LE SCHPOUNTZ réalisé par Marcel Pagnol, disponible le 1er octobre 2024 en Blu-ray, chez CMF (Compagnie Méditerranéenne de Films).
Acteurs : Fernandel, Orane Demazis, Fernand Charpin, Robert Vattier, Pierre Brasseur, Léon Belières, Jean Castan, Enrico Glori…
Scénario : Marcel Pagnol
Photographie : Willy Faktorovitch
Musique : Casimir Oberfeld
Durée : 2h09
Date de sortie initiale : 1938
LE FILM
Jeune commis épicier un peu mythomane, Irénée, à qui le cinéma a tourné la tête, est convaincu qu’il deviendra un acteur célèbre. Il rencontre une équipe de tournage qui lui réserve une plaisanterie cruelle. Il arrive aux studios plein d’espoir…
« Quand on fait rire sur la scène ou sur l’écran, on ne s’abaisse pas, bien au contraire. Faire rire ceux qui rentrent des champs, avec leurs grandes mains tellement dures qu’ils ne peuvent plus les fermer, ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines qui ne savent plus le goût de l’air, ceux qui reviennent de l’usine, la tête basse, les ongles cassés, avec de l’huile noire dans les coupures de leurs doigts…Faire rire tous ceux qui mourront, faire rire tous ceux qui ont perdu leur mère, ou qui la perdront…Le rire n’est pas une espèce de convulsion absurde et vulgaire mais une chose humaine que Dieu a peut-être donnée aux hommes pour les consoler d’êtres intelligents. » Marcel Pagnol
Tourné en parallèle de Regain, Le Schpountz est un des monuments de son auteur, Marcel Pagnol (1895-1974). Après le dernier épisode de sa Trilogie marseillaise, le réalisateur confie à nouveau le rôle principal à Fernandel. Ainsi, après Saturnin, le valet de ferme dans Angèle et Urbain Gédémus, le rémouleur de Regain, le comédien endosse l’habit et la raie au milieu d’Irénée Fabre, commis-épicier, persuadé qu’il est fait pour le cinéma, son « talent caché ». Inspiré par une véritable anecdote survenue au moment du tournage d’Angèle en 1934, Le Schpountz révèle l’entre-soi du monde du septième art, où les artistes et techniciens n’hésitent pas à se moquer ouvertement d’un grand garçon benêt (ou un « fada », un « raté », « un bon à rien », « une loque », « une épave », « un pauvre couillon » comme le dit affectueusement l’oncle d’Irénée), persuadé qu’il est fait pour « briller » et mettre les spectateurs à ses pieds. Succession ininterrompue de dialogues anthologiques durant plus de deux heures, cette comédie tragique ou drame comique (cela fonctionne souvent dans les deux sens avec Marcel Pagnol), Le Schpountz possède la même force de frappe qu’un film de Chaplin, son propos est inaltérable, universel et intemporel. Immense chef d’oeuvre.
Irénée Fabre et son frère Casimir sont hébergés, depuis la mort de leurs parents, chez leurs oncle et tante qui tiennent une petite épicerie à Éoures, entre Marseille et Aubagne. Irénée rêve d’être une vedette du grand écran. En attendant ce brillant destin, sa nonchalance, sa maladresse et son gros appétit le font considérer par son oncle comme un irrécupérable boulet. De passage dans son village pour tourner un film, des techniciens de cinéma s’aperçoivent qu’Irénée est ce qu’ils surnomment dans leur jargon « un schpountz », autrement dit un jobard se croyant artiste. Ils l’écoutent, amusés, évoquer naïvement son obsession de cinéphile et faire la démonstration de ses talents, déclamant une tirade sur la peine de mort, puis se lançant dans une chanson burlesque ; et pour le tourner en ridicule, ils lui font signer un faux contrat d’acteur professionnel aux clauses aussi mirobolantes que loufoques, qui non seulement n’éveillent chez lui aucun soupçon, mais exaltent sa confiance en lui. Comme l’explique Charlet, un des membres de l’équipe, il est un « schpountz » parfait et l’explique en ces termes : « Le Schpountz, […] c’est un rôle. Un rôle extraordinaire dans un film extraordinaire. Ce rôle, depuis cinq ans, attend l’acteur qui pourra l’incarner. On a essayé toutes les vedettes, tous les plus grands noms de l’écran ! Aucun n’a pu l’interpréter. C’est pour ainsi dire Greta Garbo en homme. Vous vous rendez compte ? ». L’oncle, choqué de la naïveté d’Irénée, lui reproche un « ramollissement de la cervelle » et raille sa volonté de monter à Paris pour faire exécuter son contrat. Cependant Irénée, piqué au vif et aveuglé par sa vanité, continue de mordre à l’hameçon, et cela malgré les avertissements de Françoise, la monteuse de l’équipe, qui tente elle aussi de le faire changer d’avis en lui expliquant qu’il est victime d’une mauvaise plaisanterie. Croyant que cet aveu est en fait une manœuvre pour l’empêcher de percer dans le métier, Irénée s’emporte et se rend à Paris pour tourner ce qu’il croit être son premier film.
Tout condamné à mort aura la tête tranchée.
Cela ne s’arrête pas une seconde. Avec ses répliques qui fusent à cent à l’heure, Le Schpountz est et demeure une référence ultime en matière de comédie hexagonale. Marcel Pagnol évite toute théâtralité et parvient à aérer son action, essentiellement focalisée sur les réparties de ses personnages. Évidemment on rit beaucoup, énormément, mais l’émotion naît au moment où on s’y attend le moins. C’est le cas après qu’Irénée, poussé par Astruc et sa bande, le pousse à endosser le costume d’un général d’Empire et l’introduit en plein tournage sur le plateau d’un film historique consacré à Napoléon. L’irruption incongrue d’Irénée sème la panique, interrompt le tournage et déclenche la fureur du réalisateur. Quand Irénée, qui a pris la fuite, est retrouvé par l’équipe, celui-ci, visage grave et fermé, mais l’oeil humide, tente de leur faire croire qu’il n’a pas cru une seule seconde à leur histoire et qu’il a joué le jeu pour voir jusqu’où tous étaient capables d’aller pour se moquer d’autrui. Une rupture brutale qui rappelle celle où Pignon/Villeret apprend qu’il a été le dindon de la farce de Brochant dans Le Dîner de cons.
Irénée a beau être orgueilleux, il n’est pas imbu de lui-même et ses affrontements en permanence avec son oncle (sensationnel Fernand Charpin) rendent compte de l’amour immense qu’ils ressentent pour l’autre, malgré les quolibets et les moqueries. Marcel Pagnol montre à quel point les âmes pures peuvent être détruites par des personnes malveillantes, même si le bien finira bien par reprendre le dessus, quitte à emprunter pour cela quelques chemins de traverse.
« Tu vas encore me dire que je suis un bon à rien ! — Ooooh, que non ! Bon à rien ! Mais ce serait encore trop dire ! Tu n’es pas bon à rien, tu es mauvais à tout… »
On ne touche pas à un film comme Le Schpountz. Pourtant, Gérard Oury l’a fait en 1999. Le metteur en scène de La Grande vadrouille et du Corniaud, âgé de 80 ans, signera un remake avec Smaïn dans le rôle principal, accompagné de Sabine Azéma et Ticky Holgado. Conspué par la critique (même si tout cela ne méritait pas autant de haine) et énorme échec public avec seulement 205.000 entrées,Le Schpountz version Oury a en réalité assuré encore plus la pérennité de celui de Pagnol.
LE BLU-RAY
18 ans après sa première sortie en DVD, Le Schpountz fait son grand retour en Haute-Définition, toujours chez CMF (Compagnie Méditerranéenne de Films). Le disque repose dans un Slim Digipack, élégamment illustré. Le menu principal est animé et musical.
En guise de bonus, nous ne trouvons qu’une galerie de photographies, dévoilant notamment l’envers du décor, puisqu’on y voit entre autres Marcel Pagnol avec ses comédiens. En revanche, aucune trace de l’avant/après restauration notée sur le Digipack.
L’Image et le son
CMF (Compagnie Méditerranéenne de Films) présente sa restauration 2K du Schpountz. Un lifting qui se voit d’entrée de jeu, avec une stabilité d’image retrouvée, des contrastes soignés et une luminosité de tous les instants. Nous notons tout de même une poignée de plans plus abîmés et flous, de légers décrochages sur les fonds enchaînés, des rayures verticales et autres effets de montage, ainsi que quelques fourmillements. Il n’empêche que nous n’avions probablement jamais vu Le Schpountz aussi pimpant avec sa texture argentique, non seulement conservée mais aussi bien gérée, son piqué étonnant et ses détails appréciables.
Le Schpountz, comme la plupart des films de Marcel Pagnol, sont des films, non pas bavards, ce qui serait péjoratif, mais volubiles. Les dialogues sont abondants et les échanges ne sont pas tous logés à la même enseigne. Certaines répliques peuvent donc être claires et nettes, tandis que d’autres seront étonnamment couvertes ou grinçantes. Parfois, le volume tend même à baisser en cours de route. Dans l’ensemble, le confort est convenable, même si les années qui ont passé sont éloquentes. La jaquette annonce une piste Audiodescription, que nous n’avons pas trouvé. En revanche, l’éditeur joint une piste de sous-titres anglais et surtout français, destinés aux spectateurs sourds et malentendants.
Crédits images : © CMF-MPC / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr