LA SAIGNÉE réalisé par Claude Mulot, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume
Acteurs : Bruno Pradal, Charles Southwood, Gabriele Tinti, Ewa Swann, Patti D’Arbanville, Claude Cerval, Sydney Chaplin, Jean Eskenazi, Pierre Vassiliu, Francis Lemonnier, Françoise Prévost, Gérard Croce…
Scénario : Albert Kantof, Claude Mulot, Edgar Oppenheimer
Photographie : Roger Fellous
Musique : Eddie Vartan
Durée : 1h25
Année de sortie : 1971
LE FILM
Témoin d’un meurtre perpétré par un parrain de la pègre, Thomas Chanard est contraint de quitter New York pour retourner à Cayeux-sur-Mer, sa ville natale. Il est suivi à son insu par deux hommes : un policier chargé de le reconduire aux États-Unis afin de témoigner, et un tueur à gages engagé par la mafia pour l’abattre. Le retour du « fils prodigue » ravive également des conflits au sein de la bourgeoisie locale. Pour Thomas, les ennuis sont loin d’être terminés…
Un an après La Rose écorchée, Claude Mulot enchaîne avec un polar franco-américain, du moins à l’image, en réalité une co-production franco-italienne tournée entre New York et la Somme. La Saignée demeure un thriller dramatique étonnant, où le cinéaste confirme sa virtuosité du cadre déjà remarquée dans son précédent long métrage, tout en s’inscrivant encore et toujours dans le cinéma d’exploitation cher à son coeur.
Un jeune français, Thomas Chanard, employé dans un restaurant new-yorkais, est témoin d’un crime commis par un ponte de la mafia locale qui occit sa maîtresse en galante compagnie et son compagnon d’infortune. Il décide de quitter dare-dare la contrée et retourne précipitamment en France. Hélas pour lui, un tueur est dépêché sur place où notre garçon pose bien des problèmes en relançant un ancien amour, aujourd’hui marié avec une crapule. Parallèlement, un policier new-yorkais débarque dans le petit hôtel tenu par la mère de notre fuyard.
Quel choc ! Ou comment Claude Mulot parvient en quelques plans à accrocher le spectateur et à ne plus le lâcher jusqu’au dénouement. La Saignée est constamment ponctué de séquences marquantes. La première partie, générique inclus, est à ce titre sensationnel. D’emblée, un coup de téléphone anonyme entraîne la suspicion et le danger. Les credits défilent sur les rues new-yorkaises où l’on joue MASH et Patton dans les cinémas de quartier. S’ensuivent deux meurtres particulièrement violents et la fuite de notre (anti)héros, Thomas Chanard, qui court dans les rues vides de la Grosse Pomme alors que la sublime composition d’Eddie Vartan s’envole et renvoie à la musique de Michel Legrand pour L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison. Quelques plans volés de la police et des badauds sur les trottoirs, puis l’Inspecteur Marvin Hobbart nous est présenté, tout comme le tueur Flaggert, à la solde du mafieux, auteur des deux meurtres, et nous voilà arrivés en France, dans les Hauts-de-France. Claude Mulot jouera avec ce décalage, de l’infiniment grand au microcosme de la campagne française où nul n’est à l’abri.
Thomas est interprété par Bruno Pradal, né en 1949, qui sortait du tournage de Mourir d’aimer, film d’André Cayatte qui allait connaître un succès colossal en janvier 1971 en attirant près de six millions de spectateurs. Avec sa sensibilité à fleur de peau qui rappelle parfois celle de Patrick Dewaere, le jeune comédien explose à l’écran avec un charisme magnétique. Il est admirablement bien entouré par un casting aussi réussi qu’hétéroclite. L’inoubliable Charles Southwood, acteur américain, venait de tourner quelques westerns en Italie (Django arrive, préparez vos cercueils), avant d’être accueilli par la France où il tournera notamment deux fois sous la direction de Georges Lautner dans Il était une fois un flic… (1972) et Quelques messieurs trop tranquilles (1973), avant de retourner aux Etats-Unis et de disparaître de la circulation. Le tueur de La Saignée n’est autre que le légendaire Gabriele Tinti, bien connu des spectateurs pour son rôle de Don Cesar (« le vrai ! ») dans La Folie des grandeurs de Gérard Oury, qui allait sortir quelques mois après le film de Claude Mulot, qui avait déjà une large filmographie à son actif. Egalement présents au générique, Ewa Swann, Patti D’Arbanville, Sydney Chaplin, Gérard Croce et même Pierre Vassiliu.
Le réalisateur manipule tout ce beau petit monde dans des décors froids et soignés, soulignés par la belle photo du complice Roger Fellous, qui fait la part belle aux teintes hivernales et qui en profite pour rendre hommage à Mario Bava au cours d’une scène de repas aux éclairages baroques. Mine de rien, Claude Mulot annonce deux films à venir. D’un côté, Quelques messieurs trop tranquilles de Georges Lautner, où Bruno Pradal et Charles Southwood se donneront la réplique une fois de plus et où les ruraux voient leur quotidien perturbé. La Saignée se rapproche surtout du Corps de mon ennemi (1976) d’Henri Verneuil avec un personnage revenant sur les lieux de son passé, marqué par sa relation avec une jeune femme de bonne famille, et dont le retour déstabilise les habitants qui lui vouent toujours une haine farouche. C’est peu dire que La Saignée possède de solides arguments et se révèle être un solide polar, où la violence émerge progressivement (la séquence de passage à tabac sur la plage est particulièrement éprouvante), jusqu’au final percutant, sombre, pessimiste.
Claude Mulot était animé par un désir fou de cinéma. La Saignée s’en ressent à chaque plan, à chaque scène, dans la manière avec laquelle le cinéaste filme ses comédiens en gros plans, comme un véritable western transalpin, mais aussi dans son envie de divertir, de faire passer les spectateurs par toutes les émotions possibles. Après ce merveilleux thriller, oublié et quasi-perdu, ressuscité et réhabilité par l’éditeur Le Chat qui fume et l’auteur Philippe Chouvel, Claude Mulot se tournera vers la comédie d’aventures, Profession : aventuriers.
LE COMBO
Parallèlement à La Rose écorchée, Le Chat qui fume ressuscite La Saignée, deuxième titre de Claude Mulot à connaître une sublime réhabilitation. L’objet prend la forme d’un Digipack à trois volets, glissé dans un surétui cartonné liseré noir très élégant et attractif, avec le titre du film écrit en lettres de sang. Le menu principal est animé sur la superbe musique d’Eddie Vartan. Edition limitée à 1000 exemplaires.
En ce qui concerne les suppléments, nous avons mis près de 2h30 pour tout disséquer !
On commence par les images d’archives avec un reportage tourné sur le plateau pour Picardie Actualités (6’30), au cours duquel Claude Mulot dirige ses comédiens et répond aux questions du journaliste. Il évoque ainsi La Rose écorchée, qui a très bien marché en Amérique, en Allemagne et au Japon, avant d’en venir plus précisément sur l’histoire de La Saignée. Bruno Pradal intervient à son tour.
Nous retrouvons les deux associés dans un autre module réalisé à l’occasion de la sortie du film (3’). Bruno Pradal et Claude Mulot, très enthousiastes, parlent de leur collaboration et de l’histoire de La Saignée.
Place aux entretiens ! Comme sur l’édition de La Rose écorchée, nous retrouvons « les hommes de l’ombre », amis de Claude Mulot, qui ont participé à la réussite de La Saignée, le producteur et scénariste Edgar Oppenheimer (14’), le comédien Gérard Croce (13’30), le caméraman Jacques Assuérus, Hubert Baumann (régisseur) et son frère Georges (11’30) alors assistant-son, sans oublier Didier Philippe-Gérard (36’), assistant-réalisateur.
Jacques Assuérus, très ému en évoquant son grand ami Claude Mulot, parle de leur rencontre via Roger Fellous, avant d’évoquer son travail sur La Rose écorchée, La Saignée et leurs autres collaborations. Les souvenirs de tournage s’enchaînent avec émotion. Ensuite, l’entretien bifurque sur l’amitié qui unissait Claude Mulot et Johnny Hallyday, deux immenses passionnés par le cinéma, qui visionnaient une quantité phénoménale de films ensemble. Claude Mulot réalisera d’ailleurs Le Survivant, court-métrage inspiré de Mad Max qui ouvrait les concerts de Johnny Hallyday en 1982.
Edgar Oppenheimer se souvient de son coup de foudre pour Claude Mulot, de leur grande amitié, de son professionnalisme. Puis, le producteur en vient à La Saignée, née du désir de la même équipe d’enchaîner directement sur un autre long métrage. Les conditions de tournage sont ici largement détaillées (les plans volés à New York notamment, l’hiver sinistre dans la Somme), la critique dithyrambique d’Henry Chapier à la sortie du film. Enfin, Edgar Oppenheimer parle de la mort de Claude Mulot, metteur en scène qui « était en avance sur son temps », ainsi que de l’amitié qui unissait le réalisateur et Johnny Hallyday.
Pour beaucoup de spectateurs, Gérard Croce reste l’un des complices des Charlots (Les Bidasses en folie, Les Charlots font l’Espagne, Les Fous du stade dans lequel il interprète Lucien, le fils de Paul Préboist) et de Max Pécas (Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu, Belles, blondes et bronzées, Les Branchés à Saint-Tropez, Deux enfoirés à Saint-Tropez) dont les films étaient fréquemment diffusés sur M6. Producteur des séries Sydney Fox l’aventurière, Léa Parker et Clem, le comédien partage ici ses souvenirs liés au tournage de La Saignée. Posément, Gérard Croce donne son avis sur le film de Claude Mulot, qu’il considère comme un véritable western avec une fin à la John Huston. Il encense également le professionnalisme du cinéaste, tout comme le travail du chef opérateur Roger Fellous et la musique d’Eddie Vartan. Enfin, l’invité du Chat qui fume évoque un monde disparu, celui du cinéma des années 1970 et son mode de production.
Hubert et Georges Baumann, qui se renvoient constamment la balle avec une belle énergie, parlent à leur tour de leurs rôles respectifs sur La Saignée. Le casting, l’équipe soudée, la fête le soir après la journée de tournage, la mort de Claude Mulot sont également abordés au cours de ce module.
Didier Philippe-Gérard est réalisateur. Ayant commencé sa carrière dans les années 1970 sous le nom de Michel Barny, on lui doit moult films pornographiques, dont La Ruée vers Laure (1996) et L’Empreinte du vice (1997) avec Laure Sainclair. Il fait ses débuts en tant qu’assistant-réalisateur de Claude Mulot sur La Saignée et deviendra d’ailleurs son beau-frère. Didier Philippe-Gérard évoque à son tour son arrivée dans le monde du cinéma, avant d’en venir plus précisément au film qui nous intéresse. Nous apprenons ainsi qu’il était également responsable du casting sur La Saignée. Les souvenirs de tournage sont ici nombreux, tandis que Didier Philippe-Gérard évoque avec émotion l’immense lien qui l’unissait à Claude Mulot, qui lui a tant appris, à qui il pense et rêve sans arrêt.
Voilà pour les entretiens. Dirigez-vous ensuite sur la présentation de La Saignée lors de l’Etrange Festival de Paris en septembre 2018 (12’). Stéphane Bouyer, grand manitou du Chat qui fume et Didier Philippe-Gérard assurent la présentation du film de Claude Mulot en revenant notamment sur la carrière du réalisateur.
L’éditeur joint un comparatif avant/après la restauration (7’) en précisant les différentes étapes de cette résurrection, dont le nouvel étalonnage.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, ainsi que la possibilité de visionner La Saignée en mode VHS, option que l’on apprécie particulièrement ! N’oublions pas la piste musicale isolée !
Citons aussi la parution du livre Claude Mulot : cinéaste écorché (Nitrate), écrit par Philippe Chouvel, prolongement indispensable aux sorties Blu-ray/DVD du Chat qui fume !
L’Image et le son
L’élévation HD est frappante pour ce titre. Fort d’un master au format respecté et d’une compression AVC de haut niveau qui consolide l’ensemble, ce Blu-ray au format 1080p en met souvent plein les yeux dès le prologue. La restauration 2K réalisée par Le Chat qui fume à partir du négatif original est étincelante, les contrastes d’une indéniable densité et font honneur à la très belle photo du chef opérateur Roger Fellous, la copie est propre, lumineuse, immaculée. Les détails étonnent souvent par leur précision, les gros plans sont riches à souhait, les couleurs hivernales retrouvent un éclat inespéré, le relief des séquences diurnes est inédit et le piqué demeure acéré. Un superbe lifting et une première mondiale en Blu-ray et DVD.
Le mixage DTS-HD Master Audio Stéréo instaure un confort acoustique total. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition d’Eddie Vartan jouit également d’un écrin phonique soigné. Les sous-titres anglais et français sont disponibles.