Test Blu-ray / Cherry 2000, réalisé par Steve De Jarnatt

CHERRY 2000 réalisé par Steve De Jarnatt, disponible en Blu-ray depuis le 1er octobre 2023 chez Le Chat qui fume

Acteurs : Ben Johnson, Pamela Gidley, Melanie Griffith, David Andrews, Laurence Fishburne, Harry Carey Jr., Brion James, Michael C. Gwynne…

Scénario : Michael Almereyda, d’après une histoire originale de Lloyd Fonvielle

Photographie : Jacques Haitkin

Musique : Basil Poledouris

Durée : 1h39

Date de sortie initiale : 1987

LE FILM

En l’an 2017, une partie des États-Unis a été ravagée par la guerre atomique. Les zones sinistrées, nouveau terrain de jeu pour les contrebandiers sanguinaires, ne sont pas sûres. Sam Threadwell, cadre dans une station de recyclage des déchets électroniques et métalliques, coule des jours heureux avec sa femme artificielle, une Cherry 2000 d’un autre âge programmée pour répondre à ses moindres caprices et simuler l’amour béat en gardant toujours le sourire. Jusqu’au jour où les circuits de Cherry grillent accidentellement et rendent le robot hors d’usage.

Qui peut dire : « Je n’ai réalisé que deux longs-métrages dans ma vie, mais tous deux sont devenus cultissimes » ?… C’est au beau milieu des années 1980, après un court-métrage (Tarzana, 1978) et un épisode de New Alfred Hitchcock Presents (le remake de Man from the South d’après Roald Dahl) que le scénariste-réalisateur Steve De Jarnatt, avant de ne plus officier que dans le domaine de la série télévisée (X-Files, American Gothic ou Urgences, entre autres), met en scène coup sur coup l’inclassable Cherry 2000 et le sublime Miracle Mile (réédité en 2017 chez Blaq Out et très vite épuisé !). Personnage à part dans l’industrie hollywoodienne, sa carrière sur grand écran fut aussi éphémère que mémorable. Plus étonnant encore, elle pourrait constituer un diptyque à l’envers, la post-apocalypse décrite dans Cherry 2000 prenant potentiellement ses racines dans l’événement déclencheur de Miracle Mile. Peu revus et commentés depuis lors mais vénérés religieusement par un noyau de fervents admirateurs et, de plus en plus, par une partie de la critique, les deux films révèlent une personnalité à part, une véritable vision d’auteur trouvant sa cohérence dans l’insaisissable, à l’intérieur d’un cinéma du samedi soir naïf et assumé comme tel. Côté casting, le pétillant Cherry 2000 offre un rôle d’envergure au second couteau David Andrews, lui aussi homme de télévision avant tout. Aperçu dans A Nightmare on Elm Street, on le reverra dans Graveyard Shift (La Créature du Cimetière – film de vidéoclub entre tous !), puis en frère de Kevin Costner dans Wyatt Earp ou plus tard encore dans Hannibal, mais le gros de sa prolifique carrière s’épanouit sur le petit écran. Quant à Melanie Griffith, redécouverte en 1984 par Abel Ferrara (Fear City) et surtout Brian De Palma (Body Double), Steve De Jarnatt vient alors de la diriger dans Man from the South, face à Steven Bauer et John Huston. Sur la pente ascendante, elle enchaînera l’année suivante avec le Working Girl de Mike Nichols, gagnant définitivement ses galons de star. Autour du couple gravitent gloires du passé (Ben Johnson, Harry Carey Jr.), « gueules » de l’époque (Brion James, Tim Thomerson, Marshall Bell) et vedettes en devenir (Laurence Fishburne) dans un univers de comic book qui doit beaucoup à l’inventivité roublarde du réalisateur et aux compétences de son équipe technique – lesquelles font pas mal d’or avec beaucoup de plomb !

Les « Cherry 2000 » constituent une génération de robots très performante mais devenue obsolète. Entièrement dédiés au plaisir des hommes et aux tâches ménagères, ils séduisent par leur capacité à développer la personnalité souhaitée au contact de leur propriétaire. Sam Threadwell est un romantique : lorsque son modèle lui claque entre les doigts, il en est déjà tombé amoureux au point de ne surtout pas vouloir « upgrader » la marchandise. Son fournisseur à Anaheim est en rupture de stock et lui propose des produits plus récents, ses collègues l’invitent à tenter l’aventure humaine avec le sexe scrupuleusement contractuel et tarifé (en présence d’avocats !) proposé au Glu Glu Club, mais rien n’y fait : désespéré, Sam préfère engager l’un de ces « traqueurs » rompus aux traversées des territoires hostiles afin qu’il lui ramène une Cherry copie conforme, localisée dans un entrepôt abandonné de la désertique Zone 7. Il pourra ainsi lui insérer le mini-disque contenant la mémoire de son ancien modèle, et la vie reprendra son cours. Mais il se trouve que « E. Johnson », le traqueur embauché par Sam à Glory Hole, un patelin mal famé, est en fait une traqueuse ! Autre fait inattendu : elle force Sam à effectuer avec elle le voyage qui les mènera sur le territoire de l’abominable Lester et de sa bande de pillards…

Difficile de ne pas avoir Body Double à l’esprit dès les premières secondes du film – et à plus forte raison lorsque les thèmes esthétiques et narratifs se développent par la suite : dans un camaïeu rose crépusculaire, l’ombre d’une silhouette féminine, nue, se découpe sur des persiennes au son d’un thème exagérément romantique et orchestré comme tel. C’est de cette image qu’émerge le générique d’ouverture, singeant l’affiche, l’introduction et les séquences de voyeurisme du chef d’œuvre de De Palma. Toute la première partie déclinera, dans une version futuriste, le même climat ironique de roman-photo, avec son « héros » masculin qui ne paye pas de mine et sa passion candide à l’endroit d’une machine docile, érotisée à l’extrême, dans laquelle il projette un idéal conventionnel et insipide… mais néanmoins sincère ! Plus tard apparaîtra Melanie Griffith – décolorée chez De Palma, ici cheveux ébouriffés rouge vif – dans une composition finalement pas très éloignée de la défiance mêlée de douceur qui caractérisait la pornstar Holly Body dans le film précédent. Et puis, une fois encore, il est bien question de fantasme et de « doublure » : dans chacune des deux œuvres se superposent deux personnages féminins, dont l’un caractérisé uniquement par le désir du mâle, leur comparaison permettant à l’homme de franchir un palier mental et de renoncer à sa conception naïve du monde pour en embrasser finalement l’âpre réalité. La plus grande complexité sur ce terrain penche évidemment vers Body Double, où la « doublure » n’est finalement pas celle qui cristallisera le fantasme mais au contraire le détruira : les émotions sont plus floues, éclatées, poreuses, « dangereuses » pourrait-on dire, chez De Palma. Dans Cherry 2000, les notions de fantasme et de facticité se rejoignent parfaitement, dans un schéma immédiatement lisible, critique des désirs virils trop simplistes et des quêtes illusoires de perfection symbolisées par le « programme » de la machine obtempérant toujours au doigt et à l’œil.

Mais Cherry 2000 s’inscrit aussi dans une tradition à la fois sociologique et décontractée de la science-fiction. Lors de la visite de Sam chez son fournisseur, on voit passer à l’arrière-plan des reproductions de « Gort » et de « Robby » – soit le robot qui accompagne Klaatu dans Le Jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise (1951), et celui qui assiste le docteur Morbius dans Planète Interdite de Fred Wilcox (1956). Avec ces références classiques, Steve De Jarnatt entend placer son propre film sous le double-signe de l’anticipation moraliste et du divertissement rétro. On ne sera donc pas surpris de la dimension fabuliste du scénario quant au devenir de l’humanité, ni de son message final simpliste sur l’amour et la virtualité, ni encore de ses allures de comic book aux péripéties abondantes. Car si Cherry 2000 commence comme un film d’anticipation post-Blade Runner, il tourne très vite au western futuriste puis carrément au road-movie à la Mad Max. C’est d’ailleurs dans cette atmosphère aride et minimaliste que commencera le roller coaster proprement dit, un rebondissement en entraînant un autre selon la recette éprouvée du film d’action à l’américaine : des moments de crise spectaculaires et réguliers où l’aventure fait géographiquement du chemin, entre lesquels viennent s’insérer des accalmies statiques où c’est le propos sous-jacent qui progresse peu à peu par le dialogue. Steve de Jarnatt s’y entend très bien lorsqu’il s’agit de mêler entertainment et réflexion dans un esprit récréatif : comment ne pas faire le lien avec l’inévitable Aldous Huxley et son Meilleur des Mondes dans la description d’un futur aux relations aseptisées, puis lorsque Sam, au milieu d’une fusillade nocturne, se trouve parachuté comme dans un rêve au cœur du « Sky Ranch » jaune et bleu fondé par le fou furieux Dexter, accueilli par une endoctrinée rose bonbon qu’il a naguère connue, sorte paradis artificiel derrière lequel se cachent le vol, le meurtre et toutes les perversions du monde.

En situant son récit entre Anaheim (la ville de Disneyland) et Las Vegas (celle des machines à sous), Cherry 2000 nous convie à un trajet ludique empreint de futilité. Ce voyage initiatique passera par la Vallée de la Mort – immense décor qui porte en lui la gravité introspective nécessaire au discours de fond. Il y a comme ça, dans ce script, des éclairs d’intelligence qu’on ne saurait ignorer au simple vu du décorum joyeusement bariolé de l’intrigue. Bien sûr, l’assurance très définitive avec laquelle le film assène ses dernières lignes de dialogue peut faire sourire, plusieurs années après les réflexions autrement étoffées qu’auront menées, entre-temps, Oshii Mamoru ou Steven Spielberg sur le sujet. Mais c’est l’une des vertus de la série B que d’y aller au tractopelle tant dans le traitement de son sujet que dans celui de ses scènes d’action, pariant qu’il en sortira toujours quelque chose. À ce titre, la séquence de la grue est presque un manifeste ! Quant à la légitimité du cinéaste, il ne sera plus question d’en douter quand sortira sur les écrans, l’année suivante, son prodigieux Miracle Mile.

Morgan Iadakan

LE COMBO BLU-RAY+DVD

Petite perle du cinéma U.S. période reaganienne, Cherry 2000 fait partie des péloches directement sorties sous boîtier scanavo par Le Chat qui fume, sans passer par l’élégante case digipack. La très bonne idée de cette édition consiste à reprendre l’affiche originale de Renato Casaro (Conan le Barbare, Ténèbres, Over the Top…) en guise de visuel. Le croisement plein de testostérone entre Max Mad et Rambo que nous promet cette magnifique jaquette, solaire et enflammée, malicieusement dominée par une Melanie Griffith plus badass que jamais, nous ramène aux grandes heures du vidéoclub, des années 1980 et de leur culte du biceps.

Un menu typique du Chat nous attend, qui fait défiler l’une des premières séquences du film au son d’un des thèmes principaux composés par le formidable et regretté Basil Poledouris, encardée par un liseré rouge où, en plus du film, des langues proposées (anglais et français) et des bonus, on trouve toujours la section « remerciements » – une tradition fort appréciable de cet éditeur.

Deux bonus sur la galette en plus du film-annonce (qui avait cette particularité de recycler, fort bizarrement, la musique de Taxi Driver composée par Bernard Herrmann !). D’abord un entretien-fleuve avec l’intarissable Fathi Beddiar qui, pendant 56 minutes, nous parle de Steve de Jarnatt qu’il se félicite de bien connaître. On y apprendra peu de choses sur le contenu de Cherry 2000, mais énormément sur son réalisateur, son approche du métier, son parcours, sa personnalité et ses fréquentations, sans compter un festival d’éléments contextuels annexes. Parfois à la limite de la private joke, ce long monologue fourmille d’anecdotes et d’informations précieuses pour comprendre ou revisiter l’industrie et le cinéma hollywoodiens d’une époque pas si lointaine mais déjà révolue.

Ensuite un making of promotionnel d’archive, en basse définition, déroule durant quelque 6 minutes extraits du film, captations vidéos de son tournage, minuscules interviews des comédiens principaux et des producteurs accompagnés par une voix-off, avec tout ce que ça implique de limites mais aussi de plaisir nostalgique.

L’IMAGE ET LE SON

De très bonne tenue et de qualité régulière sur toute la durée du métrage, la copie présentée n’est pas entièrement exempte de quelques rares taches et poussières ici et là, mais sa parfaite restitution colorimétrique et son respect des contrastes et du grain ne peuvent qu’emporter l’adhésion, d’autant que le film se montre extrêmement généreux dans sa direction artistique et sa photographie, passant sans cesse d’une palette de couleurs et d’une luminosité à une autre – ce qui, souligné par un très beau piqué, participe grandement au plaisir du visionnage. On ne manquera pas de penser à Jacques Haitkin, récemment décédé, auquel on devait aussi la photographie magnifique des deux premiers Freddy et de Shocker, entre autres.

Pour l’audio, la piste originale très propre et dynamique fait la part belle aux nombreux effets sonores, sans que leur impact prenne trop le pas sur les dialogues. Que dire enfin de la partition de Poledouris qui brille de mille feux, aucun superlatif n’étant trop grand pour qualifier le travail de ce compositeur hors du commun qui n’aura eu de cesse, durant toute sa carrière, d’ajouter une valeur certaine à des films bien souvent modestes, élargissant l’espace, exacerbant l’action, tirant toujours l’émotion vers le haut. Son apport n’est pas le moindre de Cherry 2000 et c’est aussi à lui que cette édition rend un bel hommage. D’une clarté moindre derrière des dialogues plus ou moins bien traduits, la puissance de la bande-son française n’y perd que peu et reste, avec les réserves habituelles, tout à fait fréquentable.

Crédits images : © Studiocanal / Critique du film, captures et chronique du Blu-ray réalisées par Morgan Iadakan pour Homepopcorn.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.