
LES CAVALIERS (The Horse Soldiers) réalisé par John Ford, disponible en édition Blu-ray + DVD + Livre depuis le 6 novembre 2024 chez Rimini Éditions.
Acteurs : John Wayne, William Holden, Constance Towers, Althea Gibson, Judson Pratt, Hoot Gibson, Ken Curtis, Willis Bouchey…
Scénario : John Lee Mahin & Martin Rackin, d’après le roman de Harold Sinclair
Photographie : William H. Clothier
Musique : David Buttolph
Durée : 1h55
Date de sortie initiale : 1959
LE FILM
Durant la guerre de Sécession, un détachement de cavalerie nordiste, sous les ordres du colonel Marlowe, est envoyé derrière les lignes ennemies, pour détruire les voies de chemin de fer. À ses côtés, le major Kendall. Les deux hommes, que tout oppose, sont contraints d’emmener avec eux Hannah Hunter, une aristocrate sudiste.

S’il n’est indubitablement pas le film le plus célèbre de John Ford, et pour cela dresser une liste serait sans doute non exhaustif, Les Cavaliers – The Horse Soldiers restera toujours l’un de ceux que la critique et les spectateurs n’ont eu de cesse de réhabiliter. Oeuvre « malade », dans le sens où le cinéaste entreprit le film avec un scénario qu’il jugeait mauvais, voire inachevé, Les Cavaliers marque le retour au western de John Ford, genre qu’il avait « mis de côté » depuis trois ans et quatre films emballés depuis La Prisonnière du désert – The Searchers. Juste après l’extraordinaire La Dernière fanfare – The Last Hurrah, son film le plus personnel (c’est dire son importance), le cinéaste retrouve John Wayne, qui de son côté paraît plus préoccupé par Alamo, qu’il s’apprête à produire, à réaliser et à interpréter. La star du western sort de Rio Bravo de Howard Hawks, alors tout va pour le mieux pour lui. Si John Ford accepte de récupérer Les Cavaliers, c’est que ce projet lui permet d’aborder frontalement un des sujets qui le passionnent le plus, la guerre de Sécession. Son expertise ne sera donc pas de trop, surtout pour rattraper l’écriture de John Lee Mahin (Le Grand Sam, Dieu seul le sait, Quo Vadis) et Martin Rackin (Les Aventures du Capitaine Wyatt, Violence à Jericho), également producteurs, basé sur un roman de Harold Sinclair, dont le travail restera vilipendé par le réalisateur. Bien sûr, Les Cavaliers ne saurait rivaliser avec les monuments de John Ford, d’autant plus que le western qui le liera à nouveau avec John Wayne sera L’Homme qui tua Liberty Valance – The Man Who Shot Liberty Valance, néanmoins le divertissement est intact et total, tandis que le tandem John Wayne-William Holden crève l’écran.


Avril 1863.Une brigade de cavalerie de l’Union dirigée par le colonel John Marlowe, ingénieur en construction ferroviaire dans la vie civile, est envoyée dans un raid derrière les lignes confédérées pour détruire une voie ferrée et un dépôt de ravitaillement à la gare de Newton. Le major Henry Kendall, un chirurgien militaire déchiré entre le devoir et l’horreur de la guerre, est constamment en désaccord avec Marlowe. Pendant que l’unité se repose à Greenbriar Plantation, Miss Hannah Hunter, la maîtresse de la plantation, agit comme une aimable hôtesse auprès des officiers de l’unité. Mais elle et son esclave, Lukey, écoutent une réunion du personnel alors que Marlowe discute de sa stratégie de combat. Pour protéger le secret de la mission, Marlowe est obligé d’emmener les deux femmes avec lui. Initialement hostile à son ravisseur Yankee, Miss Hunter en vient progressivement à le respecter et finit par tomber amoureuse de lui. En plus de Kendall et de Miss Hunter, Marlowe doit également affronter le colonel Phil Secord, un officier politiquement ambitieux qui remet continuellement en question les ordres et les décisions de commandement de Marlowe.


Le scénario part indéniablement dans tous les sens et John Ford tente de consolider cette structure branlante, tout en essayant s’insuffler un message humaniste comme il en avait l’habitude, à travers une radiographie du conflit fratricide, montré dans sa folie et son horreur. Les Cavaliers repose sur un épisode authentique de la guerre de Sécession, celui du raid de Grierson (avril-mai 1863), qui allait imposer le président Grant à Vicksburg, point stratégique du Sud. Le colonel John Marlowe (John Wayne), leader d’un détachement de cavalerie de l’Union (qui ne sort jamais la pétoire), et le Major Henry ‘Hank’ Kendall (William Holden, après le refus de James Stewart), médecin-major, le premier détestant le second (mais il a ses raisons personnelles), doivent unir leurs forces, afin de détruire les voies de chemin de fer derrière les lignes ennemies…que Marlowe avait lui-même construit dans le civil. Une douce et belle ironie qui résume la situation et l’absurdité de la guerre.


Les deux stars se complètent parfaitement à l’écran, ils l’étaient d’ailleurs aussi hors plateau et dans les bars où ils éclusaient quelques alcools hors d’âge, malgré les protestations de John Ford, qui évitait la bibine quand il avait un film sous sa responsabilité. Les Cavaliers est un western qui ravit les yeux du début à la fin, la photo étant imputable au grand chef opérateur William H. Clothier (Big Jake, La Caravane de feu, 7 hommes à abattre).


Évidemment, certains éléments s’avèrent peu crédibles, à l’instar de l’histoire d’amour qui vient se greffer à l’ensemble et qui paraît avoir été ajoutée avec difficulté. De plus, la mort de Fred Kennedy, ami très cher de John Ford, cascadeur de près de cinquante ans, survenue sur le tournage, allait précipiter la fin des prises de vue et donc l’annulation de la scène finale, celle du retour triomphal de la cavalerie. Il manque quelque chose aux Cavaliers pour emballer totalement, mais c’est faire ce qu’on appelle la fine bouche. Car un « petit » John Ford restera toujours bien au-dessus de la mêlée.


LE MEDIABOOK
Une fois de plus, Rimini Éditions déroule le tapis rouge à John Ford et ce splendide Mediabook rejoint ainsi L’Homme tranquille, ainsi que le coffret Du sang dans la prairie + Le Ranch Diavolo + À l’assaut du boulevard, que nous vous avions passé en revue. Les Cavaliers se présente ainsi sous la forme d’un Digibook conséquent, on ne peut plus élégant, illustré par un des visuels d’exploitation de 1959. Le Blu-ray et le DVD sont solidement harnachés et surtout, le livre intitulé John Ford, Monument Man : le réalisateur et ses westerns est à dévorer. Écrit par Marc Toullec, ce dernier propose une rétrospective des principaux westerns réalisés par John Ford, de À l’assaut du boulevard (1917) aux Cheyennes (1964) ! Voilà qui ravira les aficionados du cinéaste. Près de 200 pages magnifiquement légendées par de très nombreuses photos de plateau, de tournage, d’exploitation, qui se lit comme un véritable roman. Parallèlement à l’analyse (sommaire) et au décorticage des prises de vue de ses westerns, Marc Toullec dresse un portrait nuancé de John Ford, dont le style et le ton n’ont eu de cesse de varier au fil de la vie personnelle de leur auteur, allant comme Les Cavaliers vers une atmosphère plus désabusée et mélancolique, alors que le réalisateur était au crépuscule de son existence. C’est aussi l’occasion pour Marc Toullec de regrouper certaines thématiques présentes dans les westerns de John Ford, tout en se focalisant aussi sur sa relation avec les acteurs, en particulier John Wayne. Le menu principal des deux disques est animé et musical. Rappelons enfin que Les Cavaliers était déjà sorti en Haute-Définition chez MGM en 2011, dans une édition dépourvue du moindre supplément. Autant dire que le passage à la caisse est obligatoire !


Commençons par l’un des suppléments que nous avons toujours privilégié et qui a tendance à devenir rare, le commentaire audio. Il est ici réalisé (et proposé en VOST) par l’historien du cinéma Joseph McBride, auteur de À la recherche de John Ford, publié en France dès 2007 chez Acte Sud, ainsi que d’une étude critique consacrée au réalisateur, coécrite avec Michael Wilmington, qui remonte quant à elle à 1975. Joseph McBride ne s’arrête pas de parler pendant les deux heures des Cavaliers et donne d’innombrables informations sur le film qui nous intéresse aujourd’hui. Il revient ainsi sur « The Horse Soldiers, qui n’est pas un grand film, mais qui s’avère fascinant, quand on voit ce qu’un grand réalisateur est capable de faire avec un scénario faiblard ». Joseph McBride propose un commentaire bien structuré, qui aborde tout aussi bien le casting que les conditions (houleuses) de tournage, la mort brutale du cascadeur Fred Kennedy (qui allait précipiter la fin de la production), le thème de la guerre de Sécession (sujet qui passionnait John Ford et qui l’évoque ici frontalement), les partis pris esthétiques (il indique même que le directeur de la photographie est la véritable star du film), la psychologie des personnages, tout en pointant ce qu’il considère comme étant les points faibles de l’histoire (les pointes d’humour, l’histoire d’amour « artificielle et peu crédible)…Celles et ceux qui connaissent bien Les Cavaliers seront sans doute ravis de le revoir, en étant accompagnés de ces commentaires passionnants et enrichissants.

En ce qui concerne les bonus vidéo, on pourra commencer par une interview de William Holden (11’), tirée de l’émission Ciné Regards, diffusée le 14 octobre 1979 et tourné sur le plateau de When Time Ran Out… – Le Jour de la fin du monde de James Goldstone, sous l’oeil amusé de Paul Newman. Vieilli avant l’âge (l’alcool ayant coulé à flot tout au long de sa vie n’a pas arrangé les choses), âgé de soixante ans, William Holden semble fatigué et parle un peu de tout, de ses rapports avec les animaux, de ses voyages autour du monde, de sa passion pour la moto. Bien sûr, il évoque aussi (un peu) ses quarante ans de carrière, en indiquant que les rôles qu’on lui propose sont bien moins passionnants qu’avant, fustigeant ainsi celui qu’il campait dans La Tour infernale (« un genre que je n’ai pas envie de faire »), tout en rêvant d’un personnage digne de celui qu’il interprétait dans Network de Sydney Lumet. Ce document se clôt par un shooting avec sa partenaire, la splendide Jacqueline Bisset.




L’autre bonus provenant de l’INA est une interview de John Ford himself, provenant de l’émission Entre Chien et loup, diffusée le 16 juin 1966 dans le cadre de l’anthologie Cinéastes de notre temps (28’). John Ford, pieds nus, cigare au bec, verre d’alcool ambré à la main, vautré sur son lit, répond (en français parfois) aux questions d’André S. Labarthe et Hubert Knapp. L’occasion pour lui de revenir sur son arrivée à Hollywood (« par le train »), sur ses débuts au cinéma (comme accessoiriste et assistant sur les films de son frère Francis , après avoir été cowboy en Arizona), sur son parcours de metteur en scène (« mon gagne-pain […] je n’ai pas cherché à faire une carrière artistique »). Présenté dans son montage brut (une volonté des journalistes), avec une prise de son aléatoire, une image tremblante et quelques scènes reprises en raison des conditions de tournage, ce document est une mine d’or pour les passionnés du cinéaste, dont les réponses sont parfois radicales (« La Prisonnière du désert ? Un western comme les autres. Voilà. D’autres questions ? »), surtout quand on lui parle trop du genre qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, John Ford précisant que ses meilleurs films ne sont pas les westerns.





En ce qui concerne la partie analyse des Cavaliers, Rimini a produit une rencontre entre Margaux Baralon (journaliste cinéma) et Emmanuel Raspiengeas (journaliste à Positif). Dans le même style que les divers face-à-face de Frédéric Mercier Vs Mathieu Macheret sur les titres de la collection Billy Wilder, celui-ci se présente sous la forme d’une conversation menée sans temps mort sur The Horse Soldiers, les deux intervenants se renvoyant constamment et intelligemment la balle durant quarante minutes. Un supplément rafraîchissant, dans le sens où l’éditeur a réuni deux nouvelles sensibilités, deux journalistes à la passion contagieuse, qui décortiquent plusieurs scènes du film, à la fois sur le fond et sur la forme. Ainsi, la genèse, les conditions de tournage, le casting, la mauvaise réception critique et d’autres éléments sont abordés.


L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Il ne s’agit pas du même master HD précédemment édité par MGM il y a près de quinze ans. Rimini présente une nouvelle copie (au format 1080p), passée entre les mains et les outils numériques des agents du laboratoire TCS, une restauration effectuée à partir d’une numérisation 2K du négatif original. L’ensemble demeure franchement aléatoire et ce en raison de l’absence quasi-systématique de la texture argentique. Si la photographie du grand William H. Clothier est joliment restituée, ce grain auquel on est extrêmement attaché (et pour cause, puisqu’il fait partie des intentions du chef opérateur) manque cruellement à l’appel et donne à l’image un aspect « moderne » qui ne lui sied guère. La propreté est éloquente, la clarté de mise, les contrastes fermes, la palette chromatique plus vive, mais la définition fera tiquer les puristes et laisse un arrière-goût amer, surtout quand on suppose qu’un filtre « à grain » a été ajouté pour faire comme s’il s’agissait de celui de l’époque ou si vous préférez, comme si un pâtissier réalisait un nappage destiné à recouvrir celui déjà étalé par un de ses confrères. Forcément, le résultat n’est guère plaisant.

Sans surprise, la version originale DTS-HD Master Audio 2.0 s’en tire mieux que la VF (présentée dans le même écrin acoustique), plus restreinte, moins aérée, grinçante et de temps en temps, chuintante peut-être, mais néanmoins en bon état et délivrant aussi bien les dialogues que la musique de David Buttolph (La Corde, Le Carrefour de la mort, La Femme à abattre) avec une bonne dynamique. Aucun souffle sur les deux pistes et les sous-titres français ne sont pas imposés.


Crédits images : © Rimini Éditions / MGM / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr