SONNY BOY réalisé par Robert Martin Carroll, disponible en Blu-ray le 23 mars 2022 chez Extralucid Films.
Acteurs : David Carradine, Paul L. Smith, Brad Dourif, Conrad Janis, Sydney Lassick, Savina Gersak, Alexandra Powers, Michael Boston…
Scénario : Graeme Whifler
Photographie : Roberto D’Ettorre Piazzoli
Musique : Carlo Maria Cordio
Durée : 1h43
Année de sortie : 1989
LE FILM
Weasel, l’homme de main de Slue, kidnappe par inadvertance un nourrisson qu’il remet à son boss. Rebaptisé Sonny Boy, l’enfant est éduqué dans la haine et subit des sévices physiques et psychologiques visant à en faire un parfait psychopathe. Un jour, sa cage reste ouverte…
Qui aurait pu penser que celui qui campait Kwai Chang Caine dans la série Kung Fu incarnerait un jour une femme, ou plutôt un travesti très maniéré, torse velu offert au vent balayant les plaines du Nouveau Mexique, la taille serrée dans une robe ajustée, les talons hauts s’enfonçant dans la terre sableuse ? Il s’agit de Sonny Boy, réalisé par un certain Robert Martin Carroll, qui signait ici son premier long-métrage en 1989. Qui est ce metteur en scène ? On ne sait pas trop, ou plutôt on ne sait rien. En l’état, Sonny Boy est un OFNI qui repose sur un scénario écrit par Graeme Whifler, auteur d’un Dr. Rictus en 1992 et du film d’horreur Neighborhood Watch en 2005. Ces deux natures indépendantes et pour le moins underground s’associent donc pour une œuvre singulière, qui parvient à rendre la fange poétique, la saloperie « attachante », le glauque en histoire d’amour « contrariée ». Évidemment, les actes du père de famille, magistralement interprété par l’impressionnant Paul L. Smith, sont ignobles, impardonnables, condamnables, pourtant les personnages ne sont jamais montrés du doigt ou jugés. Ces portraits dressés de dégénérés, qui ont appris à faire avec les moyens du bord et qui ont su instaurer un système d’échanges de bons procédés pour faire fonctionner la communauté, ne sont pas réalistes. Il est plus aisé pour les spectateurs de s’y intéresser, même si le film n’est pas exempt de défauts de rythme. Sonny Boy est une expérience cinématographique à part entière, dont il demeure moult images après la projection et à laquelle on repense encore bien longtemps après.
Une immonde pourriture et sa femme travestie recueillent un nourrisson dans une voiture volée. Après qu’on lui ait coupé la langue pour son sixième anniversaire, Sonny Boy va être élevé à la dure, éloigné du monde extérieur, pour être transformé en un tueur bestial. Mais arrivé à l’âge adulte, il s’échappe et tente d’entrer en contact avec le monde extérieur…
Sonny Boy est comme qui dirait un comic book live, impression renforcée par la sublime photographie chatoyante du film, que l’on doit à Roberto D’Ettorre Piazzoli, chef opérateur des légendaires Starcrash, le choc des étoiles (1978) de Luigi Cozzi et Piranha II : les tueurs volants – Piranha II: The Spawning (1981) de James Cameron. Non, nous ne parlerons pas de Lambada… le film produit par la Cannon. Les partis-pris sont oppressants, lourds, étouffants et participent à l’atmosphère trouble et inquiétante du film, une ambiance qui contraste avec la partition assez virtuose (on assume) de Carlo Maria Cordio (Troll 2 de Claudio Fragasso, Horrible – Rosso sangue et Le Gladiateur du futur – Endgame de Joe d’Amato), douce, délicate, qui par son contrepoint appuie le malaise, à l’instar des séquences revenant sur l’enfance de Sonny Boy, marquée par la violence et des sévices corporels, tandis que Pearl sourit et compatit avec son fils adoptif, sans toutefois intervenir. A plus de cinquante ans, David Carradine multipliait les apparitions dans les productions les plus hasardeuses, se retrouvant parfois dans un bon film, Comme un oiseau sur la branche – Bird on a Wire de John Badham à la même époque, ou comme c’est le cas dans Sonny Boy. Pareillement à Nicolas Cage, le comédien s’est souvent donné à fond dans ce qu’il entreprenait, ce qu’il fait ici dans chaque séquence, se montrant « maternelle » et attentionnée quand il/elle coupe les cheveux de son rejeton, quand il/elle lui donne le sein ou le protège de son corps devant la foule en liesse venue lyncher sa famille.
De son côté, Paul L. Smith (Kalidor – Red Sonja de Richard Fleischer, Mort sur le gril – Crimewave de Sam Raimi, Midnight Express d’Alan Parker), 1m93 de haut, les épaules larges comme un tracteur John Deere, a peu à faire pour s’imposer et pour foutre les jetons, surtout que Slue est armé d’un obusier, toujours prêt à faire feu en cas de petit litige avec un énergumène qui aurait l’outrecuidance de venir perturber ses petites affaires. L’explosif Brad Dourif (Les Yeux de Laura Mars, Jeu d’enfant, Mississippi Burning) se mêle allègrement à la partie, en créant un personnage tout aussi frappadingue et inoubliable. Dans le rôle-titre et dans sa première apparition au cinéma, le jeune Michael Boston, que l’on reverra dans Little Boy Blue d’Antonio Tibaldi, aux côtés de Ryan Phillippe, Nastassja Kinski et John Savage, s’en tire pas trop mal dans le côté ange blond aux yeux bleus que la crasse, le sang et la cruauté ne peuvent contaminer ou corrompre.
Robert Martin Carroll et Graeme Whifler insufflent une poésie, par touches, à l’instar de Slue, peintre amateur, qui signe des œuvres dignes de Dali, ou bien en filmant ses rednecks surréalistes s’épanouir sous des ciels lourds et de feu, maîtres de leur environnement, primitifs certes quand quelqu’un vient se taper l’incruste dans leur petite vie bien rangée, mais finalement animés par un amour qu’ils ont du mal à « exprimer » ou tout du moins à gérer, à assumer. Série B totalement inclassable, une fable baroque, un conte bizarroïde, un western arriéré, une comédie noire, un drame brutal, Sonny Boy a su trouver son public avec les années qui passent et sa sortie en Blu-ray chez Extralucid Films devrait largement contribuer à agrandir son cercle d’aficionados.
LE BLU-RAY
Extra Culte n°10 ! Sonny Boy intègre l’anthologie de nos amis d’Extralucid Films, par la grande porte, l’éditeur livrant à cette occasion l’un de ses plus beaux objets, qui prend la forme d’un magnifique Slim Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au splendide visuel signé Will Argunas. Le menu principal est animé et musical.
Au rayon des suppléments en vidéo, nous trouvons une présentation du film par Maxime Lachaud (22’30). L’auteur du livre Redneck movies : Ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain (Rouge Profond, 2014), essayiste et journaliste français, répond à toutes les questions que l’on peut se poser sur Sonny Boy, « d’où sort ce film sorti soit trop tôt, soit trop tard, peut-être trop tard ? » annonce-t-il d’emblée. L’invité d’Extralucid Films est visiblement enjoué à l’idée de parler du premier long-métrage de Robert Martin Carroll, nourri de références au cinéma d’exploitation des années 1960-70 (on y évoque 2000 Maniaques de Herschell Gordon Lewis, Lorna de Russ Meyer, Délivrance de John Boorman, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, La Colline a des yeux de Wes Craven, Une fille nommée Lolly Madonna de Richard C. Sarafian) et pour lequel il dissèque les thèmes, ainsi que les enjeux et le casting.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Quelques pétouilles subsistent, des griffures, des points noirs et blancs, de minuscules tâches, divers plans flous, la dernière bobine étant sans doute la plus abîmée du lot, mais soyons honnêtes, cette copie s’en sort avec tous les honneurs et bien plus. La stabilité est de mise, ainsi que la texture argentique, par ailleurs excellemment gérée. Le cadre large expose les mirettes avec des couleurs ambrées, des éclairages luminescents, les détails sont abondants, le piqué acéré. Blu-ray au format 1080p.
La bande-son a également été restaurée. En anglais comme en français (incomplète, le film ayant été coupé et étant présenté ici dans son intégralité), le confort acoustique est largement assuré par les deux pistes DTS-HD Master Audio 2.0, laissant une belle place à la superbe partition de Carlo Maria Cordio qui nous emporte dès les premières notes.