LES LÈVRES ROUGES réalisé par Harry Kümel, disponible en DVD depuis le 29 août 2013 en DVD chez Malavida Films.
Acteurs : Delphine Seyrig, John Karlen, Danielle Ouimet, Andrea Rau, Paul Esser, Georges Jamin…
Scénario : Harry Kümel, Pierre Drouot, Jean Ferry
Photographie : Eduard van der Enden
Musique : François de Roubaix
Durée : 1h36
Année de sortie : 1971
LE FILM
Un couple, qui séjourne dans un vaste hôtel désert d’Ostende, rencontre la comtesse Bathory et sa protégée Ilona. Les deux femmes exercent bientôt leur emprise sur les jeunes gens.
C’est une oeuvre culte, mise en scène par un réalisateur qui s’est toujours défendu ne rien connaître, ou presque, au film de genre, et qui voulait avant tout faire un film « commercial » en s’inspirant d’un sujet trouvé au hasard, en feuilletant un magazine. Les Lèvres rouges, également connu sous le titre Daughters of Darkness pour son exploitation internationale, a pourtant marqué moult générations de cinéphiles depuis sa sortie en 1971. Devenu une grande référence du film de vampire, le second long métrage réalisé par le belge Harry Kümel (né en 1940) est aussi et surtout entré dans la légende du septième art grâce à la présence, à la composition, à la beauté, à l’immense talent de la grande et mythique Delphine Seyrig (1932-1990).
Valérie et Stefan, immobilisés à Ostende, séjournent dans un vaste hôtel désert en cette morte-saison. Le couple fait alors la connaissance de l’inquiétante comtesse Bathory et de sa protégée Ilona, ténébreuses créatures de la nuit. Elles envoûtent d’abord le jeune homme, fasciné par des meurtres mystérieux perpétrés dans la région, puis Valérie, intriguée par l’étrange relation qui unit les deux femmes…
Oubliez les canines acérées, les cercueils, les crucifix, les colliers d’ail et autres. Dans Les Lèvres rouges, le seul élément fantastique, et non des moindres, se résume au personnage de la célèbre comtesse Bathory, alias la Comtesse Sanglante, dont la légende aura inspiré de nombreux cinéastes comme Riccardo Freda et Mario Bava dans Les Vampires (1957), Peter Sasdy dans Comtesse Dracula (1971) avec la merveilleuse Ingrit Pitt dans le rôle-titre, Jorge Grau dans l’excellent Cérémonie sanglante – Ceremonia sangrienta (1973), sans oublier Julie Delpy avec le brillant La Comtesse (2009).
L’intrigue des Lèvres rouges se déroule au XXè siècle, au début des années 1970. Il ne s’agit pas d’une transposition du mythe de la comtesse hongroise du XVIe siècle (qui fut soupçonnée de se baigner dans le sang de jeunes filles fraîchement assassinées), mais d’une histoire contemporaine dans laquelle le personnage aurait désormais 300 ans et continuerait sa quête de sang frais, dans le but de conserver son éternelle beauté et sa jeunesse. Juste après Baisers volés de François Truffaut, La Voie Lactée de Luis Buñuel et Peau d’âne de Jacques Demy, Delphine Seyrig illumine Les Lèvres rouges. Son teint diaphane, sa bouche rouge carmin, ses robes incroyables et surtout sa voix dont on tombe amoureux, foudroient à chaque apparition. Soyons honnêtes, la comédienne demeure LA raison d’être du film et évince facilement et souvent ses partenaires. John Karlen (la série Dark Shadows) en fait des tonnes et fait la grimace, Danielle Ouimet (Tendre et sensuelle Valérie) s’en sort bien dans le rôle de la proie pris dans la toile de la tarentule, Andrea Rau, habituée des films coquins aux titres explicites du style Les Petites chattes se mettent au vert (1969), fait ce qu’elle peut avec le rôle somme toute limité d’Illona.
La très grande réussite – en dépit de quelques instants kitsch – des Lèvres rouges provient de son ambiance étrange instaurée dès les premières scènes. Harry Kümel est très inspiré et créé une atmosphère trouble, ambiguë, érotique parfois, avec ses personnages inquiétants, ses fondus au rouge-sang. La photographie ouatée et éthérée d’Eduard van der Enden (Trafic de Jacques Tati) participe évidemment à cette plongée anxiogène, surtout que l’intrigue se déroule principalement dans un hôtel planté comme un mirage au bord de la mer du Nord. Le point d’orgue de ce rêve ou plutôt de ce cauchemar-éveillé provient de la robe à sequins argentés portée par la Comtesse Barthory, qui hypnotise à la fois les protagonistes et les spectateurs dans la dernière partie du film. N’oublions pas l’extraordinaire partition de l’immense François de Roubaix, qui donne aux Lèvres rouges une aura nébuleuse, sensuelle, délicate et menaçante.
Un demi-siècle après sa sortie, Les Lèvres rouges n’a absolument rien perdu de son charme et de son mystère (moult questions restent sans réponse), et agit comme un trip sous substance où l’audience, s’en remettant alors totalement au réalisateur et au récit qu’il lui raconte, se perd volontiers dans un dédale de sentiments et de sensations totalement addictives.
LE DVD
A l’heure où Les Lèvres rouges ressort au cinéma le 11 mars, rappelons que le film est disponible en DVD chez Malavida Films, depuis août 2013. Le disque repose dans un boîtier slim Digipack, qui comprend également un livret de 20 pages, incluant une interview exclusive de Harry Kümel et une critique du film par Olivier Rossignot, alors rédacteur en chef cinéma chez Culturopoing. Le menu principal est fixe et musical.
L’éditeur ne vient pas les mains vides et offre quelques suppléments particulièrement réjouissants. C’est le cas de cette rencontre avec le réalisateur Harry Kümel et le co-scénariste/co-producteur Pierre Drouot (21’30), qui reviennent sur la genèse, le tournage et la sortie des Lèvres rouges, tout en se rendant sur les lieux de tournage, l’hôtel Astoria de Bruxelles pour les intérieurs, et l’hôtel des Thermes d’Ostende. C’est ici l’occasion de voir que rien ou presque n’a changé en près de quarante ans (le module date de 2006), pendant que les deux hommes partagent leurs souvenirs liés aux prises de vues, notamment en ce qui concerne le travail avec Delphine Seyrig.
Nous trouvons ensuite deux entretiens, le premier avec la comédienne Danielle Ouimet (2006-15’30), le second avec sa consœur Andrea Rau (2003-8’). Les deux femmes interviennent surtout sur les conditions de tournage, le travail avec le réalisateur Harry Kümel et surtout leur collaboration avec Delphine Seyrig. Les actrices évoquent également leurs débuts respectifs au cinéma.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Voilà un très bel objet. Le cadre, superbe, regorge de détails aux quatre coins et ce dès la première séquence. Si le générique est évidemment plus doux, la définition reste solide comme un roc, la stabilité est de mise et le grain original flatte constamment la rétine. La propreté de la copie est irréprochable, à part peut-être quelques pétouilles (et de sensibles décrochages chromatiques), mais ce serait vraiment chipoter. Les séquences diurnes en extérieur (quand les personnages se rendent à Bruges) bénéficient d’un piqué pointu et d’une belle luminosité. Ajoutez à cela des noirs denses, une magnifique patine seventies et quelques éclairages luminescents. Certaines séquences sombres ou nocturnes sont plus grumeleuses.
Les Lèvres rouges a été tourné en anglais. Cette piste est parfois légèrement couverte et chuintante, mais l’ensemble reste satisfaisant. La version française reste plus facultative.