OPÉRATION K (Operazione Kappa: sparate a vista) réalisé par Luigi Petrini, disponible en DVD le 5 janvier 2021 chez Artus Films.
Acteurs : Mario Cutini, Marco Marati, Maria Pia Conte, Patricia Pilchard, Mario Bianchi, Maria Francesca, Linda Sini, Edmondo Tieghi…
Scénario : Luigi Petrini
Photographie : Luigi Ciccarese
Musique : Franco Bixio, Fabio Frizzi & Vince Tempera
Durée : 1h30
Année de sortie : 1977
LE FILM
Expulsé d’une fête mondaine pour avoir couché avec la fille des propriétaires, le jeune paumé Paolo rencontre Giovanni, le fils rebelle d’un professeur. Sous l’effet de la drogue, les deux amis violent Anna, la fiancée de Giovanni, et tuent la voisine qui voulait intervenir. En fuite, avec la police à leurs trousses, ils décident de prendre un restaurant en otage…
Ne cherchez pas, le nom de Luigi Petrini ne vous dira sûrement rien. Né à Rome en 1934, ce réalisateur ne sera actif que de 1964 à 1988 et mettra en scène une dizaine de longs-métrages, en passant allègrement d’un genre à l’autre. Il débute dans le registre dramatique avec son premier long-métrage, Una storia di notte, avec la sublime Sylva Koscina, puis enchaîne directement sur la romance Le Sedicenni (1965), avant de signer son premier polar, A suon di lupara (1968). En 1970, il s’intéresse à une histoire d’amour entre deux femmes dans Così, così… più forte, puis continue sur cette lancée l’année suivante dans La Ragazza dalle mani di corallo (1971). Luigi Petrini aborde ensuite la comédie avec Scusi, si potrebbe evitare il servizio militare?… No! (1974). Les années 1970 touchent à leur fin et le cinéaste commence à racler les fonds de tiroir en mélangeant un peu de tout, notamment avec A.A.A. cercasi spia… disposta spiare per conto spie, mélange gloubi-boulga de comédie-policière et de comédie-musicale. S’il arrêtera sa carrière sur un « coup d’éclat » intitulé White Pop Jesus (1980) – on vous prévient, vous n’en croirez pas vos yeux – Luigi Petrini livre aussi ce qui est probablement son meilleur film, Opération K – Operazione Kappa: sparate a vista. Sorti en 1977, ce polar étrange, mélange de poliziottesco, genre qui tirait alors sur sa fin (comme tout le cinéma d’exploitation en fait), et de rape and revenge n’a rien du grand film, mais s’avère un rejeton quelque peu dégénéré et surtout peu aimable, qui étonne par sa violence sèche et brutale, ainsi que par le traitement de ses personnages, repoussants, abjects, vulgaires, misogynes et puants, filmés néanmoins comme des héros tragiques car montrés comme des victimes de la société dans l’Italie des tristement célèbres Années de plomb.
S’il s’inspire librement d’Un après-midi de chien – Dog Day Afternoon de Sidney Lumet, sorti l’année précédente au cinéma, Opération K s’en éloigne aussi évidemment par la psychologie et la motivation des personnages. Nous avons affaire ici à deux monstres engendrés par la situation sociale, politique et économique de leur pays. A ce titre, les deux comédiens principaux s’en tirent pas trop mal. Le premier, Paolo, est interprété par Mario Cutini, aperçu dans La Nuit des excitées – I ragazzi della Roma violenta (1976) de Renato Savino et qui tiendra aussi le premier rôle dans Ring, ersatz de Rocky version spaghetti réalisé juste après Opération K par Luigi Petrini. Il terminera sa carrière très tôt au début des années 1980, devant la caméra de Bruno Mattei dans Les Novices libertines – La Vera storia della monaca di Monza. Le second, Giovanni, est incarné par Marco Marati dans son seul rôle connu à l’écran. Ce dernier fera surtout carrière dans la musique et écrira entre autres quelques chansons pour Laura Pausini. Dans Opération K, Paolo saura très vite prendre l’ascendant sur Giovanni et le manipuler pour franchir le point de non-retour. Leur rencontre inattendue après avoir quitté prématurément une fiesta rend compte de leurs frustrations diverses, sexuelle bien sûr, mais aussi financière, même si Giovanni est issu de la bourgeoisie, classe vraisemblablement castratrice qui l’a d’ailleurs rendu impuissant, au sens propre comme au sens figuré. Stoppé quasiment en plein coït avec une jolie demoiselle, en réalité la fille de leur hôtesse, Paolo est obligé de remballer son matériel et part de cette parodie de fête. C’est là qu’il tombe sur Giovanni, qu’il entraîne à ses côtés, jusqu’au bout de la nuit, qui sera marquée par un double viol et un assassinat. Ils prennent alors la fuite et improvisent le braquage d’un restaurant chic. Cet événement les conduira à leur perte.
Egalement scénariste de son film, Luigi Petrini s’en donne à coeur joie pour dépeindre ses personnages principaux, ainsi que ceux qui peuplent le restaurant. Tout le monde en prend pour son grade, entre un couple qui se déchire et dont la femme préfère se bourrer la gueule plutôt que d’affronter leurs problèmes, une femme enceinte et son frère handicapé, une nana qui n’a visiblement pas froid aux yeux et qui semble irrésistiblement attirée par Paolo, sans doute parce qu’il amène un peu d’agitation dans une vie morne. N’oublions pas l’inspecteur mollasson chargé de l’enquête interprété par Mario Bianchi, beaucoup plus connu par les amateurs de Bis pour avoir réalisé au bas mot plus d’une centaine de films érotiques et pornographiques aux titres fleuris du genre L’Ultimo tango anale, L’Angelo del sesso …anale, Dentro il vulcano et d’autres ré-jouissances pas forcément entrées dans les an(n)ales.
Alors oui Opération K arrive un peu au dernier moment et n’a pas grand-chose d’original à dire, toutefois, on ne pourra pas nier que le film est plutôt bien fait, divertissant dans le genre malsain et intelligent quoi qu’on en pense dans son message. De plus, saluons la réussite de la composition du trio Bixio-Frizzi-Tempera, la même année que L’Emmurée vivante de Lucio Fulci. Pour résumer, cette Operazione Kappa : sparate a vista n’a absolument rien du nanar que certaines critiques de bas étages auraient tendance à qualifier ainsi, mais reste de la bonne came pour les amateurs du genre.
LE DVD
Opération K intègre la collection Polar d’Artus Films. Le disque repose dans un très beau slim Digipack, très bien illustré. Le menu principal est fixe et musical.
C’est avec un grand plaisir que nous retrouvons l’excellent Emmanuel Le Gagne (Culturopoing) qui propose un beau tour d’horizon d’Opération K (22’). Le journaliste prévient d’emblée « Ce n’est pas vraiment un chef d’oeuvre du genre et pas vraiment une pépite du cinéma Bis oubliée ou un film culte, mais un film très curieux et bizarre, malsain et symptomatique d’un certain cinéma Bis décérébré, en pleine dégénérescence de la fin des années 1970 ». Voilà qui plante le décor ! Emmanuel Le Gagne s’intéresse ensuite au casting et surtout au réalisateur Luigi Petrini, dont il évoque certaines œuvres, dont le fameux White Pop Jesus, « un effroyable nanar très drôle ». L’invité d’Artus Films en vient au rape & revenge en évoquant le point de départ du genre (La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven en 1972), puis ses diverses déclinaisons transalpines (La Bête tue de sang-froid d’Aldo Lado), dont certaines semblent aussi s’inspirer d’un fait divers, le massacre du Circeo (survenu en 1975), où trois jeunes bourgeois néofascistes, avaient enlevé, emprisonné, torturé et violé deux femmes issues d’un autre milieu jugé indigne, avant d’en assassiner une et de laisser l’autre pour morte. Dans la dernière partie de son intervention, Emmanuel Le Gagne se penche un peu plus sur la fond et la forme d’Opération K, « un film déconcertant, qui prend une tournure surréaliste et dérape complètement lorsque démarre le braquage du restaurant », sur lequel le rédacteur loue à la fois les qualités (« la mise en scène assez épatante de la première partie ») et les défauts.
L’interactivité se clôt sur un Diaporama de photos et d’affiches, sans oublier la bande-annonce.
L’Image et le son
Un superbe travail éditorial. Merci à Artus Films, qui fêtait ses quinze ans en 2020, de nous permettre de voir et revoir Opération K dans une copie de qualité restaurée 2K ! D’emblée, l’image, au format respecté 1.85 (16/9 compatible 4/3) affiche une propreté rarement prise en défaut, la clarté est de mise, les couleurs retrouvent une vivacité bienvenue, le grain cinéma est bien géré, les contrastes plutôt riches, le piqué agréable sur les séquences diurnes pimpantes. Certains pointilleux noteront bien un point blanc ici et là ou de très légers moirages, tout comme certains flous inhérents aux conditions techniques d’origine, mais cela reste anecdotique. La définition flatte les mirettes, la compression demeure discrète, c’est vraiment du très bon boulot.
Fuyez la version française au doublage catastrophique et qui ne s’embête pas pour supprimer la musique dans l’ensemble des scènes, pour se focaliser uniquement sur les dialogues. De plus, cette piste est parfois marquée par un bruit de fond et un ronronnement irritant. La version italienne est en revanche impeccable, propre, dynamique, aérée, mêlant harmonieusement les voix des comédiens, les effets annexes et la composition du trio Bixio-Frizzi-Tempera. Les sous-titres français ne sont pas imposés.