RETOUR À LA BIEN-AIMÉE réalisé par Jean-François Adam, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 24 août 2021 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Bruno Ganz, Christian Rist, Jean-François Adam, Aline Bertrand, Rodolphe Schacher, Axelle Bernard…
Scénario : Jean-François Adam, Jean-Claude Carrière, Benoît Jacquot & Georges Perec
Photographie : Pierre Lhomme
Musique : Antoine Duhamel
Durée : 1h38
Date de sortie initiale: 1979
LE FILM
Obscur pianiste, Julien vit de plus en plus mal la séparation avec sa femme Jeanne et son fils, d’autant plus que ceux-ci forment désormais une famille auprès du docteur Kern et qu’ils vivent tous dans son ancienne maison. Impatient de reconquérir celle qu’il a perdu, aidé d’un complice qu’il sacrifie, Julien orchestre un complot machiavélique dans le but de faire accuser son rival de meurtre…
Jean-François Adam a comme qui dirait été un feu follet dans le cinéma français. Né en 1938, Jean François Albert Hermant Abraham-Adam de son vrai nom aura été assistant réalisateur de Robert Enrico (Au coeur de la vie, La Belle vie) et de Jean-Pierre Melville (Le Deuxième Souffle, L’Armée des ombres), régisseur et décorateur sur Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, ainsi que comédien chez François Truffaut (Antoine et Colette, Baisers volés) et chez Maurice Pialat (Passe ton bac d’abord). Parallèlement, il écrit et réalise trois longs-métrages, M comme Mathieu (1970), Le Jeu du solitaire (1975) et Retour à la bien-aimée (1979). Redoutablement dépressif, il se donnera la mort le 15 octobre 1980 à l’âge de 42 ans. Son troisième et dernier film rend compte du caractère à la fois romantique et furieusement mélancolique de son auteur. Si quatre auteurs sont crédités au scénario, dont Jean-Claude Carrière, Benoît Jacquot et Georges Perec, Retour à la bien-aimée demeure emblématique de la sensibilité et de l’univers de Jean-François Adam, où derrière une apparence froide, voire clinique, qui pourra rebuter plus d’un spectateur, s’affrontent des êtres poussés par leurs sentiments amoureux exacerbés. Réservée à un public averti et non allergique au cinéma d’auteur français , cette œuvre personnelle s’avère difficile d’accès et permet surtout d’admirer le jeu intense, ainsi que le charisme magnétique de Jacques Dutronc, qui se permet de voler la vedette à Isabelle Huppert, diaphane, quasi-fantomatique et donc parfaite pour incarner la femme qui s’est évaporée de la vie du personnage principal. Une expérience à part entière.
Ancien concertiste n’ayant pas réussi, Julien (Jacques Dutronc) est devenu un obscur pianiste, vivant en outre, séparé de sa femme Jeanne (Isabelle Huppert) et de son fils Thomas. Celle-ci a refait sa vie avec le docteur Stéphane Kern (Bruno Ganz) et tous trois habitent dans l’ancienne maison de Julien, « Les Hespérides » qu’il a voulu laisser à son fils. Julien, acceptant mal cette situation, recourt aux services d’un certain Keller auquel il demande des photographies où il doit nécessairement apparaître avec le couple Jeanne-Stéphane. Puis, l’ayant convoqué une nuit dans la propriété, Julien tue Keller, « cambriole » la maison et laisse volontairement l’une des photographies prises par son ancien associé. C’est Thomas qui découvrira le cadavre de Keller. La police, elle, découvre la photographie qui est là pour confondre le médecin, lequel niant évidemment ne pas connaître la victime. Quant à Julien, invité par Jeanne à s’occuper de Thomas très choqué par sa découverte, il s’incruste dans la maison et cherche à reconquérir son épouse d’hier.
« Après, c’est toujours trop tard… »
Dans M comme Mathieu, Jean-François Adam évoquait un homme, marié et futur père, qui tentait de retrouvait un amour de jeunesse. Dans son deuxième long-métrage, le réalisateur traitait du suicide d’un adolescent. Retour à la bien-aimée apparaît non seulement comme un film somme, mais aussi comme un testament, tant il est évident que son auteur y ait mis toutes ses tripes, son coeur et son âme. Derrière son vernis ultra-glacé, Jean-François Adam traite de l’amour qui rend fou, surtout une fois qu’on l’a perdu. Dans cet ultime opus, le visage impassible et presque cireux de Jacques Dutronc laisse passer le traumatisme de Julien, qui ne s’est jamais remis de sa séparation. Sa stabilité mentale s’écroule bel et bien quand il comprend que Jeanne ne reviendra pas et qu’elle a en plus atteint un nouvel équilibre en s’installant avec un autre homme. Durant les vingt premières minutes, le réalisateur emprunte les codes du genre thriller, sans quasiment aucun dialogue, et dévoile le plan, puis le meurtre et sa finalité élaborés par Julien. Tout ce qu’il vient d’échafauder, de mettre en place et de commettre n’a qu’un seul but, se retrouver quelques jours ou même quelques heures auprès de celle qui a partagé sa vie et qui ne lui appartient plus. Mais qui dit assassinat dit enquête et un inspecteur rôde dans le coin, rôle que s’est octroyé Jean-François Adam, pour la première et la dernière fois présent au générique d’un de ses films. Comme si seul le metteur en scène pouvait mettre à jour et disséquer les rouages de cette machination diabolique mise au point par Julien.
Retour à la bien-aimée aborde le passé terminé, daté, irrévocable, là où Julien ne cesse d’imaginer un nouveau futur possible entre lui, son ex-épouse et leur fils. Un véritable opéra se déroule devant nos yeux, la caméra restant tout d’abord à distance des protagonistes, puis glisse sur de longs travellings, se rapproche des comédiens quand ils renouent, se percutent, se repoussent et s’observent sans doute pour la dernière fois, jusqu’au final lyrique, le tout merveilleusement photographié par le grand Pierre Lhomme et bercé par la musique mixant à la fois la sublime composition d’Antoine Duhamel et les notes de Franz Schubert.
Foncièrement déroutant, Retour à la bien-aimée ne laisse pas indifférent. Si certains risquent de rester sur le bas-côté en raison de son austérité, les cinéphiles qui embarqueront dans cette croisière mouvementée seront sans aucun doute touchés par la détresse du personnage troublant incarné par un Jacques Dutronc jouant comme sous hypnose.
LE BLU-RAY
En ce mois d’août et après L’Amour trop fort, Sidonis Calysta continue d’explorer le cinéma d’auteur français méconnu avec la sortie en DVD, ainsi qu’en combo Blu-ray + DVD de Retour à la bien-aimée de Jean-François Adam, qui avait déjà connu une édition Standard en 2006 chez UFG, puis chez Pro Vidéo Group deux ans plus tard. C’est donc ce qu’on appelle une résurrection. Le menu principal est animé et musical.
Une interactivité constituée de deux entretiens. Le premier donne la parole à Benoît Jacquot, crédité comme scénariste sur Retour à la bien-aimée (26’30). Alors qu’il venait de passer lui-même derrière la caméra avec L’Assassin musicien (1975) et Les Enfants du placard (1977), le cinéaste se remémore sa rencontre avec Jean-François Adam, puis leur collaboration sur le scénario du film qui nous intéresse aujourd’hui, une histoire dont ne savait pas trop quoi faire le réalisateur et qui désirait la reprendre en s’associant avec un autre auteur. Benoît Jacquot explique quel est son apport sur Retour à la bien-aimée (une reprise de la conduite du récit, une construction dramaturgique, des nouvelles scènes), que c’est lui qui a poussé Jean-François Adam à jouer l’inspecteur dans son film. Puis, il dresse le portrait du réalisateur, un homme qui pouvait être joyeux, mais rattrapé par un caractère dépressif radical, qui allait d’ailleurs le conduire au suicide en 1980. Enfin, Benoît Jacquot se penche un peu plus sur le cinéma de Jean-François Adam et ses thèmes récurrents, à l’instar de la présence d’un enfant, la mélancolie amoureuse, des êtres qui tentent d’échapper aux pièges de la vie.
Responsable de la programmation à la Cinémathèque Française, Bernard Payen présente Retour à la bien-aimée (27’30). Il dissèque ce « conte somnambulique », parle des débuts au cinéma de Jean-François Adam, évoque son parcours, ses premiers pas à la mise en scène, les thèmes récurrents (le paradis perdu de l’enfance, la jeunesse envolée) de son œuvre, avant d’en venir plus précisément à Retour à la bien-aimée. Vous aurez ici les clés pour mieux appréhender ce film très personnel sur la solitude, « un voyage mental, obsessionnel et subjectif vers le passé », un cinéma extrêmement sensible, rigoureux dit Bernard Payen, qui passe aussi en revue les partis-pris (« une distanciation voulue par le réalisateur, afin d’éviter que la dimension autobiographique soit trop frontale » ) et les intentions du cinéaste.
L’Image et le son
Comme L’Amour trop fort, Retour à la bien-aimée a lui aussi connu une entière restauration 4K. La copie s’avère immaculée, propre comme un sou neuf, d’une stabilité exemplaire. La photographie du grand Pierre Lhomme (Le Combat dans l’île d’Alain Cavalier, Le Roi de coeur de Philippe de Broca, Le Sauvage de jean-Paul Rappeneau), disparu en 2019 à l’âge de 89 ans, est respectée avec ses clairs-obscurs, ses séquences très sombres, les mains et les visages apparaissant dans l’ombre, sans oublier quelques scènes en extérieur parfois nimbées d’un brouillard. Le générique en début de film est sans doute moins bien défini, avec aussi une texture plus grumeleuse du grain argentique, mais les noirs sont denses sans être bouchés, les couleurs froides superbes et le piqué acéré.
Hormis de très légères saturations, la piste DTS-HD Master Audio 2.0 s’en sort bien, surtout dans la première partie, quasi-dépourvue de dialogues et qui repose autant sur les effets annexes que sur la musique. L’équilibre est évident le reste du temps avec des répliques bien posées. En revanche, comme pour L’Amour trop fort, nous noterons l’absence de sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants…