UNE ÂME PERDUE (So Evil My Love) réalisé Lewis Allen, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 5 juillet 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Ray Milland, Ann Todd, Geraldine Fitzgerald, Leo G. Carroll, Raymond Huntley, Raymond Lovell, Martita Hunt, Moira Lister…
Scénario : Ronald Millar & Leonard Spigelgass, d’après le roman de Joseph Shearing
Photographie : Mutz Greenbaum
Musique : William Alwyn
Durée : 1h45
Date de sortie initiale : 1948
LE FILM
Londres, à la fin du XIXè siècle. Une jeune veuve naïve, Olivia Harwood, rencontre le charmant Mark Bellis, artiste de son état, qui ne tarde pas à louer une chambre dans la pension de famille que vient d’ouvrir la jeune femme. Très vite, ils deviennent amants. Mais Mark est un escroc qui pourrait l’entraîner sur la voie du chantage et du meurtre.
Est-ce que le nom de Lewis Allen (1905-2000) interpelle les cinéphiles ? Sans doute et ce en raison de La Falaise mystérieuse (1944), également connu sous son titre original The Uninvited, qui a marqué une étape importante dans le genre fantastique. Le metteur en scène du célèbre Je dois tuer – Suddenly (1954) avec Frank Sinatra, signait alors des premiers longs métrages centrés sur une histoire de fantômes, en abordant les revenants avec «réalisme». Loin des comédies à la Scooby-Doo qui prenaient souvent comme cadre une maison hantée avec quelques comiques de l’époque qui s’enfuyaient en grimaçant et en levant les bras à chaque apparition d’un fantôme au drap blanc percé, The Uninvited plongeait les spectateurs dans un environnement concret, renforçant ainsi les effets d’épouvante. Sorti en 1948, Une âme perdue – So Evil My Love est la troisième collaboration de Lewis Allen avec le comédien Ray Milland, après La Falaise mystérieuse, Suprême aveu –The Imperfect Lady (1947) et juste avant Sealed Verdict. Tout va pour le mieux pour l’acteur britannique, tout juste auréolé de l’Oscar et du prix d’interprétation à Cannes pour Le Poison – The Lost Weekend de Billy Wilder. Les réalisateurs de renom l’emploient à tour de rôle, de Fritz Lang (Espions sur la Tamise – Ministry of Fear) à Frank Borzage (Voyage sans retour – Till We Meet Again), en passant par John Farrow (Californie terre promise – California). Inspiré par un fait divers, Une âme perdue est un étonnant mélange des genres, un drame victorien, un thriller psychologique, une romance contrariée, des ingrédients qui peuvent paraître hétérogènes, mais qui contre toute attente se mixent parfaitement, pour notre plus grand plaisir.
À bord d’un navire se rendant à Liverpool, en Angleterre, depuis les Antilles, la veuve d’un missionnaire Olivia Harwood est amenée à soigner les patients atteints de paludisme sur les ponts inférieurs. Là, elle rencontre le beau et suave Mark Bellis, qui est tombé malade. Malgré le flou de Mark sur sa vie et son passé, le couple noue une amitié. Complètement rétabli au moment où le navire accoste, Mark persuade Olivia de lui permettre de s’installer dans la maison d’hébergement qu’elle a hérité de son défunt mari. Il continue à la séduire en douceur, tout en trouvant le temps d’user également ses charmes sur la plus mondaine et vulgaire Kitty. Le passé de Mark en tant que voleur et faussaire d’art est révélé alors qu’il retrouve son ancien complice Edgar Bellamy et que les deux planifient un braquage d’art audacieux. Les choses tournent mal et ils sont contraints à un vol, évitant de peu les balles de la police. De retour auprès d’Olivia, il lui annonce qu’il a l’intention de quitter Londres pour essayer de se tenter sa chance ailleurs. Cependant, maintenant éprise, Olivia est prête à tout pour le garder avec elle. Le couple a un besoin urgent d’argent. Olivia est persuadée de s’insinuer dans la maison de son ancienne camarade de classe riche Susan Courtney et de son mari Henry. Elle retrouve Susan dans un état de névrose et d’hystérie à peine réprimée, usée par les critiques d’Henry, froid et ricanant, qui accepte de l’employer comme compagne de vie de Susan. Sous l’impulsion de Mark, elle commence immédiatement à voler des actions, des obligations et de petits objets de valeur de la maison Courtney, les transmettant à Mark pour les vendre…
Une âme perdue, bien que souvent oublié aujourd’hui, a su traverser les décennies sans trop de dommages grâce à l’indéniable don de storyteller de Lewis Allen, qui prend le temps d’exposer Mark et Olivia, de planter le décor principal, de distiller ses effets, au compte-gouttes, en misant sur une complexité des personnages, en apparence simples, qui n’a de cesse de s’accentuer, à mesure qu’ils révèlent leur véritable nature. La superbe photographie du grand chef opérateur Mutz Greenbaum (Les Forbans de la nuit – Night and the City), donne au film un aspect oscillant entre réalisme et gothique, sans oublier l’envoûtante composition de William Alwyn (Huit heures de sursis – Odd Man Out de Carol Reed, Atlantique Latitude 41 – A Night to Remember de Roy Ward Baker). Le scénario coécrit par Ronald Millar (Scaramouche de George Sidney) et Leonard Spigelgass (le formidable Échec à la Gestapo – All Through the Night de Vincent Sherman, Allez coucher ailleurs ! – I Was a Male War Bride de Howard Hawks), d’après le livre de Joseph Shearing (de son vrai nom…Marjorie Bowen), maintient l’intérêt du spectateur grâce à une maîtrise du suspens et quelques touches d’humour noir, tandis que les comédiens rivalisent de charisme et de talent.
Si Ray Milland est une fois de plus parfait de charme suintant, sa partenaire Ann Todd lui vole la vedette dans le rôle d’Olivia, honorable veuve approchant la quarantaine, sexuellement frustrée, repliée sur elle-même, qui va se laisser embobiner par le mystérieux Mike, qui sous ses airs courtois dissimule en réalité un criminel, accusé de contrefaçon, larcin, meurtre, cambriolage et de vol. Ann Todd, c’est une filmographie qui réunit à la fois Otto Preminger (The Human Factor) et Seth Holt (Hurler de peur), Joseph Losey (Temps sans pitié), David Lean (Madeleine, Le Mur du son), alors son compagnon, et Alfred Hitchcock (Le Procès Paradine), peu de films finalement au compteur, mais un C.V. on ne peut plus impressionnant. Si l’on pourra déplorer une surabondance de dialogues trop « écrits », Une âme perdue repose sur le magnétisme de ses deux têtes d’affiche et l’on se laisse prendre à ce jeu de plus en plus morbide, quand Mike influence progressivement Ann, comme une mouche prise dans les fils d’une toile d’araignée. Excellemment réalisé par un cinéaste soucieux du moindre détail, So Evil My Love, après un départ un peu lent, n’a de cesse de prendre les spectateurs à la gorge, au fil du récit qui s’obscurcit, quand Mike délaisse son personnage pour apparaître sans fard devant Ann, comme il ne l’a probablement jamais été auparavant. Jusqu’où cette dernière est-elle d’ailleurs prête à aller par amour pour Mike ? Franchira-t-elle le point de non-retour ? Mike ne voit-il en elle qu’un nouveau pion à contrôler ou ressent-il réellement des sentiments pour celle qui semble lui être totalement dévouée ?
Certaines séquences jouent assurément et joliment avec les nerfs, surtout durant le dernier acte avec ses diverses confrontations, jusqu’à l’apparition de l’antimoine, un poison, qui peut tout faire basculer pour ses protagonistes. Et l’audience est prise, captivée par les agissements et le basculement d’Ann, marionnette dont les ficelles sont savamment animées par Mike. Si Lewis Allen aurait donc gagné à « assécher » les répliques entre les personnages, on se laisse facilement aspirer dans cette spirale infernale, jusqu’au plan final qui restera longtemps en mémoire.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Inédit en DVD en France, Une âme perdue débarque en Combo Blu-ray + DVD chez Rimini Editions, qui prend la forme d’un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné élégant, illustré par un des visuels d’exploitation du film de Lewis Allen. Le menu principal est animé et musical.
Après nous avoir emballé avec sa présentation du Salaire du diable de Jack Arnold, également disponible chez Rimini Editions, Florent Fourcart, spécialiste de l’histoire au cinéma, s’est vu confier celle d’Une âme perdue (23’). L’occasion d’en savoir un peu plus sur le sous-genre cinématographique connu sous le nom de Gaslight, que l’on peut traduire littéralement par « éclairage au gaz », qui représente les thrillers psychologiques de manipulation, globalement britanniques. Florent Fourcart met en relief le mélange des tons qui participe à la singularité de So Evil My Love (un film noir avec tous ses codes réunis, une esthétique victorienne, une touche de fantastique et de gothique), avant d’évoquer l’irruption de la psychanalyse dans les thrillers à la fin des années 1940, notamment grâce à Fritz Lang et Alfred Hitchcock, qui donnait une nouvelle profondeur aux personnages et des niveaux de lecture inédits. L’intervenant met en relief certaines scènes clés du film, dissèque la mise en scène, l’usage des ombres, les rapports entre les protagonistes, la figure du producteur Hal B. Wallis (Casablanca, Le Faucon maltais, Une Bible et un fusil, Pieds nus dans le parc, Boeing Boeing, Les 4 fils de Katie Elder…), l’histoire vraie à l’origine d’Une âme perdue et le casting.
L’Image et le son
Jusqu’alors inédit en DVD en France, Une âme perdue débarque donc non seulement en édition standard, mais également en Blu-ray sous la houlette de Rimini Editions. Fort d’un master au format respecté 1.33 et d’une compression AVC, ce Blu-ray au format 1080p s’avère plus qu’acceptable, même si tout n’est pas parfait. La restauration 2K est convaincante, mais des rayures verticales demeurent, ainsi que des poussières et des griffures. Les contrastes sont suffisamment denses, parfois trop sans doute avec quelques noirs bouchés, la copie est stable, les gris riches. La gestion du grain est étonnamment aléatoire avec certains plans trop lisses et artificiels, tandis que d’autres paraissent de temps en temps grumeleux. C’est au niveau des séquences sombres que cela pose un peu plus problème avec un piqué dénaturé et une perte de la définition. L’éditeur a vraisemblablement repris le même master HD édité par Kino Lorber en 2021.
La version originale, seule piste présentée sur ce disque, bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio 2.0. L’espace phonique se révèle probant, le confort est indéniable, et les dialogues sont clairs, nets, précis, mais l’ensemble manque un peu de vivacité. Aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.