Test Blu-ray / Traîné sur le bitume, réalisé par S. Craig Zahler

TRAÎNÉ SUR LE BITUME (Dragged Across Concrete) réalisé par S. Craig Zahler, disponible en DVD et Blu-ray le 3 août 2019 chez Metropolitan Vidéo

Acteurs : Mel Gibson, Vince Vaughn, Tory Kittles, Michael Jai White, Jennifer Carpenter, Laurie Holden, Fred Melamed, Thomas Kretschmann, Don Johnson, Udo Kier…

Scénario : S. Craig Zahler

Photographie : Benji Bakshi

Musique : Jeff Herriott, The O’Jays, S. Craig Zahler

Durée : 2h38

Date de sortie initiale : 2019

LE FILM

Deux policiers sont suspendus pour usage abusif de la force après une arrestation musclée. A court d’argent, ces deux représentants de l’ordre basculent de l’autre côté de la loi pour s’arroger une compensation. Ils prennent en filature de dangereux braqueurs de banque afin de s’emparer de leur futur butin.

Amateurs de polars, précipitez-vous sur Traîné sur le bitumeDragged Across Concrete, le troisième long métrage de réalisateur S. Craig Zahler. Après sa révélation avec Bone Tomahawk (Grand Prix au Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2016) et sa confirmation avec Section 99Brawl in Cell Block 99, le cinéaste signe un polar hors-norme, par sa durée (2h40), mais aussi et surtout par sa densité, sa mise en scène, son interprétation, son casting (Mel Gibson et Vince Vaughn, sublimes), sa photographie, sa violence, son rythme languissant, sa sécheresse, bref autant le dire immédiatement, Traîné sur le bitume est un putain de chef d’oeuvre anxiogène qui se place déjà en lice pour être le meilleur film de l’année 2019.

Le vieux briscard Brett Ridgeman et son partenaire plus jeune Anthony Lurasetti, deux flics désabusés, sont dénoncés pour leurs méthodes douteuses lorsqu’une vidéo est publiée par les médias. Les deux hommes sont donc suspendus. Sans ressource financière, ils décident de basculer dans la criminalité. Mais ils vont être rapidement dépassés par ce qui les attend.

Tourné à Vancouver avec un budget sept fois supérieur à Bone Tomahawk, soit quinze millions de dollars, Traîné sur le bitume est un film policier quasi-inclassable, qui renvoie autant aux bombes de Sam Peckinpah et de Don Siegel, qu’à la littérature de Richard Stark (Donald Westlake donc), Jim Thompson, James Ellroy et consorts. Né en Floride en 1973, S. Craig Zahler a fait ses classes en tant que chef opérateur, mais également dans la musique (il est batteur et auteur-compositeur dans un groupe de métal) et dans le monde du théâtre. Egalement écrivain, il a signé de nombreux romans dont certains ont été traduits en France dont Une assemblée de chacals, Les Spectres de la terre brisée et Exécutions à Victory. Le western est son genre de prédilection, d’ailleurs, Dragged Across Concrete est une parfaite relecture du genre avec les motivations des personnages, les règlements de comptes et les affrontements qui composent la trame. Auteur de plusieurs dizaines de scénarios (horreur, comédie, policier, western, science-fiction) achetés entre autres par la Warner, mais pas encore tournés ou entrés en production, S. Craig Zahler est un touche-à-tout, un virtuose, un immense artiste.

Malgré son calme apparent, Traîne sur le bitume sert les tripes (et les sort d’ailleurs au cours d’une séquence mémorable parmi tant d’autres) comme devant un film d’épouvante. Rappelons d’ailleurs que S. Craig Zahler est l’auteur du scénario d’Asylum Blackout (The Incident), réalisé en 2011 par le français Alexandre Courtès, présenté en avant-première au Festival de Gérardmer en 2012, responsable de l’évanouissement de plusieurs spectateurs lors de la présentation du film à Toronto.

On est tout d’abord interloqué par la durée du film (2h38). Puis, dès la première scène, quelque-chose accroche le spectateur pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin. Aucune musique, hormis diégétique, le rythme s’étire sans ennui, on pense alors à la même expérience hypnotique réalisée par David Lynch avec sa troisième saison de Twin Peaks. Ces partis pris, alliés à la photographie léchée du chef opérateur Benji Bakshi qui s’associe pour la troisième fois avec S. Craig Zahler, laissent aux personnages le temps de respirer, d’être, de sortir du cadre, tout ceci dans un désir de réalisme. Les planques des flics durent, s’éternisent, du milieu de la nuit au petit matin, quand enfin le sujet surveillé daigne montrer le bout de son nez en début d’après-midi.

A l’instar de son premier long métrage Bone Tomahawk, le cinéaste déroule son récit avec une langueur étrange, toujours maîtrisée. Tout est sur le point d’exploser, à n’importe quel moment. Reste à savoir quand et de ce point de vue S. Craig Zahler déjoue toujours les attentes des spectateurs en ponctuant l’histoire de moments de violence extrême en passant par la représentation du corps déchiqueté, percuté. Avec un sens indéniable du cadre et des dialogues (quelles répliques !), S. Craig Zahler instaure un climat presque éthéré, qui met mal à l’aise sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Dragged Across Concrete joue avec les genres, le polar noir classique bien sûr, mais qui serait «  parasité  » par le drame social, quelques touches d’horreur et d’humour, le tout avec un charme rétro-vintage dans le choix d’une musique funk-soul, jusque dans le générique de fin.

Et avec tout cela, comme faire l’impasse sur l’interprétation, en particulier Mel Gibson et Vince Vaughn qui tiennent le haut de l’affiche. Si le second retrouve S. Craig Zahler après Cellule 99, le premier retrouve enfin sa splendeur d’antan. Si Blood Father de Jean-François Richet et Kill the Gringo d’Adrian Grunberg étaient de savoureuses séries B, le comédien est ici extraordinaire de charisme animal, de sobriété, incarnant désormais le type avoisinant les 65 ans, qui dissimule son envie de hurler sous un masque fatigué, ridé, usé. Comme dans ses deux autres longs métrages, le réalisateur dresse le portrait de personnages capables du pire comme du meilleur, traînant avec eux un lourd passif, des fautes, des péchés, mais qui conservent l’espoir, même infime, de s’en sortir, d’obtenir le pardon, même s’il faut pour cela forcer la chose et prendre les devants, comme c’est ici le cas pour Ridgeman, qui entraîne son partenaire Lurasetti dans son projet. Vince Vaughn, qui a toujours partagé sa carrière entre comédies loufoques (Dodgeball ! Même pas mal !, Serial noceurs, La Rupture) et drames psychologiques (Psycho de Gus Van Sant dans lequel il reprenait le rôle de Norman Bates, la deuxième saison de True Detective), donne ici la pleine mesure de ton talent dans le rôle de Lurasetti. Le personnage se dévoile par strates, lorsqu’il prend une arme, lorsqu’il lit sur les lèvres d’un suspect, des petits détails distillés au compte-gouttes par le cinéaste et qui font la richesse de ses protagonistes. Cela sans oublier la vie privée de Ridgeman et de Lurasetti, ainsi que leur environnement professionnel, qui permettent aux personnages satellites incarnés par Don Johnson, Laurie Holden et Udo Kier l’occasion de briller à chaque apparition, tout comme Tory Kittles (vu dans la première saison de True Detective) et surtout Jennifer Carpenter, dans une sorte d’aparté aussi mémorable que glaçant. On en tremble encore.

Comme pour Bone Tomahawk et Cellule 99, Dragged Across Concrete n’a connu aucune exploitation dans les salles françaises et a débarqué chez nous directement dans les bacs en DVD et Blu-ray. La découverte de ce chef d’oeuvre, récompensé au Festival Internationel du film policier de Beaune par le prix Sang Neuf, est donc indispensable. Vous n’en ressortirez pas indemne !

LE BLU-RAY

Traîné sur le bitume arrive dans l’escarcelle de Metropolitan vidéo. Le visuel de la jaquette, glissée dans un boîtier classique de couleur noire, reprend celui d’une des affiches américaines. Mention spéciale au menu principal, animé et musical, qui plonge immédiatement dans l’atmosphère du film.

Nous trouvons tout d’abord un making of divisé en trois parties (17’30, 8’, 15’) contenant énormément de spoilers et d’images de tournage, mais aussi et surtout les propos de toute l’équipe. Le réalisateur S. Craig Zahler, les comédiens, les producteurs, le directeur de la photographie Benji Bakshi, le monteur Greg D’Auria et le compositeur Jeff Herriott interviennent à tour de rôle et reviennent sur la genèse, les conditions de prises de vue, les thèmes, le traitement des personnages, les partis pris et les intentions de Traîné sur le bitume. On en apprend également pas mal sur le processus créatif du scénariste-cinéaste, qui rédige ses histoires comme un roman.

Un dernier module se focalise plus sur la place de S. Craig Zahler dans l’industrie du cinéma, son rapport aux spectateurs et sur ses thèmes de prédilection (7’).

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces et des liens internet.

L’Image et le son

Le master HD dépasse toutes les attentes et restitue merveilleusement les partis pris esthétiques stylisés du chef opérateur Benji Bakshi, de jour, aux couleurs tranchées et à la luminosité poussée, comme de nuit avec des éclairages tamisés. Le piqué demeure constamment vif et acéré, les contrastes d’une rare densité (les noirs sont sublimes), la compression solide comme un roc et la définition subjugue à chaque plan. Un magnifique cadre large, exploité à merveille par le cinéaste et son directeur de la photographie.

Si la piste française DTS-HD Master Audio 5.1 se révèle plus rentre-dedans que son homologue anglaise, les deux versions font quasiment match nul en ce qui concerne la délivrance des ambiances sur les enceintes latérales, la restitution des dialogues et la balance frontale dynamique. La spatialisation reste solide tout du long et le caisson de basses est utilisé à bon escient. Sans surprise, la version originale l’emporte de peu sur l’homogénéité et la fluidité acoustique, notamment sur les scènes violentes, les règlements de comptes et les exécutions.

Crédits images : © Metropolitan FilmExport / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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