NOUS SOMMES TOUS EN LIBERTÉ PROVISOIRE (L’istruttoria è chiusa: dimentichi) réalisé par Damiano Damiani, disponible en Blu-ray + DVD + Livre Justice . Politique . Corruption – La Trilogie de Damiano Damiani le 2 mai 2023 chez Artus Films.
Acteurs : Franco Nero, Georges Wilson, John Steiner, Riccardo Cucciolla, Ferruccio De Ceresa, Antonio Casale, Renata Zamengo…
Scénario : Damiano Damiani, Arduino Maiuri & Massimo De Rita, d’après le roman de Leros Pittoni
Photographie : Claudio Ragona
Musique : Ennio Morricone
Durée : 1h42
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Une jeune et riche architecte est envoyé en préventive à la suite d’un accident automobile, il découvre alors le monde impitoyable de l’univers pénitentiaire.
Méconnu en France, Nous sommes tous en liberté provisoire – L’istruttoria è chiusa: dimentichi (1970) de Damiano Damiani (1922-2013), metteur en scène contestataire et engagé, révèle une autre facette du talent du cinéaste transalpin, surtout réputé chez nous pour sa collaboration avec Sergio Leone pour Un génie, deux associés, une cloche – Un genio, due compari, un pollo (1975), pourtant diamétralement opposé à ses thèmes de prédilection. 1971, sort Confession d’un commissaire de police au procureur de la république – Confessioni di un commissario di polizia al procuratore della repubblica, chef d’oeuvre âpre sur les relations étroites liant la politique à la mafia italienne. La même année, derrière le titre à rallonge Nous sommes tous en liberté provisoire, très librement adapté du roman de Leros Pittoni, se cache un film percutant qui plus de cinquante ans après n’a rien perdu de son impact et de son efficacité. Exemple type du genre issu du cinéma citoyen créé dans les années 60 avec des films comme Salvatore Giuliano ou Main basse sur la ville tous deux dirigés par Francesco Rosi, le film de Damiano Damiani repose sur les répliques acérées et le jeu monumental de Franco Nero, qui retrouvait le cinéaste pour la troisième fois de sa carrière après La Mafia fait la loi – Il giorno della civetta et Confession d’un commissaire de police au procureur de la république. L’acteur rend à merveille toute la complexité de son personnage, loin du justicier incorruptible qu’il interprétait dans le film précédent. Du point de vue technique Damiano Damiani connaît son affaire et enchaîne à la fois les morceaux de bravoure grâce à un montage au cordeau, des dialogues affûtés et un sens indéniable du suspense. Nous sommes tous en liberté provisoire dénonce les conditions de la vie carcérale en prenant pour vecteur un protagoniste forcément inadapté car bourgeois. Damiano Damiani ne cache rien, assassinats, corruption, tout y passe en prison, et livre une réflexion amère sur ce milieu. Un fleuron du cinéma italien révolté.
Un architecte est arrêté pour homicide involontaire : après la mort d’un piéton, il aurait pris la fuite au volant de sa voiture. Vanzi, l’accusé, clame son innocence. Mais la machine judiciaire se met en marche. Durant l’instruction, Vanzi est incarcéré. Ses compagnons de cellule lui paraissent abominables par leur vulgarité et leur violence. L’un d’eux, un étrangleur condamné à vie, le terrorise complètement. Vanziva se retrouver impliqué dans un complot contre un témoin gênant du crime organisé.
On sent une urgence de filmer, d’avertir, d’informer de la part de Damiano Damiani, artiste qui avait des choses à dire, un réalisateur de génie ayant déjà le montage de son film en tête alors que les prises de vue avaient à peine commencé, qui tournait donc à l’économie et qui ne laissait que peu de plans supplémentaires à son monteur Antonio Siciliano. Ce que souhaitait Damiano Damiani, c’était confronter les spectateurs à la réalité sociale et politique de leur pays, tout en conciliant le cinéma d’action et celui d’introspection en soulevant des questions existentielles quant à la légitimité des hauts fonctionnaires. Sans détour, le réalisateur plonge son audience dans une prison insalubre, dans laquelle les détenus sont tassés dans les cellules miteuses, en mélangeant les assassins doublement condamnés à la prison à vie et les petites frappes. Alors quand Vanzi, homme de bonne condition et qu’on appelle constamment L’Architecte, le renvoyant à son statut social qui contraste avec le lieu qu’il n’aurait jamais pensé fréquenter, ses « colocataires » sont bien décidés à lui montrer que le fric qu’il a à l’extérieur ne lui sera d’aucune aide dans ces lieux.
La caméra (souvent portée) de Damiano Damiani s’infiltre entre ces quatre murs et n’en sortira quasiment jamais, donnant au film une sensation immersive et étouffante (photo inspirée de Claudio Ragona, Gungala : la panthère nue), dont la pression constante n’a cesse de resserrer jusqu’à la scène finale, d’une très grande violence, inattendue et pourtant finalement inévitable. Si Franco Nero est comme toujours monumental, il est solidement épaulé par toute une ribambelle d’acteurs dits « à gueule », Georges Wilson (déjà à l’affiche de L’Ennui et sa diversion, l’érotisme de Damiani), John Steiner (le tueur pétomane, que l’on retrouvera dans Goodbye & Amen), Riccardo Cucciolla (le Sacco de Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo), Antonio Casale (Le Bon, la Brute et le Truand, Il était une fois la révolution), qui ont comme qui dirait le physique de l’emploi et tous étant particulièrement flippants.
On assiste à la descente aux enfers de Vanzy, obligé de se plier au fonctionnement interne du bâtiment (qui finalement n’est pas sans rappeler celui à l’extérieur dit « normal »), pour sauver sa peau et surtout éviter que sa condition provisoire ne devienne permanente si jamais il ne devait pas respecter ce qu’on lui ordonne de faire ou/et de dire. L’épilogue est d’ailleurs comme bien souvent chez Damiani aussi ironique qu’impitoyable.
LE COMBO BLU-RAY + DVD + LIVRE
Justice . Politique . Corruption – La Trilogie de Damiano Damiani. C’est ainsi que s’intitule le sublime coffret Artus Films consacré au réalisateur italien, qui regroupe trois longs-métrages jusqu’alors inédit en DVD et Blu-ray chez nous, à savoir Nous sommes tous en liberté provisoire, Comment tuer un juge et Goodbye & Amen. Chacun de ces films sera chroniqué par nos soins, un par un. Cet objet, d’ores et déjà un indispensable de l’année 2023, prend la forme d’un Digipack à quatre volets, glissé dans un fourreau cartonné suprêmement élégant. Le menu principal de chaque disque est fixe et musical. Cette édition comprend donc six disques, trois Blu-ray et trois DVD, mais aussi et surtout un ouvrage exceptionnel (96 pages) baptisé Damiano Damiani, un cinéaste se rebelle, écrit par le talentueux Emmanuel Gagne (Culturopoing.com) et souvent appelé par Artus Films pour présenter les gialli de l’éditeur. Un retour très complet sur la carrière (y compris à la télévision) et la filmographie du réalisateur, divisé par genres (western, mafias movies, cinéma politique, polars, fantastique…), le tout étant excellemment illustré et riche en analyse.
L’ami Curd Ridel, que nous adorons, propose également de son côté un beau retour sur la carrière et le parcours de Damiano Damiani, en évoquant par la suite le tournage et le casting de Nous sommes tous en liberté provisoire (23’). Il indique aussi que le titre français est selon-lui presque meilleur que le titre original.
Nous trouvons aussi des entretiens croisés avec Enrique Bergier (assistant réalisateur), Corrado Solari (Crotta dans Nous sommes tous en liberté provisoire) et Antonio Siciliano (monteur). Durant près d’une demi-heure, ces trois hommes s’expriment sur leurs collaborations avec Damiano Damiani et plus particulièrement sur le film qui nous intéresse aujourd’hui. L’écriture du scénario, l’adaptation très libre du roman original de Leros Pittoni (qui racontait son expérience personnelle), le casting, les lieux et les conditions de tournage sont aussi abordés.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches d’exploitation, sans oublier la bande-annonce originale (non sous-titrée).
L’Image et le son
Posséder Nous sommes tous en liberté provisoire en DVD était inespéré. Alors en Blu-ray c’est vous dire ! Le film de Damiano Damiani renaît donc de ses cendres chez Artus Films dans une copie – présentée dans son format original – d’une propreté souvent hallucinante. Point d’artefacts de la compression à signaler, aucun fourmillement, les couleurs se tiennent, le master est propre, immaculé, stable, les noirs plutôt concis, la texture argentique préservée et les contrastes homogènes. Le cadre fourmille souvent de détails, le piqué est joliment acéré, le relief et la profondeur de champ sont éloquents, les partis pris du célèbre directeur de la photographie Claudio Ragona sont divinement bien restitués. Certains plans rapprochés tirent agréablement leur épingle du jeu avec une qualité technique quasi-irréprochable. Une véritable redécouverte, merci Artus Films!
Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine italienne. Seule la version italienne est disponible, mais aucune raison de s’en plaindre. Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable et un bel écrin pour la musique, même si rare. Les effets et les ambiances sont nets. Très léger souffle, mais anecdotique. Les sous-titres ne sont pas imposés.
Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr