Test Blu-ray / Anatomie de l’enfer, réalisé par Catherine Breillat

ANATOMIE DE L’ENFER réalisé par Catherine Breillat, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Amira Casar, Rocco Siffredi, Alexandre Belin, Manuel Taglang, Jacques Monge, Claudio Carvalho, Carolina Lopes, Diego Rodrigues…

Scénario : Catherine Breillat, d’après son roman Pornocratie

Photographie : Giorgos Arvanitis & Guillaume Schiffman

Musique : D’Julz

Durée : 1h17

Date de sortie initiale : 2004

LE FILM

Au bord de l’ennui, une femme seule et déprimée paie un homosexuel pour qu’il se joigne à elle pour une exploration audacieuse de la sexualité qui durera quatre jours et au cours de laquelle tous deux rejetteront toutes les conventions et briseront toutes les frontières, enfermés à l’écart de la société dans un domaine isolé. Ce n’est qu’en affrontant les aspects les plus inavouables de leur sexualité que l’homme et la femme parviendront à une compréhension pure de la façon dont les sexes se perçoivent l’un l’autre.

Anatomie de l’enfer est le dixième long-métrage de Catherine Breillat et sa seconde collaboration avec Rocco Siffredi, cinq ans après Romance, avec lequel la star du porno faisait ses premiers dans le cinéma dit « traditionnel ». La réalisatrice profite du charisme indéniable de sa tête de bite d’affiche et lui offre un rôle étonnant, évidemment à mille lieues de ce qu’il exécute habitetuellement (décidément), avec lequel il prouve une fois de plus un vrai talent dramatique. Le pari était pourtant risqué, d’autant plus qu’il donne la (douloureuse) réplique à Amira Casar, comédienne éclectique, aussi à l’aise chez Thomas Gilou (les trois premiers volets de La Vérité si je mens!) que chez Anne Fontaine (Comment j’ai tué mon père). Celle-ci commençait à prendre un virage dans sa carrière, se tournant de plus en plus vers le cinéma d’auteur (Carlos Saura, Gaël Morel, les frères Larrieu), Anatomie de l’enfer marquant définitivement un carrefour, une rupture dans sa filmographie. On pourra cette fois encore reprocher à la cinéaste un côté hermétique de certains dialogues (« La fragilité des chairs féminines impose le dégoût et la brutalité »), partis-pris qui pourront faire rire de nombreux spectateurs peu habitués à l’univers de Catherine Breillat, mais aussi cette mauvaise habitude de montrer du doigt les hommes qui salissent tout ce qu’ils touchent, les femmes en particulier et même en premier lieu. Mais Anatomie de l’enfer, film à la durée ramassée (1h15 montre en main) parvient sans mal à créer un état d’hypnose, un engourdissement (pour ne pas une dire une léthargie pour certains), pour que l’on puisse aller au bout de cette « expérience » menée à la fois par la réalisatrice, mais aussi de ses personnages-marionnettes.

Dans l’une des boîtes homosexuelles où l’on se côtoie sans se rencontrer et où la musique techno rythme les mouvements des corps, un homme danse sans se préoccuper de ce qui l’entoure. Intruse au milieu de cette communauté, une jeune femme est en proie au désespoir. Elle se rend dans les toilettes de l’établissement et, d’un coup de lame de rasoir, s’ouvre les veines. Un inconnu pénètre dans les lieux à cet instant et porte secours à la malheureuse. Rétablie, la jeune femme fait une fellation à son sauveur puis lui propose un étrange marché : contre rétribution, il devra, pendant quatre nuits, la regarder « par là où elle n’est pas regardable ». En fait, elle le paye pour qu’il la regarde et l’écoute parler d’elle, de ses désirs, du corps féminin, et des peurs qu’elle suscite chez l’homme. Malgré son aversion première, l’homme participe physiquement à ce « contrat ».

« Le cinéma est une illusion et ne procède pas de la reality-fiction, ni du happening, mais de la réalité de l’oeuvre. Dans ce film, l’intimité du corps de la fille a été interprétée par une doublure. On ne saurait y voir l’actrice, mais la construction fictionnelle du personnage de la fille ». Ainsi démarre Anatomie de l’enfer, par un carton sobre, écriture blanche sur fond noir, comme le sera souvent le corps nu d’Amira Casar, sa peau blanche, diaphane, transparente presque, se détachant sans mal d’un fond uni. Effectivement, Catherine Breillat va loin dans la crudité sexuelle, à l’instar de cette scène, l’une des plus célèbres, où l’homme (sans nom) applique du rouge à lèvres sur l’anus de la fille allongée dans une chambre sordide. Ça c’est pour la première nuit. La suivante, l’homme se contentera seulement de lui enfoncer le manche d’une binette dans le même fondement qu’il maquillait délicatement précédemment. La troisième nuit sera marquée par un rapport sexuel entre cette femme complètement larguée et ce type dont elle a attiré l’attention dans une boite gay, dégoûté par le sexe féminin.

On se croirait parfois chez Lars von Trier, Antichrist notamment, dans sa représentation de l’acte sexuel, le sexe se mélangeant au sang. Ce liquide rouge, visqueux, essentiel coule et même se boit en tisane chez Catherine Breillat, un Tampax imbibé ayant servi de sachet à infuser. Difficile d’écrire sur Anatomie de l’enfer, qui se vit plus qu’il se visionne, qui se ressent plus qu’il s’anal-yse. Ce que l’on retient du film, c’est avant tout sa forme, sa photographie épurée et élégante cosignée Giorgos Arvanitis (À ma sœur !, Adults in the Room) et Guillaume Schiffman (Le Consentement, En attendant Bojangles, Rien à perdre, les deux OSS 117 de Michel Hazanavicius), dont le cadre agit comme une toile neutre sur laquelle Catherine Breillat est libre de peindre ses deux personnages livrés à eux-mêmes.

Anatomie de l’enfer est l’adaptation du roman Pornocratie, écrit par la réalisatrice, publié en 2001. D’où des dialogues très (trop sûrement) écrits, qui n’ont aucune vocation d’être naturels et qui détonnent alors dans la bouche de ces deux êtres (ainsi qu’en voix-off, par Breillat elle-même) qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Si l’on connaissait déjà l’aisance caméléonesque d’Amira Casar pour se fondre dans n’importe quel personnage, Rocco Siffredi s’en sort admirablement bien et n’a rien à envier à sa partenaire. La scène, d’où sera tirée l’affiche d’exploitation, impressionne par son intensité et l’acteur s’y livre comme rarement auparavant. On peut donc avoir à redire sur Anatomie de l’enfer, sa suffisance auteurisante et son attaque violente systématique des hommes envers les femmes, mais la beauté animale des interprètes, la liberté de ton et la réussite plastique finissent par emporter l’adhésion.

À a sortie, Anatomie de l’enfer ne connaîtra pas le même engouement que Romance, encore à ce jour le plus grand succès de Catherine Breillat au cinéma (343.000 entrées), qui reviendra en 2007 avec le formidable Une vieille maîtresse, l’un de ses meilleurs films.

LE BLU-RAY

Le Chat qui fume déroule le tapis rouge à Catherine Breillat. En effet, en plus d’Anatomie de l’enfer, l’éditeur propose déjà Sex is Comedy, 36 fillette et Une vraie jeune fille en Haute-Définition et annonce également À ma sœur ! et Romance dans un proche avenir, en version restaurée. Anatomie de l’enfer se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo et ce Blu-ray est une première mondiale. Mention spéciale à la jaquette, très élégante, qui distingue ce titre des opus habituels du Chat qui fume. Un cachet « auteur » dirons-nous. Le menu principal est animé et musical.

Le gros morceau de cette interactivité est une longue interview de Catherine Breillat (1h04). Cette dernière essaye de disséquer son cinéma, ses thèmes de prédilection et ses intentions (revenir aux origines du monde, comme s’il s’agissait de la première femme et du premier homme sur Terre). « Essaye » car beaucoup de ses propos demeurent incompréhensibles, comme une JCVD ou une tata trop éméchée à un mariage. La réalisatrice se définit « comme une entomologiste, qui se place en face des choses et qui aime montrer ce qui n’est pas regardable ». Certes. Puis, elle en vient à Anatomie de l’enfer, évoque ses partis-pris, l’adaptation de son roman Pornocratie, le casting, les décors, l’accueil glacial (ou incendiaire) de la critique (« de l’ordre du lynchage »)…On perd souvent le fil, on trouve le temps long, on a du mal à rattacher les wagons…vous voilà prévenus. Ce bonus est repris de l’édition DVD Lancaster sortie en 2004. Tout comme les images de tournage réunies dans un court module d’1’30.

L’éditeur propose également un livret de 12 pages, comprenant une analyse pour le coup très intéressante du film, réalisée par Murielle Joudet, critique de cinéma et auteure en 2023 d’une biographie sur Catherine Breillat.

L’Image et le son

Restauration HD pour Anatomie de l’enfer. La photo est essentiellement constituée de blanc (comme la peau nacrée d’Amira Casar) et de noir (avec quelques touches de rouge bien évidemment) et la gestion des contrastes s’avère solide, la clarté est de mise, les noirs sont aléatoires (tantôt denses, tantôt poreux) et le piqué n’est peut-être pas aussi ciselé qu’espéré. Rien à redire sur la propreté, ni sur la stabilité de l’image. Les détails sont convaincants, aussi bien au niveau des décors que des costumes.

Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un remarquable confort acoustique. Propre, dynamique, cette piste met bien avant les dialogues du film. Présence de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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