CE PLAISIR QU’ON DIT CHARNEL (Carnal Knowledge) réalisé par Mike Nichols, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 9 mars 2022 chez Studiocanal.
Acteurs : Jack Nicholson, Candice Bergen, Art Garfunkel, Ann-Margret, Rita Moreno, Cynthia O’Neal, Carol Kane…
Scénario : Jules Feiffer
Photographie : Giuseppe Rotunno
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
L’itinéraire sentimental, psychologique et sexuel de deux hommes : de l’adolescence à l’âge mûr, Jonathan et Sandy face à la femme, aux femmes, à la féminité.
Le Lauréat fait partie des films les plus importants de l’histoire du cinéma. Plus de cinquante ans après sa réalisation, le chef d’oeuvre de Mike Nichols (1931-2014), Oscar du meilleur réalisateur, possède encore cette aura qu’ont ces films qui ne prennent pas une seule ride et qui au contraire s’intensifient à chaque visionnage. Au-delà de l’immense beauté, de l’élégance et de la modernité de la mise en scène de Mike Nichols qui rompait avec l’ensemble des vieilles traditions cinématographiques, Dustin Hoffman crevait l’écran dans le rôle qui allait lancer sa carrière, celui de Benjamin Braddock, jeune homme paumé qui trouvera son salut dans les bras d’une femme mûre (Anne Bancroft alias la mythique Mrs Robinson) pour finir (?) dans ceux de sa fille (superbe Katharine Ross). Un film, ou plutôt un personnage devenu l’incarnation de toute une génération, celle où les enfants s’affranchissaient finalement de leurs parents pour se tourner vers un avenir incertain, mais non tracé. Quintessence du cinéma, Le Lauréat est également la plus belle épopée initiatique jamais vue à l’écran, la magnifique composition de Simon & Garfunkel finissant d’inscrire définitivement le film de Mike Nichols au firmament du Septième art. Il s’agissait du second long-métrage de Mike Nichols, un an après Qui a peur de Virginia Woolf ? – Who’s Afraid of Virginia Woolf ?, porté par le couple Elizabeth Taylor – Richard Burton, récompensé par cinq Oscars, dont celui de la Meilleure Actrice. Difficile donc de rebondir après deux triomphes aussi influents et conséquents. Le réalisateur enchaîne avec Catch 22, film de guerre satirique, pour ne pas dire inclassable, qui n’obtient pas du tout le même engouement, ni de la part de la critique ni des spectateurs, alors que dans le même genre, MASH de Robert Altman emportait tous les suffrages. Que faire ? Mike Nichols jette son dévolu sur un scénario de Jules Feiffer, auteur de bandes dessinées et de dessins de presse (The New Yorker, Playboy, Esquire, The Nation), écrivain et auteur de théâtre, dans lequel il renoue avec les thèmes déjà explorés dans ses deux premiers films, dont la désillusion sexuelle et affective. Ainsi, Ce plaisir qu’on dit charnel – Carnal Knowledge, conçu à l’origine pour la scène, apparaît comme un mix évident entre Qui a peur de Virginia Woolf ? et Le Lauréat, plusieurs séquences se répondant d’un film à l’autre, mais qui prolongent aussi ce qui avait été exposé dans ces deux monuments. Sans doute moins « célébré », cet opus n’en demeure pas moins fondamental dans la carrière de Mike Nichols, d’autant plus qu’il a très largement participé à la renommée de Jack Nicholson (tout juste sorti de Cinq pièces faciles – Five Easy Pieces de Bob Rafelson), l’acteur y signant une prestation extraordinaire, qui lui vaudra d’être nommé pour le Golden Globe du meilleur acteur dans un film dramatique.
Dans les années 50, Jonathan et Sandy ont eu une jeunesse mouvementée. Vingt ans ont passé et les deux amis se retrouvent. Sandy, devenu médecin, va épouser Susan, l’ancienne maîtresse de Jonathan. Toujours animés des mêmes désirs amoureux, ils sont pourtant devenus de bien piètres amants. Célibataire entreprenant, Jonathan, qui travaille comme conseiller fiscal, voit le nombre de ses conquêtes diminuer en même temps que son ardeur. Il se réfugie désormais volontiers chez une prostituée qui lui donne encore l’illusion de la virilité. Sandy, quant à lui, met tous ses espoirs dans son prochain mariage, pensant trouver enfin l’équilibre affectif dont il a besoin…
Dans Ce plaisir qu’on dit charnel, on suit donc la relation et la vie de deux amis, ainsi que leurs « exploits sexuels », des bancs de l’Amherst College à la fin des années 1940, jusqu’au début des années 1970, sur une période de 25 ans. Sandy (Art Garfunkel, impeccable, déjà présent dans Catch 22 et évidemment l’interprète de Mrs Robinson) est un jeune homme doux et passif, tandis que Jonathan Fuerst (Jack Nicholson, phénoménal) est dur et agressif. Sandy idolâtre les femmes, tandis que Jonathan ne cesse de les critiquer et de les réduire à des êtres castrateurs, qui n’ont pour seul plaisir que de refuser celui qu’elles pourraient donner aux hommes, à moins que ceux-ci ne les épousent, ce qui est forcément incompatible avec la nature masculine, qui selon-lui ne désirent que des rapports sexuels sans attaches. De ce fait, étant donné que leur vision de la féminité est extrême et égoïste, comment peuvent-ils envisager de maintenir une relation ?
Le film comporte trois parties. La première se déroule lorsque Sandy et Jonathan, alors puceaux, sont colocataires à l’université, la seconde suit les deux hommes plusieurs années après l’université, tandis que le dernier acte se concentre sur les deux compères au mitan de leur existence. Au début, Sandy et Jonathan discutent (on les entend avant même qu’ils apparaissent à l’écran, durant le générique, écriture rouge sur fond noir), des femmes et de ce qui plaît ou plairait à chacun. Tout les oppose déjà, puisque Sandy rêve d’une femme intellectuelle, tandis que Jonathan s’intéresse davantage au physique. Sandy décide d’aborder, même si timidement et maladroitement, Susan (Candice Bergen) lors d’une soirée organisée sur le campus, suite à quoi ils commencent une relation. Malgré tout, Susan hésite à passer à l’acte. À l’insu de Sandy, elle est séduite par Jonathan, qui ressent une attirance sexuelle pour elle. Susan se laisse convaincre par Jonathan, avec lequel elle finit par coucher. Mais le jeune homme essaie de persuader Susan de ne pas avoir de rapports sexuels avec Sandy (qui ne se doute de rien), sans y parvenir. Jonathan décide de rompre avec Susan.
Dans la deuxième partie, dix ans plus tard, Sandy est marié avec Susan, tandis que Jonathan est toujours à la recherche de sa « femme parfaite ». Ce dernier définit désormais la perfection féminine par sa taille et son tour de poitrine. Il entame une relation avec Bobbie (Ann-Margret, sublime, nommée aux Oscars dans la catégorie Meilleure actrice dans un second rôle), qui remplit toutes ses exigences physiques. Cependant, Jonathan la réprimande constamment pour son côté superficiel et trouve finalement que cette relation purement physique n’est pas plus satisfaisante que celle qu’il entretenait avec Susan. Bobbie quitte son emploi à la suggestion de Jonathan. Elle devient alors dépressive, passant de longues heures à ne rien faire d’autre que dormir dans l’appartement qu’elle partage avec son amant. La relation se détériore et s’ensuit une scène de ménage particulièrement violente. Cela ne va pas mieux non plus entre Sandy et Susan. Sandy est insatisfait et s’ennuie au lit, même si lui et Susan « font tout ce qu’il faut » et font preuve de patience. Mais il en vient à penser que l’amour et le sexe ne sont sans doute pas compatibles. Quelque temps plus tard, Sandy et Susan mettent fin à leurs relations. Il commence à sortir avec Cindy (Cynthia O’Neal). Sandy, Cindy, Jonathan et Bobbie se retrouvent ensemble dans l’appartement de Jonathan…
Ce plaisir qu’on dit charnel est une chronique douce-amère sur les rapports humains et plus précisément entre les hommes et les femmes. Ce que Mike Nichols et Jules Feiffer nous disent, c’est qu’il n’existe aucun modèle auquel un être peut se raccrocher et que peu importe le chemin que celui-ci empruntera, il sera forcément déçu, frustré et devra en prendre son parti. Le dernier acte du film montre que le temps a passé. Sandy a de la bedaine et a refait sa vie avec une jeune baba cool de 18 ans, devenant une caricature déjà éculée du vieux-beau moustachu qui souhaite retrouver une seconde jeunesse. Jonathan est un homme qui a réussi, qui vit dans son grand appartement new-yorkais, mais qui reste seul. Ou presque. Il entretient visiblement une relation « suivie » avec une prostituée (Rita Moreno), avec laquelle il a su instaurer un jeu de rôles, celui du « quotidien », en suivant un scénario préétabli. Le dénouement, foncièrement ironique aussi osé qu’inoubliable (et qui sera coupé dans certains pays), montre Jonathan « heureux » de pouvoir enfin bander en jouant ainsi la comédie de la vie, tandis que celle qui incarne « sa femme » lui fait une fellation en vantant sa « puissance » retrouvée.
Produit pour cinq millions de dollars, dont un rien que pour Mike Nichols, Ce plaisir qu’on dit charnel s’accompagne d’un parfum de scandale – en raison de sa crudité surtout – à sa sortie en juin 1971 aux Etats-Unis. Les spectateurs français, devant attendre le mois de février de l’année suivante pour découvrir le film, l’accueilleront plutôt bien avec un peu plus d’un demi-million d’entrées.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu de nouvelles de Ce plaisir qu’on dit charnel, depuis septembre 2014 plus précisément, qui en était alors à sa deuxième édition en DVD et passé de Studiocanal à Zylo. Le titre, revenu à la « maison-mère », est désormais disponible en édition restaurée en combo Blu-ray + DVD. Les deux disques sont placés dans un Digipack à deux volets, glissé dans un surétui cartonné au visuel élégant. Le menu principal est animé sur une séquence du film.
Au départ, on imaginait que Ce plaisir qu’on dit charnel intégrerait la collection Make My Day ! de Jean-Baptiste Thoret, ce qui n’est pas le cas, sans doute en raison de la sortie simultanée du Jour du dauphin du même réalisateur, dans cette compilation. Toutefois, le critique a eu tout de même son mot à dire sur le film de Mike Nichols, puisque l’éditeur nous fournit un « commentaire audio » de Jean-Baptiste Thoret, qui s’avère en fait une analyse de Carnal Knowledge. Pendant 27 minutes, la voix de l’historien du cinéma est posée sur un montage d’images de Ce plaisir qu’on dit charnel. Une présentation souvent étourdissante, passionnante, érudite, remplie de pistes de réflexions, qui replace également cette œuvre dans la carrière du réalisateur. Le fond (le rapport de deux hommes au temps qui passe, qui sont de plus en plus déconnectés d’une société qui évolue à vitesse grand V, figés dans des conceptions immobiles qui les rendent petit à petit obsolètes) et la forme sont disséquées avec l’oeil d’un entomologiste, ainsi que la psychologie des personnages, leur évolution (ou non), le casting, l’accueil du film (qui sera entre autres interdit en Italie, car jugé trop subversif), la B.O et bien d’autres sujets sont abordés ici.
L’Image et le son
Tout d’abord, sachez que Ce plaisir qu’on dit charnel a été restauré à partir d’éléments de sauvegarde 35mm yellow-cyan-magenta, stockés à Burbank. Le négatif original était en effet bien trop endommagé. La recomposition trichromique a été effectuée par Technicolor Hollywood, grâce à un procédé minutieux qui a permis de retrouver la finesse de la production de l’époque. L’étalonnage et la restauration ont ensuite été réalisés chez VDM en 2021. Et le résultat est assez dingue. Si l’on peut tiquer en raison de noirs assez bouchés, la texture argentique est en effet présente et excellemment gérée, les contrastes sont superbes, le piqué affûté, la clarté éloquente (surtout dans la deuxième partie, marquée par des teintes hivernales), l’ensemble d’une propreté irréprochable et les détails conséquents, surtout sur les très nombreux gros plans. Photographie splendide signée Giuseppe Rotunno (Fellini Roma, La Bataille pour Anzio, Le Guépard).
Evitez à tout prix la version française qui dénature le jeu des comédiens. D’autant plus que cette piste s’accompagne de dialogues un peu sourds par moments. De son côté, la version originale est plus claire, plus aérée et forcément plus naturelle. Les sous-titres français ne sont pas imposés et une piste allemande est aussi disponible.