LE SIXIÈME ENFANT réalisé par Léopold Legrand, disponible en DVD et Blu-ray le 7 février 2023 chez Pyramide Vidéo.
Acteurs : Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Damien Bonnard, Judith Chemla, Naidra Ayadi, Olivier Rabourdin, Marie-Christine Orry, Matheo Kabati…
Scénario : Catherine Paillé & Léopold Legrand, d’après le roman d’Alain Jaspard
Photographie : Julien Ramirez Hernan
Musique : Louis Sclavis
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 2022
LE FILM
Franck, ferrailleur, et Meriem ont cinq enfants, un sixième en route, et de sérieux problèmes d’argent. Julien et Anna sont avocats et n’arrivent pas à avoir d’enfant. C’est l’histoire d’un impensable arrangement.
C’est une révélation immédiate, fulgurante, foudroyante, au même titre que Jusqu’à la garde de Xavier Legrand en 2018. Le Sixième enfant est le premier long-métrage de Léopold Legrand. Retenez tout de suite ce nom, car vous risquez d’en réentendre parler dans un proche avenir. Coup d’essai et coup de maître, ce drame social joue avec les codes du thriller et embarque dans une quête, celle de la maternité, vitale, à tout prix, peu importe comment. Le Sixième enfant est un uppercut comme il en arrive rarement dans le cinéma français contemporain, qui accroche de la première à la dernière image, qui s’inscrit d’emblée dans la mémoire du spectateur et des cinéphiles, qui rappelle les grands classiques du septième art hexagonal des années 1970. Léopold Legrand (né en 1992) fait preuve d’une sacrée maturité, sur le fond comme sur la forme, déjà constatée sur Mort aux codes (2018), probablement un des meilleurs courts-métrages que vous pourrez voir dans votre vie, interprété par l’immense Olivier Rabourdin, par ailleurs aussi au générique du film qui nous intéresse aujourd’hui. Porté par un extraordinaire quatuor, Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Damien Bonnard et Judith Chemla, Le Sixième enfant est une œuvre dont on ne ressort pas indemnes et qui pourtant évite tout pathos et misérabilisme, creuse dans les tripes de ses personnages, n’en laisse aucun sur le bas côté, qui trouve ce parfait équilibre entre l’ombre et la lumière, entre la crédibilité « sociétale » recherchée et le romanesque propre au cinéma. Il est là l’avenir du septième art en France !
Franck et Meriem, Gitans, ont cinq enfants et vivent dans une caravane. Franck travaille comme récupérateur et ferrailleur, et ils ont du mal à dégager un revenu suffisant pour faire vivre leur famille. Anna et Julien sont un couple d’avocats, et ils ne parviennent pas à avoir d’enfant. Une nuit, Franck aide un confrère sans savoir que celui-ci cherche à revendre de la ferraille volée, et suite à un accident de la route, il perd la camionnette qui est son outil de travail, se retrouve accusé de vol et risque la prison. Julien le défend devant le tribunal, avec succès car Franck échappe à la prison ferme et obtient une condamnation avec sursis. Julien fait par ailleurs l’objet d’un retrait de permis: Anna vient donc le chercher en voiture au tribunal, et tous deux finissent par raccompagner Franck chez lui. Ils découvrent alors sa nombreuse famille et leur situation précaire. Peu après, Franck vient voir Julien à son cabinet. Il lui explique que Meriem est enceinte de deux mois, que leurs convictions religieuses leur interdisent l’avortement, mais qu’ils n’ont pas les moyens d’accueillir un enfant supplémentaire. Franck a des dettes et besoin de racheter une camionnette. Lui et sa femme estime que Julien et Anna feraient de bons parents, et qu’en échange, le couple d’avocats pourrait les aider financièrement pour sortir de leur situation difficile. Julien réagit assez sèchement, il explique à Franck qu’un tel arrangement serait qualifié de trafic d’être humain et serait totalement illégal. Il raconte tout à Anna le soir même…
Cela faisait longtemps, on ne sait plus quand d’ailleurs, que nous n’avions pas vu quatre comédiens aussi bien servis, mis sur un pied d’égalité, filmés avec grâce et élégance, magistralement dirigés. Le Sixième enfant est la libre adaptation du roman Pleurer des rivières d’Alain Jaspard, inspiré par un véritable fait divers, d’après un scénario coécrit par Léopold Legrand et la talentueuse Catherine Paillé (Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin, Les Ogres de Léa Fehner, Tonnerre de Guillaume Brac, Une vie meilleure de Cédric Kahn). Une plume rigoureuse, qui sait éviter les clichés, en installant une atmosphère de quasi-polar, en dépeignant et en se faisant rencontrer deux milieux que tout oppose. Si le réalisateur s’est approprié le livre d’Alain Jaspard, il aura également puisé en son for intérieur, ayant été lui-même adopté par la seconde épouse de son père, après le décès de sa mère. Après une exposition sèche, mais non précipitée, qui plonge l’audience dans la vie des gens du voyage, les deux couples entrent en collision, mais sans a priori, naturellement, les affinités se créant sans se forcer, le courant passant surtout entre les deux hommes, l’un ayant défendu l’autre dans une affaire qui aurait pu causer plusieurs mois de prison au second.
S’abstenant de réaliser un documentaire sur la communauté gitane, Léopold Legrand va néanmoins plus loin que la simple toile de fond et met ses personnages à égalité, sans aucun jugement moral, en suivant le cheminement psychologique de chacun. Les thèmes de la maternité, de la filiation, de l’abandon parcouraient déjà les veines de deux autres courts-métrages du metteur en scène, dans Angelika (2016), portrait d’une petite fille de sept ans issue de l’assistance publique polonaise, et dans Les Yeux fermés (2017), film délicat sur un jeune apnéiste dont la mère est atteinte d’un cancer, deux œuvres à découvrir absolument et disponibles sur le site de l’INSAS, l’L’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion, où Léopold Legrand a fait ses classes en section Réalisation.
Dans Le Sixième enfant, que l’on soit chez le ferrailleur gitan, avec sa femme et ses cinq enfants vivant dans une caravane étriquée plantée sur un terrain à Aubervilliers, ou chez le couple d’avocats aisés, habitant un luxueux appartement parisien, on se prend d’empathie pour eux, un attachement parfois contrarié par une décision de l’un qui peut entraîner de lourdes conséquences, mais un lien qui résiste malgré tout. Avec le format du cadre 1.5 tout d’abord étrange car rare, les personnages remplissent l’espace, ne le quittent jamais, sont omniprésents, laissent la place aux autres avant de s’y engouffrer à nouveau, créant ainsi un sentiment anxiogène. Une fois la machine lancée, le spectateur se dit qu’un rouage va forcément gripper puis l’enrayer, la question est quand et surtout comment. Dans la dernière partie du Sixième enfant, Léopold Legrand déjoue les attentes au cours d’une scène magnifique dans laquelle Sara Giraudeau confirme non seulement tout le bien qu’on pensait d’elle depuis Petit Paysan d’Hubert Charuel (César de la meilleure actrice dans un second rôle) et Les Envoûtés de Pascal Bonitzer, mais aussi qu’elle est désormais dans le peloton des plus grandes actrices en France. Si ses partenaires sont aussi incroyables, il y a fort à parier que cette fameuse scène en question revienne longtemps nous chambouler.
On ressort à la fois groggy et l’âme apaisée du Sixième enfant, frappé par le magnétisme des acteurs, par ce précipité de force et de fragilité, la beauté plastique du film (superbe photographie de Julien Ramirez Hernan), le montage implacable, la musique hypnotique de Louis Sclavis, sans oublier évidemment la virtuosité de la mise en scène. Gigantesque coup de/au coeur, récompensé par quatre prix au Festival du Film Francophone d’Angoulême et d’ores, Le Sixième enfant est déjà nommé dans deux catégories à la prochaine cérémonie des Césars, celle du Meilleur premier film et celui de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Judith Chemla. On croise les doigts pour ce doublé.
LE DVD
A peine 100.000 entrées au cinéma…Cela n’empêche pas Pyramide Vidéo de proposer Le Sixième enfant en DVD, mais aussi en Haute-Définition. Le menu principal de la version Standard est animé et musical. Le visuel de la jaquette reprend celui de l’affiche d’exploitation.
Le premier supplément se présente sous la forme d’entretiens croisés, avec d’un côté le réalisateur Léopold Legrand, de l’autre Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe et enfin Judith Chemla et Damien Bonnard (17’30). La genèse du film, la psychologie des personnages, leur évolution, les intentions du metteur en scène, les libertés prises avec le roman d’Alain Jaspard (avec l’accord et même l’encouragement de celui-ci), les partis-pris, le casting sont autant de sujets abordés par l’équipe.
Pyramide Vidéo nous fait découvrir ensuite la remise des prix au Festival du Film Francophone d’Angoulême de 2022 (8’30), d’où Le Sixième enfant est reparti avec quatre prix, dont le Valois de la meilleure actrice ex æquo pour Sara Giraudeau et Judith Chemla.
Ensuite, ne manquez pas le sublime court-métrage évoqué dans notre critique du Sixième enfant, Mort aux codes (2018, 14’). Ils s’étaient pourtant protégés. Leur prudence les rassurait, face à ce contexte politique et social appelant à davantage de sécurité. Il y avait la grille, sur la rue. Puis le code dans la cour intérieure. L’ascenseur était de toute modernité, avec une clef magnétique permettant d’accéder aux étages. Et puis leur porte, sur le pallier, blindée et sécurisée par plusieurs verrous. Pourtant, ils n’avaient pu l’empêcher d’entrer, la mort. Claude avait succombé, victime d’un infarctus, tandis que les secours, aux portes de leur appartement, étaient restés bloqués par tous ces codes.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Nous n’avons eu que le DVD entre les mains. Cependant, nous ne nous attendions pas un master aussi beau. Le film de Léopold Legrand est solidement restitué grâce à un transfert de haute volée. Le piqué est minutieux, les détails fourmillent, le cadre est magnifique et la colorimétrie intense avec un mixe de teintes chatoyantes et de gammes froides. Les contrastes sont denses et tranchants, la clarté éloquente. Ce master du Sixième enfant tient toutes ses promesses et offre des conditions quasi-optimales au spectateur pour se replonger dans l’ambiance du film.
Certes ce n’est pas avec Le Sixième enfant que vous réaliserez une démonstration acoustique, mais tout de même ! Le mixage Dolby Digital 5.1 est aussi percutant dans son rendu des dialogues et de la musique de Louis Sclavis dont certains pics donnent beaucoup de frissons. A ce moment-là, la spatialisation est ardente, tandis que divers effets naturels savent plonger délicatement mais sûrement le spectateur dans l’atmosphère du film grâce à un usage intelligent des enceintes latérales. Même chose pour le mixage Stéréo, frontal par définition, les plages de silence sont particulièrement limpides et la balance gauche-droite savamment équilibrée. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiodescription.