UNE FEMME DU MONDE réalisé par Cécile Ducrocq, disponible en DVD le 6 avril 2022 chez M6 Vidéo.
Acteurs : Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer, Romain Brau, Maxence Tual, Sam Louwyck, Diana Korudzhiyska, Amlan Larcher…
Scénario : Cécile Ducrocq & Stéphane Demoustier
Photographie : Noé Bach
Musique : Julie Roué
Durée : 1h33
Date de sortie initiale : 2021
LE FILM
A Strasbourg, Marie se prostitue depuis 20 ans. Elle a son bout de trottoir, ses habitués, sa liberté. Et un fils, Adrien, 17 ans. Pour assurer son avenir, Marie veut lui payer des études. Il lui faut de l’argent, vite. Elle va alors traverser la frontière quotidiennement et se prostituer dans une maison close allemande.
Si la consécration est venue en 2020 avec le merveilleux Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, cela fait pourtant plus de dix ans que Laure Calamy illumine le cinéma français, depuis 2011 exactement, quand nous l’avions découvert dans le magnifique Un monde sans femmes de Guillaume Brac, qui révélait en même temps Vincent Macaigne. La comédienne a toujours montré le bout de son superbe nez, au second comme à l’arrière-plan, en crevant l’écran à chaque apparition, dans 9 mois ferme d’Albert Dupontel, Sous les jupes des filles d’Audrey Dana, Fidelio, l’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau, À trois on y va de Jérôme Bonnell, Victoria de Justine Triet, Roulez jeunesse de Julien Guetta, Nos batailles de Guillaume Senez ou Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret. Le César de la meilleure actrice en poche, tout en cartonnant dans la série Dix pour cent, Laure Calamy a passé la vitesse supérieure en tenant enfin le haut de l’affiche. C’est le cas pour Une femme du monde de Cécile Ducrocq, prolongement du court-métrage La Contre-allée (César du meilleur court métrage), réalisé en 2014, dans lequel l’actrice incarnait déjà une prostituée, dont le mode de vie était menacé par la concurrence à bas prix de ses collègues africaines, qui engageait trois militants d’extrême-droite pour régler ses affaires, avant d’être elle-même victime des trois individus menaçants. On retrouve quelques échos à La Contre-allée dans Une femme du monde (la scène inaugurale surtout), même si le personnage principal ne s’appelle pas pareil et qu’elle est ici la mère d’un adolescent de 17 ans, qui ignore tout de ses activités. Quand celui-ci se retrouve dans une mauvaise passe et joue son avenir en étant sur le point d’intégrer une grande école de cuisine, qui demande la somme colossale de près de 10.000 euros, Marie est prête à tout (et c’est là le véritable sujet du film), quitte à mettre ses principes de côté, pour réunir l’argent nécessaire, afin d’offrir à Adrien la chance qu’elle n’a jamais eue. Et Laure Calamy de signer une fois de plus une prestation époustouflante, très largement plébiscitée par la critique et auréolée d’une nouvelle nomination aux César en 2022.
« Pas grand-chose de différent
Des autres femmes de trente ans
Sur cette butte,
Mis à part un petit détail :
Quand elle se rend à son travail,
C’est pour aller faire la pute. » (Michel Sardou, L’Autre femme).
Depuis toujours en France, le thème de la prostitution a souvent donné lieu à des films stylisés, L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, Belle de jour Luis Buñuel, Elles de Malgorzata Szumowska, Vivre sa vie de Jean-Luc Godard, Jeune et Jolie de François Ozon, Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson et bien d’autres. Une femme du monde se rapprocherait plutôt de l’approche de J’embrasse pas d’André Téchiné, Cliente de Josiane Balasko, La Dérobade de Daniel Duval ou bien encore Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman. C’est dire la réussite du premier long-métrage très prometteur de Cécile Ducrocq, qui dresse le portrait d’une femme d’aujourd’hui, qui assume totalement ses choix, son existence, son travail, tout en apportant cette dimension romanesque propre au cinéma, impression renforcée par la photographie à la fois léchée et brute de la chef opératrice Noé Bach (Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet, La Terre des hommes de Naël Marandin, Just Kids de Christophe Blanc), surtout dans la seconde partie, quand Marie quitte momentanément les trottoirs de Strasbourg, pour passer de l’autre côté de la frontière et intégrer une maison close à l’univers forcément plus « mis en scène » et quasi-surréaliste, qui contraste avec l’approche naturaliste installée au préalable.
« Comme les filles de son espèce,
Elle prend ses quartiers de noblesse
Au fond des âges.
Ses collègues sont en vérité
De petites sœurs de charité,
Pas davantage.
Les malheureux au cœur blessé,
Tous les amoureux délaissés,
Ceux qui débutent,
Les paumés de la société,
Compagnons d’la timidité,
Vont trouver l’amour chez les putes. » (Michel Sardou, L’Autre femme).
Si Laure Calamy est exceptionnelle, Une femme du monde révèle un jeune comédien, Nissim Renard, qui interprète Adrien, le fils de Marie. S’il était déjà apparu dans Évolution (2015) de Lucile Hadzihalilovic et Bienvenue à Marly-Gomont de Julien Rambaldi, celui-ci passe assurément une étape dans sa carrière et s’avère remarquable, à la fois enragé et à fleur de peau, sensible, aimant sa mère, mais ne sachant pas comment lui faire comprendre ou être à la hauteur des espoirs qu’elle a fondés sur lui. C’est pour lui que Marie tentera le tout pour le tout, ne remettant jamais en question les fondements de sa propre vie (elle défend même son métier), mais en mettant les bouchées doubles, allant jusqu’à commettre un vol auprès d’une de ses consœurs, geste qu’elle regrettera d’ailleurs très rapidement. Mais Marie reste digne, seul l’amour qu’elle porte pour son fils et son avenir comptent, rien ne pourra se mettre en travers de son chemin, surtout que le temps lui est compté pour réunir la somme nécessaire pour l’inscription définitive d’Adrien dans un établissement qui pourrait le mettre à l’abri du besoin.
« Le temps va vite, le temps court,
Dans ce vieux métier de l’amour
Qui la fait vivre
Mais elle gagne assez d’argent
Et dans 10 ans ou dans 20 ans,
Elle sera libre.
Finies les dures nuits d’hiver
Et les prix, dans les courants d’air,
Que l’on discute.
A nous la mer et le soleil
Mais ce n’est pas demain la veille :
Ce soir il faut faire la pute. » (Michel Sardou, L’Autre femme).
Scénariste des séries Profilage, Maison close, Le Bureau des légendes et Dix pour cent, Cécile Ducrocq livre un petit coup de maître avec Une femme du monde, drame sans pathos, frontal, violent sans doute et sans cesse animé par les pulsations frénétiques d’un coeur déchaîné par l’amour d’une mère pour son enfant, dont il restera moult images en tête après la projection.
LE DVD
Avec ses 41.000 entrées, Une femme du monde devra se contenter d’une sortie en DVD pour lui laisser une seconde chance. M6 Vidéo reprend le visuel de l’affiche d’exploitation pour la jaquette glissée dans un boîtier classique Amaray. Le menu principal est animé et musical.
Excellente initiative de la part de l’éditeur, de nous permettre de découvrir le court-métrage La Contre-allée, récompensé par un César, à l’origine d’Une femme du monde. Suzanne (Laure Calamy, Prix d’interprétation au Festival de Sundance en 2015) se prostitue depuis 13 ans. Elle a son bout de trottoir, ses habitués, sa liberté. Un jour, de jeunes prostituées africaines s’installent en périphérie. Suzanne est menacée. Si l’on retrouvera certaines scènes de ce court-métrage dans Une femme du monde, La Contre-allée emmène le personnage principal (qui s’appelle ici Suzanne et non Marie) dans une autre histoire, plus violente sans doute, certaines séquences mettant particulièrement mal à l’aise dans la dernière partie. Grande découverte.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Une femme du monde jouit d’un éclatant master, le piqué est souvent vif et acéré, la colorimétrie riche et les contrastes denses. Malgré de sensibles fourmillements, la définition demeure quasiment irréprochable y compris sur les mouvements vifs de la caméra, les noirs sont concis, la propreté est indéniable, les détails impressionnants sur les gros plans. En dépit de quelques séquences trop douces, la clarté d’ensemble et la vivacité de la colorimétrie sont convenables et les volontés artistiques de la directrice de la photographie Noé Bach sont respectées.
Les dialogues sur la piste Dolby Digital 5.1 ne manquent pas de punch et l’environnement musical est plaisant et bien présent. Si le caisson de basses est aux abonnés absents, la spatialisation est concrète sur toutes les séquences en extérieur et le confort acoustique est certain. Nous trouvons également une piste Audiodescription pour les spectateurs aveugles et malvoyants, ainsi que les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.