Test Blu-ray / Baba Yaga, réalisé par Corrado Farina

BABA YAGA réalisé par Corrado Farina, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Carroll Baker, George Eastman, Isabelle De Funès, Ely Galleani, Daniela Balzaretti, Mario Mattia Giorgetti, Sergio Masieri, Angela Covello…

Scénario : Corrado Farina, d’après la bande dessinée de Guido Crepax

Photographie : Aiace Parolin

Musique : Piero Umiliani

Durée : 1h22

Date de sortie initiale : 1973

LE FILM

Alors qu’elle rentre seule d’une soirée, la photographe de mode Valentina fait la connaissance d’une femme mystérieuse prénommée Baba Yaga. Peu de temps après, Valentina semble comme envoûtée par l’image de Baba Yaga et des évènements curieux se produisent autour d’elle. La jeune femme a des visions, la réalité semble irréelle…

Vous ne connaissiez pas le réalisateur Corrado Farina ? Sérieusement ?? Vraiment ??? Moi non plus. De son vrai nom Corrado Giovanni Giuseppe Maria Farina (1939-2016), ce réalisateur et scénariste aura signé essentiellement des documentaires, une poignée de courts-métrages et deux longs-métrages. Deux ans après Hanno cambiato faccia, interprété par le légendaire Adolfo Celi, Corrado Farina remet le couvert avec Baba Yaga, adaptation cinématographique de la bande dessinée Valentina et Baba Yaga, de Guido Crepax (1933-2003). Cette jeune et gracieuse photographe professionnelle indépendante (au physique inspiré par Louise Brooks) est interprétée par une certaine Isabelle de Funès (née en 1944), actrice, chanteuse et mannequin pour Vogue, qui n’est autre que la nièce de Louis de Funès. Peu connue, celle-ci n’est apparue au cinéma qu’à trois reprises, dans Ces messieurs de la gâchette (1970) de Raoul André, aux côtés de Francis Blanche, Jean Poiret et Michel Serrault, Raphaël ou le Débauché (1971) de Michel Deville, avec Françoise Fabian, Maurice Ronet et Brigitte Fossey, et enfin Baba Yaga, qui restera son rôle le plus célèbre. Agée d’à peine 30 ans, Isabelle de Funès est l’une des innombrables curiosités de cet opus qui flirte avec le genre fantastique et qui s’avère au final un kaléidoscope de couleurs, doublé d’un patchwork d’images souvent hallucinantes. On y retrouve un peu des Lèvres rouges de Harry Kumel, aussi bien dans le fond que dans la forme, tandis que Corrado Farina y met un peu tout ce qui l’anime à ce moment précis de sa vie, l’amour de la bande dessinée bien sûr, mais aussi du Godard et du Cartier-Bresson, qui sont d’ailleurs cités au détour d’une réplique. Il est certain que de nombreux spectateurs se sentiront quelque peu paumés au milieu de tout ce fourmillement d’images et d’idées, surtout que le rythme est sans doute un peu trop lent, mais celles et ceux qui se laisseront porter par ces partis-pris apprécieront ce voyage singulier et inattendu.

À Milan, dans les années 1970, la photographe de mode Valentina Rosselli croise un soir dans la rue une femme belle et mystérieuse, tout de noir vêtue, répondant au nom étrange de Baba Yaga. Cette rencontre engendre chez Valentina des rêves bizarres où se mêlent luxure et sadomasochisme, puis des incidents inexplicables provoqués par son appareil photo, sur lequel Baba Yaga semble avoir jeté un sort. Peu à peu, cette dernière parvient à tenir la jeune photographe sous son emprise, et seul son ami Arno Treves paraît en mesure de la délivrer du pouvoir maléfique de la sorcière.

Corrado Farina a toujours retrouvé dans la BD de Guido Crepax cette alliance entre l’art populaire et la réflexion intellectuelle qu’il voulait retranscrire à l’écran. Valentina était donc faite pour lui et son film s’adresse encore aujourd’hui à une audience impliquée, qui saura bien profiter de quelques échappées érotiques, mais qui se révèle être aussi et avant tout une œuvre réflective. Baba Yaga est un film très élégant, à la mise en scène douce et recherchée, au cadre et à la photographie léchés (avec à la barre Aiace Parolin, chef opérateur des sublimes Séduite et abandonnée de Pietro Germi et Casanova, un adolescent à Venise de Luigi Comencini) et à la musique enivrante de Piero Umiliani (Tropique du cancer et Viva Django ! d’Edoardo Mulargia). Une belle brochette de talents réunis derrière la caméra pour ce Baba Yaga quasi-inclassable, qui s’éloigne des productions érotiques du moment et qui fleurissaient dans les bacs à journaux, qui aborde aussi le thème du fantasme comme un véritable élément narratif et non plus gratos, uniquement pour compiler les scènes chaudes à l’écran. Corrado Farina respecte la sensualité du support original – publié en France dans Hara-Kiri à la fin des années 1960 – et retranscrit habilement à la fois les personnages, mais aussi les intentions de Guido Crepax, tout en s’appropriant Valentina, en donnant sa propre version de cette héroïne, sexuelle et cérébrale.

Feutrée et psychédélique, intime et onirique, Baba Yaga demeure une œuvre ambitieuse, dont on saluera aussi la prestation étrange et raffinée de la grande Carroll Baker, qui a œuvré chez George Stevens (Géant), Elia Kazan (Baby Doll), William Wyler (Les Grands espaces), John Ford (Les Cheyennes), Umberto Lenzi (Le Couteau de glace) et même Ivan Reitman (Un flic à la maternelle). Egalement au casting, George Eastman (Emmanuelle et Françoise, L’Appel de la forêt, Belle Starr Story) et la divine Ely Galleani (Le Venin de la peur, Le Témoin à abattre, Au nom du peuple italien). Si ça ne vous donne pas envie, on ne peut plus rien pour vous !

LE BLU-RAY

Édition limitée à 1000 exemplaires pour Baba Yaga, inédit en support physique en France. Assurément l’une des sorties les plus exigeantes et ambitieuses du Chat qui fume en 2021 et par ailleurs l’un des plus beaux visuels de l’éditeur cette année, une fois de plus concocté par Frédéric Domont. Le disque repose dans un Digipack à trois volets à l’aspect fumetti, glissé dans un fourreau cartonné très élégant. Le menu principal est animé et musical.

Deux heures de suppléments à se mettre sous le croc !

On démarre par une interview du comédien Luigi Montefiori, alias George Eastman (né en 1942), qui durant un peu plus de dix minutes revient sur Baba Yaga, dans lequel il interprète Arno Treves. Il évoque la bande dessinée de Crepax, dont il admirait le travail avant d’être engagé sur le film (dont il avoue n’avoir rien compris à l’histoire), les conditions de tournage à Milan (dont il conserve un très bon souvenir), tout en avouant n’avoir pas su prendre l’accent vénitien pour son personnage. Il parle ensuite du casting, indiquant qu’Isabelle de Funès était une femme très douce et gentille, très protégée par Corrado Farina, qu’il couvre également d’éloges.

Le gros morceau de ce Blu-ray est l’interview d’Alberto Farina (45’), historien du cinéma et fils de Corrado Farina. Sans temps mort durant trois quarts d’heure, on en apprend énormément sur la passion pour la BD de son père (les œuvres de Carl Barks, Dick Tracy, Valentina), qu’il lui a transmis, tout comme celle pour le septième art. Guido Crepax est aussi au centre de ce module, tandis qu’Alberto Farina retrace le parcours professionnel de son père, ses premiers films, ses travaux dans le domaine publicitaire, ses documentaires, son premier long-métrage Hanno cambiato faccia, avant de se concentrer essentiellement sur Baba Yaga. Les partis-pris, l’adaptation, le casting (Elsa Martinelli, Charlotte Rampling, Ingrid Thulin, Stefania Casini avaient été envisagées pour jouer Valentina), les conditions de tournage et surtout les difficultés liées à la censure (20 minutes ont été coupées dans le dos du réalisateur, directement sur le négatif original). Alberto Farina revient donc en détail sur les trois montages ayant existé du film, le premier, que personne n’a jamais vu à l’exception des producteurs, qui l’ont ensuite saboté, le second « horrible », vu par Alberto Farina, les producteurs et le monteur Giulio Berruti, puis le troisième exploité dans les salles (interdit aux moins de 14 ans), remonté en sauvant ce qui pouvait l’être, tout en sacrifiant certaines choses, à l’instar de la scène d’introduction originale, ou certains plans des actrices principales dans le plus simple appareil. Quelques photos de tournage viennent illustrer l’ensemble. Enfin, Alberto Farina parle de l’échec commercial du film, devenu culte au fil des années, en précisant d’ailleurs avoir trouvé Baba Yaga ennuyeux au départ, avant d’en louer les qualités au fur et à mesure.

Un bonus audio maintenant, une interview radiophonique de Corrado Farina (19’) donnée dans le cadre d’une émission cinéphile. L’occasion pour le réalisateur de revenir sur sa carrière, sur les comédiens avec lesquels il a travaillé (Adolfo Celi), sur Baba Yaga et l’adaptation de la BD de Crepax, sur les « désastreuses » conditions de distribution de ses deux longs-métrages (qui l’éloigneront du cinéma), sans oublier les problèmes liés à la censure et au fait que la production avait coupé vingt minutes de Baba Yaga sans l’en avertir.

Les scènes abandonnées sur le banc de montage après l’épisode de la censure et du charcutage des producteurs se dévoilent à travers un montage de près de dix minutes. On y aperçoit l’étrange scène inaugurale que Corrado Farina a finalement préféré laisser de côté, qui se tenait dans un cimetière, dans lequel se tenait une manifestation anti-US. Nous retiendrons notamment les plans dénudés d’Isabelle de Funès et de Carroll Baker.

L’éditeur présente en plus trois courts-métrages réalisés par Corrado Farina, Mon cher petit journal Caro Corrierino (11’), BD freudienne Freud a fumetti (12’) et BDPhobie Fumettophobia (12’), qui reflètent bien évidemment tout l’amour du cinéaste pour la bande dessinée, celle de son enfance (alors que certains jugeaient ses effets néfastes sur les gamins et leur éducation), celle qui l’a inspiré, celle qui l’a accompagné tout au long de sa vie et qui reflète par ailleurs la grande Histoire de l’Italie et même du monde entier. Crepax et Valentina sont bien sûr évoqués dans le second court-métrage, ainsi que dans le troisième.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Baba Yaga bénéficie ici d’un traitement de faveur quasi-irréprochable. Dès le premier plan, ce master au superbe grain argentique restitue toute la richesse de la photographie signée Aiace Parolin, la copie ayant été nettoyée de fond en comble, aucune scorie n’entache le visionnage si ce n’est une ou deux rayures ici et là. L’apport de la HD se manifeste d’emblée. Les couleurs ne manquent pas de mordant, la définition n’étant prise en défaut que sur les séquences en basse lumière. Mise à part ces rares scènes à la définition plus flottante, le piqué s’avère aiguisé tout du long, les arrière-plans sont stables, la profondeur de champ admirable. Une renaissance édifiante.

Comme pour l’image, le son a visiblement connu un dépoussiérage de premier ordre. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage italien DTS-HD Master Audio Mono 2.0, à l’exception peut-être d’un très léger souffle. Le confort phonique de cette piste unique est indéniable, les dialogues sont clairs et nets.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Rewind Slr/ Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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