SI J’ÉTAIS UN ESPION réalisé par Bertrand Blier, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD le 20 juillet 2022 chez Pathé.
Acteurs : Bernard Blier, Bruno Cremer, Patricia Scott, Claude Piéplu, Pierre Le Rumeur, Jacques Sempey, Francis Lax, Jacques Rispal, Suzanne Flon…
Scénario : Jacques Cousseau, Jean-Pierre Simonot, Philippe Adrien & Bertrand Blier
Photographie : Jean-Louis Picavet
Musique : Serge Gainsbourg
Durée : 1h34
Année de sortie : 1967
LE FILM
Un docteur s’attire des problèmes à cause de l’un de ses patients. En effet, cet homme dépressif semble recherché par une bande de mafieux. Ceux-ci menacent alors le médecin de s’en prendre à sa fille s’il ne les aide pas… Il va alors tout faire pour sortir de cette situation très dangereuse pour lui et sa famille.
Bertrand Blier Begins ! Il y a eu un avant et un après Les Valseuses, c’est évident. Où en était la carrière du réalisateur avant cette année 1974 centrale ? Né en 1939, le fils de Bernard Blier passe derrière la caméra à l’âge de 24 ans pour un formidable documentaire intitulé Hitler, connais pas, une enquête sur la jeunesse de l’époque, qui passe complètement inaperçu avec seulement 40.000 entrées. Parallèlement, il poursuit sa fonction d’assistant-réalisateur auprès de Georges Lautner (Arrêtez les tambours, En plein cirage, Le Monocle noir, Le Septième juré), dans lesquels joue son père. En 1966, il signe son unique court-métrage, La Grimace, avec Jacques Perrin et Bernard Haller. L’année d’après, Bertrand Blier livre son premier long-métrage de fiction, Si j’étais un espion (sous-titré « Breakdown »), un film d’espionnage qu’il coécrit avec Jacques Cousseau, Jean-Pierre Simonot et Philippe Adrien (Cocktail Molotov de Diane Kurys), d’après une histoire d’Antoine Tudal (Cybèle ou les dimanches de Ville d’Avray). Rétrospectivement, Si j’étais un espion détonne dans la filmographie conséquente de son auteur, car peu d’humour, le ton y est premier degré et il s’agit au passage de son seul opus en N&B (très belle photo de Jean-Louis Picavet, Mille milliards de dollars, I…comme Icare, La Mort de Belle). Bertrand Blier y dirige son père Bernard, qu’il retrouvera pour Calmos (1976) et Buffet froid (1979), et bien sûr le comédien y est cette fois encore prodigieux. En l’état, même s’il n’annonce pas véritablement le « style » Blier à venir, Si j’étais un espion demeure forcément une grande curiosité, que les cinéphiles ne manqueront sûrement pas.
Le docteur Lefèvre, veuf qui mène une vie tranquille avec sa fille, compte parmi ses patients un dépressif dénommé Guérin. Il est recherché par sa maîtresse, Geneviève Laurent, et par des inconnus qui surveillent le docteur, le cambriolent, le menacent. Le docteur vit dans l’angoisse ; il est harcelé par un dénommé Kruger, le chef de la bande, qui le menace de représailles sur sa fille Sylvie.
Même si j’étais un espion, vous seriez les plus forts !
C’est l’histoire d’un petit médecin ordinaire, embringué dans une intrigue qui le dépasse, la traque de l’un de ses patients disparus, un certain monsieur Guérin, apparemment dépressif et hypocondriaque, qui semble changer souvent d’adresse et de nom. Tout irait pour le mieux si ce dernier n’était pas recherché par une inquiétante organisation, qui espère tirer des informations de Lefèvre par tous les moyens. Veuf depuis dix ans, Jean Lefèvre (il s’agit bien de son nom complet) a une fille, Sylvie, incarnée par la magnifique Patricia Scott, vue précédemment dans La Métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Deferre, étoile filante du cinéma, ici dans sa dernière apparition sur le grand écran. Sylvie devient un moyen de pression. La jeune femme est ainsi observée par des individus anonymes et cachés dans la foule, ses déplacements décrits au téléphone à Lefèvre, qui s’inquiète évidemment pour sa progéniture. Là-dessus déboule Matras, un homme de main bâti comme une armoire à glace, interprété par l’immense Bruno Cremer, la même année que L’Étranger – Lo Straniero de Luchino Visconti et Un homme de trop de Costa-Gavras. Alors, une étrange relation va s’instaurer entre Lefèvre et Matras, deux hommes diamétralement opposés (le sont-ils vraiment d’ailleurs ?), réunis par le destin.
Bertrand Blier s’adonne au film de genre pur et dur, alors que Sean Connery faisait ses premiers adieux à 007 dans On ne vit que deux fois – You Only Live Twice de Lewis Gilbert, que l’EuroSpy fleurissait un peu partout, surtout de l’autre côté des Alpes et que les agents ne pouvaient plus rien faire sans des gadgets toujours plus abracadabrants. Dans Si j’étais un espion, le cinéaste suit plutôt les traces réalistes (sur fond de guerre froide, pas d’action, une atmosphère trouble) d’un John le Carré, dont les romans L’Espion qui venait du froid et L’Appel du mort venaient d’être transposés au cinéma, le premier par Martin Ritt, le second par Sidney Lumet. On ne peut pas dire que Bertrand Blier se soit facilité la tâche, car Si j’étais un espion demeure singulier à plus d’un titre, par son montage insolite, souvent constitué d’inserts sur les rues de Paris, sur des passants, sur des visages sans doute volés en caméra cachée, histoire de renforcer cette impression de surveillance généralisée et invisible, une sensation de paranoïa constante qui appuie un récit kafkaïen dans lequel se trouve plongé Lefèvre, le tout souligné par la géniale et oppressante partition de Serge Gainsbourg.
Si nous n’aurons pas les réponses à toutes les questions, Si j’étais un espion reste un savoureux coup d’essai, malheureusement boudé à sa sortie avec 77.000 spectateurs, battu à plate coutures par Du mou dans la gâchette de Louis Gropierre avec en tête d’affiche…Bernard Blier. Après cet échec cinglant, Bertrand Blier rejoindra Georges Lautner, pour lequel il écrira le légendaire Laisse aller, c’est une valse… tout en se penchant sur le scénario de ce qui deviendra Les Valseuses…
LE BLU-RAY
On peut dire qu’on l’a attendu celui-là ! Si j’étais un espion était jusqu’alors le seul et dernier film de Bertrand Blier à n’avoir jamais été édité en DVD et encore moins en Blu-ray. C’est désormais chose faite grâce à Pathé. Édition Collector Blu-ray + DVD limitée à 3000 exemplaires. Le menu principal est animé et musical.
Premièrement, visionnez l’interview des Blier père et fils, réalisée le jour de la sortie du film le 30 août 1967 (4’). Bernard Blier s’exprime sur le talent de son fils et déclare avoir été « troublé pendant l’élaboration du film, mais pas pendant le tournage », tandis que Bertrand Blier parle de sa collaboration avec son père, de ses intentions (« le désir de raconter une histoire d’espionnage réaliste, une tentative de démystification du genre, avec un scénario sans doute imprégné de l’affaire Ben Barka qui s’est déroulée durant l’écriture »). Bernard Blier clôt cet entretien en disant qu’il considère Bertrand « comme un auteur, qui pense avant tout à l’histoire ».
On est moins emballé par l’interview récente de Bertrand Blier par Vincent Roussel (auteur de Bertrand Blier, cruelle beauté). Pendant une petite demi-heure, les deux hommes conversent, sans véritablement étayer les propos avancés. On sent Vincent Roussel impressionné par le bonhomme, qui rebondit guère sur les arguments de ce dernier et se contente la plupart du temps de sourire à l’humour toujours aussi pince-sans-rire du cinéaste. Certes, Bertrand Blier n’est pas l’artiste le plus simple avec lequel discuter, mais l’ensemble reste souvent en surface. On en apprendra tout de même sur les conditions de tournage, sur les intentions du réalisateur, les partis pris, sur ses diverses collaborations avec Georges Lautner, le casting, la musique de Serge Gainsbourg…
L’Image et le son
Version restaurée 4K en 2021 à partir des négatifs originaux au laboratoire L’Image Retrouvée (Paris-Bologne). Pour son apparition dans les bacs, Si j’étais un espion s’offre une remarquable cure de jouvence. Les contrastes affichent d’emblée une superbe densité, les noirs sont profonds, la palette de gris riche et les blancs lumineux. Même le générique affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. Les séquences diurnes sont lumineuses et le relief des matières palpable. Un master très élégant pour une totale découverte.
Egalement restaurée, la piste DTS-HD Master Audio Mono instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants et une très belle restitution du thème musical de Serge Gainsbourg, orchestrée par Michel Colombier. Aucun souffle, ni aucune saturation ne sont à déplorer. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiovision.