FURIA réalisé par Alexandre Aja, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée le 1er décembre 2021 chez ESC Editions.
Acteurs : Stanislas Merhar, Marion Cotillard, Wadeck Stanczak, Pierre Vaneck, Carlo Brandt, Laura del Sol, Jean-Claude de Goros, Etienne Chicot…
Scénario : Alexandre Aja & Grégory Levasseur, d’après la nouvelle Graffiti de Julio Cortazar
Photographie : Gerry Fisher
Musique : Brian May
Durée : 1h39
Année de sortie : 2000
LE FILM
Dans une société dévastée par une guerre engagée par un gouvernement totalitaire, Theo, vingt ans, sort tous les soirs clandestinement afin de dessiner sur les murs son idée de la liberté. Un soir, il rencontre Elia, une jeune fille qui dessine aussi. A travers leurs oeuvres, une étrange histoire d’amour s’instaure.
Beaucoup de cinéphiles savent qu’avant son formidable remake de La Colline a des yeux – The Hills Have Eyes de Wes Craven, sorti en 2006, Alexandre Aja, né en 1978, avait déjà été révélé avec Haute tension, thriller horrifique sorti trois ans auparavant, qui avait d’ailleurs connu un succès international. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est que Haute tension était le second long-métrage du réalisateur. En 1999, autrement dit pour ses vingt ans, Alexandre Aja emballait Furia, son premier coup d’essai et petit coup de maître, nourri de ses références en matière de science-fiction, en cinéma, en littérature (1984 de George Orwell n’est jamais bien loin) et en peinture. Il écrit le scénario avec son complice Grégory Levasseur, d’après la nouvelle Graffiti de Julio Cortazar et fait autant preuve d’ambitions que de savoir-faire derrière la caméra. S’il s’était fait la main sur un court-métrage (en N&B), Over the Rainbow (1997), dans lequel Jean Benguigui interprétait un gardien de l’immeuble timide, n’osant pas s’approcher d’une de ses locataires et qui allait trouver de l’aide en la personne d’un fleuriste aveugle, Alexandre Aja compte bien profiter de cette grande chance. Il se livre entièrement dans ce Furia, animé par sa passion dévorante et contagieuse pour le cinéma de genre, tourné avec un budget somme toute limité, mais rempli d’idées, pas forcément abouties (loin de là même), mais extrêmement généreux, divertissant et dont de nombreux éléments restent en tête après.
Dans un futur proche, et un pays soumis à une dictature policière, la liberté d’expression a été jugulée. Elle est devenue condamnable. A vingt ans, Théo refuse cet état de fait et chaque nuit, exprime sa révolte en dessinant sur les murs, au risque d’être arrêté et tué. Un soir, il fait ainsi la connaissance de Freddy mais surtout d’Elia, une fille de résistant qui comme lui, a la passion du dessin subversif. Leur idylle se renforce au gré de leurs virées nocturnes jusqu’au jour où Elia est arrêtée…
Après treize années de combats, le pouvoir a enfin rétabli l’ordre. La résistance semble neutralisée. Toutes les libertés individuelles sont désormais contrôlées pour le maintien de la paix. Pourtant, un peu partout dans le pays, des gens isolés défient encore le pouvoir…
Comme c’est souvent le cas pour un premier long-métrage, Alexandre Aja y met tout ce qu’il aime, tout ce qui le fait vibrer, tout en se livrant corps et âme, comme s’il s’agissait de son unique opportunité pour s’exprimer pleinement. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le très jeune réalisateur, il était alors âgé de vingt ans au moment du tournage, ne laisse pas filer cette occasion. Film de SF post-apocalyptique, dystopie (les décors sont très réussis), d’anticipation, drame intimiste, thriller psychologique, Furia combine tout, au risque de devenir étouffant par moments. Mais il se dégage un tel charme, aussi bien sur le fond que sur la forme – on est ici entre Malevil de Christian de Chalonge et Le Dernier combat de Luc Besson – que l’on accroche véritablement du début à la fin à cette histoire singulière, qui étonne par son mélange des genres. Alexandre Aja confie le rôle principal à Stanislas Merhar, qui venait de tourner Nettoyage à sec d’Anne Fontaine, pour lequel il allait remporter le César du meilleur espoir masculin en 1998. Il est impeccable dans le rôle de l’anti-héros de Furia, un personnage romantique qui semble s’être évadé de l’univers de William Shakespeare, qui profite de la nuit pour aller dessiner sur les murs de la ville, et donc s’opposer au régime politique en vigueur. Quand il découvre qu’Elia, sa voisine, jeune femme étrange aux yeux vairons qui semblent dissimuler un lourd passé, fait de même, une relation fusionnelle se noue entre les deux. Elia est incarnée dans le film par Marion Cotillard, dans un de ses premiers rôles au cinéma. On peut dire ici qu’il s’agit du premier vrai grand rôle de la comédienne, tout juste révélée par Taxi de Gérard Pirès, dans lequel elle n’avait pas grand-chose à défendre, contrairement à Furia, où son investissement se révèle être très impressionnant. Avec son œil droit de couleur noire et le gauche de couleur bleue, elle est pour ainsi dire icônisée par Alexandre Aja, qui la filme sous toutes les coutures, comme s’il était tout simplement fasciné par sa jeune actrice. Le couple Mehrar-Cotillard fonctionne à plein régime dans Furia, heureusement d’ailleurs, puisque le film repose en grande partie sur cette alchimie. Ils sont merveilleusement épaulés par quelques pointures, les grands Pierre Vaneck, Etienne Chicot et Carlo Brandt, tous très impliqués dans la première œuvre de ce jeune cinéphile fou qui en avait déjà sacrément sous le pied. Seul bémol en ce qui concerne le casting, Wadeck Stanczak (Rendez-vous et Le Lieu du crime d’André Téchiné), dont le jeu outrancier contraste avec celui de ses partenaires et entraîne des rires nerveux.
Certes, quelques dialogues paraissent aujourd’hui un rien naïfs ou bien trop chargés, mais leur sincérité ne fait que refléter celle d’Alexandre Aja et de Grégory Levasseur, qui se livraient forcément à travers leurs personnages. L’ambiance oppressante est présente dès les premiers plans de Furia. Le spectateur ressent cette moiteur omniprésente, souvent représentée par les visages en sueur des protagonistes, par leurs vêtements noircis par la crasse et la transpiration. Impression qui s’accentue encore plus au fil de l’histoire, tandis que la violence ne fait que s’accentuer, parfois jusqu’à l’insoutenable, surtout quand le personnage d’Elia est torturée à maintes reprises.
Pour dessiner, faut courir vite !
On excuse donc volontiers des partis pris gratuits, pour ne pas dire inutiles, à l’instar de quelques ralentis ou d’autres effets clipesques, car Furia est un film qui a vraiment de la gueule. On saluera la beauté de la photographie que l’on doit à l’immense chef opérateur Gerry Fisher (L’Exorciste III de William Peter Blatty, Le Malin de John Huston, Mr Klein et Une Anglaise romantique de Joseph Losey, Terreur aveugle de Richard Fleischer, The Offence de Sidney Lumet), dont le grain prononcé participe à l’atmosphère du film. C’est aussi le cas de la musique composée par Brian May, cofondateur et guitariste du groupe de rock Queen, qui par certains côtés fait penser à Highlander. Marqué par divers clins d’oeil, dont un évident à Terminator de James Cameron lors de la scène où Théo se retire l’implant face au miroir, Furia, sorti en catimini durant l’été 2000 (où il peine à aller au-delà de 8400 entrées…), est au final un film bourré d’imaginations, élégant, intelligent, poétique, attachant et très séduisant.
LE BLU-RAY
Furia avait déjà connu une édition en DVD chez TF1 Vidéo en octobre 2008, dépourvu du moindre supplément. Décembre 2021, voilà que débarque un Combo Blu-ray + DVD en Édition Limitée du premier long-métrage d’Alexandre Aja. Très beau visuel, repris de l’affiche d’exploitation. Même chose pour le menu principal, fixe et musical.
Ne manquez pas l’interview d’Alexandre Aja (34), disponible dans la section des bonus. Une longue présentation de Furia, durant laquelle le réalisateur revient sur ses débuts en tant que comédien dans les films de son père Alexandre Jardin (« j’ai eu la chance de grandir sur les plateaux de cinéma »), puis se souvient des réunions passionnées de ce dernier avec son équipe quand ils construisaient ensemble une histoire, ce qui a largement contribué à lui donner le virus. De sa rencontre avec Grégory Levasseur, en passant par son amour pour le cinéma de genre, son premier boulot comme technicien dans l’équipe image sur K, son premier court-métrage Over the Rainbow, sans oublier bien sûr la genèse de Furia, la nouvelle de Julio Cortazar, ses intentions (certaines ayant été abandonnées) et partis-pris, le casting, le directeur de la photographie Gerry Fisher, la composition de Brian May, les lieux (El Jadida, un petit village au sud de Casablanca) et les conditions de tournage, le montage, la postproduction, sans oublier les difficultés liées à la distribution du film, vous saurez TOUT sur la création et la réception de Furia. Si l’on ajoute à tout cela l’extrême générosité du metteur en scène, les images de tournage et l’absence de langue de bois, vous obtenez un supplément de très grande qualité comme on aimerait en retrouver plus souvent.
La bande-annonce se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Furia a connu un dépoussiérage de premier ordre ! Le grain, imposant, de la photographie spectaculaire de Gerry Fisher est bien heureusement conservé, bien géré, organique. Les contrastes sont impeccables, la propreté indéniable (de rares poussières subsistent), la copie stable et la clarté semble inédite sur les scènes diurnes. Diverses baisses de la définition sont à signaler, mais rien de bien méchant, car l’ensemble est quand même d’un très haut niveau, les gros plans ne manquent pas de détails et (re)découvrir Furia en Haute-Définition était pour ainsi dire inespéré.
Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un très bon confort. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition de Brian May jouit également d’un très bel écrin. Signalons tout de même l’absence de sous-titres…