LES BOURREAUX MEURENT AUSSI (Hangmen Also Die!) réalisé par Fritz Lang, disponible en édition 2 Blu-ray + DVD – Version longue le 26 février 2025 chez Rimini Éditions.
Acteurs : Brian Donlevy, Anna Lee, Walter Brennan, Hans Heinrich von Twardowski, Nana Bryant, Margaret Wycherly, Gene Lockhart, Dennis O’Keefe…
Scénario : John Wexley, Bertolt Brecht & Fritz Lang
Photographie : James Wong Howe
Musique : Hanns Eisler
Durée : Version intégrale (2h15), Version française (2h)
Date de sortie initiale : 1943
LE FILM
Dans Prague occupée par les Nazis. Le 27 mai 1942, le Reich Protektor Heydrich est grièvement blessé par une bombe (il meurt une semaine plus tard). L’auteur de l’attentat, le professeur Svoboda, se réfugie par hasard chez le professeur Novotny. Celui-ci est arrêté comme otage par la Gestapo. Marcia, la fille du professeur se rend à la Gestapo. Elle a l’intention de dénoncer Svoboda pour faire libérer son père. Mais Svoboda, devenu héros national, est aidé par les résistants tchèques. Elle se tait mais attire l’attention des S.S. qui la font suivre par l’Inspecteur Grüber. Svoboda feint d’être l’amant de Marcia, pour détourner les soupçons de Grüber qui les suit dans la chambre où se cache le chef de la résistance, blessé. Jan Horek, le fiancé de Marcia, se rend compte du subterfuge et joue également la comédie à Grüber. Par la suite, il rejoint Svoboda à temps et ils tuent Grüber…
Grand amateur du travail de Sigmund Freud, Fritz Lang n’aura de cesse au cours de sa longue et prolifique carrière, de se pencher sur la question du meurtre, des assassins, de la culpabilité. En 1933, Joseph Goebbels propose au cinéaste le poste de directeur du département cinématographique de son ministère, celui de la propagande. Fritz Lang refuse. La légende dit que le réalisateur aurait déclaré à Goebbels que sa mère était juive. Il s’enfuit en France avant de s’installer aux Etats-Unis. Furie, son premier film américain et réquisitoire contre le lynchage, montre l’engagement du réalisateur. Suivront J’ai le droit de vivre (1937), Casier judiciaire – You and Me (1938), Le Retour de Frank James – The Return of Frank James (1940), Les Pionniers de la Western Union (1941) puis Chasse à l’homme – Man Hunt la même année. Avec ce film, Fritz Lang entame une tétralogie antinazie avec Les Bourreaux meurent aussi – Hangmen Also Die!, Espion sur la Tamise – Ministry of Fear (1944) et Cape et Poignard – Cloak and Dagger (1946).
Après Chasse à l’homme, la carrière américaine de Fritz Lang patine et ses projets n’aboutissent pas. Le cinéaste milite pour aider ses compatriotes intellectuels à venir se réfugier aux Etats-Unis. Au même moment, Reinherd Heydrich, protecteur adjoint du Reich en Bohême-Moravie, adjoint d’Himmler, surnommé « le Bourreau », meurt dans un attentat organisé par la résistance tchèque le 4 juin 1942. Fritz Lang décide d’en faire le sujet de son prochain film et de rendre ainsi un vibrant hommage à la résistance. Les Bourreaux meurent aussi – Hangmen Also Die!, longtemps envisagé sous le titre Never Surrender ou tout simplement No Surrender (repris dans la dernière séquence du film avec le célèbre « NOT THE END » dans le montage intégral) est réalisé en 1943 sur un scénario écrit par John Wexley et surtout l’immense dramaturge Bertolt Brecht, également allemand exilé aux Etats-Unis, dont il s’agit de l’unique collaboration avec Hollywood. Toutefois, il n’est pas mentionné en tant que scénariste au générique suite à une décision du syndicat des scénaristes américains.
L’action se déroule en mai 1942. Dans Prague occupé par la Wehrmacht, le docteur Franticek Svoboda (Brian Donlevy) tue Reinhard Heydrich, alias le Bourreau, un nazi fanatique. Traqué par la Gestapo, il bénéficie aussitôt de l’aide de Mascha Novotny (Anne Lee) qui, orientant ses poursuivants dans une mauvaise direction, l’accueille dans sa famille. Un geste lourd de conséquences car, peu après, la police du Reich arrête son père (Walter Brennan) et plusieurs de ses étudiants. Un communiqué est diffusé dans la ville selon lequel des otages seront fusillés tous les jours tant que le meurtrier de Heydrich ne sera pas retrouvé. Parallèlement, le réseau de Résistance auquel appartient Svoboda (qui signifie « liberté » en tchèque) est noyauté par un riche brasseur, Emil Czaka (Gene Lockhart). Grâce à une série complexe d’événements et la complicité active de nombreux pragois, la Résistance parvient à faire croire que c’est Czaka qui a assassiné Heydrich, mais pas avant que les nazis n’aient exécuté un grand nombre des otages.
Si les faits réels ont été adaptés pour la fiction, Reinhard Heydrich a en fait été tué par trois parachutistes tchécoslovaques, les nazis ayant ensuite massacré toute la population du village de Lidice en guise de représailles avant de le rayer de la carte (sujet du film Hitler’s Madman de Douglas Sirk, sorti également en 1943), Fritz Lang signe un film percutant et une référence du cinéma de propagande. En France, les spectateurs ne bénéficieront que d’une version tronquée de vingt minutes en août 1947. Le film de Fritz Lang est alors perdu au milieu de tout un tas de films américains suspendus durant la guerre. Ce montage circulera en France durant de nombreuses années, jusqu’à ce que le cut original soit présenté pour la première fois en 1963 avec l’aval de Fritz Lang. Pourtant, même si le septième film américain de Fritz Lang n’est pas non plus son plus réussi, la version intégrale US des Bourreaux meurent aussi est un trésor incontestable et s’avère tout aussi indispensable que le reste de la filmographie du cinéaste allemand. Plus ample et fluide, rarissime, le film est encore plus passionnant que ce montage français malmené.
Les coupes interviennent notamment sur les quatre intrigues entrelacées et certaines scènes suggérées dans la version française prennent tout leur sens dans le montage intégral. Les scènes supplémentaires mettent notamment en valeur la résistance des femmes (dont une qui crache au visage du personnage de Czaka interprété par Gene Lockhart), pour ainsi dire inexistantes dans la version française. Le récit s’attarde également sur le quotidien et l’organisation de la Résistance, les exécutions et les passages à tabac. Les dialogues y sont également plus crus et la violence explicite, à l’instar du suicide du chauffeur de Svoboda, arrêté par la Gestapo, qui se défenestre dans la version intégrale et dont le geste fatal est juste évoqué en version française. Autre exemple de scène coupée. Après l’annonce de la mort d’Heydrich dans une salle de cinéma, le corps de l’allemand est montré sur un lit d’hôpital. Dans la version longue, l’assistance applaudie dans la salle de cinéma à l’annonce de l’attentat, un agent de la Gestapo placé au fond de la salle demande qu’on rallume la lumière et à chacun de lui présenter ses papiers. Personne ne l’écoute et l’agent reçoit même un poing dans la figure. Les spectateurs sortent tranquillement de la salle puis un fondu enchaîne avec le corps d’Heydrich à l’hôpital.
Compromis entre réalité historique et divertissement hollywoodien, le film de Fritz Lang traite de la traque de l’assassin de Reinhard Heydrich sous forme d’une fiction prétexte à mettre en valeur le courage de chaque homme, femme et enfant, tous unis contre le Troisième Reich. Fritz Lang instaure une atmosphère oppressante, où la résistance s’organise à chaque coin de rue. Reposant sur un casting exceptionnel où trône le génial et caméléonesque Walter Brennan (le Stumpy de Rio Bravo), Les Bourreaux meurent aussi est une œuvre captivante et formidable, noire et âpre, au suspense haletant, à la frontière de l’expressionnisme et du cinéma hollywoodien classique, mais profondément européenne dans l’âme.
LE COMBO 2 BLU-RAY + DVD
Les Bourreaux meurent aussi est un des titres de Fritz Lang à avoir connu le plus de vies en DVD et Blu-ray en France. Ainsi, après une première édition collector en DVD chez Carlotta Films en 2008, le film ressortait en 2017 chez Movinside en DVD et pour la première fois en HD dans la collection Les Films de ma vie. On espère que cette mouture concoctée par Rimini Éditions devienne celle de référence et la définitive. Le menu principal de cette édition est animé et musical.
Tout d’abord, Rimini reprend deux suppléments disponibles sur l’ancienne édition Carlotta films.
L’historien du cinéma Bernard Eisenschitz revient sur les deux versions du film (3’). Il est clair que Fritz Lang n’a pas pu respecter son contrat en livrant un montage définitif de 2h15 aux Etats-Unis, le 22 mars 1943 des Bourreaux meurent aussi. Cette mouture dépassait la durée standard d’un film dit « traditionnel » d’1h45. En août 1947, à la Libération, le film de Fritz Lang est perdu au milieu de tout un tas de films américains alors suspendus durant la guerre. Le distributeur français décide de réduire la durée à 1h55. Ce montage sera celui qui circulera en France durant de nombreuses années, jusqu’à la première présentation du montage original en 1963 dans l’hexagone, avec l’aval de Fritz Lang. Les crédits sont en français, les doubleurs cités, et un carton d’introduction explique que Fritz Lang n’a pas cherché à réaliser une œuvre historique mais s’est attaché à « dépeindre une atmosphère ».
On retrouve une fois de plus Bernard Eisenschitz détaillant minutieusement la genèse du film en s’attardant plus particulièrement sur la relation professionnelle entre Fritz Lang et le dramaturge Bertolt Brecht (28min30). On saluera le montage soigné et les illustrations qui accompagnent intelligemment les propos tenus dans ce module. On apprend que la carrière américaine de Fritz Lang est alors défaillante au début des années 1940, qu’il n’a pas de projet depuis plusieurs mois et que le cinéaste milite pour aider ses compatriotes intellectuels à venir se réfugier aux Etats-Unis. Bertolt Brecht est un de ceux-là. Arrivé de Berlin en 1941, il souhaite apporter son savoir d’écrivain à Hollywood par l’intermédiaire de Fritz Lang. À ce moment précis, Reinherd Heydrich, protecteur adjoint du Reich en Bohême-Moravie, adjoint d’Himmler, surnommé le Bourreau, meurt dans un attentat organisé par la résistance tchèque le 4 juin 1942. La nouvelle arrive aux États-Unis et les deux collaborateurs allemands décident de bâtir un scénario sur ce fait tout en rendant un vibrant hommage à la résistance. Dans une seconde partie, Bernard Eisenschitz se penche plus précisément sur l’évolution du scénario intitulé « Never surrender » crié avec force dans les toutes dernières images de la version intégrale. Fritz Lang engage John Wexley, scénariste allemand, afin d’aider Brecht qui ne parle quasiment pas l’anglais. Eisenschitz met fin aux rumeurs qui disaient que les deux Allemands avaient été opposés tout au long du stade de l’écriture. Si divergence il y a eu, c’est au niveau de la production dont Bertolt Brecht avait été écarté. Le choix des acteurs lui déplaisait fortement, la manière dont Lang met en scène son scénario le désespérait. Ne désirant aucun accent, Lang fait interpréter les Allemands par des acteurs allemands. Il met aussi en évidence la déformation de la langue allemande par les Nazis, au grand désespoir de Brecht trop amoureux de sa langue natale pour la voir ainsi traitée. Il n’empêche que le sujet principal, la résistance et la lutte contre le nazisme, réunit les deux artistes. Si Brecht n’aime guère le film il demande à ce que son nom soit crédité au scénario. Au final, Fritz Lang demande à ce que le nom du dramaturge allemand soit placé avant le sien quant au sujet original.
Pour cette édition, Rimini Éditions ajoute un nouvel entretien, avec Nicolas Tellop, essayiste et critique (35’). Un bonus typique de l’éditeur, à savoir complet, informatif, érudit. Forcément, quelques éléments font écho avec les propos tenus dans les suppléments précédents, mais les arguments avancés sont passionnants et complètent l’ensemble. Les Bourreaux meurent aussi est replacé dans la carrière de Fritz Lang, la genèse du film est abordée, ainsi que le long processus d’écriture du scénario, la collaboration Lang/Brecht, puis l’arrivée de John Wexley (ce qui allait engendrer pas mal de problèmes quant à la réelle paternité du sujet), les intentions du réalisateur, les partis-pris, le casting, la sortie (« décevante » pour Fritz Lang), le semi-succès rencontré dans les salles et malgré tout les quelques nominations aux Oscars.
L’intéractivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Le master proposé a été restauré en 2012 par la Restoration Department des Studios Pinewood à partir des meilleurs éléments existants dont quelques éléments originaux nitrate. Ce Blu-ray au format 1080p (AVC) propose Les Bourreaux meurent aussi dans son format respecté 1.33 et rend caduque celui édité en DVD par Carlotta Films. Le master se révèle souvent pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté (l’éclat des yeux des comédiens) et de relief. La propreté de la copie est évidente, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Fritz Lang, la photo entre ombre et lumière signée James Wong Howe (Picnic, Le Grand chantage) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Seuls petits accrocs constatés : des petits points noirs et blancs, des contrastes peut-être un peu trop poussés sur certaines séquences, de légers tremblements, des effets de pompage. Mais les fondus enchaînés sont plus ou moins stables et toutes les séquences en extérieur profitent de cette promotion en Haute-Définition.
Il ne faut pas trop en demander concernant les mixages…La version d’origine est disponible en français et en anglais, tandis que le montage américain intégral est uniquement présenté dans la langue de Shakespeare. Dans les deux cas, l’écoute demeure souvent confinée, sourde, couverte, même si le mixage de la version intégrale s’en sort globalement mieux en dépit d’un souffle chronique. Mais pour les deux versions, les dialogues demeurent souvent étouffés, la bande-son craque, les voix des comédiens saturent quelque peu. Néanmoins, la restauration de la langue anglaise (et allemande dans ce cas précis) est plus évidente. Les crépitations ne sont pas rares pour la langue de Molière, y compris une présence musicale aléatoire, généralement médiocre.
Crédits images : © Arnold Productions / Rimini Éditions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Les Bourreaux meurent aussi, réalisé par Fritz Lang »