LA MOUTARDE ME MONTE AU NEZ réalisé par Claude Zidi, disponible en Blu-ray le 6 septembre 2023 chez Studiocanal.
Acteurs : Pierre Richard, Jane Birkin, Claude Piéplu, Jean Martin, Danielle Minazzoli, Vittorio Caprioli, Julien Guiomar, Henri Guybet…
Scénario : Claude Zidi, Michel Fabre & Pierre Richard
Photographie : Henri Decaë
Musique : Vladimir Cosma
Durée : 1h32
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Dans une petite ville du midi, Pierre est un peu l’homme à tout faire : professeur dans un pensionnat, il rédige également les discours de son père, en pleine élection électorale, sans oublier les articles pour son ami Patrick, un critique de spectacles. Ses élèves ont alors la bonne idée d’intervertir le contenu des dossiers. Pierre se retrouve alors dans une foule de situations cocasses et déconcertantes.
Dans l’immense et prolifique carrière de Claude Zidi, La Moutarde me monte au nez (3,7 millions d’entrées) se place en dixième position de son palmarès, entre Banzaï (3,70 millions) et Inspecteur la Bavure (3,69 millions). Pour la première fois, le réalisateur délaissait momentanément les Charlots, avec lesquels il avait fait Les Bidasses en folie (1971), Les Fous du stade (1972) et Le Grand Bazar (1973), qui à eux trois avaient réuni plus de 17 millions de français dans les salles. La Moutarde me monte au nez donc, est la première association entre Claude Zidi et Pierre Richard. L’année où le box-office est dominé par Emmanuelle de Just Jaeckin, Les Valseuses de Bertrand Blier, L’Exorciste de William Friedkin, Bruce Lee (avec rien de moins qu’Opération Dragon et La Fureur du Dragon), Zidi parvient à placer deux opus dans le top 10, Les Bidasses s’en vont en guerre (qui sort pour les fêtes de fin d’année), qui supplante finalement La Moutarde me monte au nez sorti deux mois avant. Depuis Le Distrait (1970) et Les Malheurs d’Alfred (1972), Pierre Richard s’est vu propulser nouvelle star de la comédie avec le triomphe international du Grand Blond avec une chaussure noire (1972) d’Yves Robert. Si son retour devant et derrière la caméra, Je sais rien mais je dirais tout, est un nouveau succès, 1974 démarre par deux échecs successifs, Juliette et Juliette de Remo Forlani et Un nuage entre les dents de Marco Pico. La Moutarde me monte au nez le remet en selle. Avec cette comédie délirante, Claude Zidi innove sur le plan formel avec une mise en scène encore plus élaborée que pour ses films avec les Charlots, les gags sont souvent plus osés, à l’instar de la légendaire scène de l’opération menée par Claude Piéplu, dont le personnage est préoccupé par sa campagne électorale, qui vire carrément au gore, comme celle du cercueil transpercé par un cadavre bien rigide et dont les pieds deviennent encombrants. Un humour anglo-saxon rare dans nos contrées, doublé d’une critique de la presse à scandale, prête à tout pour réaliser un scoop. Un grand classique.
Pierre Durois, brave professeur de mathématiques dans un lycée de jeunes filles à Aix-en-Provence est également le fils (et parfois le nègre) du maire de la ville, le chirurgien Hubert Durois, et l’ami (et parfois le nègre) de Patrick le photographe d’un journal à scandales que dirige Albert Renaudin, le concurrent d’Hubert Durois au poste de maire. Un jour, ses élèves, pour lui faire une blague, échangent le contenu de trois dossiers contenant des copies à corriger, un discours de son père et un article pour Patrick sur l’actrice Jackie Logan. Tout s’en trouve chamboulé et Pierre arrive tant bien que mal à rétablir la situation. Pourtant, au moment de récupérer les copies qu’il avait données par erreur à Patrick, Pierre se retrouve sur le tournage du film de Jackie, puis par un concours de circonstances finalement chez elle où il passe la nuit. Le lendemain, la presse à scandale fait ses gros titres de cet événement au grand désarroi de Hubert Durois (car cela constitue un camouflet dans le cadre de sa campagne contre Renaudin) et de Danièle, la fiancée de Pierre…
Il serait difficile de répertorier tous les gags visuels de La Moutarde me monte au nez, tant Claude Zidi, Pierre Richard et Michel Fabre (qui allait collaborer à onze reprises avec le réalisateur, du Grand Bazar à Association de malfaiteurs) se sont surpassés pour offrir aux spectateurs un festival pour les zygomatiques. Comme bien souvent, Zidi s’entoure de comédiens fidèles ou qui le deviendront, à l’instar du magnifique Julien Guiomar, pour la première fois devant la caméra du cinéaste et avec lequel il tournera six longs-métrages, une fois de plus impayable ici dans le rôle du rédacteur en chef d’un canard merdeux, à qui Piéplu fait bouffer un exemplaire. Mais la très grande révélation du film est sans aucun doute la sublime Jane Birkin (dans un rôle envisagé pour Brigitte Bardot, qui devait avoir pour partenaire Jean-Paul Belmondo), habituée du cinéma d’auteur, pour ne pas dire underground et qui après un passage remarqué chez Jacques Deray (La Piscine),André Cayatte (le méconnu Les Chemins de Katmandou), sans oublier Antonio Margheriti et Roger Vadim, commençait à toucher à la comédie populaire (Trop jolies pour être honnêtes, Comment réussir quand on est con et pleurnichard), registre dans lequel elle allait se montrer très à l’aise, imposer un talent inattendu, ainsi que son sourire dévastateur et une énergie redoutable.
Outre son casting soigné, le cinéaste a fait appel à Vladimir Cosma, leur première collaboration, pour laquelle le compositeur prolonge ce qu’il avait déjà créé pour le personnage de Pierre Richard pour Le Distrait et Les Malheurs d’Alfred. Belle photo également du mythique chef opérateur Henri Decaë (Les Aventures de Rabbi Jacob, La Folie des grandeurs, Le Cercle rouge, Le Clan des Siciliens, Le Samouraï), qui retrouvera Claude Zidi pour La Course à l’échalote et Inspecteur la Bavure, ou trois des films de son auteur les plus structurés sur le plan visuel. Si Les Bidasses en folie, Les Fous du stade et Le Grand bazar étaient des films BD, La Moutarde me monte au nez ressemble à un dessin animé en live action, dans lequel l’élastique Pierre Richard se sert du cadre large pour faire son grand écart et qui tel un personnage de cartoon, à la Tex Avery notamment, traverse l’écran comme un typhon.
LE BLU-RAY
La collection dirigée et présentée par Jérôme Wybon, Nos années 70, s’enrichit de trois nouveaux titres (qui devrait au final en compter 36) en ce mois de septembre 2023, à savoir La Course à l’échalote de Claude Zidi, Charlie et ses deux nénettes de Joël Séria et Le Passager de la pluie de René Clément, qui rejoignent ainsi les 15 autres numéros sortis depuis un an. Une superbe anthologie sur laquelle nous nous sommes déjà penchés à plusieurs reprises et dont nous vous avons vanté les mérites. Le disque HD est disposé dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est fixe et muet, tout en sobriété.
Jérôme Wybon a pu mettre la main sur un supplément exceptionnel, une très longue interview de Pierre Richard réalisée pour la télévision belge. Le directeur de la collection indique que la Sonuma (l’institution d’archive chargée de préserver, de numériser, de valoriser et commercialiser les archives audiovisuelles de la RTBF) a pu remettre la main sur les vingt dernières minutes (durant lesquelles le comédien parle notamment de Claude Zidi) de ce document, qui avaient longtemps disparu. Très décontracté, fumant allègrement, buvant un liquide visiblement ambré on the rocks, Pïerre Richard fait le point sur sa jeune carrière, alors que Le Grand Blond avec une chaussure noire a été un triomphe aux quatre coins du monde, qu’Un nuage entre les dents de Marco Pico a été un bide fracassant et que les tournages de La Course à l’échalote et Les Naufragés de l’île de la Tortue se profilent à l’horizon. Pierre Richard revient sur ses débuts (au cabaret avec Victor Lanoux), sur sa passion pour la danse, sur ses premiers films comme réalisateur (quelques extraits de Je sais rien mais je dirais tout sont proposés, tandis que ceux du Grand Blond, Gaumont oblige, sont coupés), ses thèmes de prédilection (« j’aime me défouler sur des choses qui m’agacent, comme la publicité »), son travail et son amitié avec Yves Robert, sa rencontre avec Bernard Blier, ses expériences au théâtre (le nom de Jean Vilar revient à plusieurs reprises), de Jerry Lewis, de Buster Keaton, de Danny Kaye…les fans de Pierre Richard vont être aux anges, surtout lorsque dans la dernière partie, celui-ci s’exprime sur le boulot avec Claude Zidi, « un technicien extraordinaire », dont une certaine paresse apparente dissimule en fait un artiste au talent immense et au travail mûrement réfléchi. Assurément le bonus à ne pas manquer en ce mois de septembre 2023.
En plus de la bande-annonce originale, présentée par Claude Piéplu et constituée de certaines scènes alternatives, Jérôme Wybon nous présente La Moutarde me monte au nez, face caméra, dans un module de cinq minutes. On y apprend entre autres que le tournage a été marqué par un accident, durant lequel Jane Birkin a eu le crâne percuté par une porte, ce qui a entraîné un arrêt des prises de vue pendant trois semaines.
L’Image et le son
Superbe Blu-ray (Encodage MPEG 4 / AVC – Format du film respecté 2.35, 1080p) qui respecte les volontés artistiques originales dont le grain original, tout en tirant intelligemment profit de l’élévation HD. La clarté est fort appréciable, notamment sur toutes les séquences en extérieur, la propreté du master est irréprochable, ainsi que la stabilité, le relief, la gestion des couleurs, contrastes et le piqué qui demeure souvent agréable. Les séquences sombres et nocturnes sont également excellemment conduites avec des noirs denses. La Moutarde me monte au nez a été restauré en 4K en 2018.
Ce mixage DTS-HD Master Audio Mono est de fort bon acabit et instaure un confort acoustique probant et solide. Les dialogues sont délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise et les silences sont denses. L’éditeur joint les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Crédits images : © Studiocanal/ Roissy Films / Nicolas Lebovici / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr