JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES réalisé par Jeanne Herry, disponible en DVD et Blu-ray le 6 septembre 2023 chez Studiocanal.
Acteurs : Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Élodie Bouchez, Suliane Brahim, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot, Denis Podalydès, Birane Ba…
Scénario : Jeanne Herry
Photographie : Nicolas Loir
Musique : Pascal Sangla
Durée : 1h54
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation…
S’il était possible de décerner un César collectif pour l’ensemble du casting d’un long-métrage, on le remettrait immédiatement à celui de Je verrai toujours vos visages, le troisième film de Jeanne Herry, qui avait signé un premier coup d’essai et petit coup de maître avec Elle l’adore en 2014 et qui avait confirmé quatre ans plus tard tous les espoirs basés sur son talent avec Pupille. Suite à ces deux succès au box-office, avec près d’un demi-million d’entrées pour le premier et 850.000 pour le second, on attendait de pied ferme le retour de la réalisatrice. Avec Je verrai toujours vos visages, elle touche au sublime et même au chef d’oeuvre. Rien à redire, tout est absolument parfait, de la prestation des comédiens, en passant par le scénario, les dialogues, la photographie de Nicolas Loir (Le Nouveau de Rudi Rosenberg, Seuls de David Moreau, Novembre de Cédric Jimenez). Ce drame psychologique atteint le coeur, l’âme et même le corps entier. Bien sûr, il est évident que Je verrai toujours vos visages s’adressera personnellement à chaque spectateur, selon son vécu et son expérience, mais au-delà de son sujet passionnant, il s’agit ni plus ni moins d’une vraie leçon de cinéma. On en ressort bouleversés, à bout de souffle, secoués, mais aussi étonnamment gonflés à bloc pour affronter l’adversité, ses démons et son propre futur. Assurément LE film de 2023.
Des mesures de justice restaurative sont proposées depuis 2014 en France à des victimes de vols, de viols et aux auteurs d’infraction afin de dialoguer dans des dispositifs sécurisés. Ces lieux sont encadrés par des professionnels et des bénévoles. Ce film montre les rencontres entre des hommes condamnés et leurs victimes ainsi que toute la préparation à ces rendez-vous qui fait partie intégrante du processus des mesures restauratives, menée par Judith, Fanny et Michel. Nous suivons quatre victimes (Sabine, Grégoire, Nawelle et Chloé) concernées par diverses infractions : vol à l’arraché, homejacking, braquage et viols incestueux respectivement. L’évolution des victimes s’accompagne de celle des coupables, ces évolutions aboutissant parfois à la réparation. Ces chemins se caractérisent par des émotions multiples, contradictoires, changeantes.
Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Élodie Bouchez, Suliane Brahim, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot, Denis Podalydès, Birane Ba, Raphaël Quenard, Anne Benoît, Sébastien Houbani, Catherine Arditi, ils sont tous extraordinaires dans Je verrai toujours vos visages, que Jeanne Herry a écrit seule, comme Pupille, en traitant cette fois d’un sujet peu connu, celui de la justice restaurative. Créé il y a une dizaine d’années, ce processus est destiné à proposer un espace de dialogue entre des personnes en souffrance des suites d’un crime ou d’un délit et des criminels incarcérés et/ou en attente de jugement, afin d’essayer de comprendre pourquoi et comment. Si l’on pouvait craindre au départ un aspect film à sketches, il n’en est rien. Si effectivement l’histoire centrée sur le personnage d’Adèle Exarchopoulos sert comme qui dirait de fil rouge, le destin de tous les protagonistes, qui n’auraient jamais dû se rencontrer, se mêlent et s’entremêlent, dans un but unique, tenter d’en savoir plus sur l’agissement de ceux qui les ont agressés et traumatisés. Pour cela, la justice restaurative leur propose de rencontrer, non pas les responsables, mais d’autres détenus qui ont accepté de collaborer, le dispositif étant basé sur le volontariat, sans contrepartie financière et n’entraînant pas de remise de peine.
Sans aucun temps mort, l’action reposant sur les dialogues virtuoses qui font l’effet de coups de poings dans le ventre, une mise en scène pertinente (contrairement au surestimé et poussif Saint Omer d’Alice Diop) et un montage quasi-mathématiques de Francis Vesin (déjà à l’oeuvre sur Elle l’adore et Pupille), Je verrai toujours vos visages place le spectateur en tant que témoin, comme si celui-ci avait été convié à assister aux cinq séances espacées durant un peu plus d’un mois. Tandis que Chloé se prépare à un face à face avec son demi-frère (Raphaël Quenard, l’acteur français de l’année) qui l’a violé à plusieurs reprises durant son enfance, Nawelle, Grégoire et Sabine, dont la vie s’est pour ainsi dire arrêtée après avoir été victime de vols avec violence, se retrouvent en prison face à Nassim, Thomas et Issa, pour engranger un dialogue. Pourquoi sont-ils là ? Ceux-ci ne le savent pas forcément, « Je sais pas » revenant la plupart du temps quand on leur demande la raison de leur présence. Ils ont vraisemblablement tout essayé, les médicaments bien sûr, des thérapies diverses et variées, mais rien n’a fonctionné. Comme ils ne sont plus à ça près, ils ont accepté de se laisser guider par Judith, Fanny et Michel, qui joueront les arbitres, superviseront, même s’ils essaieront d’intervenir le moins possible en espérant que la parole se libère et que le poids que chacun ressent dans ses tripes s’envole ou tout du moins se fasse plus léger.
Je verrai toujours vos visages est filmé comme un thriller, avec des numéros virevoltants d’acteurs, une émotion à fleur de peau, sans pathos, une frontalité percutante, une immersion implacable. Du très grand cinéma, édifiant, romanesque, étourdissant, à ranger aux côtés de La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier. Une immense cinéaste est née.
LE DVD
Suite à son grand succès dans les salles, Je verrai toujours vos visages dispose d’une édition DVD et Blu-ray chez Studiocanal, qui à cette occasion n’a pas repris le visuel de l’affiche d’exploitation, mais en a créé un autre uniquement centré sur Adèle Exarchopoulos, Leïla Bekhti et Gilles Lellouche. Le menu principal est animé et musical.
Aucun supplément, pas même la bande-annonce. Probablement la déception de ce mois de septembre.
L’Image et le son
Quelques petites pertes de la définition sur les scènes sombres et un piqué manquant parfois de mordant. Néanmoins, ce master demeure fort plaisant et n’a de cesse de flatter les yeux avec une superbe restitution de la colorimétrie à la fois chatoyante et froide. Les contrastes sont denses et élégants, la gestion solide, le relief palpable, les détails précis sur les gros plans.
Le mixage français Dolby Digital 5.1 parvient à créer une immersion acoustique probante grâce à la musique de Pascal Sangla. Les ambiances naturelles viennent souvent à manquer sur les séquences en extérieur et l’ensemble se révèle souvent timide. Le report des voix est solide, la balance frontale fait gentiment son boulot, mais beaucoup de scènes reposent essentiellement sur les enceintes avant. À titre de comparaison, la version Stéréo finit par l’emporter sur la 5.1 du point de vue fluidité et homogénéité des voix avec les effets et la musique. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription pour aveugles et malvoyants.
Crédits images : © Studiocanal/ Trésor Films / Chi-Fou-Mi Productions / France 3 Cinéma / Christophe Brachet / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr