L’AMOUR TOP FORT réalisé par Daniel Duval, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 24 août 2021 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Marie-Christine Barrault, Jean Carmet, Daniel Duval, Hubert Deschamps, Christian Delangre, Alain Flick, Monique Pantel, Bernard Dumaine…
Scénario : Daniel Duval & Jean Curtelin
Photographie : Michel Cénet
Musique : Maurice Vander
Durée : 1h31
Date de sortie initiale: 1981
LE FILM
Une solide amitié liait Max, vieil acteur raté, à Charlie, jeune metteur en scène ambitieux, jusqu’au jour où ce dernier rencontre le grand amour en la personne de Rose-Marie, une jeune antiquaire un peu bourgeoise. Abandonné par sa femme, Max se raccroche au nouveau couple mais sa présence devient trop pesante et Rose-Marie menace de rompre si Charlie ne choisit pas.
Dans l’esprit des cinéphiles, Daniel Duval (1944-2013) c’est avant tout une gueule incroyable vue dans Que la fête commence (1974) de Bertrand Tavernier, Le Bar du téléphone (1980) de Claude Barrois, Les Loups entre eux (1985) de José Giovanni, Stan the Flasher (1990) de Serge Gainsbourg. Peu de grands rôles, mais des apparitions marquantes, un charisme à part, une sensibilité à fleur de peau, une rage intérieure. En 1996, le succès surprise de Y aura-t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset va changer la donne et le comédien, qui avait entamé la cinquantaine, va se voir proposer plus de rôles au cinéma, chez Xavier Durringer (J’irai au paradis car l’enfer est ici), Jeanne Labrune (Si je t’aime, prends garde à toi), Philippe Garrel (Le Vent de la nuit), Michael Haneke (Le Temps du loup), Olivier Marchal (36 Quai des Orfèvres), etc. Mais parallèlement à sa carrière d’acteur, Daniel Duval était également scénariste et réalisateur. Six longs-métrages écrits et mis en scène de 1974 avec Le Voyage d’Amélie à 2006 avec Le Temps des porte-plumes, son plus grand hit restant bien sûr La Dérobade (1979), qui attire 2,8 millions de spectateurs à sa sortie et qui connaît un succès foudroyant dans le monde entier. Après ce triomphe, Daniel Duval revenait à une œuvre plus intimiste et personnelle, complètement méconnue, L’Amour trop fort, dont il partageait l’affiche avec Jean Carmet et Marie-Christine Barrault. Ou quand l’amour et l’amitié s’imbriquent et doivent cohabiter. On pense à une version tragique de Viens chez moi, j’habite chez une copine, mais L’Amour trop fort s’en distingue très rapidement avec la force, la délicatesse, l’élégance et la passion propres à son auteur, loin de toute mièvrerie ou facilité, qui rappellent souvent le cinéma de Claude Sautet. Autant dire que L’Amour trop fort, qui n’avait pas du tout connu le même engouement que La Dérobade, demeure encore un film ignoré, peut-être incompris ou obscur, et qui s’avère quarante ans après une sacrée belle découverte.
Réalisateur de films, Charlie (Daniel Duval) est ami avec Max (Jean Carmet) un vieil acteur raté. Ils se connaissent depuis longtemps et ont mené ensemble une vie à la fois chaotique et attachante. Et puis Charlie rencontre le grand amour en la personne de Rose-Marie (Marie-Christine Barrault). Dans le même temps, Max est abandonné par son épouse. Ne pouvant pas supporter sa solitude, le comédien va alors chercher refuge chez son ami Charlie, n’hésitant pas à imposer sa présence au nouveau couple. Vite lassée à son tour de se voir partagée avec Max, la jeune femme menace de rompre si Charlie ne se détermine pas. Celui-ci accepte de ne plus voir son ami et de vivre enfin tranquillement auprès de Rose-Marie tout en se délectant du succès de son dernier film. Mais on ne peut se débarrasser ainsi d’une vieille et grande amitié.
Il est fort probable que L’Amour trop fort soit rétrospectivement le film le plus personnel de Daniel Duval, qu’il a d’ailleurs dédicacé à « Max », autrement dit Max Morel, qui officie ici en tant que directeur de casting et qui était surtout le meilleur ami du réalisateur, celui avec lequel il faisait les 400 coups et partageait tout, y compris les femmes. Dans L’Amour trop fort, le pote collant, mais pour lequel on ferait tout, est interprété par Jean Carmet, dans un de ses rôles les plus inattendus, qui tournait ce film entre La Banquière de Francis Girod et Allons z’enfants de Yves Boisset. Non seulement son personnage est en très grande partie inspiré par Max Morel, mais en plus le comédien avait un faux air du pote de Daniel Duval. Ce dernier signe une prestation de funambule, toujours agité, en mouvement, mais prêt aussi à craquer, à exploser, à tout envoyer balader. Quand son personnage se retrouve partagé entre son meilleur ami et celle qu’il aime, son coeur balance et il ne cesse de revenir vers l’un et l’autre, comme un navire balancé entre deux courants. Évidemment, les trois protagonistes essayent bien de « cohabiter » un temps, mais une rivalité finit bien sûr par s’installer entre Max et Rose-Marie. Pour la première fois de son existence, Charlie va devoir faire un choix et poser des balises, s’il veut à la fois poursuivre son histoire d’amour avec Rose-Marie et son amitié avec Max. Si cela ne pouvait pas être réalisable, Charlie devra alors trancher.
Sur un scénario qu’il a coécrit avec Jean Curtelin (Les Œufs brouillés de Joël Santoni, À chacun son enfer d’André Cayatte, Le Prix du danger d’Yves Boisset), Daniel Duval se livre corps et âme dans L’Amour trop fort, récit semi-autobiographique, où la partition légère de Maurice Vander, célèbre musicien de jazz, contraste constamment avecla gravité des sentiments et des relations qui se jouent.
LE BLU-RAY
Nous ne nous attendions pas à voir débarquer L’Amour trop fort chez Sidonis Calysta, qui plus est en combo Blu-ray + DVD ! Depuis un an, les œuvres de Daniel Duval connaissent un véritable engouement auprès des éditeurs, puisque L’Ombre des châteaux et La Dérobade viennent de connaître dernièrement une nouvelle restauration doublée d’une sortie en Haute-Définition chez Tamasa. L’Amour trop fort viendra donc compléter la collection des cinéphiles. Le menu principal est animé sur la musique de Maurice Vander.
Plus d’1h40 de suppléments divisés en six modules, cette fois encore, l’éditeur a vu les choses en grand et a confié l’essentiel de ces bonus à l’excellent Roland-Jean Charna (Inser and Cut).
Le premier de ces bonus est une lettre de Jean Carmet lue par Fabienne Vette, comédienne et dernière compagne de Daniel Duval (4’). A travers cet écrit, l’acteur, qui allait interpréter Max dans L’Amour trop fort, fait part à Daniel Duval de son admiration pour Le Voyage d’Amélie.
Nous retrouvons Fabienne Vette pour un entretien passionnant et souvent très émouvant (32’), au cours duquel elle met en évidence les éléments autobiographiques qui ont nourri le scénario de L’Amour trop fort, dissèque cette histoire d’amour et d’amitié, qui se contrarie, car les deux ne peuvent pas être vécus en même temps. Fabienne Vette passe en revue les thèmes et analyse les personnages de cette « histoire simple avec l’amour en bandoulière » qu’elle avait « redécouvert en 2014 à l’occasion d’un hommage rendu au cinéaste à la Cinémathèque », pour laquelle Daniel Duval « revenait à quelque chose de plus personnel, dans le prolongement de ses protagonistes et de ce qu’il avait fait dans L’Ombre des châteaux ». Elle indique que le réalisateur lui avait avoué « avoir encore le feu » sur ce film, qui lui était cher. Fabienne Vette évoque également les thèmes et récurrences dans le cinéma de Daniel Duval (« des films peu bavards, mais qui racontent énormément de choses »), tout en dressant un portrait forcément intime et bouleversant d’un artiste, qui malgré ses dénégations se livrait par segments à travers ses œuvres.
Réalisatrice de De sable et de sang (1987), Sans un cri (1992), Ça ira mieux demain (2000) et entre autres de Sans queue ni tête (2010), Jeanne Labrune aura dirigé Daniel Duval en 1998 dans Si je t’aime, prends garde à toi, qui d’ailleurs est toujours inédit en DVD. Dans ce supplément, elle revient sur sa rencontre avec Daniel Duval (« à travers son visage et son corps, on voyait qu’il s’agissait d’un homme qui avait vécu »), sur leur forte amitié, leurs points communs (« un amour de la liberté surtout ») et sur le fait que L’Amour trop fort et Si je t’aime, prends garde à toi, réalisés à 18 ans d’intervalle, étaient finalement très proches, même si la cinéaste ni avoir vu le film de Daniel Duval avant d’écrire le sien.
Place ensuite à Max Morel, directeur de casting qui a été évoqué dans notre critique et au cours des bonus précédents, qui n’est autre que le meilleur ami de Daniel Duval, qui a inspiré le personnage de Jean Carmet dans L’Amour trop fort (40’). Max Morel (dont la ressemblance avec Jean Carmet est aujourd’hui assez troublante) se livre avec beaucoup d’émotions sur sa rencontre, puis sur la longue, forte et indéfectible amitié qui l’aura uni à Daniel Duval depuis la fin des années 1960, jusqu’à la mort du comédien et réalisateur en 2013. Un lien quasi-fraternel qui nous émeut et bouleverse à maintes reprises, à travers des anecdotes liées au cinéma et à leur vie personnelle. On apprend aussi ce qui a donné naissance à L’Amour trop fort, entre autres leur relation très fusionnelle qui gênait leurs compagnes respectives.
Le dernier module est une interview de Marie-Christine Barrault (11’) réalisée en 1980, où la comédienne se livre sur le fait « d’avoir été longtemps une ronde qui se cachait, mais qui est aujourd’hui une ronde qui s’affirme » (on rappelle que c’était avant la pub pour Slim Fast). Elle se confie aussi sur son rapport avec le public, sur celui avec la nudité à l’écran (« un corps normal crée un lien avec les autres corps imparfaits »), critique « le côté petit bourgeois du cinéma français, qui manque de folie et qui ne prend pas de risques », tout en déclarant être en faveur du pourcentage sur les recettes alloué aux comédiens, puisque ces derniers ont toujours une importance capitale dans le succès d’un film. Enfin, quand le journaliste lui demande quel a été son salaire pour L’Amour trop fort (dont on peut d’ailleurs découvrir quelques images de tournage), Marie-Christine Barrault répond franchement 250.000 francs, une somme qu’elle pouvait se permettre de demander par rapport au budget total du film, plus conséquent par exemple que celui obtenu sur Ma chérie de Charlotte Dubreuil, pour lequel la comédienne déclare avoir perçu 50.000 francs.
L’Image et le son
Ce qui frappe instantanément aux yeux, c’est la luminosité de cette nouvelle copie restaurée 4K de L’Amour trop fort. Un « toilettage » rigoureux, qui a redonné au film toutes ses belles couleurs souvent froides signées Michel Cénet (La Dérobade, Je hais les acteurs, L’été en pente douce, Quatre garçons plein d’avenir), où les teintes bleues ressortent de façon inédite. La propreté est évidemment impressionnante, la texture argentique présente et élégamment gérée, les contrastes solides et la stabilité irréprochable. Un lifting de premier ordre.
Bon, aucune trace de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ce qui est bien dommage sur les films de patrimoine français et pénalise une partie des spectateurs. Le mixage 2.0 est quant à lui impeccable, dynamique, les dialogues étant parfaitement intelligibles et la partition de Maurice Vander, que certains trouveront peut-être trop présente, ne noie pas les répliques et ne manque pas de coffre.