Test Blu-ray / Meurtres dans la 110e rue, réalisé par Barry Shear

MEURTRES DANS LA 110e RUE (Across 110th Street) réalisé par Barry Shear, disponible en Combo Blu-ray + DVD + DVD de bonus le 16 janvier 2024 chez Rimini Editions.

Acteurs : Anthony Quinn, Yaphet Kotto, Anthony Franciosa, Paul Benjamin, Ed Bernard, Richard Ward, Norma Donaldson, Antonio Fargas…

Scénario : Luther Davis, d’après le roman de Wally Ferris

Photographie : Jack Priestley

Musique : J.J. Johnson

Durée : 1h37

Année de sortie : 1972

LE FILM

Dans un tripot de Harlem contrôlé par la Mafia, cinq hommes comptent la recette du jour. Deux Noirs déguisés en policiers font irruption dans la salle, abattent les hommes et s’enfuient à bord d’un véhicule des forces de l’ordre. Deux policiers, authentiques ceux-là, s’interposent et sont à leur tour abattus. La Mafia, qui a la mainmise sur le quartier, commence ses propres investigations, aidée par des caïds noirs. De son côté, la police confie l’affaire à Pope, un jeune et idéaliste lieutenant noir, et au capitaine Mattelli, proche de la retraite, et dont la misanthropie n’a d’égale que la corruption…

Tout le monde, ou presque connaît la chanson de Bobby Womack, Across 110th Street et la plupart des spectateurs ont dans la tête l’ouverture de Jackie Brown (1997) de Quentin Tarantino. En réalité, ce dernier a comme d’habitude pompé de tous les côtés et avait tout simplement repris le tube éponyme du film de Barry Shear, baptisé en France Meurtres dans la 110e rue. Souvent classé à tort dans le sous-genre alors en vogue de la Blaxploitation, Across 110th Street est un polar pur et dur se déroulant à Harlem, Pandémonium sur Terre, territoire laissé à l’abandon, ou plutôt aux mains des mafieux blancs qui se la coulent douce de l’autre côté de Central Park, laissant le sale boulot aux noirs avec lesquels ils sont en affaire. Venu de la télévision, pour laquelle il officiait sur une quantité phénoménale de téléfilms et de séries depuis les années 1950 (Des agents très spéciaux, Opération vol, Les Règles du jeu, Opération danger, Les Rues de San Francisco), Barry Shear (1923-1979) aura peu, mais bien tourné pour le cinéma. Meurtres dans la 110e rue est alors son quatrième long-métrage pour le grand écran et restera son film le plus célèbre. Comme dirait Raoul Volfoni, « c’est du brutal » ! Across 110th Street est une véritable immersion (rendu imputable à l’utilisation de la révolutionnaire caméra portée Arriflex 35BL) au coeur de l’enfer, une œuvre poisseuse, redoutablement pessimiste, ultra-violente par moments (certaines scènes sont même déconseillées aux âmes sensibles), qui n’a rien perdu de son efficacité et qui embarque le spectateur pendant 1h35 sur un des affluents du Styx. Merveilleusement interprété par Anthony Quinn (également co-producteur exécutif aux côtés du metteur en scène) et Yaphet Kotto, Meurtres dans la 110e rue, écrit par Luther Davis (auteur des géniaux La Main noire de Richard Thorpe et Une femme dans une cage de Walter Grauman) d’après un roman de Wally Ferris (sorti en France sous le titre Noirs et Blancs, dans la collection Série Noire), est un thriller à réhabiliter de toute urgence.

Jim Harris, accompagné de ses partenaires déguisés en policiers, parviennent à dérober 300.000 $ lors du ramassage de la recette par la mafia à Harlem. Mais le vol tourne mal et entraîne la mort de sept hommes : trois gangsters noirs, deux membres de la mafia et deux véritables membres des forces de l’ordre. Le lieutenant William Pope, un policier noir, est chargé de l’affaire, aux côtés du capitaine Frank Mattelli, un flic italo-américain avisé mais vieillissant. Malgré l’engagement du lieutenant Pope à respecter strictement les règles et à affirmer qu’il est à la tête de l’affaire, il a du mal à retenir Mattelli. Ce dernier, vieux de la vieille, 55 ans, sur le point de raccrocher, reçoit chaque mois de l’argent de Doc Johnson, le baron du crime organisé noir à Harlem. Les méthodes de Pope et de Matelli s’opposent. Une course contre-la-montre s’engage pour appréhender les criminels avant qu’ils ne deviennent la cible de la mafia, qui est également à la recherche de Harris et ses complices. Les Italiens, dirigés par Nick DiSalvio, le gendre du parrain local, un homme particulièrement brutal, prévoit de torturer les voleurs pour dissuader ceux qui seraient tentés de faire la même chose. Il a une longueur d’avance sur les policiers et parvient à retrouver les auteurs du vol.

Bienvenue à Harlem, New York ! Merci de respecter la frontière (ou la ligne de démarcation, c’est selon) qui sépare les gangs noirs et les mafieux, caractérisée par le panneau de la 110e rue, comme le nuage de Tchernobyl qui avait sagement arrêté sa course folle avant la douane française. Cinq ans après Dans la chaleur de la nuitIn the Heat of the Night de Norman Jewison (5 Oscars, dont celui du meilleur film et celui du meilleur acteur pour Sidney Poitier), un policier blanc et un autre noir doivent faire équipe pour résoudre une enquête où la violence a fait beaucoup de victimes (parmi elles, on reconnaîtra Burt Young, juste avant Rocky de John G. Avildsen). Si Sidney Poitier avait cette fois encore été envisagé pour camper le rôle du lieutenant William Pope, c’est finalement Yaphet Kotto, vu précédemment dans L’Affaire Thomas Crown qui se le voit confier, alors qu’il se préparait à camper le Docteur Kananga (et Mister Big par la même occasion) dans Vivre et laisser mourirLive and let Die de Guy Hamilton, première aventure de Roger Moore dans la peau de James Bond, épisode qui lui aussi surfait sur la vague de la Blaxploitation.

Le comédien âgé de 32 ans s’impose sans mal, y compris face à son colossal partenaire, Anthony Quinn, qui initialement ne devait être que producteur du film (il avait demandé à John Wayne, Burt Lancaster et Kirk Douglas le soin de camper le capitaine Matelli), mais qui avait du se résoudre à apparaître aussi devant la caméra. Le tandem fonctionne parfaitement et participe à la grande réussite de Meurtres dans la 110e rue. Le reste du casting est à l’avenant et nous retiendrons aussi la prestation de l’impressionnant Anthony Franciosa (Un Justicier dans la ville 2, Ténèbres, Les Feux de l’été, la série Matt Helm), dont les méthodes expéditives et sanglantes de son personnage sont dignes d’un film d’horreur, sans oublier Richard Ward (vu dans l’extraordinaire Mandingo de Richard Fleischer), dont la voix caverneuse résonne encore longtemps après la projection.

Barry Shear, né à New York, connaît le terrain et capture les décors naturels, le brouhaha des rues, les visages, les effluves, les couleurs dès le formidable générique qui pose l’ambiance. Solidement mis en scène, Meurtres dans la 110e rue est aussi magnifiquement photographié par le talentueux Jack Priestley, chef opérateur des superbe De plein fouet de Brian G. Hutton (toujours inédit en DVD chez nous) et A Man Called Adam de Leo Penn, ainsi que du méconnu Le Flic se rebiffe de Roland Kibbee et Burt Lancaster. Autant de talents mis au service d’un polar âpre et sans concession qui a tout d’un vrai classique du genre injustement oublié.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

C’est l’une des grosses sorties de ce début d’année 2024, Meurtres dans la 110e rue débarque en Combo Blu-ray + DVD + DVD de suppléments chez Rimini Éditions, près de vingt ans après une première mouture en DVD chez MGM/United Artists. Les trois disques reposent dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un fourreau cartonné au visuel attractif. Le menu principal est animé et musical.

Rimini Éditions et Bubbelcom nous ont concocté plus d’1h40 de suppléments de qualité. Jean-Baptiste Thoret se taille la part du lion (MGM, haha), puisque son intervention a été divisée en deux segments, le premier intitulé Le nihilisme de Barry Shear (33’) et le second La Blaxploitation (18’). Il est toujours difficile, voire impossible de résumer tous les arguments avancés, les éléments passés au crible du critique et journaliste, la tonne de notes que nous avons pris durant la découverte des bonus étant toujours éloquente. Nous dirons donc que JBT revient sur le titre original du film (« qui raconte déjà beaucoup de choses »), sur la vie à New York au début des années 1970 et plus particulièrement à Harlem (« au-delà de la 110e rue, on serre les fesses »), la réalité documentaire du long-métrage de Barry Shear, la carrière de ce dernier, le fait que Meurtres dans la 110e rue ne soit pas un film issu du courant de la Blaxploitation (« en partie seulement ») comme beaucoup le cataloguent par erreur, la psychologie des personnages, le casting, la musique, la dimension économique du récit et le dénouement (attention aux spoilers donc). Dans le deuxième module, Jean-Baptiste Thoret détaille plus longuement le courant appelé Blaxploitation, « auquel on rattache abusivement Meurtres dans la 110e rue », sous-genre qui a vu naître plus de 200 films entre 1971 et 1975 et dont l’œuvre la plus emblématique demeure Les Nuits rouges de HarlemShaft de Gordon Parks. La place de l’afro-américain dans le cinéma américain, son évolution, l’avènement de Sidney Poitier et Harry Bellafonte, sans oublier les ingrédients qui ont fait la renommée de la Blaxploitation sont passés au crible.

Place à Samuel Blumenfeld, journaliste cinéma au Monde, qui donne à son tour son avis sur Meurtres dans la 110e rue (32’). Une analyse complémentaire à celle de Jean-Baptiste Thoret, dont certains arguments font tout de même écho, mais sans jamais tomber dans la redondance proprement dite, les deux critiques ayant leur propre sensibilité et avis tranché sur le film de Barry Shear. Samuel Blumenfeld explique lui aussi pourquoi Across 110th Street n’est pas à classer dans le sous-genre de la Blaxploitation, évoque la bande-originale de Bobby Womack, parle des personnages (qui ne rejoignent pas ceux mis en valeur par le courant alors en vogue), du casting, des conditions de tournage (sur les lieux de l’action, « un territoire en guerre »), du travail de Barry Shear (« un metteur en scène de talent ») et de bien d’autres éléments toujours aussi passionnants à écouter.

Rimini Editions a confié la présentation de la bande-originale de Meurtres dans la 110e rue (18’) à Olivier Cachin, journaliste, animateur et écrivain chez Rock & Folk et Mouv’, spécialiste des musiques urbaines. Cette intervention sobre et rythmée, donne de très nombreuses indications sur la chanson de Bobby Womack (qui sera reprise dans Jackie Brown et même dans American Gangster de Ridley Scott) et la B.O. signée J.J. Johnson, à qui l’on doit aussi celle de Shaft, Les Nuits rouges de Harlem et Dynamite Jones.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

La qualité de ce master restauré HD convainc et redonne un certain panache à Meurtres dans la 110e rue, qui n’était alors disponible qu’en DVD en France. Les contrastes affichent une belle densité, la copie restaurée est propre et stable, même si les séquences en basse lumière perdent en détails. Le piqué est satisfaisant et de nombreux éléments jouissent de l’élévation HD (Blu-ray au format 1080p) sur les plans diurnes en extérieur. Alors certes, tout n’est pas parfait, quelques flous sporadiques font leur apparition, une ou deux séquences sont plus altérées et la définition a tendance à flancher, mais ces menus accrocs restent anecdotiques compte tenu de la clarté, du grain cinéma respecté, des couleurs pimpantes (malgré des noirs trop légers) et du relief parfois inattendu. Enfin, l’ensemble est consolidé par une compression AVC de haute tenue.

La version originale bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 nettement plus performant que la piste française encodée de la même façon. Pour la première option acoustique, l’espace phonique se révèle probant, la composition de J.J. Johnson jouit d’une belle ouverture, le confort est concret, et les dialogues demeurent clairs et nets. De son côté, la version française (avec des cadors à la barre, Claude Bertrand, Bachir Touré, Med Hondo) apparaît beaucoup plus feutrée avec des voix sourdes et des effets annexes très pauvres. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre.

Crédits images : © MGM / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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