SOCIÉTÉ ANONYME ANTI-CRIME (La Polizia ringrazia) réalisé par Stefano Vanzina, disponible en DVD le 5 janvier 2021 chez Artus Films.
Acteurs : Enrico Maria Salerno, Mariangela Melato, Mario Adorf, Franco Fabrizi, Cyril Cusack, Laura Belli, Jürgen Drews, Corrado Gaipa…
Scénario : Stefano Vanzini & Lucio De Caro
Photographie : Riccardo Pallottini
Musique : Stelvio Cipriani
Durée : 1h34
Année de sortie : 1972
LE FILM
Rome, la corruption a gangrené toutes les institutions. Le commissaire Bertone tente malgré tout de faire son travail correctement. Alors qu’il recherche deux voyous ayant assassiné un joaillier après un braquage, il retrouve l’un d’eux, mort, au bord du canal. Il va peu à peu découvrir qu’un groupe armé a entrepris de faire justice sur les malfrats libérés par une administration trop laxiste.
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Dans le cinéma d’exploitation, en particulier celui qui a submergé les salles italiennes dans les années 1970, sont dissimulées quelques pépites qui allaient bien au-delà du simple cinéma Bis, qui ont su traverser les années et même les décennies sans (trop) de dommages et dont le propos demeure d’une redoutable efficacité et d’une folle modernité. C’est le cas de Société anonyme anti-crime, réalisé par Stefano Vanzina (1917-1988), plus connu par les cinéphiles sous le pseudonyme de Steno. Pour faire simple, nous dirons purement et simplement que La Polizia ringrazia annonce ni plus ni moins Magnum Force de Ted Post, le deuxième volet de la saga Harry Callahan, co-écrit par John Milius et Michael Cimino. Dans cette deuxième enquête de l’inspecteur Harry, ce dernier se retrouvait face à des meurtres ayant pour cible des proxénètes, des trafiquants et des assassins, commis par une « brigade spéciale » de flics néofascistes, auto-proclamés juges et bourreaux, qui avaient décidé de nettoyer la ville à leur façon. Si dans Société anonyme anti-crime, le personnage principal impeccablement campé par Enrico Maria Salerno est un modèle d’intégrité, Callahan se retrouvait comme qui dirait face à lui-même dans Magnum Force puisque les motards tueurs usaient des mêmes méthodes expéditives. Mais le sujet reste le même et le film de Steno interroge sur cette question de l’autodéfense qui revenait sans cesse dans la bouche de celles et ceux qui étaient victimes ou témoins de vols à main armée, de kidnappings et de meurtres qui régissaient leur quotidien dans les rues des grandes villes dans l’Italie des Années de plomb. Société anonyme anti-crime est un polar solide, excellemment mis en scène et interprété, qui a des choses à dire et les dit bien, sans avoir recours à une violence gratuite. Il en ressort une noirceur et une ironie sombre qui à l’instar du final tragique et pessimiste imprègne le spectateur et le fait s’interroger sur la valeur morale des institutions qui régissent la vie des citoyens.
A Rome, malgré la corruption omniprésente, le commissaire Bertone s’évertue à faire correctement son métier au sein de la police criminelle. Sa dernière enquête le conduit sur les traces d’un rassemblement d’extrême droite aux allures de justiciers : ils exécutent les criminels que la police laisse en liberté. Des méthodes sanglantes encouragées par la population. Bertone, malgré les mises en garde, cherche à savoir qui se cache derrière cette organisation. Quand il réalise Société anonyme anti-crime, Stefano Vanzina – Steno a déjà près de 25 ans de cinéma derrière-lui et quarante longs-métrages à son actif, dont d’innombrables comédies avec Totò. Ancien assistant du grand Mario Monicelli (1915-2010), avec lequel il aura fait ses classes derrière la caméra en co-réalisant près d’une dizaine de films d’Au diable la célébrité –Al diavolo la celebrità (1949) aux Infidèles – Le Infedeli (1953), en passant par Dans les coulisses – Vita da cani (1950) et Totò et les femmes – Totò e le donne (1952), Steno prend définitivement son envol avec Les Gaîtés de la correctionnelle – Un giorno in pretura (1954), dans lequel il dirige rien de moins que Sophia Loren et Alberto Sordi. Sa carrière sera ensuite jonchée de grands classiques du cinéma transalpin comme Un americano à Roma (1954), toujours avec l’Albertone et sur un scénario co-écrit par Lucio Fulci et Ettore Scola, Les Deux Colonels – I due colonnelli (1962) qui réunit Totò et Walter Pidgeon, ou bien encore La Grosse Pagaille – La feldmarescialla (1967), film musical dans lequel on croise Terence Hill et Francis Blanche. Toujours à l’écoute des spectateurs et désireux de leur offrir ce qu’ils attendaient dans les salles, Steno s’était certes spécialisé dans la comédie, mais avait tâté d’autres genres, le fantastique avec Les Temps sont durs pour les vampires (1959) – Tempi duri per i vampiri (avec Christopher Lee !) et le film d’aventure (Il était trois flibustiers – I moschettieri del mare, 1960, Le Chevalier à la rose rouge – Rose rosse per Angelica, 1966). Au début des années, 1970, Steno aborde pour la première fois le registre policier avec Cose di Cosa Nostra, une histoire centrée autour de la mafia, où apparaissent Jean-Claude Brialy et Vittorio De sica. Après être revenu momentanément à la comédie (Comment épouser une Suédoise– Il vichingo venuto dal sud, avec la divine Pamela Tiffin), Steno “redevient” Stefano Vanzina et revient au thriller avec Société anonyme anti-crime. Un vrai bijou aussi redoutable dans son propos que du point de vue technique.
A l’instar de la plus célèbre scène du film, celle où le commissaire Bertone convie la presse dans un autobus pour un “Roma by night” et leur montre les rues de Rome peuplées de prostituées et de travestis, tout en évoquant les meurtriers et les voleurs qui attendent tapis dans le noir, avant de sauter sur leurs pauvres victimes qui n’ont pas eu la présence d’esprit de rester chez elles, Steno nous plonge dans le quotidien agressif des habitants de Rome. Droit dans ses bottes, Bertone doit affronter la pire vague de crimes que l’Italie ait connu, mais les citoyens n’ont plus confiance en la justice de leur pays. Les juges relâchent quelques bandits et meurtriers notoires pour insuffisance de preuves, les journalistes et les partis politiques sont contre la police. Pas étonnant que certains soient tentés de faire justice eux-mêmes ! Les commerçants, l’une des premières cibles des truands, souhaitent être protégés, mais la police, qui a désormais les mains liées par l’administration, est devenue une farce, une parodie huée par tous. Les journalistes n’hésitent pas à mettre Bertone et ses hommes dans la mélasse, les criminels rient d’eux quand ils sont arrêtés, sachant qu’ils seront très vite libérés. Bertone, c’est ce vieux briscard qui a 25 ans de bouteille et qui est merveilleusement interprété par Enrico Maria Salerno (1926-1994), comédien qui a travaillé avec les plus grands, Dino Risi (Moi, la femme), Roberto Rossellini (Les Évadés de la nuit), Valerio Zurlini (Été violent), Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal), Mario Monicelli (Casanova 70), Luigi Comencini (La Traite des blanches) et Pier Paolo Pasolini (L’Évangile selon saint Matthieu). Avec son galurin vissé sur la tête, l’acteur livre une remarquable prestation qui n’est pas pour rien dans la grande réussite de Société anonyme anti-crime et qui renvoie parfois à celle de Franco Nero dans le remarquable Confession d’un commissaire de police au procureur de la république – Confessione di un commissario di polizia al procuratore della repubblica de Damiano Damiani, sorti quelques mois auparavant. Le reste du casting est du même acabit, avec notamment la présence de l’incontournable Mario Adorf (qui vient de fêter ses 90 ans et qui était toujours actif il y a peu) en procureur quelque peu dépassé par les événements, sans oublier la présence de la grande Mariangela Melato (Qui a tué le chat ?) et de Franco Fabrizi dans le rôle du suintant Francesco Bettarini.
La Polizia ringrazia confronte donc un commissaire revenu de tout, au bordel politico-juridique de son pays qui ne parvient pas à protéger les italiens, mais qui en plus défend toujours plus les droits des assassins. Pas étonnant que certains aient décidé d’agir et d’utiliser les grands moyens pour “se débarrasser de cette bande de racailles” (du militant gauchiste à l’homosexuel, en passant par les criminels relâchés après un procès de pacotille), sans kärcher, mais avec quelques armes de pointe et en formant quelques pelotons d’exécution improvisés. D’un côté comme de l’autre, il semble que cette société pourrie ne laisse plus aucune place pour les honnêtes gens et l’incorruptibilité de Bartone condamne d’emblée le personnage.
Après Société anonyme anti-crime, Steno continuera sur sa lancée et s’associera avec le grand Bud Spencer pour une série de films policiers à succès dite du Pied-plat (ou Piedone) composée d’Un flic hors-la-loi (1973), Le Cogneur (1974), Pied-plat en Afrique (1978) et Pied-plat sur le Nil (1980).
LE DVD
Société anonyme anti-crime intègre la collection Polar d’Artus Films. Le disque repose dans un très beau slim Digipack, très bien illustré. Le menu principal est fixe et musical.
Après Opération K, nous retrouvons Emmanuel Le Gagne, qui nous présente cette fois Société anonyme anti-crime (23’). Comme dans son intervention précédente, le journaliste propose un beau tour d’horizon de la filmographie prolifique et éclectique (même si placée sous le signe de la comédie la plupart du temps) de Stefano Vanzina alias Steno. D’ailleurs, Emmanuel Le Gagne nous a donné envie de revoir Banana Joe (1982) avec Bud Spencer, l’un des derniers films du réalisateur, qu’il aime beaucoup. L’invité d’Artus Films explique longuement et de façon pertinente, pourquoi Société anonyme anti-crime est le meilleur long-métrage de Steno avec Enquête à l’italienne – Doppio delitto (1977). Ce qui lui permet de revenir sur le poliziottesco, genre dans lequel s’inscrit le film de Steno, mais qui va bien au-delà, puisque pour lui, La Polizia ringrazia est tout autant un film d’auteur et presque contemplatif, qu’un opus du cinéma d’exploitation transalpin qui se permet même d’anticiper Magnum Force de Ted Post ! Emmanuel Le Gagne aborde à la fois le fond et la forme de Société anonyme anti-crime (“une réflexion très intéressante sur la justice et la loi”), tout en louant l’interprétation du comédien principal, Enrico Maria Salerno.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama d’affiche et de photos, sans oublier la bande-annonce.
L’Image et le son
Artus Films nous gratifie d’un master impressionnant, présenté dans son format original 2.35 (16/9, compatible 4/3). La propreté de la copie est indéniable, la restauration ne fait aucun doute, les contrastes sont beaux, le cadre fourmille de détails, même si le piqué demeure aléatoire. Le grain est plutôt bien géré, l’ensemble stable hormis un léger bruit vidéo, surtout sur les séquences diurnes, les couleurs sont agréables pour les mirettes, un peu délavées certes, mais souvent rutilantes. Le charme opère, les ambiances nocturnes sont chiadées et l’on redécouvre Société anonyme anti-crime avec ses partis pris esthétiques originaux respectés.
Propre et dynamique, le mixage italien ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique de Stelvio Cipriani. Elle demeure la plus dynamique du lot, mais également la plus virulente et la plus frontale dans ses dialogues par rapport à son homologue à l’adaptation plus « légère ». La version française pousse un peu trop les dialogues, légèrement chuintants, au détriment des effets annexes. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.