LA PEINE DU TALION (The Man from Colorado) réalisé par Henry Levin, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 12 février 2021 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Glenn Ford, William Holden, Ellen Drew, Ray Collins, Edgar Buchanan, Jerome Courtland, James Millican, Jim Bannon…
Scénario : Robert D. Andrews & Ben Maddow, d’après une histoire originale de Borden Chase
Photographie : William E. Snyder
Musique : George Duning
Durée : 1h36
Date de sortie initiale : 1948
LE FILM
De retour à la vie civile, Owen Devereaux, colonel de l’armée nordiste devient juge. Particulièrement sévère, le magistrat se met à dos les administrés de la petite ville où il officie. Son ancien adjoint Del Stewart, devenu shérif, rejoint bientôt les contestataires. Sa propre femme le quitte pour Del. Ivre de fureur, il se lance à leur poursuite.
Henry Levin (1909-1980) n’est pas un réalisateur qui a marqué l’histoire du cinéma, mais assurément l’esprit des spectateurs avec son chef d’oeuvre, Voyage au centre de la terre – Journey to the Center of the Earth (1959), sublime adaptation du roman éponyme de Jules Verne, avec James Mason et Arlene Dahl. Ancien dialoguiste de renom pour le compte de la Columbia, le studio l’embauche comme metteur en scène. Eclectique et prolifique, passant du western au film noir ou aux récits d’aventures, Henry Levin démontrera son savoir-faire technique dans tous les genres, à défaut d’avoir su imposer une vision, un point de vue ou une âme. On peut citer en vrac trois comédies Un mari en laisse (1962) avec Sandra Dee, Come Fly with Me (1963) avec Karlheinz Böhm et Honeymoon Hotel (1964) avec Robert Goulet (sans sa moustache), la co-production américano-anglo-germano-yougoslave d’aventure Genghis Khan (1965) avec Omar Sharif (avec et sans moustache) et Françoise Dorléac, ou deux opus de la franchise Matt Helm avec Dean Martin (Bien joué Matt Helm – Murderers’ Row et Matt Helm traqué – The Ambushers, 1966-1967). Mais c’est dans le western qu’Henry Levin s’illustrera aussi avec Natchez – The Gambler from Natchez (1954), La Haine des desperados – The Desperados (1969) et bien avant cela avec La Peine du talion – The Man from Colorado (1948). Si cette fois encore ce dernier ne brille pas par sa mise en scène, ce western vaut tout de même le coup d’oeil pour l’affrontement de ses deux têtes d’affiche, Glenn Ford (1916-2006) et William Holden (1918-1981), surtout pour le premier qui incarne un personnage froid comme la glace, impitoyable et sadique. William Holden n’a sans doute rien à lui envier certes, mais son rôle demeure classique dans le genre et il se laisse souvent voler la vedette par son partenaire, qui s’impose avec son visage fermé et son regard fiévreux. Par ailleurs, les deux comédiens s’étaient déjà donné la réplique sept ans auparavant dans Texas de George Marshall. Si le rythme est quelque peu poussif et que la première partie est plus réussie que la seconde, La Peine du talion reste un western qui a plus d’un atout dans sa manche pour attirer le spectateur friand du genre.
De retour de la guerre de Sécession, le colonel nordiste Owen Devereaux devient juge. D’une sévérité maladive, lui-même ne comprenant pas toujours ses propres réactions comme il l’écrit dans son journal intime, il se met à dos tous les administrés de la petite ville dans laquelle il officie. Del Stewart, son ancien adjoint qu’il avait lui-même nommé shérif, rejoint les contestataires. La propre femme d’Owen finit par admettre la folie de son époux et s’enfuit pour aider à fuir Del Stewart promis à une pendaison. Owen devant ces événements voit son état mental s’aggraver.
La première séquence, de loin la plus réussie du film, est étonnamment violente et frontale. 1865, la guerre de Sécession prend fin. Devereaux ordonne l’exécution sans sommation d’un groupe de cent soldats confédérés qui avaient trouvé refuge dans une vallée encaissée, tandis que ceux-ci agitaient le drapeau blanc, bien visible par le colonel nordiste. Habitué des rôles d’antihéros ou de personnages à la John Doe, Glenn Ford apparaît transfiguré, les traits figés, mais les yeux enflammés semblant refléter une jouissance interne à la vision de ce massacre aussi inattendu pour ses hommes que pour les spectateurs qui viennent de démarrer le film. Quelques minutes plus tard, alors que les soldats fêtent la fin de la guerre, Devereaux trouve refuge dans sa tente et commence à coucher par écrit ses états d’âme dans un journal intime, dans lequel il confie avoir peur de tomber fou. Mais il l’est déjà et sa nomination de nouveau juge de la ville dans laquelle il officiait en tant que simple avocat avant d’enfiler l’uniforme, va précipiter sa soif de sang et de pouvoir, tout en le plongeant toujours plus profondément dans la monstruosité, la haine, la rage et la démence.
Alors qu’il devient incontrôlable, son ancien second, Del Stewart (William Holden) devient le shérif, sous l’impulsion de Devereaux, à condition que ce dernier accepte de ne plus porter d’arme à feu, Stewart ayant été témoin des pulsions de son ancien supérieur, qui a tué de sang-froid un des rescapés des confédérés massacrés, qui s’en prenait à lui dans la rue. Au milieu de ces deux hommes, s’immisce une femme, Caroline Emmet, interprétée par Ellen Drew, vue dans Place aux jeunes – Make Way for Tomorrow (1937), l’un des chefs d’oeuvre d’Allan Dwan, ainsi que dans Les Flibustiers – The Buccaneer (1938) de Cecil B. DeMille et L’Heure du crime – Johnny O’Clock (1947) de Robert Rossen. La confrontation des deux protagonistes se mue en triangle amoureux, puisque Caroline, aimée par Stewart, se marie à Devereaux, ce dernier n’était cependant pas dupe des sentiments qui lient le shérif à sa nouvelle épouse.
La tension se resserre au fur et à mesure que la vie « normale » reprend son cours, puisque pendant la guerre, de nouveaux décrets ayant été votés, les soldats revenus du front trois ans après leur départ apprennent que leurs anciennes exploitations minières ou agricoles, leur ont été destituées, au profit des grands propriétaires, qui ont profité du conflit pour s’étendre et donc racheter pour une bouchée de pain ces terrains laissés « à l’abandon ». Le juge Devereaux, bien que déclarant à ses anciens subalternes qu’il comprend leur colère, leur désarroi et donc leur révolte, va néanmoins dans le sens de la loi, non seulement en raison de sa position, mais aussi parce que cela l’arrange. Mais cette décision entraînera encore plus l’agitation de la population, où certains, animés par un sentiment d’injustice, n’hésiteront pas à passer outre la loi, pour subsister ou pour reprendre ce qui leur appartient de droit. Un sujet souvent passionnant, coécrit entre autres par Ben Maddow (Traque – Framed de Richard Wallace, Quand la ville dort – The Jungle Asphalt de John Huston) d’après une histoire de Borden Chase (La Rivière rouge, Winchester 73, Les Affameurs), mais qui peine à aller plus loin que son exposition ou qui se contente d’être simplement évoqué, au profit de la divergence entre Devereaux et Stewart, dont l’épicentre demeure Caroline.
La Peine du talion se laisse suivre sans peine, avec plaisir même, bien que l’on ne puisse s’empêcher d’imaginer ce qu’un réalisateur d’une autre trempe et bien plus affûté qu’Henry Levin aurait pu faire avec un tel sujet.
LE BLU-RAY
La Peine du talion avait déjà connu une première édition en DVD chez Sony Pictures en janvier 2007, avant de disparaître de la circulation jusqu’en février 2021 où le film d’Henry Levin fait son comeback en édition Standard, ainsi qu’en édition Blu-ray + DVD dans la collection Silver chez Sidonis Calysta. Beau visuel. Le menu principal est animé et musical.
Dans un premier temps, l’éditeur reprend le documentaire d’une heure consacré à la vie et la carrière de William Holden. Intitulé William Holden : The Golden Boy, que l’on avait déjà vu sur le Blu-ray d’Alvarez Kelly d’Edward Dmytryk, disponible aussi chez Sidonis Calysta. Ce module réalisé en 1989, compile les témoignages de comédiens et réalisateurs prestigieux, tels que Robert Mitchum, Glenn Ford, Blake Edwards, Robert Wagner, Sidney Lumet, Robert Wise, Cliff Robertson, posés sur de nombreux extraits des films les plus célèbres de William Holden, sans oublier les archives personnelles commentées par Scott Holden, l’un des fils du comédien. De facture classique, ce documentaire oublie de nombreux films, y compris le magnifique Breezy de Clint Eastwood. Il n’en demeure pas moins informatif.
Nous vous conseillons ensuite d’écouter la présentation de Patrick Brion (10’), qui s’avère une mise en bouche pour celle de Bertrand Tavernier qui vient juste après. L’historien du cinéma déclare que La Peine du talion est « un western intéressant, très peu connu, qu’il est important de voir », notamment pour sa première séquence, qu’il raconte entièrement. Patrick Brion détaille un peu plus le casting de « ce très bon western », ainsi que la dimension psychologique du personnage, en particulier celui incarné par Glenn Ford. Il en vient au réalisateur Henry Levin, dont il passe en revue la carrière vaste et disparate.
Vous pouvez alors enchaîner avec l’intervention de l’éminent Bertrand Tavernier (30’). Attendez-vous à un festival ! Le réalisateur et historien du cinéma, très en forme, se lâche d’emblée sur Henry Levin, « un des réalisateurs les plus dépourvus de talent, malgré un ou deux films agréables à son actif ». En introduction, il indique que « le sujet est intéressant, mais gâché par une mise en scène extrêmement molle et plate […] difficile de faire plus mollasson et dépourvu de point de vue », impression que lui avait laissé le film la première fois qu’il l’a vu et pour lequel il n’a guère changé d’avis depuis. Bertrand Tavernier propose une formidable présentation de La Peine du talion, n’hésitant pas à pointer les très nombreux points négatifs du film (même la coiffure de Glenn Ford en prend pour son grade), tout en indiquant tout de même ses qualités, essentiellement liées à la beauté de la photographie en Technicolor, ou au scénario de Ben Maddow. On ne saurait retranscrire tous les arguments avancés par Bertrand Tavernier, tant ils sont nombreux, analysés et étayés avec autant d’intelligence que de verve, avec un sourire décidément très contagieux. On l’écouterait pendant des heures ! Les personnages, leur évolution et leur psychologie, la première séquence, la métaphore avec la fin (encore récente) de la Seconde Guerre mondiale, le final « bâclé » et bien d’autres éléments sont également au rendez-vous.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La copie (1.33 – 16/9) proposée par Sidonis Calysta reste marquée par des poussières diverses, des points blancs, une baisse de la définition sur les séquences sombres et tamisées, ainsi que par des changements chromatiques au cours d’une même séquence. Ça, c’est ce qui concerne les points négatifs de ce Blu-ray – une première mondiale par ailleurs – au format 1080p. Mais il y a aussi quelques bonnes choses, à commencer par un piqué souvent acéré sur les scènes diurnes, un relief appréciable, une stabilité irréprochable, une texture argentique bien gérée, des couleurs chaudes qui mettent en valeur les décors ou le regard vert inquiétant de Glenn Ford.
Sans surprise, la version originale DTS-HD Master Audio 2.0 s’en tire mieux que la VF (présentée dans le même écrin acoustique), plus restreinte, moins aérée, grinçante et de temps en temps, chuintante peut-être, mais néanmoins en bon état et délivrant aussi bien les dialogues que la musique de George Duning avec une bonne dynamique. Aucun souffle sur les deux pistes et les sous-titres français ne sont pas imposés.
Grandiose Glenn Ford (encore jeune en 1948 !). Rôle d’homme rigoureux et maniaque, sadique. Première scène saisissante : à la fin de la Guerre de Sécession, les Confédérés hissent le drapeau blanc pour se rendre. Il en fait froidement exécuter une centaine ! Très introspectif, il écrit dans son journal intime qu’il ne se comprend pas toujours et craint de devenir fou … IL L’EST DÉJA ! Le film nous montre cette folie progressive subtilement donnée par l’acteur très sobre, glacial… Cela se termine en apocalypse où toute la ville brûle par sa faute !