LA FEMME ET LE PANTIN réalisé par Jacques de Baroncelli, disponible en combo DVD/Blu-ray le 16 juin 2021 chez Pathé.
Acteurs : Conchita Montenegro, Raymond Destac, Henri Lévêque, Jean Dalbe, Andrée Canti, Léo Joannon…
Scénario : Jacques de Baroncelli, d’après le roman de Pierre Louÿs
Photographie : Louis Chaix
Musique : Edmond Lavagne, Philippe Parès & Georges Van Parys
Durée : 1h55
Année de sortie : 1929
LE FILM
Don Mateo Diaz s’ennuie. Le train qui l’emmène vers Séville est en effet ralenti par de violentes chutes de neige. Pour se distraire, ce séducteur fortuné traverse les wagons et finit par arriver dans les troisièmes classes. Il intervient dans une bagarre de femmes et fait ainsi la connaissance de la troublante Conchita Perez. Plusieurs mois s’écoulent. Une nuit d’été, don Mateo donne une fête. Conchita, attirée par la musique, se glisse dans le jardin et se fait reconnaître. Don Mateo l’embrasse, mais la belle s’échappe en lui laissant son adresse…
Malgré ses nombreuses publications, l’écrivain Pierre Louÿs (1870-1925) restera surtout célèbre pour son roman La Femme et le Pantin (1898), inspiré des mémoires de Casanova et souvent considéré comme le chef d’oeuvre de l’écrivain. Pas étonnant que le cinéma se soit très tôt intéressé à cette histoire centrée sur les aspects dramatiques de la sensualité. La première mouture à l’écran est américaine et réalisée par Reginald Barker en 1920. Neuf ans plus tard, Jacques de Baroncelli (1881-1951) décide de s’attaquer à ce livre unanimement salué par la critique, en transposant l’intrigue à l’époque contemporaine et sur les lieux-mêmes de l’action du roman original, à Séville et à Cadix. Quelque peu oublié aujourd’hui, le cinéaste aura pourtant signé une belle version des Mystères de Paris (1943), une adaptation de La Duchesse de Langeais (1942) d’Honoré de Balzac, avec Edwige Feuillère, et l’on peut aussi citer Belle étoile (1938) avec Michel Simon et Jean-Pierre Aumont et Je serai seule après minuit (1931), sur un scénario de Henri-Georges Clouzot. Indiscutablement, La Femme et le Pantin fait partie de ses chefs-d’oeuvre. Merveilleusement mis en scène, d’une folle modernité, mené sur un rythme trépident et porté par deux comédiens exceptionnels, le film de Jacques de Baroncelli a beau afficher plus de 90 bougies, celui-ci reste marqué par un souffle romanesque et s’avère une tornade de sentiments où l’on ressent constamment le désarroi du personnage de Don Mateo Diaz, amoureux transi d’une jeune femme qui ne cesse de lui échapper, qui le manipule, qui l’humilie, qui revient dans ses bras, qui se refuse à lui à nouveau, avant de s’enfuir à nouveau. Si cette histoire demeure plus connue des cinéphiles pour avoir été abordée en 1935 par Joseph von Sternberg, avec Marlene Dietrich, puis en 1959 par Julien Duvivier, avec Brigitte Bardot, et en 1977 par Luis Bunuel dans Cet obscur objet du désir, avec Carole Boquuet et Angela Molina, cette adaptation cinématographique de La Femme et le Pantin n’a assurément rien à envier à celles qui allaient lui précéder et mérite toute l’attention des spectateurs.
Alors que son train est ralenti par les intempéries, le fortuné Don Mateo Diaz passe le temps et traverse les wagons. Il fait la connaissance de Concha Perez, une jeune et irrésistible danseuse qui le laisse fou de désir. Quelques temps plus tard, il la recroise par hasard et lui fait des avances. Elle s’échappe mais promet d’être à lui, tout en ne se livrant jamais… De Séville à Cadix, elle se dérobe puis lui offre son corps, pour mieux se refuser ensuite. Humilié dans sa fierté et rongé par la jalousie, Don Mateo va courir après son désir dans l’espoir de la posséder.
Il y a, au Musée de Madrid, une singulière toile de Goya …
Ce qui frappe surtout dans cette version de La Femme et le Pantin, c’est le jeu étonnamment contemporain de la sublime Conchita Montenegro (1911-2007), actrice et danseuse espagnole, de son vrai nom Concepción Andrés Picado, âgée de 18 ans et qui faisait pour ainsi ses premiers pas au cinéma, après trois participations dans trois films espagnols tournés deux ans auparavant. Elle accède ici en haut de l’affiche et foudroie dès sa première apparition dans La Femme et le Pantin, au moment de la scène de danse dans le train, suivie d’une bagarre entre son personnage et une rivale. C’est là qu’intervient Don Mateo Diaz, qui sépare les deux señoritas, puis prend la défense de Concha, qui en profite alors pour exagérer sa peine. Ardente et provocante, la jeune femme trouble le riche propriétaire, qui tombe immédiatement sous son emprise. Concha ne cessera d’attiser la jalousie de Mateo. Elle aguiche le malheureux, le rejette, le frôle puis l’esquive, se fait promettre le mariage pour mieux se dérober ensuite. Seuls les coups arrivent pour un temps à fléchir la cruelle jeune femme. Mateo vit quinze jours avec elle. Elle s’échappe. Il la retrouve à Paris, croyant ne plus l’aimer. Il lui écrit pourtant. Sous ses yeux, Concha éclate de rire, froisse le billet et fait signe à son nouvel amant tout en continuant à danser et en se moquant de la douleur de Mateo.
Tournée dans de magnifiques décors naturels, ou alors reconstitués dans les studios de Joinville-le-Pont, La Femme et le Pantin est non seulement passionnant sur le fond, mais aussi sur la forme, Jacques de Baroncelli étant reconnu pour expérimenter l’image avec les nouveaux moyens techniques mis à sa disposition. A ce titre, la séquence aussi osée qu’inattendue, également la plus célèbre du film, celle où Concha se livre à un numéro de danse en nu intégral est très impressionnante, du point de vue dramatique, mais aussi du point visuel. C’est ce numéro qui va perturber Mateo et le rendre malade de jalousie, trauma qui reviendra sous forme de réminiscences à plusieurs reprises. On imagine aussi très bien la stupéfaction des spectateurs devant l’apparition de Conchita Montenegro dans le plus simple appareil, puisque Jacques de Baroncelli parvient à montrer ses seins, ses fesses et même son sexe, en projetant l’image dans une bouteille, symbole très phallique, au moment où Concha entreprend une danse lascive, devant des spectateurs chauds comme la braise.
De son côté, Raymond Destac (1904-1974), connu aussi sous le nom de Tristan Sévère, vu dans Le Bonheur (1935) de Marcel L’Herbier, La Fête à Henriette (1952) de Julien Duvivier, Le Silence est d’or (1947) de René Clair et Le Diable au corps (1947) de Claude Autant-Lara, s’impose aussi sans difficulté dans la peau de ce gentleman séducteur, dont l’existence sera complètement bouleversée par l’affriolante Concha. Même chose pour le spectateur, dont le souvenir de la danseuse de flamenco restera encore bien vivace, longtemps après la projection.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
La Femme et le Pantin de Jacques Baroncelli intègre la prestigieuse collection Pathé restaurations, en même temps que le film du même nom réalisé par Julien Duvivier. L’objet prend ainsi la forme d’un Digipack à deux volets superbement illustré, glissé dans un fourreau cartonné, suprêmement élégant. Le menu principal est animé et musical.
Le premier supplément de cette édition est un entretien croisé avec Philippe Roger (maître de conférences en études cinématographiques) et Bernard Bastide (historien du cinéma). Pendant un peu plus d’une demi-heure, les invités de Pathé reviennent sur le dernier film muet de Jacques de Baroncelli. La vie et la carrière (plus de 80 films) du metteur en scène (placées sous le signe du cinéma) sont passées en peigne fin, ainsi que son érudition, ses grandes connaissances littéraires (Balzac, Zola, Sue, qu’il adaptera), la grande finesse et la délicatesse de son écriture cinématographique qui le distinguaient de ses confrères de l’époque, sa vision très originale du septième art. Une élégance que l’on retrouve dans La Femme et le Pantin, que les deux hommes dissèquent ensuite sur le fond, ainsi que sur la forme (« il avait la capacité de cristalliser la charge poétique d’une situation par un plan inattendu, une trouvaille visuelle ou une idée de mise en scène »). Sont aussi abordés au fil de ce bonus, les lieux de tournage (en privilégiant les décors naturels), le roman de Pierre Louÿs, le tableau El Pelele de Goya (ou l’homme manipulé par le désir féminin), les différences du final entre la version française présentée ici et celle montrée dans les autres pays, le casting, la photographie, le très bon accueil du film par la presse et par le public, sa redécouverte en 1994 après une première restauration de la Cinémathèque Française, puis une diffusion sur Arte, avant celle présentée dans cette édition. Enfin, Philippe Roger et Bernard Bastide évoquent les autres transpositions au cinéma du roman de Pierre Louÿs, dont celle de Luis Bunuel, « la plus fidèle au roman ».
Le second segment est centré sur la musique de La Femme et le Pantin (19’), avec cette fois encore des entretiens croisés, ceux de Jean-Louis Sajot (clarinettiste et fondateur de l’Octuor de France), Günter Buchwald (musicien de films et chefs d’orchestre) et Léon Rousseau (ingénieur du son spécialisé dans les musiques de films). Chacun revient sur l’aventure de l’interprétation et l’enregistrement de la musique de La Femme et le Pantin, signée Edmond Lavagne, Philippe Parès et Georges Van Parys. 12 heures d’orchestration enregistrée, durant lesquelles la partition originale a été entièrement respectée.
Le dernier module est tiré des Actualités Pathé et dévoile un reportage réalisé lors de la Semaine Sainte à Séville (5’-1924). Un supplément muet avec intertitres français.
L’Image et le son
Pathé dévoile un somptueux master 4K, réalisé en 2020 par la fondation Jérôme Seydoux – Pathé, à partir d’un négatif original nitrate issu de ses collections. Les cartons ont été reconstitués d’après les flash-titles présents dans le négatif. Les travaux numériques ont été confiés à L’Image Retrouvée, Paris-Bologne. Comme d’habitude, ce Blu-ray made in Pathé en met plein les yeux dès les premières séquences avec une définition qui laisse pantois. Ce nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. La copie se révèle étincelante, avec un piqué pointilleux une remarquable gestion des contrastes (noirs denses, blancs lumineux), des détails ciselés. La propreté de la copie est souvent sidérante, la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. L’ensemble reste fluide et réellement plaisant.
Pour l’occasion, Günter Buchwald et l’Octuor de France (voir les suppléments pour en savoir un peu plus) se sont vus confier l’enregistrement d’un accompagnement au film de Jacques de Baroncelli. Encodé en DTS HD Master Audio 5.1, cette composition se révèle enivrante et marquée de splendides envolées. Bon d’accord, les arrières ne servent que de chambre d’écho et c’est surtout grâce aux enceintes avant que le spectateur sera immédiatement immergé dans ce qui se rapproche le plus d’une acoustique du type cinéma muet. Si l’équilibre est satisfaisant entre la balance droite et la balance gauche, c’est sur la centrale que repose la création de l’Octuor. En ce qui concerne la piste 2.0, même si elle paraît moins vivante que la 5.1, elle réserve pourtant de superbes moments énergiques et percutants. L’éditeur joint aussi une piste Audiovision, ainsi que les sous-titres anglais.