Test DVD / Le Royaume, réalisé par Julien Colonna

LE ROYAUME réalisé par Julien Colonna, disponible en DVD & Blu-ray le 18 mars 2025 chez Ad Vitam.

Acteurs : Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti, Andrea Cossu, Eric Ettori, Régis Gomez, Pascale Mariani, Frederic Poggi…

Scénario : Jeanne Herry & Julien Colonna

Photographie : Antoine Cormier

Musique : Audrey Ismael

Durée : 1h44

Date de sortie initiale : 2024

LE FILM

Alors qu’elle vit l’un de ses premiers étés adolescents, Lesia est envoyée chez son père. Sauf que lui est chef de clan d’une mafia locale. En plein milieu du tumulte, durant ces quelques semaines estivales, ils vont apprendre à se connaître…

Colonna ? La Corse ? Oui, mais il n’agit pas ici du célèbre éleveur, militant indépendantiste et criminel corse, assassin du préfet de Corse Claude Érignac en 1998, qui avait pris la fuite dans le maquis pendant quatre ans, avant d’être arrêté en 2012, puis incarcéré à Arles, où un codétenu allait le tuer dix ans plus tard. Julien Colonna est lui le fils de Jean-Jérôme Colonna, parrain présumé de la Corse-du-Sud, décédé en 2006 dans un étrange accident de voiture. Le Royaume est son premier long-métrage, une révélation, un choc cinématographique. Forcément largement inspiré par sa propre histoire, quand bien même le personnage principal est une adolescente, ce thriller s’intéresse avant tout à la relation père-fille, malmenée par l’action du premier, qui n’entretient avec la seconde qu’un rapport épisodique. Bien que Julien Colonna ait insisté qu’il s’agissait d’un œuvre de fiction, difficile de ne pas y voir une dimension autobiographique, y compris dans le passé du personnage du père, formidablement interprété par Saveriu Santucci, agriculteur et guide de montagne de son état, qui campe Pierre-Paul, repéré lors d’un long casting sauvage réalisé en Corse par le réalisateur, qui recherchait une authenticité qu’il n’aurait pu trouver ailleurs. Le Royaume accroche le spectateur dès la première scène, qui pose le décor, le quotidien des personnages, ainsi que le charisme et le talent de la jeune Ghjuvanna Benedetti, étudiante en école d’infirmière, quasiment de tous les plans, elle aussi comédienne non-professionnelle. Film aussi sec qu’implacable, Le Royaume est aussi un drame familial bouleversant, où l’émotion prend aux tripes au fur et à mesure de cette cavale sans issue. On en ressort la bouche pâteuse, la chair de poule, avec aussi la conviction d’avoir « rencontré » un nouvel et grand auteur à suivre de près.

Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.

Les échanges entre Lesia et son père Pierre-Paul sont feutrés, pas un mot plus haut que l’autre, malgré la violence des sentiments et de leur vie mouvementée. Car ce n’est pas de tout repos d’être un chef de clan recherché par les autorités. Et ça l’est encore moins de tenter d’instaurer une relation avec sa fille, qu’il a déjà eue tard et « par accident ». Alors Pierre-Paul essaye tout de même de faire comme si de rien n’était, si ce n’est que lui et sa bande peuvent déguerpir à la moindre suspicion ou au premier dérapage incontrôlé d’une voiture (de police) prête à débarquer dans leur repaire. Lesia a beau être habituée à ne voir son père qu’en pointillés dans son existence, celle-ci profite de chaque instant avec lui. Alors qu’elle a désormais l’âge de sortir avec des garçons de son âge, elle va aussi tirer profit de ces retrouvailles pour en savoir plus sur celui qui lui a donné la vie et qui reste énigmatique.

Tourné dans de merveilleux décors naturels, magnifiquement photographiés par Antoine Cormier (qui a fait principalement ses armes dans le domaine musical), Le Royaume s’interroge sur la paternité, sur la vengeance éternelle (où quand tout n’est qu’un recommencement, sans fin), sur les cicatrices qui ne peuvent pas se refermer, sur les blessures physiques et psychologiques que l’on arbore et qu’on lègue à nos enfants. Il y a fondamentalement un rapport animal qui s’instaure entre cette jeune femme en devenir et ce père d’un âge déjà avancé, qui se découvrent, se reniflent et s’apprivoisent au milieu d’une nature extrêmement sauvage et brute. Julien Colonna a bénéficié à l’écriture du concours de Jeanne Herry, grande réalisatrice (Elle l’adore, Pupille, Je verrai toujours vos visages), dont la sensibilité à fleur de peau se retrouve dans les dialogues (peu nombreux au final), notamment dans cette sublime séquence où Pierre-Paul se confie longuement à Lesia sur son passé, sur l’amour qu’il portait à sa mère, sur son propre père, sur sa quête infinie de vengeance. Assurément LA scène à laquelle on pense encore bien après la fin du film.

Si la violence est là, chaque jour (avec quelques pics impressionnants qui débarquent de façon inattendue), Pierre-Paul et Lisia tentent malgré tout de (sur)vivre « normalement », alors que la mort peut arriver à n’importe quel moment. Le Royaume est une œuvre immersive, sensorielle, contemplative, où les non-dits et les silences en disent long sur le passé, les doutes, la peur et l’amour des protagonistes.

Présenté en sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2024, Le Royaume, l’un des films les mieux accueilli par la critique l’an passé, est une véritable fresque, viscérale, rare dans le cinéma hexagonal, bercée par la composition tout aussi hypnotique d’Audrey Ismael (Le Consentement, 14 jours pour aller mieux). S’il a dû s’incliner face à Vingt Dieux de Louise Courvoisier pour le César du Meilleur premier film, Julien Colonna aurait tout autant mérité cette fameuse compression, mais cela n’est sans doute que partie remise, car nous assistons bel et bien ici à l’émergence d’un grand artiste.

LE DVD

Avec plus de 150.000 entrées au cinéma, Le Royaume a connu un beau succès mérité dans les salles. Ad Vitam présente désormais le premier long-métrage de Julien Colonna, en DVD et Blu-ray, la jaquette reprenant le visuel de l’affiche français d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.

Le premier supplément de cette interactivité donne la parole aux comédiens non-professionnels Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci, au réalisateur Julien Colonna et à sa co-scénariste Jeanne Herry. Des entretiens croisés (seuls les acteurs sont enregistrés ensemble), qui donnent de nombreuses indications sur la genèse du Royaume, le casting sauvage organisé pour trouver le tandem principal, les thèmes explorés, les partis-pris et les intentions du cinéaste, sans oublier les conditions de tournage et la présentation du film au Festival de Cannes.

L’autre bonus à ne pas rater est le premier court-métrage réalisé par Julien Colonna en 2015, intitulé Confession (12’35). En anglais dans le texte, Anne Parillaud et Moussa Maaskri sont plongés au coeur d’une ville ravagée par la violence. Un homme dérive pour fuir le trouble de la guerre et de son passé. Il croise alors une femme, témoin de son passage, à qui il offre une ultime confession. Si le fond est quelque peu obscur, Confession impressionne par ses immenses qualités plastiques et prouve déjà que Julien Colonna en avait sous le capot.

Sont également proposés la bande-annonce, ainsi que le dossier de presse en partie ROM.

L’Image et le son

Nous avons eu le DVD entre les mains, et si la galette HD est sûrement irréprochable, il en est déjà de même avec cette édition Standard. La photo signée Antoine Cormier est habilement restituée, notamment les partis pris esthétiques, la colorimétrie vive et saturée sur les séquences diurnes, et un piqué joliment acéré. Les détails sont abondants sur le cadre large, la luminosité omniprésente et le grain argentique (tournage effectué en 35mm) préservé et solidement géré.

Deux mixages au programme. Nous n’avons pas à nous plaindre du mixage Dolby Digital 5.1. qui répartit les répliques, la musique et les effets avec une belle fulgurance. Les scènes plus agitées jouissent d’une belle ouverture de l’ensemble des enceintes, les ambiances fusant de toutes parts. Le caisson de basses intervient aux moments opportuns. La piste Stéréo instaure un confort acoustique riche et très plaisant. L’éditeur joint également une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français, destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © CHI-FOU-MI PRODUCTIONS / Ad Vitam / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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