LE TROU NORMAND réalisé par Jean Boyer, disponible en Blu-ray le 22 septembre 2021 chez Gaumont.
Acteurs : Bourvil, Jane Marken, Brigitte Bardot, Jeanne Fusier-Gir, Pierre Larquey, Jean Duvaleix, Noël Roquevert, Georges Baconnet…
Scénario : Arlette de Pitray
Photographie : Charles Suin
Musique : Paul Misraki
Durée : 1h25
Date de sortie initiale : 1952
LE FILM
Célestin Lemoine, l’aubergiste d’un village normand, vient de mourir. Il a légué le «Trou normand» à Hippolyte, son neveu. Celui-ci pourra prendre possession de son bien à une condition : décrocher le certificat d’études. Faute de quoi, l’auberge reviendra à la belle-soeur du défunt, la cupide Augustine, et à sa fille Javotte. C’est ainsi qu’à l’âge de 32 ans, Hippolyte se voit obligé de retourner à l’école. Quoiqu’un peu innocent, le jeune homme montre beaucoup de bonne volonté et va même jusqu’à suivre des cours particuliers. Sa tante met tout en oeuvre pour perturber le cours de ses études…
Le Trou normand est pour ainsi dire l’ultime long-métrage dans lequel Bourvil, alors âgé de 35 ans, incarne le normand benêt, naïf et bonne pâte. C’est aussi sa troisième et avant-dernière collaboration avec le réalisateur Jean Boyer (1901-1965), après l’énorme succès du Rosier de madame Husson (1950) et de Garou-Garou, le passe-muraille (1951), et avant une participation dans Cent Francs par seconde (1953) où il joue son propre rôle. Il est impeccable dans la peau de ce dadais lunaire du cru, dont l’innocence et la gentillesse contrastent avec l’arrivisme et la bassesse de sa cousine, interprétée par une jeune actrice de 17 ans, Brigitte Bardot, dans son premier rôle au cinéma. Comédie populaire au sens noble du terme, Le Trou normand conserve un charme inaltérable, qui sent bon la province, le cidre et le grillé aux pommes. Complètement inoffensive, cette facétie repose sur la nature chaleureuse et attachante de son acteur principal, ainsi que sur un casting de formidables seconds couteaux et des dialogues soignés.
Hippolyte Lemoine (Bourvil) est un benêt d’une trentaine d’années, naïf à l’esprit enfantin, vivant à Courteville, un petit village de Normandie situé près d’Évreux. Lorsque son oncle Célestin meurt, il lègue par testament à Hippolyte sa fortune et son auberge Le Trou normand, mais à la condition expresse que celui-ci obtienne son certificat d’études dans l’année en cours. Pour atteindre son but, il devra déjouer les manigances de sa tante Augustine (belle-sœur et maîtresse du défunt) qui croyait hériter à sa place et cherche à le faire échouer en se servant de sa fille Javotte (Brigitte Bardot, fraîche et spontanée) dont Hippolyte est épris.
Quand il réalise Le Trou normand, Jean Boyer a déjà près d’une quarantaine de longs-métrages à son actif. Prolifique, allant parfois jusqu’à tourner quatre films par an, il dirige alors les plus grandes stars des années 1930-40, Maurice Chevalier, Danielle Darrieux, Arletty, Michel Simon, Raimu, Louis Jouvet, Fernandel, Charles Trenet, Pierre Brasseur et Gérard Philipe. En 1950, le triomphe du Rosier de madame Husson offre à Bourvil son plus grand succès au cinéma depuis Pas si bête (1947) d’André Berthomieu. Une amitié lie les deux hommes, qui se retrouveront à trois reprises. Le Trou normand joue une fois de plus sur le personnage créé par le comédien et immédiatement adopté par les spectateurs, un type qui n’a pas fait grand-chose de sa vie, au coeur gros comme ça, timide, à qui la vie donne soudainement un coup de pouce. Mal entouré dans sa famille par sa tante peau de vache et jalouse, génialement incarnée par Jane Marken (Copie conforme, Maxime) et sa cousine Javotte, pimbêche qui n’aspire qu’à quitter ce trou paumé pour la capitale où elle voudrait devenir comédienne, qui souhaiteraient le voir échouer dans le but qu’il s’est fixé, Hippolyte pourra compter sur le soutien indéfectible du maire et docteur du village (le grand Noël Roquevert), de l’instituteur (Georges Baconnet), du bistrotier (Pierre Larquey) et surtout de Madeleine (Nadine Basile) la fille de ce dernier dont il tombe amoureux, sans oublier la fidèle Maria (l’immense Jeanne Fusier-Gir).
Si on devine évidemment la fin longtemps à l’avance, on suit toujours avec autant de bonheur les aventures d’Hippolyte, obligé de retourner sur les bancs de l’école et de se mêler aux gamins, qui se moquent de lui tout d’abord, puis qui l’adoptent finalement très rapidement. Tous ces personnages bienveillants vont s’unir contre la tante rusée qui usera de moult stratagèmes pour que son neveu se plante le jour de son examen, tout en lui faisant croire que Javotte lui est promise. Bourvil redouble d’énergie dans Le Trou normand. Son grand sourire fait son effet, il émeut aussi, puis chante (« Quand on demande aux petits enfants Fan, Fan, Fan, Fan… », sur des paroles de Jean Boyer lui-même) avec ses petits camarades, avant d’apprendre les rois Capétiens et de servir quelques calvas au comptoir de l’auberge.
Si le « certificat d’études » ne dira forcément rien aux plus jeunes spectateurs, ceux-ci pourront quand même accrocher à ce film léger, sans prétention, si ce n’est celle de donner du plaisir aux spectateurs conquis d’avance. Soixante dix ans après, Le Trou normand demeure un divertissement bon enfant et fort sympathique.
À ma tante Viviane.
LE BLU-RAY
Le Trou normand a connu plusieurs vies en édition Standard, chez René Chateau, chez EuropaCorp (qui proposait les versions couleur et N&B), puis chez Gaumont. Un an après une réédition en DVD chez le troisième éditeur, le film de Jean Boyer s’affiche désormais dans les bacs en Haute-Définition. Boîtier blanc caractéristique de la collection Classiques chez Gaumont. Le menu principal est fixe et muet. Contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant le visuel, nulle trace de la version colorisée ici.
L’éditeur s’est tourné vers Pascal Delmotte pour nous présenter Le Trou normand (15’30). Le spécialiste de Bourvil replace le film de Jean Boyer dans la carrière du comédien, tout en dressant un portrait de l’acteur et de l’homme, qui reste adulé des spectateurs français plus de cinquante ans après sa mort prématurée à l’âge de 53 ans. Il y évoque « la simplicité et l’humanité de Bourvil, qui est resté lui-même tout au long de son existence et malgré son succès ». Pascal Delmotte parle des divers stades de la carrière du comédien, marquée entre autres par La Traversée de Paris (1956), indiquant qu’il y a eu un avant et un après le film de Claude Autant-Lara. Concernant Le Trou normand, moult informations sont données sur le casting (Brigitte Bardot, dont Bourvil disait qu’elle ne ferait jamais carrière), sur le réalisateur Jean Boyer, sur les conditions de tournage à Conches-en-Ouche et à La Vieille Lyre (dans l’Eure et où l’auberge est devenue aujourd’hui un gîte communal) et le succès du film au cinéma.
L’Image et le son
D’emblée, la copie nous apparaît étincelante, des noirs denses côtoient des blancs immaculés et la palette de gris est largement étendue. La restauration HD est exceptionnelle, aucune scorie n’a survécu au nettoyage numérique et le piqué est bluffant. Quelques séquences témoignent d’une sensible perte de la définition, mais ce serait vraiment chercher la petite bête. Un beau lifting qui devrait ravir les aficionados de Bourvil.
L’éditeur livre comme d’habitude une piste DTS-HD Master Audio Mono qui instaure d’emblée un très bon confort acoustique. L’écoute est aérée avec des dialogues clairs et affirmés, ainsi qu’une solide délivrance des effets annexes et de la belle partition de Paul Misraki (Et Dieu… créa la femme, Manon, Maigret tend un piège). La restauration ne fait aucun doute et surtout, aucun souffle n’est à déplorer. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant.