COURS PRIVÉ réalisé par Pierre Granier-Deferre, disponible en DVD et Blu-ray depuis le 19 janvier 2022 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Elizabeth Bourgine, Michel Aumont, Xavier Deluc, Sylvia Zerbib, Emmanuelle Seigner, Lucienne Hamon, Pierre Vernier, Rosine Rochette, Guillaume de Tonquédec, Sandrine Kiberlain…
Scénario : Jean-Marc Roberts, Pierre Granier-Deferre & Christopher Frank
Photographie : Robert Fraisse
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h32
Date de sortie initiale : 1986
LE FILM
Jeanne Kern est enseignante dans un cours privé mixte. Elle est jeune, jolie et le sait. Tout le monde est attiré par elle; des élèves aux professeurs jusqu’au directeur, Monsieur Ketti. Un jour, une lettre anonyme parvient sur le bureau de Ketti, mettant en cause Jeanne d’une manière on ne peut plus claire, par des allusions précises sur son anatomie intime et l’usage qu’elle en fait. Les lettres se succèdent et bientôt, ce sont des photos qui inondent l’établissement. Tout le monde en reçoit: le directeur, les professeurs, les parents. Elles représentent une « soirée spéciale » au cours de laquelle de très jeunes personnes font l’amour…
Si on l’a souvent vue à la télévision, notamment dans Meurtres au paradis depuis une dizaine d’années, la divine Élizabeth Bourgine, Prix Romy-Schneider en 1985, a su marquer moult spectateurs dans Vive la sociale ! (1983) de Gérard Mordillat (nommée pour le César du meilleur espoir féminin), mais surtout dans La Septième Cible (1984) de Claude Pinoteau (nommée de nouveau, mais au César de la meilleure actrice dans un second rôle), où elle incarnait la fille de Lino Ventura et sans doute encore plus dans Cours privé de Pierre Granier-Deferre. Sorti sur les écrans français en novembre 1986, ce dernier reste tout d’abord célèbre pour son affiche d’exploitation qui avait fait couler beaucoup d’encre, celle où la comédienne apparaît de trois-quarts dos, quasi-nue, seulement vêtue d’un serre-taille rouge. Un visuel sulfureux et excitant qui avait évidemment de quoi titiller la curiosité du public. Alors que Jean de Florette venait de cartonner, que Manon des sources se profilait, que Top Gun remplissait les salles et Cobra avec Stallone le tiroir-caisse de la Warner, Cours privé parvenait à attirer près de 600.000 curieux. Réalisateur d’immenses succès populaires tels que La Horse, Adieu poulet, La Veuve Couderc, Le Chat, Le Train, Une femme à sa fenêtre, Le Toubib, Pierre Granier-Deferre démarre les années 1980 en dirigeant encore et toujours les plus grands du cinéma hexagonal, de Michel Piccoli (Une étrange affaire) à Philippe Noiret (L’Étoile du Nord, L’Ami de Vincent) en passant par Jean-Louis Trintignant (L’Homme aux yeux d’argent). Dans Cours privé, le cinéaste donne pour ainsi dire le rôle de sa vie à son actrice principale, Élizabeth Bourgine, quasiment de toutes les scènes, de tous les plans, avec laquelle il collaborera encore deux fois par la suite, dans Noyade interdite (1987) et La Couleur du vent (1988). Hypnotique, troublant, Cours privé annonce, et ce bien avant l’avènement des réseaux sociaux, comment une personne peut devenir la cible de rumeurs et d’accusations, ici une jeune enseignante sexy, qui détonne dans son environnement professionnel. Quelques problèmes de rythme, mais le film demeure aussi efficace que mémorable.
Jeanne Kern, professeur d’histoire-géographie dans une boîte à bac, n’ignore pas l’effet qu’elle produit sur les hommes. Les lycéens, surtout mademoiselle Zanon qui vient d’arriver dans l’établissement, les collègues et même le directeur, Bruno Ketti, sont sous le charme. Ce dernier éprouve même pour la jeune femme une passion déraisonnée. Un jour, une lettre anonyme, dénonçant les mœurs lesbiennes de Jeanne, parvient sur le bureau de Ketti. Les missives se succèdent, bientôt suivies de photos compromettantes de parties fines, adressées au directeur, aux enseignants et aux parents d’élèves. Sur les clichés, le visage de l’une des jeunes femmes nues a été découpé, et tout laisse penser que l’inconnue n’est autre que Jeanne. Celle-ci se trouve alors au centre de toutes les attentions et doit affronter le scandale. Dans une situation inconfortable, entre les rapprochements insistants de Ketti, les railleries des élèves et les plaintes des parents, elle gagne la sympathie du professeur de mathématiques, Laurent.
« Y’a quand même un problème avec vous Jeanne. Vous plaisez. Vous plaisez trop. »
D’où viennent ces clichés ? Ces lettres ? De la même personne ? Qui est cette femme au visage découpé sur les photographies, penchée sur le corps nu d’une jeune fille blonde ? Un point d’interrogation sur le visage absent et le chantage commence. Certains parents retirent leurs enfants du cours de Jeanne, tous ou presque la soupçonnent d’être cette femme sans tête. Tous sauf Laurent donc, qui est bien décidé à faire la lumière sur cette cabale montée contre elle. Mais Jeanne est-elle loin d’être étrangère à cette histoire ? Pierre Granier-Deferre et ses deux coscénaristes, Jean-Marc Roberts (Que les gros salaires lèvent le doigt !, Faux et usage de faux, Elles n’oublient jamais), d’après une nouvelle de ce dernier (Portrait craché), et Christopher Frank (L’Année des méduses, L’important c’est d’aimer, L’Homme pressé), jouent constamment sur l’ambiguïté de Jeanne, aidée en cela par l’intense et exceptionnelle prestation d’Élizabeth Bourgine, furieusement sensuelle, qui enflamme l’écran et les sens, qui parvient à révéler son personnage par strates, tout en conservant une part de mystère. Pierre Granier-Deferre offre aussi au grand Michel Aumont une partition qu’il n’aura eu que très rarement l’occasion d’interpréter au cours de sa longue, éclectique et prolifique carrière. Il est parfait dans la peau de l’énigmatique Bruno Ketti, amoureux de la jeune professeure et qui voudra profiter de ces courriers anonymes pour tenter de se rapprocher de l’incriminée. Dans le reste du casting, on notera la solide participation de Xavier Deluc (Ne réveillez pas un flic qui dort, On ne meurt que deux fois, Les Branchés à Saint-Tropez), ainsi que l’une des premières apparitions au cinéma d’Emmanuelle Seigner, Sandrine Kiberlain et de Guillaume de Tonquédec.
Si l’intrigue traîne un peu en longueur, la mise en scène est élégante, soignée, inspirée, la photo de Robert Fraisse (Fantôme avec chauffeur, L’Amant, Asphalte) est superbe et la composition de Philippe Sarde reflète les états d’âme de Jeanne, également reflétés par l’étourdissant The Ballad of Lucy Jordan de Marianne Faithfull, qu’elle écoute en boucle dans son appartement aseptisé, seulement vêtue du serre-taille rouge vu sur l’affiche. Cours privé déjoue les attentes d’une audience qui s’attendait à découvrir quelques scènes osées. Pas de ça ici, pas de scène d’amour, tout passe par la vision de ce corps nu, provocant, aux courbes affriolantes et à la peau diaphane, inaccessible. Mais aussi par l’innocence et la mélancolie qui se dégagent de ce visage anguleux, mis en valeur par une coupe à la garçonne. Jeanne Kern fait partie de ces personnages qu’on ne peut oublier.
LE BLU-RAY
Dieu merci, LCJ Editions et Productions a repris le légendaire visuel de l’affiche du film (souligné du slogan « Me regardez pas »), pour illustrer la jaquette de ce Blu-ray, disponible sous la forme d’un boîtier bleu traditionnel. Le menu principal est fixe et musical.
L’éditeur ne vient pas les mains vides et propose un formidable entretien avec Élizabeth Bourgine (39’). L’élégance incarnée, la comédienne revient longuement et avec passion sur Cours privé, qu’elle avoue avoir revu à cette occasion, un film « très important pour elle, professionnellement et personnellement […] qui est arrivé au bon moment dans sa vie ». Tour à tour, elle évoque la psychologie du personnage de Jeanne (« chacun avait sa vision du personnage »), la rencontre avec Pierre Granier-Deferre et comment ils ont tous les deux construit cette professeure ambiguë et sensuelle, des costumes, en passant par la coiffure et le fameux serre-taille rouge (« ou comment sexualiser un corps nu ») visible sur l’affiche, sur laquelle Élizabeth Bourgine s’étend également. Les décors (l’appartement de Jeanne surtout), la chanson de Marianne Faithfull, le travail avec le réalisateur (qu’Élizabeth Bourgine retrouvera à deux reprises), ses partis-pris et ses intentions (« Il vivait mal qu’on dise de lui que c’était un faiseur… »), l’auteur et coscénariste Jean-Marc Roberts, ses partenaires Michel Aumont et Xavier Deluc, sa rencontre par la suite avec Claude Sautet (pour Un coeur en hiver), la musique de Philippe Sarde, la pérennité du film et quelques regrets de ne pas avoir été appelés par d’autres metteurs en scène (le rôle de Jeanne lui collant alors à la peau), sont autant de sujets abordés au cours de cette immanquable interview.
L’Image et le son
Inédit en DVD, Cours privé apparaît en édition Standard et en Blu-ray. Le master HD présenté ici propose des couleurs affirmées, une clarté évidente, une stabilité ainsi qu’un relief appréciable. La propreté de la copie était indéniable, la texture argentique flatteuse et la définition fort appréciable. Aucun fourmillement, le piqué est ferme, surtout sur les scènes extérieures. La gestion du grain est équilibrée, la carnation naturelle, et cette copie récemment restaurée permet d’apprécier les éclairages plus stylisés que dans nos souvenirs, du chef opérateur Robert Fraisse.
La piste française DTS-HD Master Audio Stéréo 2.0 de Cours privé est plutôt percutante. Aucun souffle n’est à déplorer, ni aucune saturation dans les aigus. Les dialogues sont vifs, toujours bien détachés, la musique de Philippe Sarde est délivrée avec une belle ampleur. L’ensemble est aéré, propre, fluide et dynamique. En revanche, pas de sous-titres destinés au public sourd et malentendant, ni de piste Audiodescription.