LES LOULOUS réalisé par Patrick Cabouat, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Jean-Louis Robert, Valérie Mairesse, Charlie Nelson, Françoise Pagès, Toufik Ouchene, Daniel Collombel, Dominique Breton, Bellali Larbi, Little Bob, Raoul Billerey, Philippe Brizard, Alain David , Hélène Surgère…
Scénario : Patrick Cabouat & Marc Casanova
Photographie : Lionel Legros
Musique : Horacio Vaggione & Élisabeth Wiener
Durée : 1h29
Date de sortie initiale : 1977
LE FILM
Dans une cité de banlieue, quelques jeunes gens et jeunes filles ont pris l’habitude de se réunir le soir dans un café pour échapper à la solitude et à l’ennui et parce qu’ailleurs tout est fermé et qu’aucune structure d’accueil n’a été prévue pour eux par les promoteurs de la ville. Le patron du « bistrot », Tramoneur, ne voit pas d’un bon œil l’intrusion de ces quelques adolescents dans son établissement, toutefois il les tolère et les supporte quand ils ne font pas trop de bruit.
«Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien on va vous en débarrasser ! ». On se rappelle tous de la visite d’un petit agité dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil en 2005. Eh bien, retournons près de trente ans en arrière pour rencontrer ladite faune en question, celle qui déambulait sur l’esplanade de la Défense ou dans les terrains vagues de Créteil, campée sur des motocyclettes, et qui avait osé remplacer le Cacolac par une bière pression au bar-PMU crasseux du coin. Les Loulous est le premier et à ce jour l’unique long-métrage de fiction de Patrick Cabouat (né en 1950). Si l’on pouvait s’attendre à un portrait forcément rétro d’une jeunesse livrée à elle-même à la fin des années 1970, le film bifurque à mi-parcours vers l’inattendu, vers l’onirisme, la fable, avec comme référence évidente Orange mécanique – A Clockwork Orange (1971) de Stanley Kubrick. S’il est évidemment loin d’atteindre la perfection formelle de ce dernier, il n’a d’ailleurs pas cette prétention, Les Loulous interpelle avec ce portrait dressé d’un jeune issu de la « meute », Ben, excellemment interprété par Jean-Louis Robert, dans l’unique rôle de sa vie, au charisme lisse, universel et passe-partout. A ses côtés, Valérie Mairesse, qui n’avait fait que deux apparitions au cinéma dans Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio et Adieu poulet de Pierre Granier-Deferre (« Votez Lardatte ! »), trouve ici son premier vrai rôle au cinéma et nous gratifie en plus de sa jolie silhouette dénudée. Tout cela pour dire que Les Loulous déjoue constamment les attentes des spectateurs en les menant sur le terrain de la réflexion sociale et politique. La mise en scène a pris un coup de vieux, mais son propos demeure brûlant d’actualité et l’on découvre aujourd’hui ce film avec beaucoup d’intérêt.
Une bande de copains au chômage, menée par Ben, passe leur journée à faire de la moto sur des terrains vagues, à traîner dans un bistrot appartenant à Tramoneur, qui se méfie d’eux mais qui accepte de les accueillir à condition d’être discrets et silencieux, et à draguer des filles. Dans cette cité de banlieue déshumanisée, ces jeunes marginalisés prennent conscience de l’existence morose que les adultes semblent leur avoir réservée. Lors d’un concert de Little Bob Story, Ben tombe amoureux de Marie. Mais, lors d’une soirée dansante, quelques dégâts sont commis dans la Maison des Jeunes. Furieux, Tramoneur se sent aussitôt agressé en tant que contribuable et il interdit l’accès de son café à la bande. Mais le frère de Ben, Dédé, le provoque et il est aussitôt abattu par ce dernier. Alors que Ben jure de le venger, il est arrêté par la police qui l’interroge, le brutalise, le menace. Le jeune homme est finalement conduit dans un hôpital psychiatrique.
L’horizon semble bouché dans ces cités de banlieue, surtout pour les jeunes à peine majeurs, où même le soleil semble ne jamais percer en raison des tours qui ne cessent de sortir de terre. Il n’y a pas grand-chose à faire quand on a 17 ans, à part se retrouver entre potes, pour tuer le temps, qui passe très lentement à cet âge. Ben et Marie se rencontrent lors d’une soirée, tombent amoureux, c’est déjà ça de pris. Quand les événements conduiront Ben à l’asile, le jeune homme sera confronté à des individus incapables de le comprendre, ou même de l’écouter. Il y perdra la raison, et c’est dans une vision apocalyptique qu’il finira de régler ses comptes avec une société qui l’a rejeté et qu’il méprise. Les Loulous, qui a failli s’intituler Tu veux jouer les durs et tu touches pas ta bille (une réplique entendue dans le film et par ailleurs le titre de travail) ou Furie (finalement rejeté en raison du rapport qui pouvait être fait avec le film éponyme de Fritz Lang) est autant le témoignage d’une époque qu’une analyse sociologique, comme si Patrick Cabouat observait ses personnages au microscope, avec l’oeil d’un entomologiste. Non seulement Les Loulous est un film qui a des choses à dire, mais en plus la photographie de Lionel Legros (Les Couples du Bois de Boulogne, Les Diplômés du dernier rang et Le Jardin des supplices de Christian Gion) a de la gueule, donnant aux décors naturels un aspect presque futuriste. Même chose concernant la musique d’Horacio Vaggione (musicologue et compositeur argentin de musique électroacoustique) et Élisabeth Wiener (plus connue comme actrice de doublage), dont les sonorités se rapprochent cette fois encore de celle de Wendy Carlos pour Orange mécanique.
Cette association de décors à l’architecture singulière et terne, d’espaces désertés par la population (probablement craintive à l’idée de s’y aventurer), d’une bande de personnages sanguins (synonymes d’ultra-violence pour la majorité de la population) et d’une musique électronique font irrésistiblement penser au chef d’oeuvre inusable de Stanley Kubrick encore une fois. C’est en tout cas un exemple rare où un cinéaste hexagonal a su suivre le chemin tracé par le maître britannique, en conservant une âme typiquement française et en s’appropriant les thèmes pour en livrer une radiographie sur la jeunesse sous Giscard d‘Estaing. Les qualités de cette première œuvre sont évidentes et ses défauts, notamment présents dans la deuxième partie avec quelques séquences assez longues (le patient qui délire face à Ben) vite oubliés, surtout après un final particulièrement nihiliste qui finit d’enfoncer le clou et prouve définitivement que Patrick Cabouat en avait sérieusement sous le capot.
Les Loulous est sélectionné dans la section Perspectives du cinéma français, puis projeté au Festival de Cannes en 1976, avant d’attirer difficilement les spectateurs dans les salles et ce en raison d’une interdiction aux moins de 18 ans. De son côté, Patrick Cabouat consacrera sa vie et sa carrière (avec succès) à la production (Rue Cases-Nègres d’Euzhan Palcy), et au documentaire, finalement le prolongement naturel de ce qu’il avait entrepris sur Les Loulous.
LE BLU-RAY
Ne cherchez pas, Les Loulous n’était jamais sorti en DVD en France. Le Chat qui fume continue d’explorer le cinéma français des années 1970-80 et ressuscite cette fois le premier long-métrage de fiction de Patrick Cabouat. Le disque repose dans un superbe Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné élégant liseré bleu, qui reprend le visuel de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires. En revanche, aucune trace de la scène coupée mentionnée sur le verso.
Nous retrouvons tout d’abord notre chère Jessica, que nous avions rencontré précédemment sur les éditions HD de La Révélation d’Alain Lavalle et Et avec les oreilles qu’est-ce que vous faites ? d’Eddy Matalon. Notre hôtesse d’accueil, que nous espérons revoir sur les prochains titres du Chat qui fume, nous donne quelques indications (3’35) sur ce « petit film perdu depuis de nombreuses années et oublié de tous », qui fait partie de la « banlieuxploitation », avant d’indiquer avec le sourire qu’elle vient d’inventer le mot. Jessica passe ensuite en revue les films « pour les amateurs de Prozac » tournés en banlieue parisienne dans les années 1970, La Rage au poing (1975) d’Éric Le Hung, La Dernière femme (1976) de Marco Ferreri, Dernière sortie avant Roissy (1977) de Bernard Paul, La Vie comme ça (1978) de Jean-Claude Brisseau. Jessica indique enfin que si Les Loulous est moins violent que les autres opus cités, cela ne l’a pas empêché d’être interdit aux moins de 18 ans à sa sortie. Le casting et le contexte politique sont aussi rapidement évoqués.
Après Alain Lavalle et Eddy Matalon, Stéphane Bouyer est allé recueillir les propos de Patrick Cabouat (41’). Voici un grand moment passé en compagnie d’un artisan du cinéma, durant lequel le réalisateur revient sur les débuts de sa grande passion pour le septième art (étudiant, il séchait les cours pour aller voir au Publicis, lieu où se déroule l’interview), sur ses débuts derrière la caméra, sur ses diverses rencontres (dont Marin Karmitz, avec lequel cela s’est mal terminé après avoir écrit le film Coup pour coup), sur la genèse des Loulous (le meurtre d’un jeune survenu dans un bistrot de La Courneuve), l’écriture du scénario, l’aide de Véra Belmont (qui lui apportera une équipe après l’obtention de l’avance sur recette). Patrick Cabouat ne s’arrête pas une seconde, passe d’un sujet à l’autre avec une passion contagieuse. On en apprend encore sur les titres envisagés avant Les Loulous, sur le casting (Miou-Miou avait été envisagée et avait même fait des essais, avant de suivre Julien Clerc sur D’amour et d’eau fraîche de Jean-Pierre Blanc, tout en lui conseillant d’engager son amie Valérie Mairesse), sur les conditions de tournage, sur les décors, la musique, le reshoot de la fin, les partis pris et évidemment sur ses intentions, ainsi que sur la sortie du film au cinéma, estampillée d’une interdiction aux moins de 18 ans. Enfin, Patrick Cabouat parle de la suite de sa carrière, principalement pour Arte.
L’Image et le son
Patrick Cabouat doit être le premier surpris à découvrir Les Loulous en version restaurée, vraisemblablement 2K. Son film brille comme un sou neuf, ce lifting ayant même pris soin de conserver les défauts d’origine, à savoir les flous récurrents. Dans l’ensemble, le master est propre, en dehors d’une séquence à la 55e minute, marquée par une rayure verticale (les plans sur le commissaire). La grain est présent, organique (typique d’un tournage en 16mm), très bien géré, les contrastes plaisants, la clarté éloquente, les noirs denses et les couleurs s’en sortent merveilleusement bien. Quelques baisses de la définition, mais on serait tenté cette fois encore de dire que ces couacs sont inhérents aux conditions de tournage originales.
Les dialogues manquent parfois d’intelligibilité. L’écoute est correcte, propre, la musique est dynamique. Notons qu’une prise ratée a été conservée, au cours de laquelle on entend la voix du réalisateur, qui invite ses comédiens à recommencer la séquence. Dommage de ne pas proposer une piste de sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.