PERDITA DURANGO réalisé par Álex de la Iglesia, disponible en édition 4K Ultra HD + Blu-ray depuis le 22 novembre 2021 chez Extralucid Films.
Acteurs : Rosie Perez, Javier Bardem, Harley Cross, Aimee Graham, James Gandolfini, Screamin’ Jay Hawkins, Carlos Bardem, Demián Bichir…
Scénario : Barry Gifford, David Trueba, Álex de la Iglesia & Jorge Guerricaechevarria, d’après le roman de Barry Gifford
Photographie : Flavio Martínez Labiano
Musique : Simon Boswell
Durée : 2h10
Année de sortie : 1997
LE FILM
Perdita Durango, une femme solitaire venu au Mexique répandre les cendres de sa soeur, rencontre l’étrange Roméo Dolorosa un tueur sans scrupule adepte de magie noire vaudou. Les deux protagonistes deviennent amants Dans leur périple de sexe et violence ils kidnappent un jeune couple américain en vacances au Mexique. Toujours sur un mauvais coup, Dolorosa se voit confier le transport d’un camion rempli de fœtus pour le compte de la mafia. Mais la route menant jusqu’à Las Vegas sera parsemée de policiers, d’assassins, de journalistes et par les parents des jeunes gens enlevés…
Quasiment deux ans jour pour jour après Le Jour de la bête, Álex de la Iglesia livrait son troisième long-métrage, Perdita Durango, nouvelle bombe cinématographique comme lui seul en a le secret, même si le réalisateur reprenait ici un projet destiné auparavant à son compatriote Bigas Luna. Le film devait à la base réunir Javier Bardem, Madonna et Dennis Hopper, puis dans un deuxième temps Victoria Abril, Johnny Depp et Ray Liotta. Finalement, après la reprise en main par Álex de la Iglesia, Javier Bardem est confirmé, mais le rôle-titre est confié à la torride Rosie Perez, d’origine portoricaine, découverte en 1989 dans Do the Right Thing de Spike Lee, vue ensuite en 1991 dans Night on Earth de Jim Jarmusch, et surtout en 1992 dans Les Blancs ne savent pas sauter – White Men Can’t Jump de Ron Shelton, dans lequel elle interprète la petite amie explosive et caliente de Woody Harrelson. Dans Perdita Durango, elle trouve l’un des rôles de sa vie et signe une prestation flippante, qui n’a rien à envier à celle de son partenaire, qui repousse les limites une fois de plus. Álex de la Iglesia embarque son audience dans les aventures mouvementées et violentes de ces « tueurs nés latinos », dans un environnement qui rappelle beaucoup celui de U Turn – Ici commence l’enfer d’Oliver Stone, pourtant sorti en même temps, le même mois, la même année. Particulièrement dérangeant, Perdita Durango n’est certainement pas un film « aimable », le cinéaste s’amusant à pousser les spectateurs dans ses retranchements, son empathie pour des personnages non seulement outranciers, mais aussi criminels et agressifs. C’est une expérience à part entière, pas forcément réussie du début à la fin, comme la plupart des œuvres du metteur en scène qui comme d’habitude a cette fâcheuse tendance à s’éparpiller, mais force est de constater que Perdita Durango n’a absolument rien perdu de sa force et de son aura un quart de siècle après sa sortie.
Perdita Durango (Rosie Perez) est partie au Mexique pour disperser les cendres de sa sœur décédée. Là, elle est récupérée par le trafiquant de drogue Romeo Dolorosa (Javier Bardem). Dolorosa avait cambriolé la banque pour rembourser sa dette à l’usurier « Catalina » (Demián Bichir). Il se livre également à des escroqueries dans lesquelles il se fait passer pour un prêtre de la Santeria et pirate des cadavres tout en sniffant de la cocaïne. La dernière arnaque de Roméo travaille pour le gangster M. Santos (Don Stroud) transportant des fœtus humains réfrigérés à Las Vegas où ils seront utilisés pour fabriquer une crème hydratante cosmétique. Perdita conçoit un plan selon lequel ils devraient capturer un gringo et le manger dans le cadre des cérémonies de Roméo. Ils kidnappent un étudiant geek choisi au hasard Dwayne (Harley Cross) et sa petite amie Estelle (Aimee Graham). Premièrement, Perdita viole Dwayne tandis que Roméo viole Estelle. Ils organisent une cérémonie pour sacrifier Estelle pendant qu’ils forcent Dwayne à regarder. Avant que la jeune fille puisse être tuée, le sacrifice est interrompu par une bande d’hommes dirigée par Shorty Dee (Santiago Segura), un ancien partenaire trahi de Roméo. Roméo et Perdita s’échappent avec Dwayne et Estelle toujours leurs captifs. Les quatre se rendent à la réunion avec les gens de Santos pour récupérer le camion de fœtus. Malheureusement, le transfert est interrompu par l’agent de lutte contre la drogue Woody Dumas (James Gandolfini, juste avant Les Soprano). Les hommes de Santos sont tous tués. Roméo s’échappe et se rend à Vegas avec Dwayne, tandis que Perdita suit avec Estelle.
Ceux qui compareront Perdita Durango à Sailor et Lula – Wild at Heart (1990), la Palme d’or de David Lynch, n’auront pas tort, d’autant plus que le film d’Álex de la Iglesia est adapté d’un roman du même auteur, Barry Gifford, ici 59° & Raining: The Story of Perdita Durango, en réalité le deuxième épisode d’une saga qui en contient sept à ce jour. Sans être aussi frénétique que la virée de Nicolas Cage et Laura Dern, Perdita Durango apparaît comme étant un « petit frère » tout aussi furax et survolté, dans lequel Rosie Perez reprend donc le rôle que tenait Isabelle Rossellini. Le réalisateur ne perd pas de temps et la rencontre entre Perdita et Romeo, auquel Javier Bardem prête sa tronche incroyable et surtout son incommensurable talent pour camper des personnages féroces, pour ne pas dire sataniques, se fait dans les cinq premières minutes du film. Autant dire que ce ride – d’une durée de plus de deux heures – jusqu’au bout de l’enfer en compagnie de ces deux démons ne va pas être de tout repos.
Le spectateur va en effet être secoué dans tous les sens, sans interruption. Le voyage est parfois difficile et met souvent mal à l’aise, comme lors de la scène où le tandem entreprend de dépuceler chacun de leur côté, deux jeunes otages, Duane et Estelle, qu’ils ont embarqué avec eux après les avoir choisis au hasard, dans le but de les tuer, puisque Romeo, pour entretenir un culte d’inspiration vaudoue, doit perpétrer des crimes sacrificiels. Comme Perdita aime éperdument son Romeo, elle ne peut rien lui refuser et lui donne sa bénédiction. Estelle et Duane se retrouvent donc entraînés dans les profondeurs abyssales des fantasmes de leurs kidnappeurs diaboliques, jusqu’aux confins de l’Ouest américain, de l’autre côté de la frontière mexicaine (qui joue ici un rôle symbolique), jusqu’au bout de la nuit, de tout et de nulle-part.
Road movie déjanté et radical, histoire d’amour excentrique, divertissement bourré d’humour très noir à ne pas mettre devant tous les yeux (le film avait été interdit aux moins de 16 ans en France), Perdita Durango fait penser à une attraction, un rollercoaster d’où il est impossible de s’extraire une fois harnaché au wagonnet lancé à un rythme effréné, sous un soleil de plomb (superbe photo de Flavio Martínez Labiano), qui vous laisse un goût de cendre dans la bouche en fin de parcours, qui vous a bien retourné le bide et fait passer par tous les sentiments extrêmes. On peut donc dire que la mission d’Álex de la Iglesia est on ne peut plus accomplie.
LE COMBO BLU-RAY + 4K UHD
Après Le Jour de la bête, nous passons au crible Perdita Durango – version Uncut, deuxième des trois films d’Álex de la Iglesia sorti sous les couleurs d’Extralucid Films ! Dans quelques jours, nous vous parlerons de leur nouvelle édition HD de Balada Triste ! Mais pour l’heure, l’édition combo que nous avons entre les mains est superbe, les deux disques, reposant dans un boîtier Digipack à deux volets, se distinguant par leur couleur, le rouge pour le Blu-ray, le jaune pour le disque UHD. L’ensemble est glissé dans un fourreau cartonné, reprenant l’un des célèbres visuels de Perdita Durango. Le menu principal est animé et musical.
A l’instar du Jour de la bête, l’éditeur est allé à la rencontre de Laurent Duroche (13’). Le journaliste chez Mad Movies replace le film qui nous intéresse dans la carrière d’Álex de la Iglesia, revenant ainsi sur le projet avorté de Bigas Luna avec Javier Bardem, Madonna et Dennis Hopper. Il évoque également l’adaptation du roman de Barry Gifford, les liens avec Sailor et Lula de David Lynch, le casting, les références du réalisateur (Robert Aldrich bien sûr, mais aussi Sam Peckinpah, Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer), les conditions de tournage, les intentions d’Álex de la Iglesia (« un flottement moral intéressant à étudier »), les partis-pris (qui selon lui « préfigurent les films de Rob Zombie »), ainsi que l’accueil de Perdita Durango.
Álex de la Iglesia (17’30) prend ensuite la parole. L’occasion pour le réalisateur de parler de ses thèmes de prédilection, à l’occasion de cette sortie HD/UHD de Perdita Durango. « L’excès a toujours été l’une de mes grandes obsessions » dit-il. Le cinéaste explique pourquoi ce film, projet repris après la défection de Bigas Luna, lui permettait d’explorer le sujet de « la limite de l’excès », en prenant la frontière mexicaine comme une métaphore idéale, car « que se passe-t-il quand il n’y a plus de frontière ? ». Álex de la Iglesia parle du tournage, sur lequel toute l’équipe s’est beaucoup amusée, du casting, un film qui le « fascine encore […] qui est comme le résultat d’une énorme explosion de joie, des sens les plus exacerbés », dont il reste très fier. Enfin, le metteur en scène revient en détail sur l’ombre de Sam Peckinpah, et plus particulièrement Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, planait sur le tournage. Mais pour en connaître la raison, il vous faudra acquérir cette magnifique édition ! Álex de la Iglesia clôt cette interview en parlant de la sortie du film, indiquant que « l’Espagne n’a pas aimé, contrairement à la France et les États-Unis ».
L’Image et le son
Perdita Durango revient dans les bacs et par le grande porte, en Blu-ray et 4K UHD ! Extralucid Films a mis les petits plats dans les grands et les fans d’Álex de la Iglesia vont être aux anges. Car le troisième long-métrage du cinéaste ibérique n’avait jamais été autant bichonné. Entièrement restauré 4K, Perdita Durango ressuscite littéralement devant nos yeux ébahis avec ce nouveau master. Le cadre large, la composition des plans et la photographie flamboyante de Flavio Martínez Labiano (Jungle Cruise, Sans identité, 800 balles) explosent de beauté dès les premiers plans. Les couleurs sont éclatantes, le grain argentique fin, naturel, solidement géré. Alors oui, nous avons pu constater quelques poussières et rayures verticales, ce qui est quelque peu étonnant pour une restauration aussi poussée, mais la propreté impressionne tout de même. Les noirs (très présents) sont denses, jamais bouchés (merci au HDR), le piqué est vif et acéré, le relief omniprésent, la profondeur de champ éloquente et aussi détaillée que les gros plans, les textures palpables, bref les très nombreux aficionados d’Álex de la Iglesia vont être aux anges ! Ou en Enfer, c’est selon…
Même configuration que pour Le Jour de la bête. En version originale comme en français, les pistes DTS-HD Master Audio 2.0 se révèlent être en parfaite adéquation avec le sujet, à la fois intimiste dans les dialogues, mais également saisissantes et immersives dès que la partition de Simon Boswell apparaît et que l’action se met en route. Sur la VO 5.1 aussi présente, la musique est remarquablement spatialisée, toutes les enceintes sont mises à contribution, les voix sont saisissantes sur la centrale et le caisson de basses se mêle efficacement à la partie. Evidemment, la version originale s’avère plus fluide et limpide que son homologue française (très bon doublage avec à la barre Marie Vincent, voix française récurrente de Kirstie Alley et Holly Hunter, et Marc Alfos, celle de Russell Crowe, sans oublier Jacques Frantz et Benoît Allemane) et demeure la piste à privilégier, mais était-ce bien nécessaire de le préciser ?