DANS L’EAU…QUI FAIT DES BULLES ! réalisé par Maurice Delbez, disponible en DVD et Blu-ray le 29 septembre 2023 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Louis de Funès, Pierre Dudan, Marthe Mercadier, María Riquelme, Philippe Lemaire, Jacques Castelot, Pierre Doris, Claudine Coster, Serge Davri…
Scénario : Michel Lebrun & Maurice Delbez, d’après le roman La Chair à poissons de Marcel Prêtre
Photographie : Jacques Ledoux
Musique : Pierre Dudan
Durée : 1h31
Date de sortie initiale : 1961
LE FILM
Jean-Louis Preminger a disparu, ou plutôt, il fait des bulles au fond du lac de Morat. Le destin s’acharne à ne pas le laisser en paix. Il continue à« gamberger off » sur sa vie tumultueuse, et sur les personnes qui découvrent malencontreusement son cadavre mais tentent de s’en débarrasser pour ne pas être compromis. Il faut dire qu’ils avaient tous un certain intérêt à le faire disparaître…
Dans l’eau… qui fait des bulles ! ou Le garde-champêtre mène l’enquête…ou bien encore Le poisson sifflera…deux fois ! Pourquoi trois titres pour un seul et même film ? Bien que sorti en 1961, celui-ci profitera de l’explosion au box-office de Louis de Funès trois ans plus tard avec les triomphes de Faites sauter la banque (1,9 million d’entrées), Le Gendarme de Saint Tropez (7,8 millions) et Fantômas (4,5 millions), pour ressortir dans les salles, en essayant de faire croire aux spectateurs qu’il s’agissait d’une nouvelle comédie de celui qui était alors consacré star à l’âge de 50 ans. Quand il tourne Dans l’eau… qui fait des bulles !, Louis de Funès a déjà plus de 120 courts et longs-métrages à son actif. Tout le monde dans le métier le connaît et les réalisateurs, bien que frileux à l’idée de lui faire porter tout un film sur ses épaules, se bousculent pour l’engager comme second ou troisième rôle. Pourtant, à la fin des années 1950, cela commence à bouger pour le comédien, surtout depuis sa prestation remarquée dans La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara. S’enchaînent ainsi Comme un cheveu sur la soupe de Maurice Régamey, Ni vu, ni connu d’Yves Robert et Taxi, Roulotte et Corrida d’André Hunebelle, trois beaux hits successifs dans lesquels Louis de Funès tient le haut de l’affiche. S’il n’est pas seul en piste dans Dans l’eau… qui fait des bulles !, celui qui trônera sur le cinéma français jusqu’à sa mort en 1982 crève l’écran une fois de plus dans cette comédie étonnante, marquée par un humour noir presque anglo-saxon, réalisée par Maurice Delbez (1922-2020). S’il a finalement peu tourné, cet excellent metteur en scène compte de sacrées réussites à son actif dont le superbe La Roue (1957), sur lequel il remplaçait son confrère André Haguet, deux jours avant le début prévu des prises de vues, le très sympathique À pied, à cheval et en voiture (1957), énorme succès avec Noël-Noël et un jeune quasi-figurant (mais déjà bondissant) du nom de Jean-Paul Belmondo. Avant son délicat Un gosse de la butte (Rue des Cascades), Maurice Delbez se voit proposer l’adaptation du roman de Marcel-Georges Prêtre (qui aurait été écrit en fait par son nègre et ami Frédéric Dard), La Chair à poissons, qu’il transpose avec Michel Lebrun (Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause, Estouffade à la Caraïbe, L’Homme qui valait des milliards), ce qui lui permet de laisser libre cours à sa fantaisie. Comédie « sombre », toutes proportions gardées bien sûr, qui annonce Des pissenlits par la racine (1964) de Georges Lautner et Jo (1971) de Jean Girault, dans lesquels Fufu sera là aussi confronté à un cadavre encombrant, Dans l’eau… qui fait des bulles ! demeure un divertissement populaire, drôle, grinçant, qui ne manque pas d’élégance et qui compile de savoureux numéros d’acteurs.
Un ballet s’organise autour du cadavre de Jean-Louis Preminger, qu’un pêcheur, Paul Ernzer, a retiré des eaux d’un lac helvétique. Le corps, véhiculé de diverses façons, va se trouver balloté entre Baumann, un trafiquant ; un gangster ; un clochard ; un fossoyeur ; un vieux cow-boy ; un jeune homme ; une belle distinguée et un sémillant « bourreau des cœurs ». Chacun a des raisons d’avoir tué, mais est-on bien sûr de l’identité du cadavre ? Le commissaire Guillaume n’en jurerait pas.
L’ancien assistant de Denys de La Patellière (Les Aristocrates) n’est nullement impassible derrière sa caméra et certaines idées de mise en scène s’avèrent particulièrement plaisantes et même jubilatoires, à l’instar de la présentation du cadavre reposant au fond du lac, une dépouille toujours dotée de réflexion et qui bénéficie de la voix-off ironique de Philippe Clay (Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy). Les répliques tordantes du style « J’étais loin de me douter que les aventures dont j’avais tant rêvé, n’arriveraient qu’à ma mort ! » s’enchaînent, puis Louis de Funès apparaît dans sa barque, étonné de voir que son hameçon à brochet a visiblement accroché un beau bestiau. Il est lors loin de se douter qu’il s’agit d’un corps, qui plus est celui de son créancier…à qu’il devait vraiment beaucoup d’argent…La seule préoccupation de ce Paul Ernzer sera de s’en débarrasser immédiatement…ce qu’il fera sans tarder, mais sans savoir qu’il passera en fait le relais à un autre individu, qui lui aussi possède un lien avec la victime.
Tous les protagonistes auraient pu avoir une raison de tuer celui qui se présente comme étant Jean-Louis Preminger, y compris son épouse qui entretient une relation avec l’associé de son époux. Le film de Maurice Delbez aurait pu tout aussi bien s’intituler Mais qui a tué Jean-Louis ?, puisqu’il surfe comme qui dirait sur le postulat de Mais qui a tué Harry ? (1955) d’Alfred Hitchcock, auquel on ne peut s’empêcher de penser. Tout est prétexte ici à la gaudriole et chaque apparition explosive de Louis de Funès, qui n’apparaît qu’en pointillés, évince ses camarades – pourtant très bons (Marthe Mercadier, Pierre Doris, Jacques Dufilho) – qui jouent alors sur un autre tempo. Les rebondissements s’enchaînent du début à la fin et sans discontinuer durant 90 minutes, dans les très beaux décors de la campagne suisse (sur le lac de Morat), joliment photographiés par Jacques Ledoux et bercé par la partition jazzy signée Pierre Dudan, qui dans le film campe Charles Delindy. Une excellente découverte.
LE BLU-RAY
L’éditeur Coin de Mire Cinéma, dont nous avons été les premiers à promouvoir les titres depuis ses débuts, a récemment été obligé de revoir sa copie en raison de la situation du marché et de l’inflation (le coût du papier entre autres). La Vierge du Rhin et Le Drapeau noir flotte sur la marmite avaient donc été édités en juin 2023 en DVD et Blu-ray en format dit traditionnel. Même chose pour la dernière vague en date, constituée de Dans l’eau… qui fait des bulles ! (1961) de Maurice Delbez, Prêtres interdits (1973) de Denys de La Patellière et L’Étoile du Nord (1981) de Pierre Granier-Deferre. L’édition HD se présente sous la forme d’un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné. Les caractéristiques de la jaquette restent les mêmes, ainsi que le menu, fixe et musical.
Si « l’emballage » a changé, le principe de La Séance demeure inchangé ! Pour en savoir plus, nous vous renvoyons à toutes nos chroniques consacrées au catalogue Coin de Mire Cinéma. Nous lançons le programme avec les actualités de la 43è semaine de l’année 1961 (8’). Vous saurez tout sur le déroulé de la dernière des 1000 kilomètres de Paris, sur l’arrivée de l’automne et donc de la migration de certains volatiles, mais aussi sur une étonnante invention, celle d’un masque de plexiglas disposant de l’air conditionné, qui élimine les risques de la grippe à venir ! À Bruxelles, heurts entre les flamands et les francophones sur la question de la frontière linguistique. Ce journal se clôt sur un reportage consacré aux 75 ans de la Statue de la Liberté.
Les réclames publicitaires s’enchaînent et mettent en avant les esquimaux Gervais, les caramels Dupont d’Isigny, le Crédit Populaire de France, la boisson Nesquik (« une délicieuse nouveauté Nestlé ! »), les nouveautés Arthur Martin, la voiture Ariane (« dix litres au cent ! »), les produits Mennen, la crème de Roquefort, sans oublier l’eau Perrier (« le champagne des eaux de table ! » (12’).
Coin de Mire Cinéma ne se repose pas sur ses lauriers et propose aussi d’autres suppléments originaux. Ce titre revenait de droit à Julien Comelli (dont nous avons souvent parlé sur notre antenne), qui en tant que Suisse s’est visiblement réjoui de créer un documentaire rétrospectif sur Dans l’eau… qui fait des bulles !, en revenant sur les lieux de tournage (en août 2020, pendant la pandémie), sur le lac de Morat et dans ses environs, ce qui nous permet de voir un avant/après, impressionnant dans le sens où rien n’a changé depuis soixante ans. Un module long (42’), mais bourré d’informations sur toute la production du film, sur le réalisateur, les acteurs, les conditions de prises de vue. Quelques propos enregistrés de Maurice Delbez, réalisés en 2023, viennent s’intégrer à l’ensemble, tout comme des extraits des interviews de l’équipe, que nous retrouvons en intégralité dans un autre bonus.
Comme nous venons de l’indiquer, Coin de Mire Cinéma présente un reportage constitué d’entretiens de Pierre Dudan, Louis de Funès, Marcel-Georges Prêtre, Maria Riquelm et Maurice Delbez. Visiblement dérangés lors d’un dîner, les convives s’expriment néanmoins (la bouche pleine pour Pierre Dudan) sur l’histoire du film et les personnages (7’).
Outre un lot de bandes-annonces, nous trouvons enfin une autre archive, centrée sur le pont de la Tuffière, où le journaliste Serge Hertzog présente ce vieil ouvrage construit en 1835.
L’Image et le son
Dans l’eau… qui fait des bulles ! est présenté dans une récente et éclatante restauration 4K, que l’on doit au GROUPE M6, réalisée à partir du négatif image et du négatif son français avec la participation du CNC. Fort d’un master au format respecté 1.66, ce Blu-ray en met souvent plein les yeux dès le générique d’ouverture. La restauration est étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, les gris riches, les blancs lumineux et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes, le piqué est joliment acéré pour un film de 1961 et les détails étonnent parfois par leur précision. De quoi s’extasier devant la beauté de ce master HD qui parvient à redonner un intérêt certain pour ce petit film sympathique.
Également restaurée, la piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un très bon confort acoustique avec des dialogues fluides et nets, laissant également une belle place à la belle composition de Pierre Dudan. Aucun souffle sporadique n’est à déplorer et les ambiances annexes sont palpables. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.