EUGÉNIE GRANDET réalisé par Marc Dugain, disponible en DVD et Blu-ray le 1er février 2022 chez Ad Vitam.
Acteurs : Joséphine Japy, Olivier Gourmet, Valérie Bonneton, César Domboy, François Marthouret, Nathalie Bécue, Bruno Raffaelli, Jean Chevalier…
Scénario : Marc Dugain, d’après le roman d’Honoré de Balzac
Photographie : Gilles Porte
Musique : Jérémie Hababou
Durée : 1h43
Date de sortie initiale : 2021
LE FILM
Felix Grandet règne en maître dans sa modeste maison de Saumur où sa femme et sa fille Eugénie, mènent une existence sans distraction. D’une avarice extraordinaire, il ne voit pas d’un bon œil les beaux partis qui se pressent pour demander la main de sa fille. Rien ne doit entamer la fortune colossale qu’il cache à tous. L’arrivée soudaine du neveu de Grandet, un dandy parisien orphelin et ruiné, bouleverse la vie de la jeune fille. L’amour et la générosité d’Eugénie à l’égard de son cousin va plonger le Père Grandet dans une rage sans limite. Confronté à sa fille, il sera plus que jamais prêt à tout sacrifier sur l’autel du profit, même sa propre famille…
Paru pour la première fois en 1834, Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac prend place dans La Comédie humaine, plus précisément entre Ursule Mirouët et Pierrette. Cette histoire issue des Scènes de la vie de province inspirera le cinéma dès les années 1910 en France, sous la direction d’Émile Chautard, qui sera suivie d’une deuxième mouture en 1921 aux États-Unis (The Conquering Power avec Rudolph Valentino), puis d’une troisième, peut-être la plus célèbre, en 1946, en Italie avec Alida Valli dans le rôle-titre, réalisée par Mario Soldati. D’autres transpositions suivront pour la télévision, la dernière en date remontant à 1994, avec Jean Carmet en Félix Grandet, Alexandra London, Claude Jade et Pierre Vernier. Depuis, plus de nouvelles, aussi bien sur le grand écran que sur la petite lucarne. 2021, l’écrivain, scénariste et réalisateur Marc Dugain présente une libre adaptation d’Eugénie Grandet, qui s’inscrit intelligemment dans le courant féministe actuel, sans jamais « trahir » Honoré de Balzac, mais en conversant avec l’auteur du Père Goriot, La Peau de chagrin et du Colonel Chabert. La sève, l’esprit, le rythme sont respectés et se retrouvent dans Eugénie Grandet, interprétée par la divine Joséphine Japy, magnétique et dont on sent (comme nous) le metteur en scène fasciné par le visage gracieux, qu’il n’a de cesse de mettre en valeur, d’observer, de caresser de sa caméra. Face à elle, il fallait un ogre pour incarner Félix Grandet, rôle dont s’empare l’impressionnant Olivier Gourmet, qui campe un monstre humain rongé par l’avarice. Sorti peu de temps avant Illusions perdues, qui allait attirer près d’un million de spectateurs, remporter sept César et faire de l’ombre au troisième long-métrage de Marc Dugain, Eugénie Grandet aura tout de même fait plus de 200.000 entrées et connaîtra assurément une belle seconde vie.
L’action se passe à Saumur sous Louis XVIII. Félix Grandet, ancien maire avare et tyran domestique, ne s’intéresse qu’à l’accroissement de sa fortune, que personne sauf son notaire et son banquier, ne soupçonne. Sa fille Eugénie de 24 ans s’étiole ne sortant que pour aller à l’église. Un jour, le beau Charles Grandet, fils du frère de Félix Grandet, arrive de Paris en séjour chez son oncle car son père, riche négociant en faillite, le lui a demandé pour le protéger du scandale imminent à la veille de l’annonce de sa banqueroute. Eugénie et Charles s’éprennent l’un de l’autre. Félix apprend à son neveu que son père s’est suicidé entre-temps. Charles est donc ruiné et il n’est pas question qu’il épouse Eugénie. Félix accompagne son neveu prendre le bateau à Nantes pour aller en Afrique chercher fortune. Eugénie se confesse à l’Église et demande au prêtre si espérer un grand amour est un péché. Ce même matin, son père, Félix Grandet vend pour ses pierres de construction l’église acquise pour presque rien durant la vente des biens du clergé du temps de la révolution. C’est l’anniversaire d’Eugénie, et comme chaque année, son père lui offre une pièce d’or. Avant son départ pour Saumur, Charles Grandet dit au revoir à son père qui insiste sur cet exil qui lui permettra peut-être d’éviter la faillite en renouant avec son créancier principal : le vieux mari de la femme qu’aime son fils. Madame Grandet s’inquiète à propos de l’avenir de sa fille, et elle insiste auprès de son mari pour la marier. Grandet dit avoir pour elle de grandes ambitions. Un jeu de loto est organisé chez les Grandet, avec quelques notables de Saumur, dont deux prétendants à la main d’Eugénie. C’est ce soir de pluie qu’arrive Charles Grandet. Il constate la pauvreté apparente de sa famille qui vit extrêmement chichement. Grandet apprend sans ménagement à Charles la mort de son père qui s’est suicidé à cause de ses dettes. Au fil de promenades champêtres et de discussions, une liaison se noue entre Eugénie et Charles. Charles annonce à Eugénie sa décision de partir pour se refaire une fortune et laver son nom. Eugénie se donne à Charles et lui fait cadeau de son or. En retour Charles lui donne en gage le portrait de sa mère lui promettant de revenir quand il aura fait fortune. De retour de Nantes où il a vu Charles s’embarquer, Félix Grandet est ivre de colère. C’est pour lui une malédiction que sa fille ait donné son or à son cousin. Il la punit en la consignant dans sa chambre, au pain et à l’eau.
« Tu ne manques de rien au moins ?! »
Marc Dugain (né en 1957), éminent écrivain hexagonal (La Chambre des officiers, La Malédiction d’Edgar, Une exécution ordinaire, la trilogie L’Emprise-Quinquennat-Ultime partie), « s’approprie » l’oeuvre d’Honoré de Balzac, modernise sa langue, la traduit pourrait-on dire, mais conserve, analyse et met en relief le féminisme de ce roman engagé et fiévreux. Deux portraits sont dressés dans Eugénie Grandet, le livre et donc le film, celui de Félix, le père, inflexible et impitoyable, et bien sûr celui d’Eugénie, voyant ses espoirs, ses désirs et ses rêves se perdre en raison de l’intransigeance de celui qui lui a donné la vie. Si Honoré de Balzac pointait essentiellement du doigt les mentalités sous la Restauration, Marc Dugain insiste lui sur l’évolution des caractères différents au fil du temps, thème présent dans le roman, mais mis en résonance avec certains sujets modernes de société. C’est là que Marc Dugain dialogue avec Honoré de Balzac, tout en valorisant constamment la furieuse contemporanéité, l’universalité et l’intemporalité du second, au niveau des mœurs donc, mais aussi quand il évoque la naissance du capitalisme, représenté par Félix Grandet.
Outre son fond passionnant, Eugénie Grandet bénéficie de l’oeil du talentueux chef opérateur Gilles Porte (Le Sens de la famille, Celle que vous croyez, Budapest), de décors et de costumes élégants, qui apportent une véracité au récit, tout en évitant le piège du classicisme poussiéreux dans lequel tombent habituellement la plupart des films français d’époque. Marc Dugain relève le défi et remporte son pari, actualiser la langue d’Honoré de Balzac (les personnages ne s’expriment pas comme dans le roman), garder la moelle épinière qui transporte l’influx nerveux du roman et la motivation des protagonistes, en misant aussi sur les silences, les regards et la respiration d’Eugénie Grandet, assise à sa fenêtre donnant toujours sur le seul et même aperçu sur le monde, les mains s’activant sur une broderie, tandis que le temps passe et s’écoule doucement, se perdant, avec le même ennui. Le corps présent, mais l’esprit vagabondant, Eugénie s’évade comme elle le peut, ce que sa belle-mère (superbe Valérie Bonneton) a bien compris et qui donnera jusqu’à sa vie pour inciter Félix Grandet à libérer sa fille…
Très grande réussite, Eugénie Grandet repose sur un casting tout aussi soigné, où se distinguent notamment l’excellente Nathalie Bécue (Pour elle, Rodin) dans le rôle de la fidèle Nanon, qui restera aux côtés d’Eugénie jusqu’à son entière émancipation avec un amour que l’on sait indéfectible, et César Domboy (Le Bal des folles, The Walk : Rêver plus haut, Un homme à la hauteur, Outlander), impeccable en Charles Grandet, cousin d’Eugénie et son premier émoi amoureux, qui bouleversera à la fois son existence et son avenir. L’art de l’ellipse et de l’épure sont au coeur de cette Eugénie Grandet version 2021, qui donne furieusement envie de replonger dans les pages de Balzac…mais aussi dans celles de Marc Dugain.
LE BLU-RAY
Eugénie Grandet est disponible en DVD et Blu-ray chez Ad Vitam depuis le 1er février 2022. L’édition HD apparaît sous la forme d’un boîtier classique de couleur bleue. La jaquette reprend le visuel de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est quant à lui animé et musical.
Les bonus démarrent par 25 minutes d’entretiens avec tour à tour Marc Dugain, Joséphine Japy, Valérie Bonneton et Olivier Gourmet en pleine promotion du film. Cependant, on échappe aux habituels « c’était formidable » ou « c’était génial de travail avec lui/elle », car les propos tenus ici sont denses, très intéressants, voire souvent passionnants, surtout quand les intervenants s’expriment sur les personnages, leur évolution et leur psychologie. Marc Dugain aborde le travail d’adaptation du roman d’Honoré de Balzac (« il fallait le ramener dans une certaine modernité […] en prenant certaines libertés, mais sans offenser l’oeuvre originale déjà très moderne »), ses intentions et ses partis-pris (le cinéaste avait pensé réaliser le film en N&B, mais cela n’allait pas dans le sens du réalisme souhaité), tandis que les comédiens parlent de leur collaboration avec le réalisateur. Les thèmes du livre et conséquemment du film, la place des femmes dans l’oeuvre de l’écrivain, le travail sur les dialogues, les conditions de tournage sont aussi des sujets abordés au fil de ce supplément.
Nous trouvons ensuite une formidable analyse d’Eugénie Grandet réalisée par Yves Alion, journaliste, critique et historien du cinéma, mais également directeur de la publication et le rédacteur en chef de L’Avant-scène cinéma depuis une vingtaine d’années (10’). Dans ce module, ce dernier se penche sur le film de Marc Dugain, un coup de coeur, qu’il dissèque aussi bien sur le fond que sur la forme. Yves Alion évoque l’adaptation du roman d’Honoré de Balzac (« Marc Dugain est un peintre pointilleux d’une époque »), la psychologie des personnages (en empruntant intelligemment à la chanson Ces gens-là de Jacques Brel) et les thèmes. Cela fait du bien d’écouter une critique constructive, très bien écrite et détaillée.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
On ne change pas une équipe qui gagne et Marc Dugain a de nouveau fait appel au chef opérateur Gilles Porte, directeur de la photographie qui avait déjà officié sur L’Échange des princesses en 2017. Les contrastes impressionnent, la copie se révèle claire et lumineuse, le relief est appréciable, la colorimétrie est sublime, lourde et grisâtre en extérieur, feutrée et boisée en intérieur, le piqué ciselé et les détails indéniables aux quatre coins du cadre 1.66.
Marc Dugain et le compositeur Jérémy Hababou ont travaillé de concert pour privilégier avant tout les sons de la nature et réduire la musique au strict nécessaire « afin de ne pas surligner l’émotion ». Ceux-ci, ainsi que les dialogues, sont admirablement délivrés et spatialisés par le mixage DTS-HD Master Audio 5.1. Les voix s’imposent sans mal sur la centrale. De nombreuses ambiances naturelles percent sur les latérales lors des séquences en extérieur, la balance gauche-droite est dynamique. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription et une autre Stéréo destinée à ceux uniquement équipés sur la scène avant.