Test Blu-ray / Copie conforme, réalisé par Jean Dréville

COPIE CONFORME réalisé par Jean Dréville, disponible en combo DVD/Blu-ray le 24 mars 2021 chez Pathé.

Acteurs : Louis Jouvet, Suzy Delair, Annette Poivre, Madeleine Suffel, Jane Marken, Danièle Franconville, Jean-Jacques Delbo, Léo Lapara, Henry Charrett, Georges Pally, Fernand Rauzena, Gaston Dupray, Jean Carmet…

Scénario : Jacques Companeez

Photographie : André Thomas

Musique : René Cloërec

Durée : 1h45

Année de sortie : 1947

LE FILM

Ismora est un escroc qui se déguise pour berner ses victimes. Il parvient ainsi à vendre un château propriété de l’État. Dans le même temps, Gabriel Dupon, terne commercial en boutons, se rend dans un hôtel où Ismora vient de commettre un méfait. Les deux hommes sont les sosies l’un de l’autre. Le concierge de l’hôtel est donc persuadé que Dupon est le voleur. Dupon est arrêté par la police. Il finit par être libéré, mais, déprimé, envisage de se suicider. Ismora le sauve à la dernière minute, bien décidé à utiliser leur ressemblance pour ses mauvais coups.

1946-1947 est un moment charnière dans la carrière du comédien Louis Jouvet, qui s’était exilé en Amérique latine durant l’Occupation et qui revenait au cinéma en France en enchaînant les tournages d’Un revenant de Christian-Jaque, Les Amoureux sont seuls au monde d’Henri Decoin, de Quai des Orfèvres d’Henri-Georges Clouzot et de Copie conforme de Jean Dréville (1906-1997). Si ce dernier ne bénéficie sans doute pas de l’aura et du prestige des trois autres, Copie conforme est pourtant un immense succès dans les salles à sa sortie en juillet 1947 et reste surtout célèbre pour le double-rôle magistralement interprété par Louis Jouvet, cinq personnages en réalité si l’on tient compte des déguisements divers et variés portés par l’escroc Manuel Ismora. Follement moderne, cette comédie annonce notamment L’Incorrigible (1975) de Philippe de Broca, dans lequel Jean-Paul Belmondo incarne un voyou multipliant les larcins et escroqueries, en ayant recours à quelques fausses moustaches, légions d’honneur factices et autres camouflages. Dans Copie conforme, le récit ajoute à ce comique de situation, un sosie au malfaiteur. Grâce à la magie des effets spéciaux, Louis Jouvet se dédouble à l’écran et le procédé du cache-contre-cache permet au comédien de se donner lui-même la réplique. Près de 75 ans plus tard, le résultat demeure franchement bluffant. Passionné par les dernières technologies mises à sa disposition en matière de trucages directs, Jean Dréville réalise un vrai tour de force. L’interaction entre Gabriel Dupon, représentant en boutons, et Manuel Ismora, l’escroc, tous les deux interprétés par Louis Jouvet donc, est réellement impressionnante et n’est pas sans annoncer aussi, cinquante ans avant (!), Mes doubles, ma femme et moi Multiplicity (1996) d’Harold Ramis. Copie conforme est en quelque sorte une comédie avant-gardiste, dans laquelle l’un des plus grands acteurs français de tous les temps s’amuse à endosser plusieurs costumes et autant de personnalités diverses et variées, avec manifestement un plaisir non dissimulé et dans le but unique d’offrir aux spectateurs un divertissement digne de ce nom.

Gabriel Dupon est représentant en boutons, médiocre, il est vrai, tant il est effacé et timide. Manuel Ismora est un escroc brillant, un cambrioleur audacieux. Moralement opposés l’un à l’autre, Dupon et Ismora ont pourtant un point commun, et de taille : ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau ; chacun est, au physique, la parfaite copie-conforme de l’autre ! Et ce qui devait arriver arrive : c’est Dupon qu’on arrête pour un forfait perpétré par Ismora. Innocenté, le pauvre Gabriel est néanmoins déshonoré. Tout le monde le suspecte et il ne voit plus qu’une solution à cet insupportable quiproquo, le suicide. C’est alors qu’intervient Manuel qui a imaginé de faire de son sosie un alibi permanent : à chacun de ses méfaits Dupon sera ailleurs et égarera la police en se faisant passer pour Ismora. Qu’a cela ne tienne ! Gabriel apprend à se vêtir, à parler, à manger tout comme Manuel et bientôt, plus personne, même Coraline, la maîtresse d’Ismora, ne les distingue l’un de l’autre. Ismora, désormais, escroque, dévalise, truande en toute impunité, puisqu’il a toujours un alibi en béton ! Mais il voit d’un mauvais oeil Coraline lui préférer Dupon, plus tendre, plus amoureux. Les deux sosies ont une explication violente.

J’ai déjà vu cette tête-là quelque part !

Le prologue donne le ton. Durant le premier quart d’heure, Louis Jouvet enchaîne tour à tour les rôles du duc de Niolles, un déménageur et un norvégien du nom d’Olaf Christiansen. Ces trois personnages sont en fait un seul et même individu, Manuel Ismora, un photographe de mode très réputé à Paris, qui passe son temps libre à monter quelques escroqueries avec l’aide de trois complices, dont un jeune comédien de 26 ans qui répond au nom de Jean Carmet, déjà apparu au cinéma dans Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné. Tout va pour le mieux pour Ismora, bandit de grande envergure qui parvient à vendre un château – qui appartient à l’état – à un couple fortuné en se mettant dans la peau d’un vieux duc aigri et boiteux, puis à dévaliser un collectionneur d’art en se faisant passer pour un déménageur titi parisien, en usant de sa gouaille pour amadouer la gardienne de l’immeuble, ou en volant les bijoux d’un joaillier dans un hôtel de luxe, en se transformant en norvégien élégant. Jusqu’au jour où le sosie parfait d’Ismora, Gabriel Dupon, un homme de tous les jours et dont même le patronyme est quelconque, propose ses boutons réputés incassables à un client résidant dans le même hôtel que le joaillier victime d’Ismora. « Reconnu », il est arrêté à la sortie du bâtiment. Désigné coupable par l’ensemble des victimes d’Ismora, humilié, cet homme simple et timide, pour ne pas dire insignifiant, tente de se suicider dans la Seine. Il est sauvé in extremis par l’un des hommes d’Ismora. Ce dernier se présente enfin et lui propose de l’engager comme « Duplicata », autrement dit de se faire passer pour lui, au moment où Ismora commettra ses méfaits. Dupon ayant laissé une lettre avant son passage à l’acte, tout le monde pense qu’il a mis fin à ses jours. Manipulé par Ismora, Dupon, cloîtré chez le photographe, apprend à « devenir » Ismora. Il doit passer la soirée avec la délicieuse Coraline, chanteuse de cabaret (« L’amour n’est qu’une comédie… ») et maîtresse de l’arnaqueur, qui ignore tout des activités criminelles de son amant. Malgré ses efforts, la véritable nature de Dupon reprend le dessus. Sa douceur, sa maladresse, sa timidité charment Coraline, qui ne comprend pas ces changements d’attitude, lui qui est habituellement ironique et sarcastique. Alors que Dupon tombe éperdument amoureux de Coraline, Ismora découvre que la situation lui échappe petit à petit.

Copie conforme est une succulente comédie burlesque, qui fait aussi la part belle aux sentiments. A ce titre, les différentes rencontres entre Dupon et Coraline sont superbes, avec d’un côté Louis Jouvet, magnifique en homme maladroit et réservé, et de l’autre la sublime et irrésistible Suzy Delair, plantureuse créature aux yeux de biche et au sourire ravageur dont le regard s’illumine à nouveau au contact de cet homme attendrissant, à l’écoute et respectueux. Sur un scénario riche, bourré de quiproquos et d’émotion signé Jacques Companeez (Les Bas-fonds de Jean Renoir, Forfaiture de Marcel L’Herbier, Les Maudits de René Clément, Casque d’or de Jacques Becker), très inspiré de celui de Toute la ville en parle The Whole Town’s Talking (1935) de John Ford, sans oublier les savoureuses répliques écrites par le grand Henri Jeanson (« S’aimer comme des pauvres, ça doit être chic, quand on sait qu’on a de l’argent ! », « Vous avez déjà lu le Larousse ? C’est un recueil de noms célèbres totalement inconnus… »), Jean Dréville enchaîne les morceaux de bravoure et les prouesses techniques, tout en faisant rire les spectateurs. Une très belle réussite où trône (doublement) l’impérial et éblouissant Louis Jouvet.

LE BLU-RAY

Alors que Cadet Rousselle (1954) d’André Hunebelle était également prévu dans cette nouvelle vague Pathé Classiques, l’éditeur a pu maintenir les sorties de L’Étrange Monsieur Victor (1938) de Jean Grémillon et Copie conforme (1947) de Jean Dréville. Cette édition de Copie conforme, anciennement disponible en DVD chez LCJ Editions, se compose du DVD et du Blu-ray. Le menu principal est animé et musical.

Comme d’habitude, Pathé propose de prolonger les festivités avec un supplément de qualité. C’est encore le cas ici avec les interventions croisées de Patrick Glâtre (chargé de mission Images et Cinéma, auteur de Jean Dréville, cinéaste), Christophe Moussé (auteur de Henri Jeanson) et Didier Griselain (spécialiste du cinéma français des années 1930-60). Durant plus d’une demi-heure, ces trois spécialistes replacent Copie conforme dans l’oeuvre de Jean Dréville et de Louis Jouvet, en abordant également les conditions de tournage et la réalisation des effets spéciaux à partir du procédé du cache-contre-cache. On apprend que certaines scènes devaient être répétées plus de 40 fois par Louis Jouvet, afin d’obtenir la parfaite synchronisation entre les « 2 » personnages.

Ensuite, Pathé a mis la main sur l’extrait d’une interview du réalisateur Jean Dréville, menée par le cinématologue et musicologue Armand Panigel (2’40), dans le cadre de l’émission Histoire du cinéma français par ceux qui l’ont fait en 1974. Le sourire aux lèvres, le cinéaste s’exprime sur Copie conforme et plus particulièrement sur sa collaboration avec Louis Jouvet et les effets spéciaux qui ont permis de le dédoubler à l’écran.

L’Image et le son

Copie conforme a été restauré en 2K à partir du négatif nitrate original 35mm par le laboratoire Mikros Image. Si certaines rayures verticales subsistent et que les fonds enchaînés entraînent des décrochages, le master HD du film de Jean Dréville s’en sort haut la main avec une luminosité de tous les instants, une texture argentique bien équilibrée, un piqué de qualité et une stabilité jamais prise en défaut.

En revanche, la piste DTS HD Master Audio 2.0 manque non seulement de clarté, mais s’avère souvent grinçante (voir la rencontre avec le joaillier), chuintante ou sature lors de la chanson de Suzy Delair. Il n’est pas rare que le volume ou l’intelligibilité change au cours d’une même réplique. Tantôt couverte, tantôt très (voire trop) propre, cette piste déçoit. L’éditeur joint également les sous-titres destinés aux spectateurs sourds et malentendants, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © Pathé / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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