CHASSE À LA MAFIA (Rififí en la ciudad) réalisé par Jess Franco, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 7 mars 2023 chez Artus Films.
Acteurs : Fernando Fernán Gómez, Jean Servais, Laura Granados, Antonio Prieto, Robert Manuel, Maria Vincent, Dina Loy, Agustín González…
Scénario : Jess Franco, Gonzalo Sebastián de Erice & Juan Cobos, d’après le roman de Charles Exbrayat
Photographie : Godofredo Pacheco
Musique : Daniel J. White
Durée : 1h40
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
L’indicateur de l’Inspecteur Miguel Ruiz, Paco, barman au Stardust, a été assassiné avant d’avoir eu le temps de le renseigner sur un armateur puissant, qui est aussi un politicien influent, Leprince. De plus son chef n’est pas d’accord pour qu’il continue à enquêter sur Leprince, ayant peur des conséquences ! Peu après, un inconnu poignarde tous les participants à ce meurtre. Mais cela ne va pas arrêter Ruiz…
Quand il tourne Chasse à la mafia, Jesús Franco Manera, ou Jess Franco, en est encore au début de sa (très) longue et (très) prolifique carrière, ayant signé son premier long-métrage Tenemos 18 años (1959) que quatre ans années auparavant. Cinq autres opus se succéderont tout de suite après, révélant l’éclectisme et l’efficacité du bonhomme derrière la caméra. Le film noir se distingue bel et bien dans la première partie de l’oeuvre de Jess Franco avec Opération Lèvres Rouges – Labios rojos ou ce Chasse à la Mafia – Rififí en la ciudad qui nous intéresse aujourd’hui. I s’agit de l’adaptation du roman Vous souvenez-vous de Paco ? de Charles Exbrayat, publié en 1958, transposé dans un pays imaginaire d’Amérique Centrale, où l’on retrouve un casting franco-espagnol (coproduction oblige), sur lequel trône le suintant et impérial Jean Servais (L’Homme de Rio, Au service du diable, La Fièvre monte à El Pao, La Roue). Le titre original renvoie directement à Du rififi chez les hommes, chef d’oeuvre de Jules Dassin (1958), interprété par Jean Servais, qui avait manifestement marqué le cinéphile Jess Franco. Chasse à la mafia est un brillant exercice de style(s), où le réalisateur se fait plaisir en jouant avec les angles de prises de vue, qui rappellent bien sûr le travail d’Orson Welles, que ce dernier remarquera au point de contacter Jess Franco pour lui confier la direction de la seconde équipe de Chimes at midnight – Falstaff. Mais pour l’heure, Rififí en la ciudad enchaîne les allers-retours dans un night-club où le jazz ne s’arrête jamais et où le champagne coule à flots, tandis que s’affrontent en coulisses des sbires à la mine patibulaire sur fond de disparition d’un indic séducteur et charismatique. Un « petit » Jess Franco, mais bourré de charme.
L’inspecteur Miguel Ruiz enquête sur la disparition d’un précieux indicateur, le barman Juan, qui était sur le point de lui fournir des renseignements confirmant des soupçons pesant sur le politicien véreux Leprince, un important armateur et homme politique influent. Quelques jours plus tard, Ruiz découvre le cadavre de Juan déposé devant la porte de sa maison. Malgré les réticences de sa hiérarchie, il décide de poursuivre l’enquête sur son meurtre en son honneur. Alors qu’il s’introduit chez Leprince, sur le point de remporter les élections, pour trouver des preuves compromettantes, il est passé à tabac par ses hommes de main puis jeté à la mer. Repêché par des amis de Juan, il démissionne de la police pour faire justice malgré les conseils de sa femme Pilar. Mais les sbires de Leprince sont éliminés les uns après les autres par un mystérieux vengeur qui, avant de les tuer, leur murmure « Vous souvenez-vous de Juan ? ». Il était notamment l’amant de la compagne de Leprince. Cette dernière épaule Ruiz pour dévoiler les activités occultes de son fiancé : le trafic de drogue sur l’ensemble du continent sud-américain.
Jess Franco aime le spectacle, le divertissement, le saxophone, les chanteuses à la voix de velours, les bagarres, les vendettas personnelles, les meurtres non élucidés, les arrivistes, les prostituées. Le cinéaste place tout cela dans un shaker, secoue bien ces ingrédients et livre un délicieux cocktail qui se déguste du début à la fin. Nous sommes en terrain connu certes, tous les « clichés » sont présents, mais Chasse à la mafia est tellement généreux dans son envie de cinéma qu’on se laisse facilement et rapidement prendre par ce dispositif et surtout par l’histoire, bien écrite, riche en effets de surprise. Un côté pulp ressort de cette enquête située dans un pays « exotique », où un trafiquant de drogue dissimule ses activités derrière ses responsabilités politiques, et élimine les témoins gênants. Mais cette fois, sa dernière victime, le barman Juan, va enrayer la machine jusqu’alors trop bien huilée. Jean Servais excelle dans le rôle du pervers et pourri jusqu’à la moelle Leprince, français ayant débarqué en 1944 (tiens donc) dans ce pays latino, sur le point de remporter d’importantes élections en jouant le jeu du populisme. Mais c’était sans compter sur l’acharnement d’un flic retors, l’inspecteur Ruiz, excellemment campé par Fernando Fernán Gómez, légendaire comédien espagnol, vu dans L’Esprit de la ruche – El espíritu de la colmena de Víctor Erice et bien plus tard après dans Tout sur ma mère – Todo sobre mi madre de Pedro Almodóvar. Il y a aussi un aspect slasher avant l’heure, quand les participants au meurtre de Juan finissent par tomber les uns après les autres, l’assassin apparaissant vêtu d’un long manteau et d’un chapeau, tuant ses victimes à l’aide d’une lame aiguisée.
Le talent de Jess Franco est donc plus que largement explicite dans Chasse à la mafia, sur lequel il continue de se faire la main, en bon élève appliqué, tout en parsemant quelques motifs qui deviendront récurrents par la suite dans son cinéma, une chasse au trésor pour les amateurs qui ne feront certainement pas la fine bouche devant l’un de ses coups d’essai.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Les titres de Jess Franco font partie des indispensables du catalogue Artus Films. L’éditeur ne s’était pas penché sur les films du réalisateur depuis mai 2022, sortie de 99 femmes, Justine ou les infortunes de la vertu et Le Trône de feu. Le 7 mars, Artus Films a d’ores et déjà prévu dans les bacs deux titres inédits en France, Chasse à la mafia et Agent 077 : Opération Sexy, en combo Blu-ray + DVD, à la vente dès à présent sur le site de l’éditeur. L’objet prend la forme d’un élégant Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel élégant et très attractif. Le menu principal est fixe et musical.
Critique aux Cahiers du Cinéma, Stéphane Du Mesnildot fait son retour (et se « gainsbarise ») pour nous parler de Chasse à la mafia (20’). Le journaliste analyse à la fois le fond et la forme de ce film, qu’il nommera par son titre original, plus adapté, évoque les références aux films d’Orson Welles (qui selon la légende repérera Jess Franco grâce à Chasse à la mafia), dissèque le personnage incarné par Jean Servais, passe en revue le casting et détaille les différences entre le roman de Charles Exbrayat et son adaptation.
Nous trouvons aussi 13 minutes de scènes coupées (en version française, avec un insert dans la langue de Molière), présentées dans un montage classique et sans aucune explication quant à la raison de leur éviction. Le final est entre autres totalement différent.
L’interactivité se clôt sur le générique français (1’30) et un Diaporama constitué d’affiches et de photos.
L’Image et le son
Voilà un Jess Franco qu’on n’avait pas vu venir et qui affiche une bien belle image N&B. L’image est stable, les contrastes soignés (avec quelques blancs brûlés), l’ensemble est propre, la patine argentique est conservée et bien gérée, le piqué est acceptable.
Propre et dynamique, le mixage espagnol mono 2.0 ne fait certes pas d’esbroufe inutile mais restitue parfaitement les dialogues du film et laisse une belle place à la musique jazzy. La version française s’en sort avec les honneurs. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.