Test Blu-ray / Une vraie jeune fille, réalisé par Catherine Breillat

UNE VRAIE JEUNE FILLE réalisé par Catherine Breillat, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Charlotte Alexandra, Hiram Keller, Rita Maiden, Bruno Balp, Georges Guéret, Shirley Stoler…

Scénario : Catherine Breillat, d’après son roman Le Soupirail

Photographie : Pierre Fattori & Patrick Godaert

Musique : Mort Shuman

Durée : 1h33

Date de sortie initiale : 1976

LE FILM

Alice Bonnard vient passer ses vacances chez ses parents dans les Landes. Ils possèdent une scierie ou ils emploient un jeune garcon, Jim. Alice se sent très attirée par le jeune homme.

Nous sommes à la moitié des années 1970 et Catherine Breillat se voit offrir l’opportunité de réaliser l’adaptation de son quatrième roman intitulé Le Soupirail (éditions Guy Authier, 1974). Ce premier long-métrage, intitulé Une vraie jeune fille ne pourra pas sortir sur les écrans comme prévu (classé X, le film perd son distributeur et son producteur fait faillite) et devra pour cela attendre une vingtaine d’années. Quand on découvre Une vraie jeune fille quasiment cinquante ans après sa confection, on se rend compte que TOUT Breillat est déjà dans cette première œuvre coup de poing (certains diront même un fist), redoutablement transgressive, (dé)culottée, qui s’inscrit de façon indélébile dans la mémoire des cinéphiles, trop heureux de pouvoir enfin analyser, vivre, ressentir cette pierre fondatrice, matricielle d’une des filmographies les plus singulières du cinéma hexagonal.

Alice, une adolescente d’une quinzaine d’années, vient passer les grandes vacances d’août 1963 chez ses parents dans les Landes. Esseulée, entre une mère frustrée et un père grossier, elle épanche dans son journal intime ses états d’âme et les troubles qu’engendre sa sexualité. L’arrivée du jeune et beau Pierre-Évariste Renard, alias « Jim », le nouvel employé de la scierie de son père, exacerbe ses désirs. Alice va s’employer à le séduire, ayant décidé qu’il sera son premier amant. Mais Jim, déjà fiancé, résiste à ses avances, ce qui la fait d’autant plus fantasmer en imaginant leurs jeux érotiques, voire sadomasochistes. Elle arrive finalement à obtenir un rendez-vous nocturne avec lui, mais ses parents, ayant découvert son stratagème, l’empêchent de sortir.

« J’aurais dû t’enfermer depuis que tu as eu tes règles ! »

On croit tout d’abord reconnaître la voix de Catherine Breillat (également en charge des décors, des costumes, du maquillage), mais il s’agit en réalité de sa sœur Marie-Hélène, narratrice, qui prête aussi son timbre particulier au personnage principal, puisque le film sera post-synchronisé deux ans plus tard. Alice est incarnée par la britannique (mais parfaitement bilingue) Charlotte Alexandra, âgée de 20 ans, révélée dans le film à sketches Contes immoraux de Walerian Borowczyk, sorti en 1974. Catherine Breillat la met dans la peau d’une adolescente et l’actrice devient ainsi la première à voir son corps être filmé sous tous les angles par la cinéaste. La découverte, la transformation, la jouissance, la libération du corps, est le sujet ô combien récurrent dans la carrière de Catherine Breillat, aussi bien en littérature qu’au cinéma. Dans Une vraie jeune fille, Alice doit apprendre à composer avec le sien, à le connaître, à en jouer, à le dompter, à l’apprivoiser, tout cela dans une atmosphère poisseuse, pour ne pas dire dégueulasse, où le ruban attrape-mouches pend au plafond, tandis que son père libidineux (et un rien incestueux) regarde la télé (qui reste allumée en permanence) les jambes écartées, la braguette ouverte, et que sa mère, délaissée, est occupée à « entretenir » la maison aux murs gras. On s’emmerde royalement dans cette habitation et Alice, qui n’aime pas les gens, qui l’oppressent, peu enthousiaste à l’idée de passer les grandes vacances chez ses parents, va passer le temps en allant à la découverte de sa sexualité, de ses organes, en explorant ses lèvres comme un terrain vague en friche, en le malmenant aussi parfois (en y enfonçant une cuillère, comme s’il y avait un trou à combler), en le faisant côtoyer la fange.

La rencontre avec Jim (l’américain Hiram Keller, vu dans Les Diablesses d’Antonio Margheriti et Satyricon de Federico Fellini) dont l’apparition n’est pas sans rappeler celle Joe Dallesandro dans Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg (sorti en 1976, comme devait le faire aussi Une vraie jeune fille) va affoler ses hormones et la transporter dans quelques fantasmes, puis dans une réalité, qu’Alice ne soupçonnait sans doute pas. La caméra de Catherine Breillat fait office de microscope, comme si cet outil était à l’affût du moindre changement physique, de l’infime détail insoupçonné ou d’une excitation soudaine.

C’est donc avec l’oeil d’une scientifique que la cinéaste observe son personnage principal et ceux qui gravitent autour d’elle comme des électrons autour d’un atome. Magnifiquement photographié, Une vraie jeune fille foudroie et c’est peu dire que ce coup d’essai (maudit) est bel et bien un coup de maître, à découvrir comme un penchant trash et frontal du somptueux et indispensable I dolci inganni Les Adolescentes d’Alberto Lattuada.

LE BLU-RAY

Le Chat qui fume déroule le tapis rouge à Catherine Breillat. En effet, en plus d’Une vraie jeune fille, l’éditeur propose déjà Sex is Comedy, 36 fillette et Anatomie de l’enfer en Haute-Définition et annonce également À ma sœur ! et Romance dans un proche avenir, en version restaurée. Une vraie jeune fille se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo et ce Blu-ray est une première mondiale. Mention spéciale à la jaquette, très élégante, qui distingue ce titre des opus habituels du Chat qui fume. Un cachet « auteur » dirons-nous. Le menu principal est animé et musical.

L’éditeur est allé à la rencontre de Catherine Breillat (33’). Celle-ci replace Une vraie jeune fille dans sa carrière, ainsi que sur tous les aspects de son premier film comme réalisatrice. Elle évoque bien sûr la sortie, puis l’adaptation de son livre Le Soupirail, le casting, les lieux et les conditions de tournage, tout en passant en revue ses intentions et les partis-pris. Puis, Catherine Breillat parle de la résurrection d’Une vraie jeune fille, dont la sortie avait été annulée dans les années 1970, avant d’être enfin exploité 25 ans plus tard, quand la cinéaste avait pu mettre la main sur les droits. Beaucoup d’anecdotes liées aux prises de vue (dont l’utilisation d’une vraie dépouille de chien placée dans le décor de la plage sordide) parsèment aussi cet entretien dense et passionnant.

Philippe Rouyer prend ensuite la parole pendant près de quarante minutes, pour nous présenter Une vraie jeune fille. Si nous ne sommes absolument pas clients du bonhomme, force est d’admettre que celui-ci a beaucoup de choses à dire sur le film qui nous intéresse aujourd’hui. Le critique et historien du cinéma passe souvent du coq à l’âne, partage son ressenti à la découverte de ce premier long-métrage (« un grand choc »), qu’il connaissait seulement de réputation. Les thèmes sont disséqués (la honte, le désir féminin, les relations hommes/femmes), certains motifs mis en parallèle avec d’autres opus de Catherine Breillat, la forme analysée (« un côté primitif, sauvage »), les conditions de tournage explorées, le casting abordé et bien d’autres sujets mis en relief.

L’éditeur propose également un livret de 12 pages, comprenant une analyse pour le coup très intéressante du film, réalisée par Murielle Joudet, critique de cinéma et auteure en 2023 d’une biographie sur Catherine Breillat.

L’Image et le son

Le premier long-métrage réalisé par Catherine Breillat fait peau neuve et débarque pour la première fois dans les bacs, en Haute-Définition, chez Le Chat qui fume. Le grain est très présent, une texture argentique qui ne cesse de ravir les yeux. Certains plans sortent particulièrement du lot avec des détails riches et précis sur les décors, mais également sur les gros plans et les étoffes. Les contrastes (surtout sur les séquences sombres) apparaissent en parfait accord avec les volontés artistiques originales qui rendent largement indispensable l’élévation du film en Haute Définition, d’autant plus que la copie affiche une remarquable propreté après un lifting de premier ordre, opéré après un scan 4K du négatif original.

Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 met en valeur la musique de Mort Shuman. Également restauré, le son a subi un dépoussiérage. Le confort acoustique est ici largement assuré, jamais entaché par un souffle quelconque. Les effets annexes, les voix des comédiens (enregistrées en post-synchronisation), tout est ici mis en valeur avec fluidité probante.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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