LA CLÉ (La Chiave) réalisé par Tinto Brass, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 22 août 2023 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Stefania Sandrelli, Frank Finlay, Franco Branciaroli, Barbara Cupisti, Armando Marra, Maria Grazia Bon, Gino Cavalieri, Piero Bortoluzzi…
Scénario : Tinto Brass, d’après le roman de Jun’ichirō Tanizaki
Photographie : Silvano Ippoliti
Musique : Ennio Morricone
Durée : 1h51
Date de sortie initiale : 1983
LE FILM
Venise, début 1940, alors que l’Italie se prépare à entrer en guerre auprès du Troisième Reich, Nino Rolfe, un aristocrate libertin d’âge mur, ne parvient plus à satisfaire sexuellement Teresa, cette épouse qu’il aime aussi passionnément qu’au premier jour. Tandis que son mari note ses fantasmes dans un journal intime, Teresa dissimule de moins en moins bien son attirance grandissante pour Laszlo, le fiancé de sa fille Lisa. Bravant interdits et tabous, la belle quadragénaire entame une relation avec son futur gendre…
Pour l’ensemble de la critique, il y a eu un avant et un après La Clé – La Chiave dans la carrière de Giovanni Brass dit «Tinto » (né en 1933), même si celui-ci l’a toujours réfuté, dans le sens où son quatorzième long-métrage aborde des thèmes qui parcouraient déjà quelques-uns de ses films précédents. Ce que la postérité a surtout retenu de La Clé, c’est avant tout Stefania Sandrelli, volcanique, sans doute la comédienne la plus sexy de l’âge d’or du cinéma italien après Laura Antonelli. Au-delà de son incandescente prestation, l’actrice alors âgé de 37 ans et qui possédait déjà un C.V. qui en ferait jalouser plus d’un/e (Pietro Germi, Jean-Pierre Melville, Lucio Fulci, Bernardo Bertolucci, Mario Monicelli, Sergio Sollima, Luigi Comencini, Ettore Scola, Mauro Bolognini, Sergio Corbucci et bien d’autres), se livre pour la première fois nue en intégralité à la caméra et donc aux spectateurs, mis en situation de voyeur. Car La Clé n’est pas seulement voire pas du tout une œuvre où l’on se rince l’oeil uniquement, mais où l’intellect de l’audience est aussi mise à contribution, à travers une réflexion sur le couple et la sexualité, où l’homme tente de percer le mystère de la femme par n’importe quel moyen, comme si sa vie (ou son vit, c’est selon) en dépendait. Il y a du Visconti chez Tinto Brass, l’ancien assistant de Roberto Rossellini (Inde, terre mère, Le Général de la Rovere), qui adapte le roman La Clef (La Confession impudique) de Jun’ichirō Tanizaki, par ailleurs déjà adapté en 1959 par Kon Ichikawa, à Venise, dont l’atmosphère humide et éthérée convient parfaitement au réalisateur. Furieusement érotique, marqué par des scènes extrêmement crues (une érection par ci, un gros plan sur un sexe féminin par là) et le magnétisme de Stefania Sandrelli, La Clé a marqué l’esprit des cinéphiles du monde entier et continue quarante ans après sa sortie de faire de nouveaux adeptes, tout en s’imprimant de façon indélébile sur les yeux des heureux individus qui le découvriront pour la première fois.
En 1940, à Venise, alors que l’Italie fasciste s’apprête à entrer en guerre, Nino Rolfe, un homme déclinant et libertin, tient le journal de ses frustrations et de ses fantasmes avec le désir inavoué que Teresa, sa très belle épouse, le lise. Laszlo, son futur gendre, est photographe. Nino obtient sa complicité en lui demandant de développer des photos de sa femme en tenue suggestive. Laszlo accepte mais fait en sorte que Lisa, sa fiancée, fasciste convaincue, les trouve. Lisa adopte ensuite une attitude ambiguë car, après avoir vertement reproché son inconduite à sa mère, elle fait en sorte de la rapprocher de Laszlo afin qu’une liaison se concrétise. Teresa se met alors à son tour à rédiger un journal qui répond à celui de son mari.
Ce qu’il y a d’évident dès le début du film, c’est que Nino (Frank Finlay, Porthos dans Les Trois Mousquetaires de Richard Lester), deux décennies après leur mariage, est toujours fou amoureux de son épouse Teresa, de son vingt ans sa cadette. Le fait d’éprouver de plus en plus de difficultés à la ire au lit, l’entraîne, comme dernier recours, à confier ses fantasmes à un journal intime, en faisant en sorte que sa femme tombe « par hasard » sur ses écrits, en laissant volontairement sa confession traîner dans son bureau afin qu’elle en ait la révélation. C’est ce qui arrive très rapidement, mais plutôt que de raviver la flamme envers Nino, Teresa, qui voit son corps se réveiller, se donne au futur époux de sa fille Lisa. Cela va encore plus loin, quand cette liaison passionnée se fait avec la complicité perverse de Nino et de Lisa, qui sont au courant et découvrent que Teresa tient désormais elle aussi un journal.
Tinto Brass invite le spectateur à une valse étourdissante du sentiment amoureux et de la sexualité, à travers une histoire intemporelle et universelle, autrement dit, comment faire perdurer le désir, le plaisir, l’envie de celui ou de celle avec qui on partage sa vie, malgré la vieillesse et le temps qui passe. Contrairement à son confrère Marco Ferreri, auquel on pourrait le comparer quant à la représentation des pulsions animales qui animent les êtres humains, Tinto Brass ne s’adonne pas à la vulgarité et encore moins gratuite. S’il est souvent qualifié d’artiste provocateur et a même été taxé un temps de pornographe, ce dernier, en tant que véritable esthète, sait mettre les femmes en valeur, en l’occu(l)rrence Stefania Sandrelli, sa taille faite au tour et les hanches pleines (air connu), sa poitrine généreuse dans laquelle on voudrait volontiers se perdre, cette célèbre fossette au menton, ses yeux rieurs et pourtant qui dégagent une profonde mélancolie. Une femme arrivant à l’âge mûr, mais qui (re)découvre à la fois sa féminité et la jouissance, et ce grâce à l’amour que lui porte son mari, avec lequel elle n’a pourtant plus vraiment de rapports, d’autant plus que Nino, éjaculateur précoce, ne peut satisfaire alors celle pour laquelle son coeur (malade) bat la chamade.
Quoi qu’on en dise, La Clé, magnifiquement photographié par Silvano Ippoliti (Big Guns, Navajo Joe, Le Grand Silence) et bercé par la partition entêtante d’Ennio Morricone, dresse le tableau intime d’un homme et d’une femme dont la route jusqu’alors commune a pris l’allure d’une voix sans issue pour l’un, tandis que l’autre a bifurqué pour continuer son chemin, malgré les sentiments qui les réunissent.
LE BLU-RAY
La Clé a tout d’abord été édité en France en 2004 chez Edito, avant d’être proposé quatre ans plus tard chez Tiffany en Director’s Cut. 2012, le film de Tinto Brass arrive chez Bach Films, avant de disparaître pendant une bonne dizaine d’années, pour enfin resurgir chez Sidonis Calysta et DVD et Combo Blu-ray + DVD. Le menu principal est animé sur la musique d’Ennio Morricone.
Tout d’abord, Sidonis reprend les bonus déjà disponibles sur l’édition Tiffany, à savoir une scène coupée de cinq minutes, qui se focalise sur la fausse expertise de deux Klimt par Nino, suivie de l’achat du journal intime par Teresa.
S’ensuit un entretien de 2006 du réalisateur Tinto Brass (29’), qui replace La Clé dans sa carrière, en expliquant pourquoi ce film s’inscrit dans le prolongement de thèmes déjà abordés, liés à la recherche de la liberté. En réalité, Tinto Brass cherchait à adapter le roman de Jun’ichirō Tanizaki depuis sa publication et dont il avait acheté les droits, avant de devoir les lâcher en raison de l’absence de producteur intéressé. Après la transposition japonaise de 1959, Tinto Brass parvient à remettre la main sur les droits, mais devra attendre 1983 et user de stratagèmes (entre autres de mentir en prétextant que l’écrivain avait reçu le Prix Nobel pour ce livre) pour enfin concrétiser ce projet qui lui tenait à coeur. Après le refus de Sophia Loren et de Laura Antonelli, Stefania Sandrelli accepte d’endosser le rôle principal, pourtant loin de ceux qui l’ont fait connaître. Les thèmes du film, ses intentions, la psychologie des personnages, la transposition, le casting, les conditions de tournage, la musique d’Ennio Morricone et la sortie houleuse au cinéma sont également abordés par Tinto Brass au cours de cette interview.
Outre la bande-annonce, Sidonis ajoute une présentation du film par François Guérif (10’). L’occasion d’en savoir plus sur le parcours et la carrière (« très étrange ») de Tinto Brass. Ensuite, le complice de l’éditeur donne des indications sur le roman de Jun’ichirō Tanizaki, la représentation de l’érotisme chez Tinto Brass, son rapport au spectateur, la psychologie des personnages, le casting, le contexte historique de l’histoire, les références artistiques et le gros succès de La Clé en Italie.
L’Image et le son
Ce nouveau master restauré en HD restitue merveilleusement l’atmosphère glacée, austère et livide de Venise, en dépit d’un piqué un peu doux. La photo éthérée signée Silvano Ippoliti fait la part belle aux couleurs froides. Les contrastes sont à l’avenant, la compression parfois chancelante, mais le grain cinéma original est respecté, toutes les scories ont été éliminées. Les séquences sombres sont aussi bien définies, avec des noirs solides et des clairs-obscurs tranchés.
La version italienne est proposée en DTS HD Master Audio Mono 2.0, équilibrée, douce, fluide, sans aucun souffle et dynamique quand il le faut. La piste française (incomplète, comme il s’agit de la version intégrale du film) se focalise trop sur le report des voix, parfois au détriment des effets annexes. Mais les deux options acoustiques ont subi un vrai dépoussiérage. Dans la langue de Molière ou de Dante, les deux mixages s’en sortent haut la main. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
Crédits images : © Sidonis Calysta / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
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