
FICELLE ROSE ET CORDE À CACHETER (Pink String and Sealing Wax) réalisé par Robert Hamer, disponible en Combo Blu-ray + DVD depuis le 14 janvier 2025 chez Tamasa Distribution.
Acteurs : Mervyn Johns, Mary Merrall, Gordon Jackson, Jean Ireland, Sally Ann Howes, Colin Simpson, David Wallbridge, Googie Withers…
Scénario : Diana Morgan, d’après une pièce de Roland Pertwee
Photographie : Stanley Pavey
Musique : Norman Demuth
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1945
LE FILM
Dans le Brighton victorien, le fils d’un pharmacien fuit la tyrannie d’un père archaïque pour pénétrer dans le monde interlope d’un pub dirigé par un tenancier alcoolique et violent que sa femme cherche à éliminer par tous les moyens. Celle-ci voit en le jeune homme l’occasion d’arriver à ses fins…

Réalisateur, scénariste et producteur britannique, Robert Hamer (1911-1963) fait ses débuts derrière la caméra avec l’exceptionnel Au cœur de la nuit – Dead of Night, film collectif qui réunit aussi à la barre Alberto Cavalcanti, Charles Crichton et Basil Dearden. Dans cet opus mythique des légendaires studios Ealing, œuvre matricielle, fondatrice du cinéma horrifique, comédie noire et drame fantastique, Robert Hammer se fait remarquer avec le sketch intitulé Le Miroir hanté, où une femme fait cadeau a son mari d’un miroir ancien. Celui-ci est fixé au mur de la chambre à coucher mais, au bout d’un certain temps, l’homme, quand il regarde dans le miroir, constate qu’il s’y voit dans une pièce qui est complètement différente de celle où il se trouve réellement. L’ancien monteur d’Alfred Hitchcock (La Taverne de la Jamaïque – Jamaica Inn) est passé à la postérité avec le légendaire Noblesse oblige – Kind Hearts and Coronets (1949), grâce notamment à Sir Alec Guinness, qui interprète pas moins de huit rôles à l’écran, soit toute la famille d’Ascoyne. Mais quand on creuse un peu plus sa filmographie, le cinéphile curieux aura la surprise de découvrir d’autres pépites. C’est le cas pour L’Académie des coquins, étrangement plus connu dans nos contrées sous son titre original, School for Scoundrels, son dernier long-métrage, ainsi que pour son second film, Pink String and Sealing Wax. Derrière ce titre énigmatique, que l’on peut traduire littéralement par Ficelle rose et cire à cacheter, se cache une comédie de mœurs (symbolique des studios Ealing) qui mute en thriller dramatique que n’aurait pas renié un maître du suspense très célèbre. Robert Hammer dirige à nouveau la formidable Googie Withers, vue dans Au coeur de la nuit, et plus tard dans Les Forbans de la nuit – Night and the City (1950), qui marque le film par sa beauté fatale singulière. Magistralement mis en scène, Pink String and Sealing Wax est un diamant noir, peu aimable, souvent pessimiste, qui plonge le spectateur dans les rues de Brighton, où règne la loi de la jungle et où les nantis exercent leur pouvoir aussi bien dans leurs affaires professionnelles que sur leur propre famille.


Brighton, 1880. Sutton, un pharmacien strict et père autoritaire, réprimande son fils David pour avoir écrit des poèmes d’amour à celle dont il est épris, au lieu de s’occuper des affaires de la pharmacie. Il rejette l’explication de David selon laquelle il est amoureux et veut se marier. À la maison, il refuse à sa fille aînée Victoria le droit de suivre une formation de chanteuse professionnelle. Sutton congédie ensuite Peggy, sa fille cadette, pour ses objections quant à ses recherches personnelles exercées sur des cochons d’Inde. Il y a aussi deux enfants plus jeunes. Après le dîner, David réagit à l’attitude de son père en se rendant à un pub local. Une fois sur place, il entend deux femmes bavarder sur l’épouse du propriétaire, Pearl, et sa liaison avec un autre homme. Plus tard, David, ivre, tombe sur Pearl dehors et engage la conversation avec elle. Plus tard, Victoria et Peggy, à qui il est interdit d’assister au concert d’une chanteuse d’opéra populaire, décident de l’attendre à la sortie des artistes. Victoria attire l’attention de la star en chantant « There’s No Place Like Home » (Home! Sweet Home!). La chanteuse les invite à dîner et organise une audition pour Victoria au Royal College of Music de Londres. Ils collectent suffisamment d’argent pour payer le billet de train de Victoria. Son audition est un succès et elle reçoit une offre de bourse, qu’elle a l’intention d’accepter, contre la volonté de son père. Il dit que la bourse peut couvrir ses frais de scolarité, mais qu’il ne lui donnera pas un centime pour la nourriture et le logement, ce qui signifie qu’elle ne peut pas l’accepter. Mme Sutton suggère que l’argent qu’elle a apporté au mariage pourrait être utilisé pour subvenir aux besoins de Victoria, mais son mari fait remarquer que selon la loi, cet argent lui appartient et qu’elle n’a pas son mot à dire. Elle lui dit avec tristesse que ses enfants le craignent au lieu de l’aimer et lui cachent leur véritable identité parce qu’il n’a jamais essayé de les comprendre ou de les considérer comme des personnes à part entière. Elle ajoute que si ses plus jeunes enfants n’étaient pas si jeunes, elle aurait pu trouver la force de le quitter. M. Sutton est choqué. De son côté, Pearl, décidée à se débarrasser de son mari, envisage pour cela de séduire David…


Les institutions sont mises à mal dans Pink String and Sealing Wax, qui renvoie tout autant aux paquets scellés par les pharmaciens qu’aux principes moraux intouchables. Robert Hamer et sa scénariste Diana Morgan (Went the Day Well ? d’Alberto Cavalcanti), d’après une pièce de Roland Pertwee (Le Fantôme vivant, L’Espion noir) montrent et dévoilent un monde qui change, où les enfants osent se rebeller devant l’autorité paternelle (la mère étant souvent compréhensive, mais n’ayant pas son mot à dire) et penser à leur avenir, un futur diamétralement opposé à celui que leur géniteur avait prévu pour eux. Dans Pink String and Sealing Wax, le premier acte est focalisé sur la famille Sutton, sur laquelle Edward, le père, impérialement incarné par Mervyn Johns (La Révolte des Triffides, lui aussi dans Au coeur de la nuit) règne d’une main de fer, n’hésitant pas à rabaisser ses enfants. Puis, le récit bifurque sur l’énigmatique Pearl, magistralement interprétée par Googie Withers, avant que ces deux mondes opposés ne se rejoignent au cours d’un acte final cynique à souhait.


Outre les deux comédiens mentionnés, Pink String and Sealing Wax repose sur une distribution aussi solide qu’élégante, de Sally Ann Howes (Le Bateau de la mort, Chitty Chitty Bang Bang et – décidément – Au coeur de la nuit), Gordon Jackson (La Grande évasion, Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines), ainsi que d’autres acteurs éphémères qu’Ealing essayait de mettre en avant et qui s’acquittent solidement de leur tâche. Il y a quelque chose de fondamentalement sombre chez l’être humain, ce que le réalisateur met en avant, notamment à travers quelques discussions de pub, où tout le monde (femmes comprises) éclusent de la bière tiède, du whisky frelaté, du porto bas de gamme et du gin qui a le goût de flotte. Personne n’est dupe quant aux relations hommes-femmes, pauvres-riches, chacun est à sa place et il y aura toujours une personne pour vous y remettre si vous avez l’outrecuidance de penser le contraire ou de vous écarter de vos marques. Mais Googie n’est pas prête à se laisser faire, quitte pour cela manipuler un jeune homme de bonne famille, qui en pince pour elle.


Pink String and Sealing Wax dépeint deux mondes qui se réunissent sur un point, l’amour et la peur sont inséparables, Dieu est amour, mais les écritures apprennent à le craindre. De ce fait, les enfants se mettent à mentir pour mieux vivre, les épouses (ou filles de joie) commencent à faire savoir le fond de leur pensée, la gent masculine est remise à sa place, la société est en mouvement. Féministe avant l’heure ? Le film de Robert Hamer l’est assurément, mais sans faire passer son message au marteau-piqueur comme c’est le cas 80 ans après. Un vrai bijou.


LE COMBO BLU-RAY + DVD
S’il a souvent sorti également des titres italiens, Tamasa Distribution a toujours eu une prédilection pour le cinéma venu d’outre-Manche. C’est encore le cas avec une salve de merveilleux opus que l’on passera en revue, à savoir Pink String and Sealing Wax – Ficelle rose et corde à cacheter (1945), The Night my Number Came Up – La Nuit où mon destin s’est joué (1955) de Leslie Norman et The Ship that Died of Shame – Le Bateau qui mourut de honte (1955) de Basil Dearden. Nous nous penchons aujourd’hui sur le premier de ces trois titres. Les deux disques reposent dans un boîtier Digipack à deux volets, illustré avec élégance. Nous y trouvons à l’intérieur un livret de 16 pages, intitulé Belles et rebelles, écrit par Mélanie Boissonneau. La docteure en études cinématographiques et audiovisuelle, enseignante à l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle donne moult informations sur la production de Pink String and Sealing Wax, explore les thèmes du film, la carrière de Robert Hamer et la psychologie des personnages. Le menu principal est fixe et musical.

Le premier bonus en vidéo est un entretien avec Joanna MacCallum, qui n’est autre que la fille de Googie Withers (15’). Celle-ci revient sur la carrière de son illustre maman, parle de sa première apparition au cinéma (en 1938, dans une production Ealing), de ses plus grands films (on évoque Une femme disparaît d’Alfred Hitchcock), de son succès dans les comédies, puis dans le registre dramatique, avant d’en venir à Pink String and Sealing Wax.

Tamasa Distribution a ensuite demandé à N.T. Binh, écrivain, réalisateur, journaliste et critique de cinéma, de nous présenter Pink String and Sealing Wax (22’). La signification du titre, la carrière du réalisateur Robert Hamer (« l’un des plus brillants des jeunes réalisateurs britanniques de l’époque »), l’histoire et la renommée des studios Ealing, les thèmes du film, la psychologie des personnages et les partis-pris (« une perfection technique et artistique »), sont les sujets abordés au cours de cette intervention.

L’Image et le son
C’est pas mal du tout. Si nous dénichons de très légères instabilités et des décrochages sur les fonds enchainés, la copie présentée par Tamasa Distribution ne déçoit pas et permet de (re)découvrir Pink String and Sealing Wax dans de belles conditions techniques. La restauration visiblement 2K tient ses promesses et donne un vrai coup de jeune au film de Robert Hamer, avec un piqué convaincant, des détails acérés sur les scènes diurnes, des contrastes solides, une texture argentique préservée et relativement bien gérée. Blu-ray au format 1080p.

Seule la version originale Dolby Digital 2.0 mono aux sous-titres français est disponible sur cette édition. La restauration est satisfaisante, l’écoute est frontale, riche, dynamique et vive, sans souffle. Les effets annexes sont conséquents et le confort acoustique assuré.


Crédits images : © Tamasa / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr