LA BALANCE réalisé par Bob Swaim, disponible en Combo 4K Ultra HD + Blu-ray le 15 février 2022 chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Philippe Léotard, Nathalie Baye, Richard Berry, Maurice Ronet, Bernard Freyd, Christophe Malavoy, Jean-Paul Comart, Albert Dray, Florent Pagny, Tchéky Karyo, Sam Karmann…
Scénario : Bob Swaim & Mathieu Fabiani
Photographie : Bernard Zitzermann
Musique : Roland Bocquet
Durée : 1h43
Date de sortie initiale : 1982
LE FILM
Mathias Palouzi, flic responsable des brigades territoriales, s’est mis en tête d’arrêter le roi de la pègre de Belleville : Roger Massina. Pour atteindre son but, un indic lui est indispensable. Quand celui qui l’informait est retrouvé assassiné, Palouzi n’a plus qu’à chercher une autre « balance ». Dédé Laffont, petit proxénète, apparaît comme le remplaçant idéal : il a un contentieux avec Massina et désire se venger.
Né en 1943 dans l’Illinois, Bob Swaim s’installe en France en 1965, où il s’inscrit à la Sorbonne, section ethnologie. Devenu un fidèle de la Cinémathèque, il commence à étudier à l’École Louis Lumière, puis devient cameraman, avant de signer trois courts-métrages, Le Journal de M. Bonnafous (1970), L’Autoportrait d’un pornographe (1972) et Vive les Jacques (1973). Il passe le cap du long-métrage en 1977 avec La Nuit de Saint-Germain-des-Prés, dans lequel Michel Galabru interprète le légendaire Nestor Burma, d’après Léo Malet, et dirige un certain Daniel Auteuil, qui faisait ses premiers pas au cinéma. Échec cinglant, le film n’attire même pas 50.000 spectateurs…1982, Bob Swaim fait son retour derrière la caméra et crée l’événement avec La Balance. Avec ses 4,2 millions d’entrées, ce polar se classe en cinquième position au box office cette année-là, derrière E.T. l’extraterrestre, L’As des as, Deux heures moins le quart avant J.C. et Le Gendarme et les Gendarmettes, et parvient à se classer devant La Boum 2, Les Misérables de Robert Hossein, Mad Max 2, le défi et Les Sous-doués en vacances. Carton plein pour La Balance, qui obtient huit nominations aux César et récolte les compressions tant convoitées de la Meilleure actrice, du Meilleur acteur et du Meilleur film. Quarante ans après son raz-de-marée, La Balance demeure une valeur sûre du film policier hexagonal. S’il reste indéniablement représentatif de son époque et si les premières minutes peuvent faire peur avec son côté nanar et kitsch, La Balance déploie ensuite un récit riche en rebondissements et déploie un éventail de personnages excellemment écrits, développés, croqués, documentés, remarquablement interprétés par Nathalie Baye, Philippe Léotard, Richard Berry, Christophe Malavoy, Jean-Paul Comart, Florent Pagny, Tchéky Karyo et bien d’autres. Si l’on a souvent loué l’importance des Ripoux de Claude Zidi, de Police de Maurice Pialat, et de L.627 de Bertrand Tavernier, sortis respectivement deux ans, trois ans et dix ans après, dans sa représentation réaliste du quotidien de la brigade des stupéfiants de Paris, La Balance posait déjà les bases, les intentions et les partis-pris. L’oeuvre de Bob Swaim était donc ce qu’on peut qualifier d’avant-gardiste, avait su saisir quelque chose d’inédit d’un genre en pleine mutation, qui allait engendrer moult ersatz, séries B et Z et même changer la donne quant aux codes des séries télévisées du genre qui reprendront le même schéma (même encore aujourd’hui) plus réaliste. La Balance est ni plus ni moins une pierre angulaire du polar français.
Pour faire face à la croissance d’une nouvelle criminalité « sauvage » et plus violente, la police judiciaire crée les Brigades Territoriales, seules unités de la Police intégrées dans le tissu urbain de la pègre. Chaque groupe à son réseau d’informateurs, sans lequel il ne peut pas travailler. Ces informateurs, ou indicateurs, sont surnommés « les balances ». Un jour, dans le quartier de Belleville, la « balance » de l’inspecteur Palouzi, un des inspecteurs de la Brigade territoriale, est assassinée. Tout le travail de son équipe va alors consister à trouver un autre indic au sein de la bande à Roger Massina, ancien tueur à gages qui en « gros bonnet » contrôle encore cinq bistrots mais vit surtout de recel en tout genre. C’est lui qui a tué le dernier indic de l’inspecteur Palouzi, qui poursuit Massina depuis longtemps, mais contre lequel il n’a aucune preuve. André Laffont dit Dédé, 37 ans, proxénète, semble la balance idéale. Rejeté de la bande à Roger pour incorrection, c’est sa vulnérabilité que les Brigades Territoriales vont utiliser, a travers Nicole Danet, prostituée et protégée de Dédé. Ce dernier est arrêté, alors Nicole « balance » des « affaires ».
1982 est l’année où Nathalie Baye va définitivement prendre son envol, avec les triomphes successifs du Retour de Martin Guerre (1,3 million d’entrées) et La Balance donc, qui seront très vite suivis de celui de J’ai épousé une ombre (2,5 millions) en février 1983. Elle semble loin déjà la petite scripte qui n’a pas froid aux yeux de La Nuit américaine de François Truffaut et l’actrice n’a cessé de prendre du galon en apparaissant chez Maurice Pialat, Claude Pinoteau, Claude Sautet, Marco Ferreri, Alain Cavalier, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, Pierre Granier-Deferre et Bertrand Blier. La Balance est probablement le film avec lequel elle explose littéralement. Sa sensibilité à fleur de peau, son sex-appeal et son charisme félin sont magistralement exploités par Bob Swaim, qui n’a d’ailleurs de cesse de mettre ses acteurs en valeur. A ses côtés, Philippe Léotard, la même année que Le Choc de Robin Davis et Paradis pour tous d’Alain Jessua, est extraordinaire, intense, dans le rôle de Dédé, à qui Bob Swaim donne une dimension tragico-romantique, un type rouillé avant l’âge, furieusement épris de Nicole, sa raison de vivre. Si La Balance est évidemment un film policier, c’est aussi une véritable histoire d’amour, qui avait conquis le public féminin à la sortie du film. L’émotion et les sentiments affleurent constamment dans le récit (contrairement aux navets nauséabonds d’Olivier Marchal), ils sont la plupart du temps responsables des actes des protagonistes, les poussent à agir, en bien ou en mal, mais sont chaque fois catalyseurs.
Le troisième grand personnage de La Balance est celui incarné par Richard Berry, qui au même moment poussait la chansonnette dans Une chambre en ville de Jacques Demy et incarnait le fils de Roger Hanin dans Le Grand pardon d’Alexandre Arcady. S’il n’a pas eu l’honneur d’être nommé aux César comme le reste de l’équipe du film, le comédien n’est pas moins formidable dans la peau de Mathias Palouzi, flic retors, bien décidé à user de tous les stratagèmes possibles pour mettre enfin la main sur celui qu’il souhaite coincer depuis belle lurette, l’inquiétant Massina, incarné quant à lui par la légende Maurice Ronet, dans son avant-dernière apparition au cinéma, puisqu’il sera emporté l’année suivante à l’âge de 55 ans des suites d’un cancer du poumon.
Au-delà de sa nature toujours divertissante, La Balance interpelle par son aspect documentaire, renforcé par le grain très grumeleux de la photographie de Bernard Zitzermann (Betty de Claude Chabrol, Un homme amoureux de Diane Kurys, Le Faucon de Paul Boujenah, J’ai épousé une ombre de Robin Davis). Bob Swaim, qui s’est longtemps plongé auprès de certains membres de la brigade territoriale (le coscénariste Mathieu Fabiani était lui-même policier), restitue la routine, les méthodes, le comportement (y compris vestimentaire) des flics, leur humour aussi, mais également et surtout l’atmosphère, les ambiances, les couleurs, les parfums de certains quartiers de la capitale, notamment ceux de Belleville et Pigalle, qui ont aujourd’hui complètement disparu, ou tout du moins qui n’ont plus du tout la même âme. La mise en scène immersive créée par l’usage de la caméra à l’épaule, donne lieu à de nombreuses séquences qui restent de vrais modèles du genre, à l’instar de l’assaut donné en pleine rue dans la dernière partie du film, où l’équipe de Palouzi affronte Petrovic (Tchéky Karyo, blanc comme un cachet d’aspirine, les yeux camés).
Mais ce que l’on retiendra au final de La Balance, c’est bel et bien la relation entre Dédé et Nicole, leurs étreintes, leur complicité, leur alchimie (Léotard et Baye venaient de rompre après plusieurs années de vie commune), leur dernier échange. Il est là le coeur de La Balance. Et celui du spectateur de battre encore et toujours pour ce grand classique du genre.
LE COMBO 4K UHD – BLU-RAY
La Balance ne disposait jusqu’à présent que d’une petite édition DVD sortie en 2001 chez TF1 Studio, qui comprenait tout de même trois scènes commentées par Bob Swaim, une interview d’une heure de ce dernier, ainsi que deux courts-métrages du réalisateur. Il aura fallu attendre vingt ans pour que ce néo-polar revienne sur le devant de la scène, avec ce que l’on peut d’ores et déjà considéré comme une des éditions indispensables de l’année 2022, celle concoctée par Le Chat qui fume. Ce dernier nous propose La Balance dans un combo Blu-ray + 4K UHD ! Les deux disques, la galette UHD arborant le portrait de Maurice Ronet, le second celui de Tchéky Karyo, reposent dans un Digipack à trois volets, merveilleusement illustré. L’ensemble est glissé dans un fourreau cartonné super classe liseré bleu, mettant en valeur Philippe Léotard, Nathalie Baye et Richard Berry. Cette édition est limitée à 1000 exemplaires. Le menu principal est animé et musical.
A l’instar de Jean-Louis Daniel sur l’édition des Fauves dont nous vous parlions il y a peu, Le Chat qui fume déroule le tapis rouge à Bob Swaim, qui intervient à son tour pendant plus d’une heure, durant 66 minutes précisément. L’occasion pour le réalisateur de revenir longuement, posément, sur la genèse de La Balance, sur ses intentions (donner une représentation plus réaliste et moderne de la police), sur la collaboration de son ami inspecteur Mathieu Fabiani (qui écrira le film à ses côtés), sur sa longue observation de la Brigade Territoriale (sur une période d’un an) et sur la mise en route du projet. Puis, Bob Swaim en vient à la recherche d’un producteur, au casting (pour lequel il a eu carte blanche, à condition de trouver un nom porteur, d’où la participation de Maurice Ronet), aux conditions de tournage, au montage (la première mouture durait trois heures), à la sortie triomphale du film (il est très ému en se souvenant de la séance de 14h…), aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, sans oublier le succès rencontré aux César, où le film allait repartir avec trois suprêmes récompenses.
Vous pouvez enchaîner avec l’interview récente de Richard Berry (24’), enregistrée à l’occasion de cette sortie. Le comédien explique comment Bob Swaim l’a abordé pour le rôle de Palouzi, même s’il était déjà engagé sur Une chambre en ville de Jacques Demy. Sans rien dire à ce dernier et désireux de faire les deux films, Richard Berry, emballé par l’approche originale de Bob Swaim, s’engage sur La Balance, « un film qui a changé le regard vis à vis de la police ». L’acteur, très fier de ce polar, est visiblement très heureux de revenir sur les conditions de tournage à Pigalle et Belleville, sur la préparation de Bob Swaim et sur la sienne, puisqu’il a lui aussi accompagné Mathieu Fabiani quatre mois sur le terrain, « partagé entre l’ennui et la peur », mais où il a pu assimiler l’humour des flics des la brigade territoriale, leur façon de s’habiller, dont « l’élégance dégingandée de Fabiani » pour créer son propre personnage. Puis, Richard Berry parle de ses partenaires (« Philippe Léotard, un amour, une tendresse, une humanité, un mec formidable, un acteur extraordinaire »), du triomphe du film (il devait recevoir un pourcentage sur les résultats au box-office, ce qui allait lui faire gagner beaucoup d’argent), sans oublier d’égratigner un peu les César, en précisant un peu amèrement que tout le monde ou presque avait été nommé sauf lui, puisque « la cérémonie a tendance à récompenser les personnages qui souffrent ».
Nous trouvons un tout petit making of d’époque (4’), composé d’images de tournage, des propos du réalisateur (qui parle de ce qui lui a donné envie de faire La Balance), de Nathalie Baye (qui évoque son désir de transformation au cinéma), de Philippe Léotard et de Richard Berry (qui s’expriment sur leur personnage), tous répondant visiblement à des questions de Pierre Tchernia.
Non indiquée sur le fourreau, nous trouvons une interview de Fathi Beddiar (28’). Ce dernier, fidèle au Chat qui fume (on l’avait déjà croisé au fil des suppléments de Tropique du Cancer, La Longue nuit de l’exorcisme, Vigilante – Justice sans sommation, Maniac, la trilogie Majin) nous parle ici du projet avorté du remake de La Balance, sur lequel il avait longuement planché. Dans un premier temps, Fathi Beddiar évoque ses premiers souvenirs liés au film « remarquable » de Bob Swaim, qui le renvoient à son enfance tout simplement parce que son père n’arrivait pas à trouver une place pour se garer en raison du tournage de La Balance dans le quartier de Belleville ! Cigare en main, le débit à la mitraillette et l’oeil pétillant (l’auteur de ces mots a déjà eu l’occasion de rencontrer ce type brillant dans les locaux du Chat qui fume et de lui parler un petit peu), le complice de l’éditeur évoque le Paris qui n’existe plus, donne des petites infos cinéphiles qu’on adore (François Truffaut était un grand fan du film, tout comme John Landis), le compare parfois aux Ripoux de Claude Zidi, le remake un temps envisagé aux Etats-Unis avec Will Smith, puis en France avec Jean Dujardin et Alexandre Lamy (même s’il imaginait plutôt Monica Bellucci et Vincent Cassel). Enfin, Fathi Beddiar dissèque ce qui aurait pu être transposable, ou non, dans un film contemporain, avec par exemple une intrigue délocalisée à Marseille, Palouzi qui serait devenu un fils de Harki plein de ressentiment. Un projet sur lequel il avait donc bossé, avant que celui-ci ne soit repris par Florent- Emilio Siri. La dernière partie de cet entretien foisonnant met en relief tous les éléments qui font de La Balance un modèle du film policier, construit sur « une véritable dynamique d’oppositions, contrairement à BAC Nord, l’antithèse d’un film comme La Balance, où tout le monde en prenait pour son grade, sans aucune récupération, ni soutien, qui a fait date dans le cinéma français, suivi de près par Les Ripoux et Le Cousin d’Alain Corneau qui était formidable aussi ». Fathi Beddiar clôt cette intervention en précisant « Si La Balance est indétrônable, cela en dit long sur le triste état du cinéma français aujourd’hui ! ».
On passe aux deux courts-métrages réalisés par Bob Swaim (Robert Swaim plutôt) et évoqués dans la critique du film, L’Autoportrait d’un pornographe (1972, 13’) et Vive les Jacques (1973, 16’), proposés avec les sous-titres anglais imposés et dans une qualité aléatoire. On préférera se pencher sur le premier, le drôle de recyclage du brave Louis (l’excellent Daniel Langlet, l’adjoint de Julien Guiomar dans L’Aile ou la cuisse et vu souvent chez Bertrand Tavernier), vendeur de photos pornographiques, qui devant la prolifération des sex-shops lui « volant » une large clientèle, se retrouve photographe des prévenus au commissariat central.
Le second est plus ennuyeux, malgré un dénouement inattendu et même culotté : Pierre est enfin revenu pour voir son cher grand-père. Ensemble, peu de temps avant le magnifique lever du soleil, ils revivent un moment de la vie du caporal Pignerol. « Pignerol, il n’aurait pas fait de mal à une mouche ; puis, un jour, c’était l’été 1915 ». Pour Pierre, c’était une comédie, en quelque sorte.
Le Chat qui fume livre aussi le making of du court-métrage Le Journal de M. Bonnafous, le premier court-métrage de Bob Swaim, tourné en 1970. Ce document muet d’une durée de 11 minutes, est proposé dans le but de montrer les conditions parfois drastiques d’un tournage à petit budget au début des années 1970.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce (« Nicole…c’est la pute… »).
L’Image et le son
Le disque 4K UHD a été testé. Premièrement, La Balance a été restauré à partir du négatif original par VDM. Deuxièmement, les premières images font peur. Les contrastes paraissent bien trop poussés, l’image est trop sombre, l’ensemble déçoit et l’on en vient même à se dire que ce n’est pas terrible du tout…D’ailleurs, on ne distingue pas grand-chose durant la scène d’exposition, d’autant plus que le grain argentique, bien présent, pulsant, entraîne divers fourmillements. Bref, la première bobine fout les jetons. Ensuite, miracle, la promotion UHD se dévoile enfin. La restauration s’avère étincelante (bon d’accord, diverses rayures verticales subsistent tout de même), le cadre trouve sa stabilité, les détails sont nettement plus convaincants, les noirs sont denses, les couleurs lumineuses à souhait, le teint des visages sait rester naturel et le piqué est correct. Quelques fléchissements de la définition sont constatés ici et là, le film a tout de même quarante ans ne l’oublions pas, mais essentiellement La Balance retrouve une vitalité insoupçonnée via cette copie Ultra-Haute Définition.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 permet à la composition de Roland Bocquet (Blessure de Michel Gérard) d’être délivrée avec un coffre inédit. Également restauré, le son a vraisemblablement subi un dépoussiérage depuis la dernière sortie du film en DVD. Le confort acoustique est largement assuré, jamais entaché par un souffle quelconque. La musique, les effets annexes, les voix des comédiens, tout est ici mis en valeur avec fluidité probante. En revanche, comme mauvais point (il en faut…), les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants brillent par leur absence…
Une réflexion sur « Test 4K UHD / La Balance, réalisé par Bob Swaim »