Test Blu-ray / Seul dans la nuit, réalisé par Christian Stengel

SEUL DANS LA NUIT réalisé par Christian Stengel, disponible en Combo Blu-ray + DVD Edition limitée le 23 novembre 2022 chez Pathé.

Acteurs : Bernard Blier, Sophie Desmarets, Jacques Pills, Jean Davy, Marcel André, Nathalie Nattier, Ginette Baudin, Annette Poivre, Ariane Murator, Robert Le Fort…

Scénario : Jacqueline Boisyvon, Yves Boisyvon & Marc-Gilbert Sauvajon

Photographie : Christian Matras

Musique : Louiguy & Francis Lopez

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1945

LE FILM

Une série de crimes affecte l’entourage d’un chanteur célèbre. Chaque fois que l’un d’eux est perpétré, la voix de l’artiste se fait entendre fredonnant sa chanson favorite. Les soupçons déterminent une poursuite dans un Paris nocturne qui aboutit à un théâtre désaffecté où l’assassin a attiré sa dernière victime.

Bernard Blier, à peine 30 ans, mince (depuis son retour d’un Stalag où il fut emprisonné en Autriche) dans la gabardine de l’inspecteur Robert Pascal ! C’est dans Seul dans la nuit, sorti sur les écrans français en novembre 1945 et réalisé par Christian Stengel (1902-1986). Si le nom de ce dernier demeure méconnu des cinéphiles, celui-ci obtiendra un beau succès avec Je chante en 1938, avec Charles Trenet en vedette, et La Famille Duraton, interprété par Jules Berry et Noël-Noël. Seul dans la nuit est un polar, forcément influencé par le film noir américain, qui en était alors à ses débuts, mais qui en cinq ans avaient vu se succéder Le Faucon maltais The Maltese Falcon de John Huston, Tueur à gages This Gun for Hire de Frank Tuttle, La Clé de verre The Glass Key de Stuart Heisler, même si la plupart débarqueront dans les salles françaises après la guerre. Cependant, le film policier hexagonal n’est pas en reste avec Les Inconnus dans la maison d’Henri Decoin, sans oublier L’Assassin habite au 21 et Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot. Tandis qu’il remonte progressivement sur les planches avec des pièces de Marcel Achard, de Georges Feydeau et même d’Anton Tchekhov, Bernard Blier réapparaît amaigri et le crane de plus en plus dégarni sur les écrans, un physique qui lui permet d’aborder de nouveaux registres devant la caméra de Christian-Jaque (L’Enfer des anges, L’Assassinat du père Noël, La Symphonie fantastique, Carmen), mais aussi celle de Marcel L’Herbier (La Nuit fantastique), Claude Autant-Lara (Le Mariage de Chiffon) et Marc Allégret (Les Petites du quai aux fleurs). Il est impeccable dans Seul dans la nuit, jeune flic idéaliste qui se voit confier sa première mission et qui va vite déchanter devant les agissements impitoyables d’un tueur qui s’en prend à des jeunes femmes. Le comédien apporte une vraie chaleur humaine à son personnage, ainsi qu’une savoureuse pointe de cynisme et un humour noir plaisant. On suit donc cette enquête « rétro », qui outre la qualité de sa distribution comporte encore quelques éléments qui n’ont pas trop souffert des années passées et qui font toujours leur petit effet. Une belle découverte.

A Paris, un mystérieux criminel décime l’entourage d’un célèbre chanteur. Détail notable, un peu trop remarquable peut-être : après chaque meurtre, on peut entendre la voix de l’artiste, fredonnant son air favori. L’indice est de taille, mais comment faut-il l’interpréter ? Le policier chargé des investigations pense que le chanteur est coupable. Mais il constate qu’il fait fausse route et finit par se désespérer. De plus, Thérèse, la fiancée du policier, se retrouve bientôt mêlée à cette affaire. L’enquête se conclut par une poursuite nocturne dans les rues de Paris. Les policiers arrivent alors dans un vieux théâtre désaffecté, où l’assassin a attiré sa dernière victime…

Si nous n’avons souvent d’yeux que pour Bernard Blier, monstre sacré que l’on a rarement vu aussi jeune et svelte, celui-ci s’avère excellemment accompagné, en particulier de la belle Sophie Desmarets, remarquée par Louis Jouvet, qui lui conseille alors de tenter sa chance au théâtre, ce qu’elle fera rapidement après en devenant l’élève du maître en personne, avant d’être reçue au concours d’entrée du Conservatoire et d’intégrer également le Cours Simon. Quand elle tourne Seul dans la nuit, l’actrice n’a que peu d’expérience au cinéma, en dehors de deux longs-métrages d’Henri Decoin (Battement de coeur et Premier Rendez-vous). Avec son charme dévastateur, sa gouaille et la modernité de son jeu, elle explose littéralement ici dans le rôle de Thérèse, la fille du commissaire Planquine (génial Marcel André), dont Robert est secrètement amoureux. Étant très timide et impressionné par la jolie blonde, ce dernier vole de temps en temps des photographies de Thérèse pour mieux la contempler dans son modeste appartement.

L’enquête qu’il se voit confier fera de lui un homme, le lançant sur le terrain où il n’hésitera pas à se confronter à certains énergumènes qui errent la nuit dans les rues de la capitale, à l’instar de ce M. Tolu auquel Louis Salou (La Chartreuse de Parme, Sylvie et le fantôme) apporte autant d’originalité que d’ambiguïté du début à la fin. Si la présence du chanteur Jacques Pills (Sartory) tend à agacer quelque peu, surtout quand il entonne au moins trois titres au fil du récit, ce qui tend à ralentir l’action, on notera l’apparition des formidables Jacques Morel et Jacques Dynam, qui faisaient aussi leurs débuts à l’écran, ainsi que le puissant Jean Davy (Châteauvallon, Premier de cordée, Lacenaire), qui interprète Alain, le secrétaire de Sartory, la voix grave, le visage défiguré par une brûlure, qui l’oblige à travailler dans l’ombre de la vedette…Ou comment côtoyer au quotidien celui devant lesquelles les demoiselles (et même les dames d’un âge certain) tombent en pâmoison et s’extasient comme devant un ancêtre de Frank Michael.

La mise en scène de Christian Stengel ne manque pas d’inventivité, tout comme le scénario original, qui place son histoire dans le monde de la variété, mais aussi dans celui de la télévision, dont nous pouvons découvrir les arcanes de l’enregistrement (en direct) d’une émission, avec les moyens techniques de l’époque. Un document rare et donc une vraie plus-value pour Seul dans la nuit, joliment photographié par Christian Matras (Cartouche, Lola Montès, Les Espions, Fanfan la Tulipe), qui parvient à conserver suffisamment longtemps le mystère sur l’identité de l’assassin, même si certains pourront très vite avoir quelques soupçons sur celui-ci.

LE BLU-RAY

La collection Pathé Présente s’étoffe encore et toujours, avec cette fois la sortie en DVD et Blu-ray de Seul dans la nuit de Christian Stengel. Le menu principal est animé et musical.

Comme supplément, Roland-Jean Charna est allé à la rencontre de Thibault Le Hégarat (docteur en histoire contemporaine, auteur d’une thèse en histoire culturelle portant sur la représentation du patrimoine culturel matériel dans les programmes de la télévision française), Jean-Philippe Guérand (journaliste de cinéma) et Didier Griselain (spécialiste du cinéma français 1930-1960). Durant 45 minutes, les trois intervenants s’expriment sur la longue, prolifique et éclectique carrière de Bernard Blier (ainsi que sur sa vie), que Jean-Philippe Guérand avait d’ailleurs rencontré durant les années 1980 et avec lequel il s’était entretenu, à l’occasion d’une interview rétrospective. On en apprend également sur le réalisateur Christian Stengel, ancien directeur de production passé à la mise en scène (il signera près d’une quinzaine de longs-métrages), avant que les trois interviewés en viennent plus précisément au film qui nous intéresse aujourd’hui, Seul dans la nuit. L’écriture, le casting, le phénomène de la télévision dans les années 1940 en France, la sortie et le succès du film sont abordés.

L’Image et le son

Seul dans la nuit a été restauré en 4K par le laboratoire L’Immagine Ritrovata (Paris-Bologne) en 2021, à partir du négatif image nitrate, constitué de segments contretypes et de deux copies nitrates d’exploitation. Ce master HD trouve rapidement son équilibre avec des noirs denses, une texture argentique élégante, plus appuyée sur les gros plans. Les contrastes profitent de cette promotion Haute-Définition, les détails sont très appréciables, la propreté ne déçoit pas, tout comme le piqué et au final ce Blu-ray permet (re)découvrir le film de Christian Stengel dans les meilleures conditions techniques.

Aucun souci acoustique constaté sur ce mixage DTS-HD Master Audio Mono Mono 2.0. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets. Si quelques saturations demeurent inévitables, la musique est joliment délivrée et aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Pathé / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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