LES TUEURS DE SAN FRANCISCO (Once a Thief) réalisé par Ralph Nelson, disponible en DVD depuis le 29 août 2018 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Alain Delon, Ann-Margret, Van Heflin, Jack Palance, John Davis Chandler, Jeff Corey, Steve Mitchell, Tammy Locke…
Scénario : Zekial Marko, d’après son roman « Scratch A Thief »
Photographie : Robert Burks
Musique : Lalo Schifrin
Durée : 1h42
Date de sortie initiale : 1965
LE FILM
Eddie Pedak, un ancien détenu, goûte aux joies d’une vie normale : il a une femme, une fille et un bateau. Un inspecteur de police le persécute, ainsi que son frère, qui a besoin de lui pour un coup.
Pour Alain Delon, tout s’est enchaîné très vite. Trois ans après sa première apparition au cinéma dans Quand la femme s’en mêle (1957) d’Yves Allégret, il devient une star planétaire avec Plein Soleil de René Clément et enchaîne directement avec Rocco et ses frères – Rocco e i suoi fratelli, sa première collaboration avec Luchino Visconti. Il enchaîne alors les succès, séduit à la fois la critique et le public, tout en alternant les films d’auteur et les divertissements populaires. De Michelangelo Antonioni (L’Éclipse – L’Eclisse) à Henri Verneuil (Mélodie en sous-sol), en passant par Alain Cavalier (L’Insoumis) et Christian-Jaque (La Tulipe Noire), Alain Delon est partout, le mythe vivant est en route. Il n’en fallait pas plus pour qu’Hollywood lui fasse les yeux doux. Après une première expérience en anglais dans La Rolls-Royce jaune – The Yellow Rolls-Royce, film britannique à sketches réalisé par Anthony Asquith et sorti en 1964, le comédien s’envole pour rejoindre la côte ouest des Etats-Unis pour y tourner Les Tueurs de San Francisco – Once a Thief. Méconnu dans la prolifique et exceptionnelle carrière d’Alain Delon, ce remarquable film noir est un vrai bijou, remarquablement mis en scène par Ralph Nelson (1916-1987). Habitué des séries télévisées dans les années 1950, ce dernier se tourne progressivement et avec réussite vers le cinéma la décennie suivante avec Requiem pour un champion (1962) avec Anthony Quinn et Mickey Rooney, Les Lys des champs (1963) avec Sidney Poitier, La Dernière bagarre (1963) avec Steve McQueen, Le Crash mystérieux (1964) avec Glenn Ford. Les stars font confiance à Ralph Nelson, habile, voire virtuose technicien, avec lequel les acteurs s’entendent bien. Un an après Grand méchant loup appelle – Father Goose, dans lequel Cary Grant donnait la réplique à Leslie Caron, le réalisateur change de registre et passe donc de la comédie d’aventure au film noir pur et dur avec Les Tueurs de San Francisco, sur lequel tous les amateurs du genre devraient se précipiter ne serait-ce que pour voir Alain Delon manier la langue de Shakespeare, ce dont il s’acquitte avec élégance, mais aussi pour le voir donner la réplique à Ann-Margret, Van Heflin et Jack Palance.
Depuis quelque temps, Eddie Pedak mène une vie paisible aux côtés de sa femme Christine et de sa petite fille. Sa situation matérielle est plutôt modeste et Eddie sait qu’il ne connaîtra plus jamais le faste de son ancienne existence. L’ex-malfrat est néanmoins heureux et veut rompre définitivement avec son passé de cambrioleur, qui lui a déjà valu 18 longs mois d’emprisonnement. Mais son chemin vers une existence honnête connaît un obstacle de taille : l’inspecteur Vido, blessé au cours de sa spectaculaire arrestation, tient à se venger d’Eddie, qu’il soupçonne d’être l’auteur de tous les mauvais coups commis récemment à San Francisco…
Un an avant de participer à la superproduction internationale Paris brûle-t-il ? de René Clément, dans lequel il incarnera rien de moins que Jacques Chaban-Delmas, Alain Delon entamait la partie américaine de sa filmographie avec Les Tueurs de San Francisco, production MGM, film US pur et dur car film noir dans toute sa splendeur. Si cette parenthèse sera en réalité de courte durée, on pourra d’ailleurs citer le western Texas, nous voilà – Texas Across the River de Michael Gordon et Les Centurions – Lost Command de Mark Robson, Alain Delon s’y coulera à merveille. Le charisme hors-norme et le talent du même acabit du comédien ne s’en trouvent jamais réduits. A l’aise comme un poisson dans l’eau, Alain Delon s’impose d’emblée dans ce genre qui lui sied à ravir et qu’il retrouve deux ans après le merveilleux Mélodie en sous-sol. Coïncidence (ou pas), ce dernier était tiré d’un roman de Zekial Marko (The Big Grab), connu sous son nom de plume John Trinian, qui n’est autre que le scénariste de Once a Thief, par ailleurs là aussi inspiré d’un de ses propres livres (Scratch A Thief), qui fait aussi une apparition dans le film.
Outre la présence impeccable d’Alain Delon dans le rôle principal, le film vaut également pour ses partenaires, la magnifique Ann-Margret, vue précédemment dans Bye Bye Birdie de George Sidney et L’Amour en quatrième vitesse – Viva Las Vegas de George Sidney, le génial Van Heflin (L’Etreinte du destin de George Sherman, 3H10 pour Yuma de Delmer Daves, Le Sang de la terre de George Marshall, Le Rôdeur de Joseph Losey) et le légendaire Jack Palance, qui sortait du Mépris de Jean-Luc Godard et s’apprêtait à affronter Lee Marvin et Burt Lancaster dans Les Professionnels de Richard Brooks. Si l’accent d’Alain Delon (qui n’est pas doublé dans le film) est justifié par les origines siciliennes de son personnage, on oublie rapidement cette explication grâce à l’écriture subtile de Zekial Marko, qui n’a pas son pareil pour dresser le portrait d’anciens bandits qui décident de raccrocher, afin de mieux profiter d’une deuxième chance qui leur est offerte, comme ici Eddie Pedak, qui souhaiterait faire table rase de son passé de voyou et vivre au jour le jour avec son épouse et leur petite fille. Mais c’est bien connu, on récolte toujours ce qu’on a semé et le jeune homme se trouve obligé se replonger dans quelques magouilles organisées par son frangin Walter (Jack Palance et son menton), après avoir paumé son boulot suite à un casse récent – et qui a fait un mort – dont il a été injustement accusé. Accusant mal le coup de voir sa femme travailler comme serveuse très court- vêtue dans un rade de la ville, et subissant lui-même la pression d’un inspecteur retors (Van Heflin) qui lui en veut depuis des années pour l’avoir blessé par balle sans avoir pu prouver sa culpabilité, Eddie s’associe malgré lui avec ses anciens complices.
Parmi ces derniers, on notera la participation de l’inquiétant John Davis Chandler, dont la tronche reconnaissable entre toutes aura marqué l’esprit des cinéphiles dans Le Temps du châtiment – The Young Savages de John Frankenheimer, Coups de feu dans la Sierra – Ride the High Country et Major Dundee de Sam Peckinpah. Son regard cramé par la dope, dissimulé derrière ses lunettes noires et dont la vision subjective se caractérise par une déformation de l’image, font partie des éléments inoubliables des Tueurs de San Francisco. A cela, nous ajouterons bien sûr la magistrale photographie N&B du grand chef opérateur Robert Burks (Fenêtre sur cour, La Main au collet, Sueurs froides et Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock), ainsi que la composition au diapason du mythique Lalo Schifrin, qui en était encore à ses débuts au cinéma.
Tout cela pour dire que Les Tueurs de San Francisco mérite largement d’être réhabilité et de se faire une place au milieu des grands classiques du film noir, parmi lesquels il ne démériterait sûrement pas.
LE DVD
Les Tueurs de San Francisco est disponible en DVD chez LCJ Editions depuis août 2018. Très beau visuel. La jaquette est glissée dans un boîtier Amaray classique. Le menu principal est fixe et musical.
Aucun supplément.
L’Image et le son
Des poussières, points blancs et noirs (mais où est passé le Biactol ?) et rayures subsistent du début à la fin, plus en début de programme c’est vrai, et qui reviennent plus sporadiquement par la suite. Malgré un nettoyage qu’il aurait fallu effectuer, la copie présentée par LCJ Editions est pas mal du tout avec de beaux noirs, denses, des contrastes fermes, des blancs lumineux, un piqué franchement acéré, des détails très appréciables et un ensemble stable. Certaines séquences sont sans doute un peu plus altérées, avec notamment une gestion du grain argentique plus chancelante, mais dans le master est élégant, le cadre large superbe. On rêve de posséder Les Tueurs de San Francisco en Haute-Définition !
Privilégiez la piste anglaise, par ailleurs plus dynamique et naturelle, mais aussi et surtout pour bénéficier de la prestation d’Alain Delon dans la langue de Shakespeare. S’il se double lui-même en français, le charme n’est clairement pas le même. Les sous-titres français sont amovibles et les deux options acoustiques satisferont les partisans de la VO ou les amateurs de VF. A noter que les dialogues lors du générique d’ouverture n’a pas été doublé, comme l’indique un panneau en introduction.