UN CITOYEN SE REBELLE (Il Citadino si ribella) réalisé par Enzo G. Castellari, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 20 septembre 2022 chez Artus Films.
Acteurs : Franco Nero, Giancarlo Prete, Barbara Bach, Renzo Palmer, Nazzareno Zamperla, Massimo Vanni, Romano Puppo, Renata Zamengo…
Scénario : Dino Maiuri & Massimo De Rita
Photographie : Carlo Carlini
Musique : Guido & Maurizio De Angelis
Durée : 1h37
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Carlo Antonelli est un citoyen ordinaire, jusqu’au jour où il est brutalement agressé lors braquage. Quand la police laisse tomber l’affaire et les suspects restent libres, la patience de Carlo est poussée au-delà de son point de rupture et il va entreprendre une guerre sans merci contre les criminels dont la seule loi est celle de la rue.
Dans les années 1970, l’Italie fait face aux exigences politiques des Brigades rouges et connaît ce qui deviendra plus tard les tristement célèbres Anni di piombo, en français les « années de plomb ». En tant que vecteur de débats sociétaux (et parce qu’il est aussi opportuniste), le septième art va vite s’emparer de cette violence omniprésente et la refléter dans une multitude d’opus du cinéma de genre, notamment des thrillers urbains, forcément influencés par L’Inspecteur Harry de Don Siegel et French Connection de William Friedkin, qui sortent tous les deux en 1971. Les films policiers d’Enzo G. Castellari (tout comme ceux d’Umberto Lenzi, de Fernando Di Leo, d’Alberto De Martino, de Sergio Martino et tellement d’autres), de son vrai nom Enzo Girolami (né en 1938), vont ainsi dresser le portrait d’un pays au bord de l’asphyxie, où les habitants n’ont plus aucune foi ni confiance envers leurs élus et l’autorité, sans rien édulcorer, avec une brutalité difficile à concevoir presque cinquante ans après. La vengeance et la justice sont au coeur d’Un citoyen se rebelle – Il Cittadino si ribella, deuxième collaboration d’Enzo G. Castellari avec celui qui sera son comédien fétiche, Franco Nero, un an après Le Témoin à abattre – La Polizia incrimina la legge assolve, et qui s’associeront encore à quatre reprises à ce jour, les deux hommes (qui ont chacun passé la barre des 80 ans) ayant fait part de leur désir commun de se retrouver pour une suite de Keoma (1976). Sur un sujet grave, le réalisateur signe un formidable spectacle, un divertissement haut de gamme, un vigilante ultra-efficace qui rappelle évidemment Un justicier dans la ville – Death Wish de Michael Winner, qui ne sortira pourtant que trois mois après Un citoyen se rebelle de l’autre côté des Alpes. Énorme succès dans les salles, Il Cittadino si ribella se démarque par le charisme magnétique de Franco Nero, la solide présence de Giancarlo Prete, le charme de Barbara Bach, un montage déchaîné et une mise en scène très nerveuse qui n’omet jamais l’émotion, des atouts grâce auxquels Un citoyen se rebelle a conservé une indéniable fraîcheur et une étonnante modernité.
Trois voleurs entrent dans un appartement et commencent à détruire tous les meubles à la recherche d’argent et d’objets de valeur ; n’ayant rien trouvé, ils y mettent le feu. Gênes : Carlo Antonelli, un ingénieur d’une quarantaine d’années, se rend à la banque pour y récupérer un colis pour lequel il devra payer la somme d’un million de lires : pendant qu’il compte l’argent devant la caissière, des voleurs entrent, immobilisent le garde assermenté et commettent un vol dans le bureau de poste. Carlo, après avoir placé l’argent sur le comptoir, tente de le reprendre pour le garder en sécurité mais, juste à cet instant, l’un des voleurs le voit et le tabasse. Un caissier sonne l’alarme et les braqueurs prennent la fuite, prenant Carlo en otage dans une Alfa Romeo blanche. Dans la voiture, les bandits, ayant enlevé leurs cagoules, commencent à battre sauvagement Carlo. Les voitures de police les poursuivent, mais ne parviennent pas à les arrêter. La voiture est abandonnée parmi des conteneurs du port, avec Carlo à bord hébété et en sang, qui est transporté à l’hôpital puis au poste de police. Ici, il déposera une plainte régulière et se querellera avec le commissaire, soutenant la thèse selon laquelle le citoyen n’est pas du tout protégé. De retour chez lui, dans son salon, est accroché un cadre à l’intérieur duquel se trouve l’affiche des rebelles italiens, écrite par son père pendant l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui avait coûté la vie. Carlo – n’étant pas du tout satisfait des investigations menées par la police, selon lui très superficiellement – décide d’enquêter par lui-même, et commence à fréquenter les quartiers infâmes du port de Gênes, non sans risques pour sa personne. Remarqué par des voyous qui l’invitent à s’occuper de ses affaires, Carlo s’absente de son travail et – avec un appareil photos – commence à analyser les déplacements de trois agresseurs en les photographiant lors d’un braquage, pour ensuite les faire chanter.
« Italiens, rebellez-vous ! C’est le moment ! »
S’il restera éternellement Django, Franco Nero a toujours eu cette capacité de se débarrasser de l’aura du légendaire personnage du western de Sergio Corbucci, pour redevenir « un homme dans la foule » quand il le fallait. C’est assurément le cas dans Un citoyen se rebelle, dans lequel il campe un ingénieur lambda, qui se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment, autrement dit dans une banque prise d’assaut par trois individus masqués. Ayant eu le malheureux réflexe de se défendre, il est embarqué par le trio, puis roué de coups dans leur véhicule, avant d’être abandonné sur les docks de Gênes. Voyant que sa plainte a peu de chances d’aboutir, et que la justice ne fait rien pour l’aider, il décide de mettre la main sur ses agresseurs. Il infiltre alors le milieu et parvient à se faire aider par Tommy, une petite frappe. C’est à ce moment qu’Un citoyen se rebelle change de braquet, car bien que le film ait déjà été très violent, à l’instar du générique qui montre une succession d’agressions du quotidien ou le tabassage de Carlo, la relation qui va s’instaurer entre ce dernier et Tommy va devenir comme qui dirait le moteur affectif du film.
Si Franco Nero s’avère donc impérial, aussi flippant que poignant dans le pétage de plomb de son personnage et sa descente en enfer, son partenaire Giancarlo Prete n’a absolument rien à lui envier. Comédien et cascadeur, celui-ci deviendra une gueule reconnaissable du cinéma Bis, en apparaissant en vrac dans La Califfa (1970) d’Alberto Bevilacqua, Confession d’un commissaire de police au procureur de la République –Confessione di un commissario di polizia al procuratore della repubblica (1971) de Damiano Damiani, mais tournera principalement chez Enzo G. Castellari, dans Les Proxénètes – Ettore lo fusto (1972), La Grande Débandade – Le Avventure e gli amori di Scaramouche (1976), La Mort au large – L’ultimo squalo (1981), Les Nouveaux Barbares – I nuovi barbari (1983) et Les Guerriers du Bronx 2 – Fuga dal Bronx (1984). Si Franco Nero tient le haut de l’affiche, Giancarlo Prete vole la vedette à chaque apparition. L’amitié et la complicité qui s’installent entre Carlo et Tommy sont inattendues, insufflant à Un citoyen se rebelle une chaleur humaine imprévisible et rendant les deux hommes curieusement attachants.
Enzo G. Castellari reprend de nombreux motifs du Témoin à abattre, jusqu’aux mêmes rues de Gênes qui servent cette fois encore de décor, dans lesquelles déambulent les protagonistes et se déroulent les poursuites en voiture. Mais il le fait avec une redoutable intensité, à l’aide d’une caméra souvent portée, qui crée une véritable immersion et ce dès les premières secondes, puisque l’action démarre d’emblée. Le cinéaste est par ailleurs solidement épaulé par un montage électrique signé Gianfranco Amicucci et une photo grumeleuse de Carlo Carlini (Une langouste au petit déjeuner, Frissons d’horreur, Un papillon aux ailes ensanglantées, La Grande pagaille). Évidemment, certains remettront en question les agissements de Carlo, qui comme un Paul Kersey rital, décide de prendre la pétoire pour piéger ceux qui l’ont personnellement agressé. Mais les comparaisons s’arrêtent là, car en dehors de la toute dernière scène qui fait écho à celle d’Un justicier dans la ville, Carlo Antonelli n’a pas pour ambition de s’en prendre à tous les voyous de la ville. Même si le regard final peut laisser planer le doute quant aux futures actions du personnage, Carlo ne se concentre que sur ses cibles.
Triomphe public, cette oeuvre hallucinante d’Enzo G. Castellari, d’une violence rare, est conspuée par la critique qui le traite ouvertement de fasciste et d’irresponsable. Pourtant ce film coup de poing, terrifiant reflet de l’Italie d’alors, n’a rien perdu de sa férocité aujourd’hui. Rien ne nous est épargné, les saccages, les passages à tabac et l’affrontement final dans le hangar demeurent réellement impressionnants. Porté par l’élégance sauvage de Franco Nero, parfait dans le rôle du mec le plus anonyme possible, qui va néanmoins devoir passer outre la loi apathique pour que justice soit faite – lui-même soutenu par un festival de tronches inoubliables (Renzo Palmer, Nazzareno Zamperla, Massimo Vanni, Romano Puppo) et la musique des mythiques frangins De Angelis, Un citoyen se rebelle est un explosif polar mâtiné de western, mené à cent à l’heure, remarquable, oppressant, stupéfiant.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
La collection Polar s’agrandit encore et toujours chez Artus Films avec la sortie très attendue d’Un citoyen se rebelle d’Enzo G. Castellari. Un magnifique combo qui prend la forme d’un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné, arborant l’un des plus célèbres visuels du film. Le menu principal est fixe et musical.
Curd Ridel est visiblement très heureux de nous parler d’Un citoyen se rebelle, qu’il adore et dont il nous propose un très large tour d’horizon du casting (28’30). Le papa d’Angèle & René indique pour commencer qu’il ne s’agit pas d’un poliziottesco, mais d’un film de « self-defense à la Charles Bronson, avec Franco Nero dans le rôle, non pas d’un surhomme, mais dans celui d’un homme banal… », avant de raconter brièvement l’histoire. Puis, il passe en revue la distribution, évoque la carrière du réalisateur, la musique des frères De Angelis, tout en évitant de tomber dans la redite, puisque Curd Ridel était déjà intervenu dans les bonus de Big Racket et d’Exécutions, disponibles chez Artus films.
Place au grand Franco Nero de partager ses nombreux souvenirs liés au tournage d’Un citoyen se rebelle (28’30). En anglais dans le texte, le comédien se rappelle des conditions de prises de vue dans les rues de Gênes, où il avait déjà tourné Le Témoin à abattre avec Enzo G. Castellari (« un homme fantastique, toujours enthousiaste »), sur lequel il revient aussi longuement. Franco Nero aborde également les quelques similitudes avec Un justicier dans la ville (tourné en même temps), le cascadeur Rémy Julienne, ses partenaires à l’écran, son implication dans les scènes d’action, sa dextérité dans l’utilisation des armes (qu’il déteste) et bien d’autres sujets à ne surtout pas manquer.
L’intéractivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches du film, sans oublier la bande-annonce.
L’Image et le son
Artus Films nous gratifie d’un master 2K impressionnant, présenté dans son format original 1.85 (16/9, compatible 4/3). La propreté de la copie est indéniable, la restauration ne fait aucun doute (un poil en bord de cadre par ci, une petite poussière par là, quelques griffures et rayures verticales, mais rien de bien méchant), les contrastes sont beaux, le cadre fourmille de détails et le piqué demeure acéré. Le grain est présent, beau, organique, bien géré, l’ensemble stable (de sensibles fourmillements) surtout sur les séquences diurnes, les couleurs sont agréables pour les mirettes, souvent rutilantes. Le charme opère, les ambiances nocturnes sont chiadées et l’on redécouvre Un citoyen se rebelle avec ses partis pris esthétiques respectés.
Artus Films nous propose de découvrir la version intégrale d’Il Cittadino si ribella. En français comme en italien, le confort acoustique est largement assuré, ardent, propre et dynamique, sans aucun souffle. La musique des frères De Angelis est souvent pétaradante. Les sous-titres français ne sont pas imposés. Mention spéciale au doublage hexagonal qui convoque Francis Lax, Patrick Floersheim, Gérard Hernandez, Béatrice Delfe…que des experts en la matière.
Excellente et passionnante chronique, merci à vous.
Un détail, cependant, pas anecdotique, peut-être un peu plus important que ça, sans toutefois remettre en cause votre excellent travail… C’est juste sur le plan historique, une phrase m’a interpellé.
« Dans les années 1970, l’Italie fait face aux exigences politiques des Brigades rouges et connaît ce qui deviendra plus tard les tristement célèbres Anni di piombo, en français les « années de plomb ». »
On va pas refaire un match aussi inutile que stérile, et probablement assez indécent, mais j’imagine que vous êtes au courant que l’Italie de l’époque, ce sont surtout des attentats meurtriers commis par l’extrême droite, qui, loin de cibler quelques personnalités (banquiers, policiers…), fait sauter les gares et les places publiques: la piazza Fontana (16 morts, 88 blessés), la place de la Loggia (8 morts, 102 blessés), l’Italicus Express (12 morts, 48 blessés), San Benedetto Val di Sambro (12 morts, 44 blessés), la gare de Bologne (85 morts, 200 blessés). Entre autre…
Alors certes, les Brigades rouges sont une des formations les plus emblématiques des années de plomb, et celle que l’histoire semble avoir retenu… Mais sans exiger un cours d’histoire sur une chronique ciné, évidemment, il aurait été peut-être pertinent de ne pas résumer la période à cette organisation et brasser un peu plus vaste, y compris vers des groupuscules néofascistes comme ceux qui ont été responsables des attentats les plus meurtriers que l’Italie ait connus.
Cordialement,
Bonjour 🙂
Merci pour votre message, très complet et argumenté. Cela fait très plaisir.
Nous prenons note évidemment de vos observations. Nous n’avons évidemment pas la prétention d’être historiens, mais nous serons à l’avenir plus vigilants afin d’éviter certains raccourcis qui pourraient être mal perçus.
Merci encore pour toutes ces informations !
L’équipe de Homepopcorn.fr