire. Malgré les réticences des deux familles opposées par des préjugés absurdes, cet amour grandit plus que jamais. Le couple se retrouve en cachette, rien ne peut freiner leur union. Le film aborde le sujet de l’intolérance et cherche à détruire les clichés sur la communauté Rom, comme celle-ci qui est persistante: ils sont tous des voleurs. Malgré les menaces et les intimidations, le jeune couple affronte la difficulté à devenir financièrement indépendants, afin d’accéder à la liberté.
Il s’agit du premier rôle de Juraj Nvota, éblouissant dans le personnage du facteur. Son naturel est saisissant. Par la suite, il a continué sa carrière d’acteur avant de se lancer en tant que réalisateur pour le cinéma et la télévision au début des années 1990. Iva Bittova, dont le charme colle parfaitement à la jeune Tsigane, a tourné dans quelques films mais est surtout devenue connue en tant que violoniste et chanteuse. Elle a enregistré de nombreux albums et a assuré plusieurs concerts. Tous les acteurs non professionnels jouant des personnages Tsiganes sont interprétés par des Roms, donnant une certaine authenticité au film.
Rêves en rose est un long-métrage coloré dont la fraîcheur est restée intacte malgré les décennies qui se sont écoulées. Le cri de liberté qui s’en dégage ne laisse personne insensible. Le film a reçu le Prix du public au Festival de Bratislava. Depuis, Dusan Hanak n’a jamais cessé de réaliser des longs-métrages sur des sujets parfois tabous, quitte à affronter la censure.
LE DVD
Le DVD du film Rêves en rose est disponible chez Malavida dans une édition collector limitée à 1000 exemplaires. Le visuel de la jaquette est superbe, avec le dessin des personnages principaux. Le menu est animé, reprenant la jaquette et musical avec la bande originale du film.
L’interactivité comporte une passionnante interview du cinéaste Dusan Hanak (35′) datant de 2017. Elle est visible en version originale et avec des sous-titres français imposés. Il revient sur son parcours en tant que réalisateur de documentaires, ce qui l’a inspiré à vouloir montrer une certaine vérité de la communauté Rom dans son film. Il explique l’évolution de l’écriture du scénario ainsi que la direction des acteurs. Il rappelle qu’il s’agit de l’unique film de l’époque où des Roms jouent leur propre rôle, ce qui ne nécessitait qu’une seule prise, ceux-ci n’étant pas acteurs. Dusan Hanak revient sur le casting et sa méthode d’écriture du scénario. Il dévoile ensuite ses problèmes de censure avec les studios de cinéma. Il avait l’interdiction de tourner dans les hameaux Roms. Le gouvernement surveillait les scénarios, ils devaient correspondre aux idéologies politiques. Le réalisateur explique comment le film a été reçu internationalement par le public et par les festivals, en racontant une anecdote amusante concernant le directeur du studio. Enfin, il donne sa vision de la nouvelle vague tchèque et sur la composition des chansons pour le film. Dusan Hanak n’est pas avare en souvenirs, puisqu’il en raconte un plutôt croustillant à propos d’un acteur qui a fait de la prison.
Cette édition comporte également un livret de 20 pages où vous retrouverez un texte de Marcel Sedo qui replace le contexte politique, éclaire sur la communauté Rom sous le régime communiste, détaille le parcours de Dusan Hanak et analyse le film Rêves en rose. Il y a également les écrits de Jean-Louis Cros qui ont pour titre « Lettre de Bratislava – Profil d’un cinéma de l’est ». Enfin, un entretien de Dusan Hanak qui revient sur son long-métrage, est présent.
L’Image et le son
Déjà édité en 2012 par Malavida, Éclairage intime a eu droit à une nouvelle restauration. Les poussières ont été entièrement éradiquées. Les images sont superbes, la photographie peut être pleinement savourée avec par exemple les scènes en extérieur où les couleurs sont éclatantes. Cependant, le travail sur le piqué aurait pu être plus soigné pour certaines séquences. Le format 1.66 respecte le cadre du long-métrage.
Le film est disponible en version originale en Dolby Digital mono 2.0. Aucune piste française n’est présente, le film n’ayant sans doute jamais été doublé dans notre langue. Les voix ont tendance à être trop supérieures par rapport à la musique et aux bruits d’ambiance. Le mixage n’est pas tout à fait réussi. Malgré tout, l’écoute reste agréable. Des sous-titres en français sont présents et imposés.