LA ROUE réalisé par Maurice Delbez et André Haguet, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 18 mars 2022 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jean Servais, Pierre Mondy, Catherine Anouilh, Claude Laydu, François Guérin, Julien Bertheau, Georges Chamarat, Yvette Etievant, Georges Jamin, Louis Viret, Paul Peri…
Scénario : Oscar-Paul Gilbert, d’après le film d’Abel Gance, La Roue
Photographie : Pierre Petit
Musique : Louiguy
Durée : 1h39
Date de sortie initiale : 1957
LE FILM
1940. Conduit par le mécanicien Pelletier, un dernier train emporte, à travers les bombardements, les familles qui fuient le Nord de la France… Une jeune femme est tuée et laisse à ses côtés une enfant en bas âge, Norma, que Pelletier va adopter et envoyer en nourrice avec son fils de 5 ans. Les années passent. Les deux jeunes gens viennent s’installer chez leur père et découvrent sa vie de cheminot qui ne laisse de place à personne d’autre qu’à sa locomotive à vapeur…
Quasiment 35 ans après La Rose du rail (1923), connu sous le titre La Roue, André Haguet et Maurice Delbez réalisent un remake plus condensé du film fleuve d’Abel Gance (« inspiré par l’oeuvre célèbre d’Abel Gance » indique le générique), qui durait entre 4h30 et 8h suivant les montages qui se sont succédé. En à peine 100 minutes, les deux réalisateurs reprennent les grands traits du film original, ainsi que le prénom du personnage féminin principal, Norma, même si ceux-ci insistent sans doute moins sur l’étrange passion que le père ressent pour sa fille adoptive, tout en écartant l’histoire secondaire du fils qui tombe amoureux de celle qu’il croit être sa sœur. La Roue est un drame plus sobre et somme toute plus classique, qui repose sur l’impérial Jean Servais (Au service du diable, Les Centurions, L’Homme de Rio, Du rififi chez les hommes), qui incarne son personnage sur une quinzaine d’années, durant lesquelles celui-ci devra affronter la maladie, mais aussi ses tourments. Il pourra compter sur l’aide de son meilleur ami et collègue de toujours, Jean, interprété par l’immense Pierre Mondy. Mais au-delà de son récit mélodramatique, La Roue vaut aussi pour son aspect documentaire, puisque le film dissèque le boulot d’un cheminot et de son mécanicien au temps de la locomotive à vapeur.
En juin 1940, le mécanicien Pierre Peltier recueille une fillette de trois ans dont la mère vient d’être tuée par un bombardement. Peltier décide d’envoyer en Bretagne la petite Norma où elle sera élevée avec son propre fils Roland. Peltier est veuf et ces deux enfants sont sa seule joie. Les années de guerre et d’occupation se déroulent. Au cours d’un mitraillage de son train, Peltier est cruellement blessé aux yeux. Il guérira, assisté de sa soeur Marcelle et de son chauffeur et ami Marcereau, mais sa vue deviendra fragile. L’occupation, la guerre ne sont plus qu’un affreux souvenir. Quinze ans se sont écoulés. Peltier peut enfin faire venir à Lyon, dans sa maison repeinte et accueillante, ses enfants restés si longtemps en Bretagne. Norma est devenue une ravissante jeune fille, le vivant portrait de sa mère. Roland est le plus affectueux des frères pour Norma. Il lui fait connaître un de ses camarades, jeune officier aviateur. Peltier, si heureux du retour de ses enfants, est quelque peu troublé par la présence de Norma qu’il n’a pas vu grandir auprès de lui et qui n’est pas sa fille. D’autre part, sa vue faiblit et il lui faut renoncer à conduire sa locomotive. Il doit accepter à sa grande humiliation de travailler dans les ateliers de réparation. A bout de souffrance, dans une violente colère, il reproche à Norma de recevoir le jeune aviateur en son absence et d’être sa maîtresse. La jeune fille accablée fuit la maison et Roland, parti faire un stage de technicien pour conduire les locomotrices, n’est même pas là pour la consoler.
A la barre, aux manettes plutôt, de La Roue, deux cinéastes complètement oubliés aujourd’hui. Le premier André Haguet (1970-1973), producteur de Lola Montes de Max Ophüls, fera essentiellement sa carrière dans les années 1950, son film le plus célèbre restant probablement Il est minuit, Docteur Schweitzer (1952) avec Pierre Fresnay, André Valmy et Jeanne Moreau. Le second sera l’assistant des réalisateurs Maurice Cloche, Guy Lefranc et de Denys de la Patellière, écrira Les Dragueurs (1950) de Jean-Pierre Mocky et passera occasionnellement lui-même derrière la caméra, pour La Roue donc, mais aussi pour le sympathique À pied, à cheval et en voiture (1957), dans lequel il dirige un très jeune comédien bondissant, un certain Jean-Paul Belmondo dans son deuxième film, ainsi que pour Rue des cascades (Un gosse de la butte), dont nous parlerons très prochainement. En réalité peu de scènes ont été tournées par André Haguet, qui victime d’un accident de voiture, doit passer le relais à Maurice Delbez, deux jours avant le début des prises de vues. Toujours est-il que La Roue demeure un drame au charme forcément rétro, mais qui fonctionne encore grâce au talent de ses comédiens, à une mise en scène rigoureuse, notamment en ce qui concerne les séquences de train, remarquablement filmées, ainsi qu’à un scénario bien écrit d’Oscar-Paul Gilbert (Le Journal tombe à cinq heures de Georges Lacombe, Mollenard de Robert Siodmak, Le Drame de Shanghai de Georg Wilhelm Pabst), laissant suffisamment planer le doute sur l’ambiguïté des sentiments qui animent Pierre à la vue de sa fille adoptive quand celle-ci devient une jeune femme.
L’autre gros point fort de La Roue reste sa sublime photographie, que l’on doit à Pierre Petit (Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques et Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause de Michel Audiard, Le Rapace de José Giovanni) et Lucien Joulin (Nick Carter va tout casser ! d’Henri Decoin, Le Chanteur de Mexico de Richard Pottier), qui mettent autant en valeur l’environnement professionnel de Pierre et Jean, en remplissant le cadre de l’imposante locomotive dans laquelle ils s’affairent, que la discrétion, pour ne pas dire le vide et même l’ennui de l’habitation de Pelletier, quand celui-ci rentre au bercail, renforçant ainsi l’idée que le rail est bel et bien là où le personnage semble se sentir le plus à l’aise et véritablement chez lui.
Peu diffusé à la télévision, jusqu’alors inédit en DVD en France, La Roue est incontestablement l’une des découvertes de l’année 2022.
LE DIGIPACK
Comme à chaque nouvelle vague, la neuvième ici, nous aimons rappeler l’origine de l’éditeur Coin de Mire Cinéma, dont nous suivons les sorties depuis ses débuts en octobre 2018. Fondateur de la structure indépendante Coin de mire Cinéma, Thierry Blondeau est un autodidacte, un cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. Coin de Mire Cinéma propose déjà 49 titres aux cinéphiles (dont vous pouvez retrouver l’intégralité des chroniques sur notre site) et en présente six nouveaux, à savoir La Roue (1957) de Maurice Delbez et André Haguet, Charmants garçons (1957) d’Henri Decoin, Les Liaisons dangereuses (1959) de Roger Vadim, Rue des cascades (Un gosse de la butte) (1964) de Maurice Delbez, Le Ciel sur la tête (1965) d’Yves Ciampi et Chère Louise (1972) de Philippe de Broca. Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires. Nous fêtons par conséquent la cinquantième de Coin de Mire Cinéma !
L’éditeur a d’ores et déjà annoncé plus d’une trentaine de titres à venir (La Table aux crevés de Henri Verneul, La Vierge du Rhin de Gilles Grangier, L’Air de Paris de Marcel Carné, Notre Dame de Paris de Jean Delannoy, Tout l’or du monde de René Clair, Monsieur de Jean-Paul Le Chanois, Du rififi à Paname de Denys de la Patellière, Le Drapeau noir flotte sur la marmite de Michel Audiard, Julie pot de colle de Philippe de Broca) et même L’Homme de Rio en combo 4K UHD/Blu-ray !. Chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet et dans certains magasins spécialisés à l’instar de Metaluna Store tenu par l’ami Bruno Terrier, rue Dante à Paris.
L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie d’André Haguet et celle de Maurice Delbez, avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels, des photos promotionnelles, de la couverture d’un article du magazine « La Vie du rail », de l’affiche argentine « La Rueda », de l’affiche belge et d’un extrait de la revue « Le film complet ». Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film (ici celle des Espions de Henri-Georges Clouzot), puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Vous êtes bien installés ? Alors c’est reparti pour une nouvelle Séance ! Et l’on commence par les Journaux des actualités de la 27è semaine de l’année 1957 (8’), marquée par le défilé à Baden-Baden des participantes pour le titre tant convoité de Miss Europe, tandis que se déroulait le Grand Prix de Paris (avec les costumes de sortie, bien entendu), ou que le port de pêche de Dakar se développait, images à l’appui. Gros plan ensuite sur le marché commun européen, puis sur la « naissance d’une pile atomique », avec la construction du site nucléaire de Marcoule, alors que cela s’agite au centre de recherches de Saclay dans l’Essonne, deux sites qui représentent « le monde de demain ».
Les réclames publicitaires sont très inspirées en cette année 1957, les marques Dupont – « En vente pendant l’entracte ! » – d’Isigny (un petit film de cape et d’épée aux acteurs très rigides), Gervais (les fameux esquimaux), Liebig, Chantelle (« la gaine qui ne tombe pas ! », sur une musique de Georges Delerue), Asptro’ et Epeda (avec Jean Richard), rivalisant d’inventivité pour mettre leurs produits en avant ! Ah oui et mangez du fromage hein, c’est bon pour la santé !
Coin de Mire Cinéma livre ensuite trois documentaires tirés des archives de la SNCF. Le premier, disponible sur le DVD et sur le Blu-ray, met en valeur la locomotive 231 D 735 (1968, 13’30). Tourné sur une des dernières « Pacific » en service, ce film est un hommage aux mécaniciens et aux chauffeurs, qui ont passé leur existence sur les locomotives à vapeur, dont la conscience et l’amour de leur métier ont contribué à forger l’esprit d’équipe qui anime toujours les gens du rail.|Le texte du commentaire, lu par Jean Négroni, est extrait de La Bête Humaine d’Emile Zola sur une musique de François de Roubaix. Un superbe film, excellemment filmé, lyrique et passionnant.
Les deux modules suivants sont uniquement disponibles sur l’édition HD.
La Raison du diesel (1958, 27’), présente les avantages de la locomotive à moteur diesel par rapport à la traction vapeur, tant au niveau de l’entretien des machines que pour le confort du mécanicien. Ainsi les régions du Poitou, d’Aunis et de Saintonge vont pouvoir bénéficier de ce progrès. Ludique, poétique même, magistralement mis en scène, intelligent, riche en informations, cette archive présente entre autres les nouvelles « vedettes » et pionnières de « l’ère nouvelle » de la SNCF mises en service au sud de la Loire, qui allaient alors remplacer les tractions vapeur. Ce document n’oublie pas le « facteur humain » en narrant le quotidien des machinistes et des mécaniciens, y compris leur partie de cartes pour se détendre le soir.
Enfin, le segment intitulé Contre la montre (22’) date de 1955. C’est une ligne traversant les Landes qui est choisie pour réaliser en mars 1955 le nouveau record de vitesse sur rail avec les locomotives CC 7107 et BB 9004. Même chose que pour les deux bonus précédents, cette archive de la SNCF s’avère captivante et impressionnante, surtout quand les deux engins concurrents parviennent à pulvériser le record de vitesse établi l’année précédente (qui était de 243 km/h), en passant la barre des 330 km/h !
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
La Roue a été restauré en 2K par Coin de Mire Cinéma et Lobster à partir de l’internégatif, avec la participation du CNC. Ce nouveau master 2K inédit présente une option dite « séance optimisée pour écran large 2.35/1. On oublie un générique un peu clair, marqué par des points blancs, quelques rayures verticales et autres poussières diverses, car la copie révèle immédiatement son lifting numérique dès le premier plan et l’arrivée du train le long des quais où patientent les réfugiés. La copie est stable, malgré de sensibles décrochages sur les fondus enchaînés, les noirs denses, le relief marqué, la texture argentique préservée et organique, les contrastes solides et c’est le piqué qui impressionne surtout, avec des visages aux détails affûtés. Certains plans flous semblent d’origine, mais rien de bien méchant. La qualité Coin de Mire est fidèle au rendez-vous et la restauration participe encore une fois à la (re)découverte de La Roue.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 permet à la composition de Louiguy (Piège pour Cendrillon, Le Glaive et la balance, Le Passage du Rhin, Le Miroir à deux faces) d’être délivrée avec un coffre inédit. Egalement restauré, le son a subi un dépoussiérage de premier ordre. Le confort acoustique est ici largement assuré, jamais entaché par un souffle quelconque. La musique, les effets annexes, les voix des comédiens, tout est ici mis en valeur avec fluidité probante. Les sous-titres français pour sourds et malentendants sont également disponibles.