DANS L’OMBRE DE SAN FRANCISCO (Woman on the run) réalisé par Norman Foster, disponible le 12 septembre 2023 en DVD et Combo Blu-ray + DVD chez Elephant Films.
Acteurs : Ann Sheridan, Dennis O’Keefe, Robert Keith, John Qualen, Frank Jenks, Ross Elliott, Jane Liddell, Joan Shawlee…
Scénario : Alan Campbell & Norman Foster, d’après une histoire originale de Sylvia Tate
Photographie : Hal Mohr
Musique : Arthur Lange & Emil Newman
Durée : 1h17
Année de sortie : 1950
LE FILM
Un soir, Frank, un peintre raté, assiste sans le vouloir au meurtre d’un homme. Très vite interrogé par la police, il devient un témoin décisif dans l’enquête sur cet assassinat et donc, une cible à abattre. Pris de panique, il s’enfuit et laisse sa femme Eleanor dans l’incompréhension totale. Avec l’aide du reporter Dan Leggett, cette dernière cherche à retrouver la trace de son mari, sans se douter que les policiers et le meurtrier en personne sont aussi à leurs trousses.
Connu dans nos contrées sous le titre Dans l’ombre de San Francisco, Woman on the Run est un bijou du film noir que la critique et le public ont malheureusement totalement oublié. Réalisé par Norman Foster (1900-1976), comédien venu à la mise en scène qui a fait ses débuts derrière la caméra à la fin des années 30 avec la série des M.Moto (alias Peter Lorre), Woman on the Run a pour particularité de donner à une femme, en l’occurrence la formidable Ann Sheridan (tout juste sortie d’Allez coucher ailleurs d’Howard Hawks), le rôle principal dans l’intrigue, chose alors inhabituelle dans un film de ce genre. La comédienne signe une superbe prestation, une femme dont le mariage bat de l’aile, qui retrouve un regain de passion pour son époux accusé à tort d’un meurtre. Une redécouverte s’impose une fois de plus.
Un soir comme les autres, ou presque, à San Francisco. Frank Johnson est un artiste qui promène son chien et qui devient témoin d’un meurtre. Une voiture s’arrête à proximité de lui. Le passager, Joe, menace d’extorquer le conducteur, Danny, pour obtenir de l’argent supplémentaire pour son témoignage favorable devant un grand jury. Danny tire avec une arme à feu sur Joe, qui tombe déjà mort par la portière de la voiture. Remarquant Frank, Danny lui tire dessus. Un voisin appelle la police qui arrive. L’inspecteur Ferris apprend que Frank, le seul témoin, pourrait certainement identifier le tueur au cours d’une identification et souhaite arrêter Frank pour le placer en détention protectrice. Mais, bien que coopératif, en regardant les impacts de balles dans le mur là où le tueur a tiré en fait sur son ombre, Frank panique et s’enfuit. Ferris apprend d’Eleanor Johnson, l’épouse de Frank, que leur mariage ne fonctionne plus depuis plusieurs années.
Cela peut vous arriver alors que vous promenez votre meilleur ami à quatre pattes. C’est ce qui déboule dans la vie d’un certain Frank Johnson, interprété par Ross Elliott, acteur vu chez Jack Arnold (Le Monstre des abîmes, Tarantula), personnage que l’on aperçoit durant les cinq premières minutes du film, mais dont l’aura demeure omniprésente durant l’enquête menée par son épouse Eleanor, avant de le retrouver dans l’acte final. Cette dernière est donc incarnée par Ann Sheridan, actrice géniale qui se préparait à porter sur ses belles épaules La Séductrice aux cheveux rouges – Take Me to Town de Douglas Sirk, et que Raoul Walsh avait fait tourner à deux reprises, dans Une femme dangereuse – They Drive by Night (1940) et La Rivière d’argent – Silver River (1948). Également vue chez Michael Curtiz, William Dieterle, Lloyd Bacon (qui allait en faire sa comédienne fétiche), Lewis Milestone, Leo McCarey, elle trouve dans Dans l’ombre de San Francisco, qu’elle coproduisait aux côtes d’Howard Welsch (L’Ange des maudits de Fritz Lang, La Femme aux revolvers d’Allan Dawn) l’un de ses plus beaux rôles, alors qu’elle amorçait la toute dernière partie de sa carrière. Contrairement à ce que le titre laisse penser, ce n’est pas Eleanor qui est en fuite, mais son époux, avec lequel le mariage battait sérieusement de l’aile, jusqu’à ce qu’elle se rende compte de l’amour qui les unissait encore et toujours.
En 75 minutes montre en main, le spectateur est invité à suivre cette femme bien décidée à prouver l’innocence de son mari, aux côtés d’un journaliste bien trop dévoué pour être honnête, campé quant à lui par l’imposant Dennis O’Keefe (Marché de brutes et La Brigade du suicide d’Anthony Mann, La Femme déshonorée de Robert Stevenson, Alerte aux marines d’Edward Ludwig), les deux étant étroitement surveillés par le cynique Inspecteur Martin Ferris (l’impeccable Robert Keith, Ceux de Cordura, La Ronde du crime, Écrit sur du vent, Le Temps de la colère). Basé sur une nouvelle de Sylvia Tate (intitulée… Man on the Run), Woman on the Run est un petit chef-d’oeuvre du genre (le final dans le parc d’attractions est immense), un miracle d’inventions et de surprises doublé d’un documentaire sur le San Francisco d’époque, magnifiquement photographié par le célèbre Hal Mohr, chef opérateur de L’Équipée sauvage de László Benedek et Le Droit de tuer de Michael Gordon. Un modèle de série B.
LE BLU-RAY
Il y a une dizaine d’années, Dans l’ombre de San Francisco intégrait la collection Classics Confidential de Wild Sild Video, alors l’une des plus belles disponibles sur le marché français. L’objet mariait le livre, le cinéma et le DVD, avec des visuels raffinés et très attractifs. 2023, le film de Norman Foster déboule pour la première fois en Haute-Définition en France, sous les couleurs d’Elephant Films. Deux éditions au choix, en DVD ou en Combo Blu-ray + DVD, avant une prochaine mouture Blu-ray unique. Le menu principal est fixe et musical, typique de l’anthologie Cinéma Master Class – La Collection des Maîtres.
Déjà à l’oeuvre sur le Blu-ray de Détour, L’érudit Stephen Sarrazin, enseignant, critique et curateur d’expositions, habituellement spécialiste du cinéma japonais, nous présente brillamment Dans l’ombre de San Francisco (14’). Il s’agit ici de mettre en relief la carrière de Norman Foster, ses liens avec Orson Welles (d’où une référence évidente à La Dame de Shanghai), la métaphore autour de la peinture et de la sculpture dans le film (la relation entre Frank et Eleanor étant née à travers l’amour de l’art), la psychologie des personnages, la place de San Francisco dans l’intrigue (attention, beaucoup de spoilers) et le casting.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
La collection Cinema Master Class s’enrichit avec l’édition de Woman on the Run. L’unique copie 35mm connue du film de Norman Foster (il y a quinze ans) avait été détruite lors de l’incendie qui a ravagé une partie des Universal Studios début juin 2009. Par chance, le film avait été « subrepticement » transféré sur un support numérique en 2003 par Eddie Muller, écrivain américain, spécialiste du Film Noir, fondateur et président de la Film Noir Foundation. La copie 1.33 présentée par Elephant Films est quant à elle issue de celle retrouvée par le British Film Institute, une copie du négatif 35mm. Étrangement, les noirs manquent parfois de concision, plus que sur la copie Wild Side. Le master paraît aussi plus « sale », avec des raccords de montage, des tâches et autres poussières dont nous nous souvenions pas sur le DVD sorti en France en 2012. Mais ce Blu-ray suffit amplement à la redécouverte de ce petit bijou qui avait bien failli disparaître à jamais. N’oublions pas non plus la stabilité d’ensemble, la clarté appréciable, le beau grain cinéma et la jolie profondeur de champ des scènes diurnes qui flattent la rétine. Blu-ray au format 1080p.
Uniquement disponible en version originale, la bande-son a subi un dépoussiérage concret, le mixage anglais mono proposé tient toutes ses promesses et ce dès le générique d’ouverture. L’écoute demeure agréable, malgré quelques saturations et échos sur certains dialogues, mais les voix restent intelligibles, les effets et la musique s’accordent avec fluidité et aucun craquement intempestif n’est à déplorer. Les sous-titres français sont disponibles en jaune ou en blanc.
Crédits images : © Elephant Films / Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr