Test Blu-ray / Le Duo de la mort – Femina Ridens, réalisé par Piero Schivazappa

LE DUO DE LA MORT (Femina Ridens) réalisé par Piero Schivazappa, disponible en DVD et Blu-ray chez Frenezy.

Acteurs : Philippe Leroy, Dagmar Lassander, Lorenza Guerrieri, Varo Soleri, Maria Cumani Quasimodo, Mirella Pamphili…

Scénario : Piero Schivazappa

Photographie : Sante Achilli

Musique : Stelvio Cipriani

Durée : 1h30 (version intégrale)

Date de sortie initiale : 1969

LE FILM

Le docteur Sayer (Philippe Leroy), directeur d’une association philanthropique, fait la connaissance de Maria (Dagmar Lassander), journaliste qui souhaite lui consacrer un article. Sayer propose à la jeune femme de venir à son domicile. A son arrivée, il la drogue et la séquestre. Car Maria est la nouvelle proie d’un sociopathe dont le grand projet secret est de rétablir la domination de l’homme sur la femme, un peu trop malmenée à son goût par la vague de liberté post-68.

En 1969, le giallo italien est encore un genre naissant, dont Mario Bava a posé les fondations formelles et thématiques avec Six Femmes pour l’assassin cinq ans plus tôt. Femina Ridens, de Piero Schivazappa, semble cocher assez de cases pour figurer parmi ses représentants : l’assassin à la psyché défaillante, sa victime torturée et terrifiée, la violence graphique, la mise en scène hyper stylisée, les gros plans fétichistes, les couleurs parfois surréalistes… Or, sitôt Dagmar Lassander entre les griffes de Philippe Leroy, il apparaît assez clairement que Schivazappaquestionne le giallo plus qu’il ne s’en réclame. Ainsi, au moment d’ « exposer » sa proie après l’avoir droguée, le docteur Sayer modifie l’éclairage de la pièce en apposant une gélatine rouge sur la lampe, faisant ainsi baigner le tout dans une ambiance lumineuse familière des amateurs de gialli et des derniers films en date de Mario Bava (et de ceux à venir de Dario Argento). Un peu plus tard, Sayer projette à Maria des images de ses précédentes victimes, brutalisées devant son objectif dans des postures au sadisme presque élégant, pour mieux la terroriser. Ce faisant, le cinéaste fait de son personnage masculin une sorte d’alter ego malade et nous place, nous, dans la situation de Maria, certes victime de Sayer, mais aussi spectatrice de ses actes. Premier vertige d’un film qui en réserve beaucoup d’autres. Car s’il détourne le maniérisme du giallo, Schivazappa en retourne aussi les thèmes de prédilection.

Le docteur Sayer a beau jeu de se décrire comme le bras armé de la virilité face au désir d’émancipation des femmes qu’il interprète, dans son délire, comme une entreprise de castration de la moitié de l’humanité. En vérité, ses pulsions misogynes ne sont que la manifestation de son impuissance sexuelle. Impuissance sexuelle compensée par une puissance matérielle qui par ailleurs, permet au réalisateur d’explorer d’autres horizons : la débauche de tableaux et sculptures dans la maison de Sayer – collectionneur raffiné, reconnaissons-lui au moins cela – est prétexte à un autre questionnement, cette fois sur la fonction de l’art : manifestation de faste, amour du beau, ou plus simplement, représentation extérieure de ce qui semble tu mais est subtilement dicible. Dans la salle de bain où Sayer se livre à des ablutions rituelles annonçant presque celles d’American Psycho, une toile lacérée à la manière d’un tableau de Lucio Fontana, en dit plus long sur son état d’esprit que n’importe quel dialogue. Tout comme sa collection de tableaux de virus est la projection de son cerveau malade. L’oeuvre la plus évocatrice restant sans conteste le Hon de Nikki de Saint-Phalle, immense et chatoyante représentation d’un vagin denté dans lequel, à la faveur d’une séquence fantasmée, Sayer pénètre pour en ressortir sous forme de squelette. Cette scène à elle seule, constitue la note d’intention de Femina Ridens, qui n’en finit pas de prendre le spectateur à revers. Mais après tout, le premier indice était dans le titre. Littéralement, Femme qui rit – un titre qu’on est en droit de préférer à sa version française ridicule au moment de la sortie du film en 1969, Le Duo de la mort, et à sa « traduction « internationale », The Frightened woman (la femme effrayée), totalement à contre-sens. La femme rit, oui. Elle rit de l’homme, et elle a bien raison. Car entre celui qui regarde et celle qui est regardée, celui qui torture et celle qui est torturée, les rôles s’inversent évidemment très vite, jusqu’à un final incroyable.

S’il a donc les atours du huis-clos sadique, Femina Ridens déploie un discours d’une amplitude remarquable sur son époque – époque charnière pour les femmes ET pour le cinéma italien, qui s’éloigne du néo-réalisme pour se politiser, s’érotiser, se « gialliser ». Coincé entre deux âges, à l’image de son protagoniste qui travaille dans un bâtiment bariolé de dorures et de colonnes d’un autre siècle et vit dans une profusion d’oeuvres contemporaines, Femina Ridens est un long-métrage inclassable. Cette absence de concessions faites aux lieux communs, sa résonance troublante avec les débats sociétaux qui parcourent la société plus de 50 ans plus tard, la partition inoubliable de Stelvio Cipriani et la mise en scène au diapason des arts qu’il célèbre (plastiques et cinématographique), sont ses plus grandes forces.

L’ÉDITION BLU-RAY

BD50 – 1920x1080P – Format 1.85 respecté
Italien* PCM 2.0 & Français* PCM 2.0 – Sous-titres français (Blu-ray 1)
* Certains dialogues basculent en anglais sous-titré afin de respecter la version intégrale.

Français* PCM 2.0 uniquement (Blu-ray 2)

C’est le très jeune éditeur indépendant Frenezy, qui nous a déjà fait le plaisir de rendre visible La Victime désignée, de Maurizio Lucidi, qui a la riche idée de sortir de la confidentialité Femina Ridens, jusqu’alors uniquement édité en VHS sous le titre franchement nul Le Duo de la mort. Et ils ne font pas les choses à moitié. Cette magnifique édition double Blu-Ray contient non seulement les deux versions du film (l’originale et celle amputée de deux minutes exploitée à l’international), les deux dans une copie HD (restaurée à partir du négatif original) de toute beauté rendant justice à la photographie très travaillée de Sante Achilli. Un panneau en introduction indique que le son avait subi des dommages irréversibles. La version intégrale contient trois brefs segments qui basculent automatiquement en version anglaise sous-titrée français.

Côté bonus, on en a aussi pour notre argent : bandes-annonces, entretiens avec Dagmar Lassander (qui revient aussi sur ses collaborations avec Mario Bava et Lucio Fulci, 18’30) et avec le compositeur Stelvio Cipriani (18′), cinq minutes de scènes coupées… On en retient surtout les trois longs entretiens en supplément du premier Blu-Ray, intitulés Femina Art, Femina Cinema et Femina Op. Dans le premier, la critique d’art Catherine Francblin revient sur l’oeuvre de Nikki de Saint-Phalle et l’importance de son oeuvre Hon dans le film (34′). Le deuxième donne la parole à l’intarissable directeur de programmation à la Cinémathèque Française, Jean-François Rauger, qui évoque quant à lui l’oeuvre hélas peu prolifique de Piero Schivazappa (19’30). Femina Op, enfin, constitue le bonus le plus passionnant de cette édition, grâce aux connaissances encyclopédiques de la spécialiste en art cinétique, Pauline Mari, qui nous parle de la place prépondérante occupée par le courant de l’Op art dans Femina Ridens (36′). On en redemande.

Crédits images : © Frenezy / CEMO Films / Critique du film et chronique du Blu-ray réalisées par Sabrina Guintini / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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