LES BOUCANIERS (The Buccaneer) réalisé par Anthony Quinn, disponible en DVD et Blu-ray le 3 décembre 2019 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Yul Brynner, Claire Bloom, Charles Boyer, Inger Stevens, Henry Hull, E.G. Marshall, Charlton Heston, Lorne Greene…
Scénario : Jesse Lasky Jr., Jeanie Macpherson, Bernice Mosk d’après le roman de Lyle Saxon
Photographie : Loyal Griggs
Musique : Elmer Bernstein
Durée : 2h
Date de sortie initiale : 1958
LE FILM
1812. La guerre fait rage entre les indépendantistes américains et la puissance impérialiste britannique qui réunit une armée considérable pour définitivement étouffer la rébellion. Avec seulement 1.200 hommes, le général Andrew Jackson doit tenir La Nouvelle-Orléans contre 60 navires et 16.000 soldats ennemis. Son seul espoir : que le boucanier français Jean Laffitte se rallie à sa cause…
Quand on voit cette fresque extraordinaire que sont Les Dix Commandements, triomphe de l’année 1956, on n’imagine pas que Cecil B. DeMille avait déjà 75 ans bien tassés. Ce remake lui donne envie d’en réaliser un autre, celui des Flibustiers, sorti en 1938. Le problème, c’est que le cinéaste est littéralement épuisé par le tournage dantesque de son précédent film. Alors qui pour le remplacer derrière la caméra ? Budd Boetticher ? John Sturges ? Robert Parrish ? Delmer Daves ? Finalement, Cecil B. DeMille n’ira pas bien loin et décide finalement de confier les rênes à son gendre, le comédien Anthony Quinn, qui avait justement fait ses débuts au cinéma dans Les Flibustiers ! Ce dernier accepte, d’autant plus que la mise en scène le titillait depuis un certain temps. Mais le tournage sera chaotique. Si Cecil B. DeMille reste producteur, il ne peut empêcher la guerre des egos sur le plateau. Le plus difficile reste quand même pour Anthony Quinn (1915-2001), puisque non seulement celui-ci se retrouve quelque peu dépassé par les évènements, mais en plus sa tête d’affiche Yul Brynner refuse de lui adresser la parole. Toujours est-il que Les Boucaniers – The Buccaneer n’est pas si catastrophique que ce qu’en pensent les critiques.
Certes, le film est très statique, comme si Anthony Quinn était paralysé par l’ampleur du projet, mais l’ensemble conserve un charme, très désuet oui, mais qui fonctionne, et qui vaut aussi et surtout pour la participation de Charlton Heston, impérial dans le rôle du général (et futur président) Andrew Jackson. Il est en tout cas bien plus convaincant que Yul Brynner, qui a l’air de se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère. Et mention spéciale à Charles Boyer, qui apporte une légèreté bienvenue.
Chef d’une république de Boucaniers située dans l’embouchure du Mississippi, le pirate français Jean Lafitte est redouté de tous les navires marchands croisant dans la mer des Caraïbes, excepté ceux battant pavillon américain que le flibustier respecte scrupuleusement. Amoureux d’une jeune femme de la Nouvelle-Orléans, Annette de Rémy, la fille du gouverneur Clairborne, il tente vainement d’entrer dans la haute société de la ville. Jusqu’au jour où la poussée anglaise menace la région. Lafitte, qui tente habituellement de rester neutre dans le conflit qui oppose Américains et Britanniques, offre son aide au général Andrew Jackson pour sauver la Nouvelle-Orléans. La bataille à laquelle Lafitte et ses hommes prennent une part active, permettra de repousser les assaillants.
Tout cela est bien romancé…pas forcément bien raconté, mais Les Boucaniers, nouvelle adaptation du roman Laffite the Pirate de Lyle Saxon est un film qui ne manque pas de coeur. L’âme de Cecil B. DeMille se fait constamment ressentir du début à la fin, d’ailleurs il apparaît lui-même avant le générique pour présenter le contexte historique dans lequel se déroule Les Boucaniers, surtout au niveau des décors puisque quasiment tout a été reconstitué en studio, selon les désirs du producteur. Cela donne l’impression d’un spectacle avec le cul entre deux chaises. Bien que réalisé en 1958, Les Boucaniers fait vieux, avec une esthétique obsolète, un cadre étriqué, étouffant. Le Technicolor de Loyal Griggs (L’Homme des vallées perdues, Les Dix Commandements) est beau, rien à redire là-dessus, mais les personnages semblent englués dans le sol, en particulier Yul Brynner, dont le costume est tellement serré qu’il ne peut que prendre la pose à chaque plan, le regard perdu au loin, en attendant que ça se passe.
Il faut attendre 1h15 pour que Moïse et Ramsès II se retrouvent à l’écran ensemble. Mais même là, Charlton Heston prend largement le dessus sur son partenaire. C’est pourtant à ce moment précis que le film s’anime et mène le spectateur vers une séquence – malheureusement trop courte – d’affrontements, bien menée et mise en scène, qui réveille quelque peu l’audience. Car Les Boucaniers adopte un rythme pépère, à la limite de la léthargie et seule la beauté des images nous empêche de sombrer véritablement dans le sommeil. Dommage également d’avoir ponctué le récit par une histoire d’amour sans aucune saveur, où Inger Stevens écarquille les yeux devant un Yul Brynner qui se retient de rire. Et l’on repassera aussi sur le fait de présenter un Jean Laffite héroïque et au coeur tendre, alors qu’il s’agissait en réalité d’une immonde saloperie impitoyable et esclavagiste, tout comme Andrew Jackson.
Anthony Quinn a sûrement fait ce qu’il pouvait avec ce coup d’essai, qui restera d’ailleurs son unique film en tant que réalisateur, mais Les Boucaniers est un film d’aventure qui manque singulièrement de souffle, contrairement à la belle musique d’Elmer Bernstein, et surtout d’intérêt.
LE BLU-RAY
Même si Les Boucaniers reste et restera un film « malade », le film d’Anthony Quinn était attendu en DVD et en Blu-ray par beaucoup de cinéphiles. Sidonis Calysta propose donc enfin ces aventures de pirates en HD ! Très beau visuel. Le menu principal est animé et musical.
Patrick Brion commence les festivités avec une bonne présentation des Boucaniers (9’30). Vous en saurez un peu plus sur le remake des Flibustiers, réalisé par Cecil B. DeMille en 1938 et donc sur le seul film mis en scène par Anthony Quinn. Comment ce dernier s’est retrouvé aux commandes de ce film de pirates? Comment s’est déroulé le tournage ? Patrick Brion évoque ces éléments, sans rentrer dans les détails comme le fera son confrère Bertrand Tavernier dans le module suivant. Toutefois, l’historien du cinéma et critique est beaucoup plus positif envers Les Boucaniers en louant le charme du film, qu’il trouve plus attachant que Les Flibustiers, et aborde également l’interprétation qu’il trouve parfaite.
Place à Bertrand Tavernier, qui nous propose un grand moment, puisque le réalisateur, critique et historien du cinéma s’en prend ici violemment au film d’Anthony Quinn durant 37 minutes. Tout le monde, ou presque, en prend pour son grade, à l’exception de Charlton Heston et Charles Boyer. Bertrand Tavernier reprend pour ainsi dire chaque élément évoqué par Patrick Brion, mais les étaye ici plus longuement. Nous retiendrons notamment « un des tournages les plus accidentés, les plus calamiteux, les plus riches en bagarres et en crises de mégalomanie de toute l’histoire du cinéma américain de l’époque », « les péripéties croquignolesques », « Inger Stevens qui est très très très très très mauvaise », « Yul Brynner qui est extrêmement mauvais tout le long du film, incapable d’humour et de jouer léger », sans oublier « le dialogue très médiocre ». Outre ces critiques négatives, Bertrand Tavernier replace de façon formidable le film dans la carrière de Cecil B. DeMille, aborde la mise en route du remake des Flibustiers, l’évolution (difficile) du scénario, toujours rejeté par Yul Brynner (on lui a même proposé une version musicale pour surfer sur le triomphe du Roi et moi), les conditions houleuses de tournage, le casting…Attention, tout n’est pas catastrophique non plus pour l’invité de Sidonis, puisque le cinéaste loue quand même la réussite (relative) des scènes de batailles, « qui ne manquent pas de force », ainsi que la bonne idée du prologue mettant en scène Cecil B. DeMille lui-même. Quoi qu’il en soit, cette présentation est à la fois instructive, divertissante, bref, jubilatoire.
S’ensuit un documentaire « hommage » à Yul Brynner, intitulé « Yul Brynner, l’homme qui devint roi » (58’). Réalisé en 1995 et proposé ici en version française (comprenez donc une voix à la « téléshopping » superposée sur celle des intervenants), ce film donne la parole aux enfants du comédien, à certains grands noms du cinéma qui l’ont côtoyé sur le plateau ou dans la vie comme les acteurs Eli Wallach et Rita Moreno, ou bien encore les réalisateurs John Frankenheimer et Jack Lee Thompson. Composé également d’extraits des films les plus célèbres de Yul Brynner, ce documentaire quelque peu vieillot dans sa facture, ne propose rien de vraiment original.
La bande-annonce qui clôt cette interactivité est un supplément à part entière, puisqu’à l’instar du prologue des Boucaniers, Cecil B.DeMille présente ici le film d’Anthony Quinn dans son bureau, à la façon de Walt Disney ! Dix minutes durant lesquelles le producteur insiste sur le fait qu’il a bien supervisé l’ensemble de cette aventure, tout en précisant que les deux stars des Dix Commandements sont réunies à l’écran.
L’Image et le son
Le format VistaVision était très prisé par la Paramount. Noël blanc, Le Clown est roi, La Maison des otages, La Main au collet, Mais qui a tué Harry ?, Guerre et Paix, Les Dix Commandements, Drôle de frimousse, Sueurs froides ont tous bénéficié de ce procédé de prise de vues cinématographique réalisé sur pellicule 35 mm et lancé par le studio en 1954. Le but était d’utiliser un défilement horizontal avec une image à 8 perforations au lieu de 4 sur le format 35mm standard. Forcément, cela impliquait aux salles e cinéma de s’équiper afin de bénéficier d’une réelle projection horizontale. Tout cela pour essayer de concurrencer la télévision qui s’incrustait dans les foyers américains, mais aussi et surtout le CinemaScope lancé par la 20th Century Fox ! Les Boucaniers a été tourné en VistaVision, mais l’expérience dans notre salon n’est évidemment pas la même. Le master HD proposé ici est une version inédite 2K. La restauration et l’élévation HD profitent surtout au Technicolor avec des teintes chaudes, brillantes, saturées, lumineuses, qui flattent constamment la rétine. Quelques poussières subsistent, avec des petits points blancs tout du long, le piqué est doux, trop doux sans doute, les détails appréciables, les contrastes solides. Quelques fourmillements et plans flous, ainsi que des rayures sont constatés ici et là. La définition est bonne, mais vraiment aléatoire, tout comme la gestion du grain argentique.
Un carton annonce qu’il s’agit ici de la version intégrale du film et que certains passages, forcément non doublés, passent automatiquement en version originale sous-titrée. La piste anglaise l’emporte sur la française, au doublage solide avec notamment les voix de Georges Aminel pour Yul Brynner et de Raymond Loyer pour Charlton Heston, mais bien plus sourde et moins dynamique. La version originale est mieux équilibrée, la composition d’Elmer Bernstein s’impose beaucoup plus et les dialogues sont nettement plus vifs et naturels.